7 au Front

COMMUNAUTARISATION DE L’HISTOIRE

Par Khider Mesloub.

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22.08.2022-Mesloub-Communication-Escobar-Asia-English-Italiano-Spanish

 

L’historiographie est devenue un enjeu majeur de trituration communautariste. Chaque communauté ethnique, linguistique, religieuse, sexuelle tente de fracturer l’histoire par l’infiltration de nouveaux paradigmes propres à valoriser son passé mythique, son héritage fantasmagorique, ses mœurs anachroniquement magnifiées.

On ne voit dans la réalité que ce qui confirme nos idées, nos préjugés. Autrement dit, la réalité sert à conforter nos pensées. À rassurer notre psyché. De là s’explique que, confrontés à l’analyse d’une même réalité, les points de vue varient en fonction de notre histoire personnelle et de notre culture, en un mot de notre conditionnement.  Notre mode de vie façonne nos perceptions, voire bâtit sa propre réalité. L’homme modèle la réalité à son image, élaborant ainsi sa propre réalité inflexible, intransigeante. De la vient que ses croyances conditionnent ses perceptions et ses actes. À l’échelle supérieure, autrement dit sociétale, dès lors que certaines croyances dogmatiques se propagent à un nombre croissant de membres de la société, elles constituent un terreau fertile au développement du sectarisme, des doctrines systématiques totalitaires, fondamentalistes. À l’éclosion de mystification historique, de mythification narrative.

 

Le capitalisme enfanté par les moines ?

 

« Le Moyen-Âge n’a pas été une ère obscure mais une formidable période d’innovation technique. Le catholicisme a promu le capitalisme bien avant que la Réforme ne pointe son nez », a écrit un journal conservateur français relayant l’information de la parution d’un livre rédigé par un professeur américain, auteur d’une histoire libérale et chrétienne de la civilisation occidentale. Selon cet historien, le capitalisme ne serait pas né dans les villes (bourg, d’où issu le terme bourgeois), enfanté par une bourgeoisie entrepreneuriale, mais sur les domaines monastiques, engendré par les eunuques moines. En effet, les moines, pour survivre, devaient produire tout le nécessaire à leur subsistance : nourriture, outils, habits etc.

Avec l’accroissement des rendements, les moines se seraient spécialisés dans l’une ou l’autre production. Pour leurs autres besoins, ils recouraient au commerce. Grâce à l’accumulation de leurs profits, les moines auraient commencé à employer des travailleurs dans leurs « entreprises sacrées », pour mieux se consacrer aux tâches de gestion et surtout à la gestion de leurs dévotions chrétiennes. Au fil des siècles, ces monastères seraient devenus les précurseurs des entreprises capitalistes modernes.

Libérés des contraintes serviles du labeur délaissé aux nouveaux travailleurs salariés, les moines, selon l’auteur américain, auraient consacré leur temps libre à l’enseignement et à la recherche scientifique. C’est de cette classe monacale qu’aurait surgi les grands inventeurs et capitaines de l’industrie des siècles postérieurs.

Une chose est sûre, contrairement à la thèse avancée par ce professeur américain, le capitalisme n’est pas l’héritier du christianisme. Certes, c’est un enfant conçu dans les entrailles spatiales européennes chrétiennes, mais fécondé dans le dos de la chrétienté, contre sa volonté stérile, arraché du ventre féodal européen aux forceps. En réalité, le capitalisme est le fruit (amer ?) de la bourgeoisie productive. Il est né dans les manufactures créatives des villes florissantes de l’Europe, fécondées par de virils hommes, géniteurs d’une nouvelle génération d’entrepreneurs résolus à révolutionner le monde (ne pas oublier que la Bourgeoisie fut révolutionnaire pendant longtemps à une certaine époque). Donc, le capitalisme n’a pas été conçu par la chrétienté dominée des siècles durant par des eunuques incapables d’engendrer la moindre création matérielle humaine, hormis ces fantasmagoriques ruminations pathologiques religieuses célestes. Incapable de révolutionner les forces productives du fait de sa stérilité sociale congénitale, l’institution ecclésiastique ne contribua aucunement à la fécondation du capitalisme. Au reste, le célibat du christianisme lui interdisait d’épouser l’esprit de créativité, le privant d’engendrer la moindre civilisation matérielle et culturelle humaine. Le christianisme, ennemi de la raison (comme toutes les religions), a tout juste été capable de bâtir une parasitaire institution ecclésiastique occupée scolastiquement à épiloguer sur le sexe des anges au ciel et de s’adonner au sexe avec les petits anges sur terre. Le capitalisme n’est donc pas né au sein de l’Église, occupée à s’agenouiller devant le Saint Esprit dans les miteuses églises, mais dans les « laboratoires scientifiques » de la société bourgeoise rationnelle émergente, au cœur des manufactures productives.

