7 au Front

Persépolis: le dernier festin du Chah d’Iran

RENÉ NABA — Ce texte est publié en partenariat avec www.madaniya.info.

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Persépolis: le dernier festin du Chah d’Iran.
Ou l’échec de la diplomatie gastronomique impériale.

Papier co-publié en partenariat avec Le Journal Spécial des Sociétés Édition du 9 septembre 2022


Ce papier est publié à l’occasion du cinquantième anniversaire des fastueuses cérémonies de Persépolis, le 12 octobre 1971.


Un délire mégalomaniaque absolu: Les festivités de Persépolis à la gloire de l’Empire perse et de son souverain de l’époque, le chah Mohammad Reza Pahlavi, passent pour avoir été, de l’avis de bon nombre d’observateurs, comme étant les plus fastueuses de l’histoire.

La célébration du 2.500 me anniversaire de la fondation de l’Empire perse se réfère à un ensemble de festivités et événements culturels qui ont été organisés en Iran durant l’année iranienne de mars 1971 à mars 1972 (année 1350 du calendrier iranien) et notamment à l’automne 1971.

Cette date se réfère à la mort du fondateur de l’empire perse, Cyrus II Le Grand, en -5302. Elles sont surtout connues pour les fêtes de Persépolis qui tire son nom de la Cité Grecque – Parsa en persan ancien.

Organisées par le chah d’Iran, les cérémonies se sont déroulées pendant 4 jours, du 12 au 16 octobre 1971 sur les sites archéologiques de Persépolis et Pasargades.

Elles réunirent plusieurs dizaines de têtes couronnées, présidents et chefs de gouvernement du globe. À la fois hommage rendu à la fondation de l’Empire perse par Cyrus le Grand et démonstration flamboyante du développement socio-économique du pays sous le règne de Mohammad Reza Pahlavi, elles visaient à rendre aussi un hommage à l’œuvre de son père Reza Chah. Les festivités de Persépolis sont souvent considérées comme le chant de cygne du dernier chah d’Iran.

Elles furent très vite critiquées pour leur coût exorbitant, dont l’ordre de 300 millions dollars selon les estimations occidentales et pour leur côté mondain, contrastant beaucoup avec l’autoritarisme du régime iranien et sa redoutable police politique la Savak.
Pour satisfaire sa mégalomanie, le Chah s’est appliqué à aplanir tous les obstacles, même les plus ardus. Un problème de taille se posait alors: Persépolis, son climat désertique, infesté de serpents et de scorpions, se prêtait mal à des célébrations de grande ampleur. L’Iran se tourna alors vers la France et mandata l’entreprise de décoration parisienne Jansen pour développer cette ville, faite d’une soixantaine de tentes pour les invités ainsi que d’une gigantesque tente-palais de réception. Un projet pharaonique, digne d’un James Bond qui, au final, a coûté la bagatelle de… 300 millions de dollars !

Les autorités ont fait couler des kilomètres de bitume pour relier Persépolis à la capitale, Téhéran, afin d’acheminer les convives. Les jardiniers français recomposent un immense parc arboré, en plein désert. On a même fait venir… 50.000 oiseaux. Mais en trois jours, avec un mercure à 32 degrés le jour et zéro la nuit, aucun ne survit.

Tout le personnel de chez Maxim’s sera acheminé de Paris et le célèbre restaurateur fermera ses portes pour la circonstance durant quinze jours ! 18 tonnes de nourriture, 12.000 bouteilles de whisky et 25.000 flacons des meilleurs vins français arrivent en Iran trois jours avant les agapes, stockés dans une tente frigo dernier cri.

Le défilé des têtes couronnées a été sans précédent: 69 chefs d’État, dont l’empereur d’Éthiopie Hailé Sélassié, accompagné de son chien Chee Chee Bee et son collier en diamants, le roi Frederik de Danemark, Rainier et Grace de Monaco, Baudouin et Fabiola de Belgique, le prince Philip d’Edimbourg, aux côtés du yougoslave Josip Broz Tito et du roumain Nicolae Ceausescu, pas peu fiers de parader dans cet antre du diable anticommuniste !