 

Les Africains pionniers découvreurs de l’Amérique  et de la Chine ?

 

 Un autre journal électronique nous livre une nouvelle grille de lecture historique communautariste, une interprétation africentriste de l’histoire. Selon ce journal, les « civilisations africaines » auraient sillonné les mers bien avant les Européens. Bien avant 1492, les Africains, par leur connaissance maritime, à bord de leurs navires performants, auraient navigué jusqu’en Chine et l’Amérique. Selon cette école historique africentriste, les Africains, en particulier les Maliens, auraient découvert l’Amérique avant Christophe Colomb.

Pour appuyer leur argutie, ces historiens en quête de notoriété, plus enclins à complaire à leur communauté ethnique qu’à satisfaire à la rigueur épistémologique de la communauté scientifique universelle, citent un texte de l’« empereur » Mansa Moussa qui parle de son prédécesseur, Aboubakri II, l’empereur du Mali, surnommé «l’empereur explorateur». En effet, l’empereur Mansa Moussa aurait raconté, pendant son pèlerinage, à l’émir du Caire de l’époque : « Nous appartenons à une maison qui transmet la royauté par héritage. Mon prédécesseur ne croyait pas qu’il était impossible de découvrir la limite la plus éloignée de l’océan Atlantique, et souhaitait vivement le faire. Il équipa 200 navires remplis d’hommes et le même nombre équipés d’or, d’eau et de provisions suffisamment pour les durer des années, et dit à celui qui était chargé de les conduire : “Ne revenez pas avant d’avoir atteint la fin de celui-ci ou que vos provisions et votre eau ne s’épuisent.” Ils sont partis et un long moment s’est écoulé avant que quiconque ne revienne. Puis un navire est revenu, et nous avons demandé au capitaine quelles nouvelles ils apportaient. Il a dit: “Oui, ô Sultan, nous avons voyagé pendant un long moment jusqu’à ce qu’il apparaisse en pleine mer [pour ainsi dire] une rivière avec un courant puissant. Le mien était le dernier de ces navires. Les [autres] navires sont allés de l’avant, mais lorsqu’ils ont atteint cet endroit, ils ne sont pas revenus et on n’en a plus vus et nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus. Quant à moi, je m’en suis allé aussitôt et je ne suis pas entré dans cette rivière.” Mais le sultan ne l’a pas cru. Ensuite, ce sultan a préparé 2.000 navires, 1.000 pour lui et ceux qu’il a emmenés avec lui, et 1.000 pour l’eau et les provisions. Il me quitta pour le remplacer et s’embarqua sur l’océan Atlantique avec ses hommes. Ce fut la dernière fois que nous l’avons vu, ainsi que tous ceux qui étaient avec lui, et je suis donc devenu roi à part entière. »

Ce texte de Mansa Moussa est instrumentalisé par les afrocentristes pour soutenir que les Maliens avaient découvert l’Amérique avant Christophe Colomb. Or, selon les historiens sérieux cette théorie est fantaisiste. Les Maliens n’avaient pas une grande connaissance maritime et étaient très peu intéressés par la mer. Ils n’avaient pas une culture maritime.  Globalement, l’Afrique de l’Ouest n’avait pas une tradition maritime portée vers l’Atlantique.

Comme nous l’avons souligné plus haut, ainsi l’historiographie est devenue un enjeu majeur de trituration communautariste. Chaque communauté ethnico-linguistique, culturelle ou sexuelle s’évertue à construire un passé historique glorieux. Comme le définit Wikipédia « L’afrocentrisme est une forme d’ethnocentrisme qui consiste à attribuer une place centrale aux cultures et valeurs subsaharienne aux dépens des autres cultures. L’afrocentrisme considère comme supérieures les cultures originaires d’Afrique subsaharienne, parfois au sens étroit, se limitant au continent, parfois au sens large, englobant les diverses branches des cultures africaines. L’afrocentrisme vire à la théorie du complot quand ses partisans soutiennent que la communauté scientifique occidentale sous-estime les « civilisations » africaines, voire serait partie prenante, consciemment ou non, d’un complot visant à masquer les apports africains à l’histoire. Parmi les scientifiques, les travaux et écrits des auteurs se réclamant de l’afrocentrisme sont généralement considérés comme relevant d’un discours militant et d’une « réécriture engagée de l’histoire », proche du prochronisme. « Le protochronisme est une tendance moderne du nationalisme culturel (à l’instar du berbérisme) qui consiste à postuler, pour chaque peuple, des racines remontant à l’antiquité ou à la préhistoire et un développement propre, séparé des peuples voisins, dont les influences sont minimisées voire niées. Il vise également à « démontrer » que les ancêtres réels ou revendiqués des habitants de ces pays, non seulement seraient les ancêtres directs et exclusifs des populations actuelles, mais qu’ils existaient avant tous les autres peuples de l’Antiquité ». Le prochronisme est qualifié par certains historiens de « rétroprojection nationaliste ». Il s’agit d’histoire-fiction.

 

 Les musulmans, fondateurs d’une civilisation florissante ?

 

 Quant aux musulmans, pour mieux crédibiliser leur discours apologétique de l’islam, notamment les salafistes militant pour le rétablissement d’un État islamique sur le modèle du prétendu vertueux et mythique Califat, ils n’hésitent pas d’affirmer que l’ancienne « civilisation musulmane » était fondée sur l’équité et la justice sociale, chapeautée par un État puissant et riche, sur fond d’un développement extraordinaire des connaissances. Il s’agit en l’espèce d’une mystification. D’une imposture. D’une histoire-fiction.

Certes, il a existé un semblant d’État musulman au Moyen âge, mais il reposait sur l’exploitation et l’oppression de classe. Sur l’esclavage. Une chose est sûre : la « civilisation musulmane », à l’exemple de la « civilisation chrétienne féodale » européenne, n’a jamais permis le développement des forces productives. Seul le capitalisme favorisa l’accomplissement de cette révolution extraordinaire d’expansion illimitée de l’économie. Aussi, est-il fallacieux d’employer la locution de « civilisation musulmane » pour désigner une société qui n’a jamais permis le développement des forces productives, qui a reposé depuis sa naissance sur le modèle sociétal féodal, demeurée figée au même stade économique archaïque jusqu’au XXe siècle.

En vérité, le désert persique a été tout juste capable de façonner une civilisation en sable et une religion de sabre. Qui plus est, si foisonnement intellectuel il y eut dans le monde musulman, il fut l’œuvre de « penseurs » autochtones des pays conquis, et non d’auteurs issus des tribus bédouines, accaparées par leurs occupations de rapines, leurs entreprises de conquêtes coloniales, et surtout leurs guerres « fratricides » au sein du sommet du pouvoir.

Sur cette prétendue période d’âge d’or du monde musulman mythiquement glorifié, il convient de rétablir la vérité historique : cet univers « intellectuel » d’une époque islamique tant magnifiée était imprégné fanatiquement de religiosité : la foi primait la raison. Ces « intellectuel » musulmans du Moyen-âge n’étaient absolument pas des libres penseurs, des philosophes matérialistes, des scientifiques, au sens moderne. Mais des théologiens versés dans la métaphysique confessionnelle, soumis au tout Puissant et servant les puissants. Leurs réflexions « scientifiques », mêmes les plus audacieuses, ne devaient jamais réfuter la Révélation divine, aller à l’encontre des textes sacrés. Ce faisant, leurs connaissances, diffusées dans les limites dictées par la religion, étaient encadrées par le Coran, pour qui Dieu a créé l’homme et l’univers, prescrit le sens de l’existence et de l’Histoire. Dès lors que de tels axiomes dogmatiques sont religieusement décrétés dans le champ du savoir, il n’y a aucune place pour la connaissance scientifique, œuvre par essence de recherches libres fondées sur l’observation et l’expérimentation conjuguées avec l’esprit du doute méthodique, garant de la véracité épistémique. Quand bien même le monde musulman a connu une période marquée par la diffusion des arts, la poésie et la « philosophie », ces créations culturelles ne constituent pas un indice de développement économique, ni de progrès social, ni de démocratisation politique, c’est-à-dire de perfectionnement et d’épanouissement des forces productives. Encore moins un indice d’équité et de justice sociale.

Le niveau culturel d’une civilisation ne se mesure pas seulement à l’aune de l’additionnement des connaissances rudimentaires maîtrisées par une fraction réduite de la population, c’est-à-dire l’élite intellectuelle des classes privilégiées. Mais à leur application technique dans le domaine économique permettant le développement des forces productives, mais également à leur champ de diffusion parmi la population massivement scolarisée. Or, telle n’était pas la situation de la société musulmane féodale jusqu’au 20ème siècle.

Par ailleurs, les sciences témoignent de la puissance de l’esprit humain, c’est-à-dire sa faculté à reléguer dans la poubelle de l’histoire les explications mystiques, à culbuter les théories métaphysiques et religieuses. Elles prouvent, par le recours systématique à l’observation et à l’expérimentation, leurs compétences épistémologiques à analyser et expliquer les phénomènes par les seules lois scientifiques, sans additifs toxiques surnaturels, autrement dit la métaphysique religieuse. Telle n’était pas la situation de l’époque « islamique » prétendument florissante. De là s’explique l’arriération économique du monde musulman.

L’époque antique est marquée par l’émergence des premières civilisations humaines, caractérisées par le développement extraordinaire de l’agriculture, l’invention de l’écriture, de l’architecture, de l’artisanat, du système d’irrigation. Cette période antique fut ainsi florissante. Or, pour caractériser ces prodigieuses civilisations égyptienne, babylonienne, hittite, grecque, romaine, chinoise, les historiens ne parlent pas de civilisations d’Ammon, de Mardouk, de Hattoussa, de Zeus, de Jupiter, Mithra, Bouddha, du nom des différents cultes de ces civilisations antiques. On a attribué ces inventions et œuvres au génie de ces peuples (du moins l’élite lettrée, technicienne, artisanale et artistique) et non à leur « religion », c’est-à-dire à leur culte. On peut dire que leur génie est l’œuvre de leur extraordinaire culture et non du miracle de leur culte.

Aussi, s’il y eut quelques génies de confession musulmane à l’époque « féodale », il faut l’attribuer à leur prodigieuses cultures générales personnelles et à leurs savoirs profanes, et non à l’islam, encore moins au Coran.

 

 Une civilisation berbère antique ? Un peuple kabyle ?

 

 En Algérie, ce sont les ingénieux Berbéristes kabyles, issus pourtant d’un pays à l’histoire sans écriture, qui s’ingénient à confectionner une mythologie nationale antique pour légitimer leurs revendications ethnico-linguistique ou sécessionnistes. Avec ces berbéristes, on enjambe deux mille ans d’histoire en arrière pour fabriquer des modèles identitaires mythiques, réécrire l’histoire de l’Algérie sur des fondements entièrement mythiques, voire falsifiés. Une histoire-fiction, une historiographie-péplum, à grande reconstruction mythologique.

Dans leur entreprise de récupération chauvine ethnocentriste, les berbéristes se livrent à une construction idéologique d’un récit historique berbériste totalement mythifié. Pour appuyer leur mystification, ils n’hésitent pas à user et abuser d’anachronismes.

Il est de la plus haute importance de rappeler qu’à l’époque antique glorifiée par nos historiens montagnards autoproclamés, il n’existait ni d’État berbère, ni de nation berbère, ni de peuple berbère. Ni d’État-nation berbère. Notions émergeant au XVIIIème siècle en Europe à la faveur du développement du capitalisme. Or, les berbéristes postulent l’existence d’un peuple berbère, voire d’une civilisation amazighe. Et, aujourd’hui, d’un peuple kabyle.  Comme s’il y avait un « peuple berbère » qui vivait comme une communauté nationale, étatique et territoriale, alors qu’à cette longue époque antique et « moyenâgeuse » les habitants du Maghreb ne parlaient pas le même dialecte d’un village à l’autre.

À cette époque tant magnifiée par les berbéristes en quête de construction identitaire mythologique, il existait seulement des agrégats de peuplades parlant des idiomes variés et variables d’une région à l’autre, des confédérations de tribus toujours en guerre les unes contre les autres. Quant au terme de « royaume » employé pour décrire les quelques rares pouvoirs numides, il s’agit d’un abus de langage. Au sujet de ces « royaumes », il serait plus approprié de les définir comme de simples confédérations tribales éphémères, coalisées occasionnellement dans certaines circonstances. Il ne faudrait pas leur conférer une conception étatique et une dimension nationale propres aux canons juridiques et sociologiques capitalistes contemporains. Pas de nation. Pas d’État. Mais une société archaïque fragmentée en de multiples tribus partiellement sédentarisées. Au reste, la vision identitaire du « berbère » antique ne dépassait pas sa famille, son clan, sa tribu, son village. Il n’avait aucune conscience nationale, sentiment inexistant à l’époque. En outre, tous les rois « berbères » encensés par les contempteurs imazigihen furent majoritairement de culture romaine ou gréco-romaine. Plus proches par leur mode de vie des classes aristocratiques opulentes romaines que des pauvres paysans berbères. Par son mode de vie sédentaire ou nomade, sa misérable tenue vestimentaire et son habitat rudimentaire, le « berbère » était plus proche de son frère Chamite égyptien, et sémite irakien ou palestinien que de ses dirigeants romanisés (de nos jours, on dirait occidentalisés).

Ainsi, les berbéristes appliquent-ils sans vergogne des schémas de pensée contemporains à des réalités historiques antiques.

Parmi les plus grandes mystifications figure cet usage sémantique de la traduction du vocable « Amazigh » sous la locution « d’homme libre », en lui accolant une connotation politique contemporaine inappropriée et illégitime. Contrairement à la définition habituelle énoncée par les berbéristes, le terme Amazigh, s’il signifie bien « homme libre », ne peut pas être apparenté à l’expression actuelle moderne à l’évocation politique prononcée. Historiquement, il est établi anthropologiquement que les anciennes sociétés tribales, telles les sociétés berbères, se désignaient, pour se différencier d’autres tribus ennemies aptes à être donc soumises, par la locution « d’hommes libres ». « Hommes libres » par opposition aux autres hommes des autres tribus susceptibles d’être attaqués, soumis, dominés, réduits à l’esclavage, voire mangés.

Ce vocable ne peut donc pas être associé aux définitions contemporaines chargées d’une dimension politique propres aux sociétés démocratiques occidentales. Il n’a pas la valeur de l’acception moderne, théorisée par les philosophes et les législateurs contemporains occidentaux. Selon la terminologie juridique et politique bourgeoise, dans son acception large, l’appellation moderne « d’homme libre » renvoie au concept « citoyen libre » né avec les Révolutions française, anglaise et américaine. L’expression renferme cette dimension politique de l’homme inaliénable, aucunement soumis à une divinité ni à un pouvoir royal absolutiste. Affranchi de toute sujétion aux pouvoirs religieux et politiques, « l’homme-individu-citoyen » affirme ainsi sa liberté de gouvernance dans une société « démocratique », fondée également sur la liberté de conscience. On est loin de la définition anthropologique tribale. Pourtant, la majorité des Kabyles, par ignorance historique, accolent encore aujourd’hui au vocable Amazigh la signification anachronique d’homme libre associé à sa définition moderne politique, autrement dit homme inaliénable, citoyen libre et laïque, pour s’auréoler de vertus démocratiques et d’esprit de liberté, prétendument ancrés dans les traditions et coutumes berbères depuis l’époque la plus reculée.

Une seconde mystification parmi tant d’autres répandue par les berbéristes : alors que tous les authentiques historiens s’accordent sur l’absence de royaumes unis et pérennes en Algérie, pays à l’époque éclaté en de multiples tribus constamment en guerre les unes contre les autres, les berbéristes s’échinent à tresser des légendes sur cette période antique romantiquement dépeinte comme une glorieuse époque au cours de laquelle une « nation berbère » aurait librement existé, une « civilisation berbère » homogène se serait brillamment épanouie. De surcroît, ces berbéristes n’hésitent pas non plus à confisquer l’histoire des « rois » fantoches berbères (souvent romanisés), qui, soit dit en passant, avaient souvent réprimé les soulèvements des paysans amazighs, acculés à la révolte du fait de la politique d’expropriation des terres et d’exploitation forcenée appliquée par les classes dominantes esclavagistes romano-berbères de l’époque, par ailleurs majoritairement vassalisées par Rome.

Ainsi, au cours de ces dernières décennies postindépendance, une histoire berbérisée à outrance de l’Algérie a réussi le tour de force de supplanter l’histoire officielle arabisée, tout autant tronquée, en vue de motiver la revendication identitaire berbère. Certes, la revendication linguistique berbère est légitime, mais elle ne doit pas autoriser la falsification de l’histoire de l’Algérie (et au-delà, du Maghreb) par les partisans de l’amazighité idéologique.  Sans conteste, ces dernières années, nous avons assisté à un véritable hold-up historique, perpétré par les berbéristes (à leur propos, il vaut mieux parler de franco-berbérisme, car les berbéristes kabyles sont plus francophones et francophiles qu’Algériens et algérophiles. Ils sont surtout arabophobes, autrement dit racistes, anti-arabes).

Une chose est sûre : avec sa vision étroite et opportuniste, la mouvance berbériste est incapable d’appréhender de manière objective la réalité historique algérienne. De son point de vue statique archaïque, l’Algérie (comme tout le Maghreb) est demeurée figée au même stade historique antique. Par conséquent, l’Algérie est berbère (de toute éternité). Une société tribale figée est incapable d’appréhender la société dans une approche historique dynamique, marquée par le perpétuel mouvement et le changement. Pour elle, la vie est un éternel recommencement du même cycle. Prisonnière d’une vision dominée par l’invariance et l’involution, elle appréhende l’histoire dans une optique statique. Aussi, aujourd’hui n’est-il pas surprenant que le berbérisme, émanation d’une société tribale, définisse la nation d’un point de vue ethniciste, à la manière des Juifs. Or, tout cela est un construit idéologique, culturel et politique. Le berbérisme racialiste, incarné par le MAK, est une idéologie semblable au sionisme : il est fondé sur des Mythes. Et la posture de victimisation adoptée par les berbéristes n’est pas sans rappeler étrangement celle des Juifs sionistes constamment affairés à se livrer aux sempiternelles lamentations pour mieux s’annexer l’histoire à des fins colonialistes, comme l’a écrit l’historien israélien Shlomo Sand dans son livre « Comment le peuple juif fut inventé ? ». Les Kabyles berbéristes s’adonnent aux mêmes impostures historiques pour persuader les authentiques Algériens d’expression kabyle de les rejoindre dans leur séditieuse entreprise sécessionniste ou OPA symbolique fondée sur l’idéologie amazighe.

Quatorze siècles d’islamisation et d’arabisation de la société algérienne, et pourtant, cette mouvance berbériste, fanatiquement sectaire, refuse d’admettre et de se soumettre à cette profonde mutation quasi anthropologique de l’Algérie. Avec sa conception racialiste tribale opportuniste semblable à l’idéologie sioniste, pour elle l’Algérie est demeurée « berbère » depuis la nuit des temps, et le demeurera jusqu’à la fin des temps.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas à une minorité communautaire linguistique algérienne, d’obédience berbériste kabyle, de modifier cette réalité sociologique, de nier cette dimension culturelle et linguistique arabe de l’Algérie, au nom d’une conception ethniciste anachronique de la nation. La région de la Kabylie fait partie intégrante de l’Algérie, avec ses spécificités linguistiques et culturelles qui doivent être préservées et reconnues officiellement. Cependant, le berbérisme kabyle n’a pas à verser dans une forme de politique linguistique et culturelle réactionnaire impérialiste contre la majorité des Algériens arabophones contemporains, sommés d’abjurer leur personnalité et leur patrimoine arabes séculaires, ou plus précisément arabes algériens.

En vérité, contrairement à l’idée communément répandue, l’idéologie racialiste défendue par le courant culturaliste et, en particulier indépendantiste kabyle, représenté par le MAK, est jugée tellement méphitique qu’elle est massivement rejetée par l’immense majorité des Algériens, y compris en Kabylie. Le mouvement berbériste sécessionniste  est surtout fustigé pour son alliance et ses compromissions avec la monarchie marocaine et l’entité sioniste.

 

Khider MESLOUB

  

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

2 réflexions sur “COMMUNAUTARISATION DE L’HISTOIRE

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