Pour chaque couple, un pavillon individuel, avec deux chambres, un salon, une pièce pour la valetaille et une cuisine. Cadeau personnel du chah : une tapisserie à l’effigie de chaque souverain, au-dessus du lit.

Et dans la table de nuit : un Alka Seltzer et… un Tampax ! On n’est jamais trop prudent. En cuisine, ce fut la panique: le personnel travaillait en short et torse nu tellement il faisait chaud.

Le chef du Maxim’s leur commanda même des tranquillisants ! Mais au final, le festin servi fut incroyable : œufs de caille farcis au caviar de la Caspienne, selle d’agneau rôtie aux truffes, paons farcis au foie gras, le tout arrosé de Lafite Rothschild 1945 et champagne Moët et Chandon 1911.

Au total, la fête de Persépolis va durer cinq jours, avec une parade militaire reproduisant les grands faits de guerre de la dynastie Achéménide, discours et feu d’artifice.

Seul le café fut un vrai problème : une seule machine sur place, capable de ne faire que deux tasses à la fois ! Aujourd’hui ne reste du camp qu’une ville d’ossatures métalliques. Les tentes devaient être récupérées par le Club Med, mais le vent salé est passé par là et a tout ravagé. Une ville d’ossatures métalliques constitue l’ultime trace de ce qui fut le plus beau coup d’éclat, à la face du monde, du dernier “Roi des Rois” de l’empire perse.

Retour sur cet événement avec le témoignage du jordanien Houssam Abdel Karim, paru dans le journal libanais «Al Akhbar» en date du 27 novembre 2020, dont le lien pour le locuteur arabophone se trouve ci joint

«Mohammad Reza Pahlavi, revêtu de sa tenue impériale, sa poitrine bardée de décorations, la couronne sertie de diamants, s’est dressé d’un coup et s’est dirigé vers le grand monument funéraire immortalisant la Gloire de Cyrus Le Grand pour s’adresser à son lointain prédécesseur en des termes emphatiques qui se voulaient empreints d’une profonde considération:

«Oh Cyrus Grand Roi, Roi des Rois, Héros de l’Histoire de l’Iran et du reste du Monde, je te présente, en ma qualité de Chah d’Iran, et au nom du peuple iranien, mon salut et ma considération. Repose en Paix. Le drapeau de l’Iran victorieux flotte très haut aujourd’hui de la même manière qu’il flottait sous ton règne. Nous sommes vigilants et demeurons vigilants.

Cérémonie d’hommage posthume qui se voulait grandiose, ce recueillement impérial devant le fondateur de l’Empire perse a constitué le paroxysme d’un cérémonial clôturant un défilé militaire marqué par le passage en revue des troupes ayant participé à une gigantesque parade célébrant l’empire perse et son armée.

Le Chah avait passé en revue la garde d’honneur impériale composée de 1.700 soldats à cheval ou à dos de chameau, revêtus de la tenue de l’armée perse de l’antiquité. Puis, le souverain iranien s’est lancé dans un discours dithyrambique sur la Perse, donnant le signal de festivités qu’il voulait sans pareille dans l’histoire de l’humanité.

Le Chah avait conféré une priorité absolue à ce projet le plus cher à son cœur. Rien ne devait égaler la commémoration du 2.500 e anniversaire de la fondation de l’Empire Perse, dont il se considérait l’héritier et descendant; une filiation en vertu de laquelle il gouvernait un grand pays dont il comptait tirer profit de cet événement pour magnifier sa grandeur et sa posture tant sur le plan interne que sur le plan international.

Les préparatifs avaient commencé très tôt, avec un budget illimité. Des années de travail, une armée de travailleurs. Un pont aérien entre l’Europe et l’Iran pour les équipements et le ravitaillement des hôtes;

Hollywood et Orson Wells en personne mobilisés pour la circonstance pour magnifier la grandeur du chah.

Les festivités devaient combler d’aise le chah et satisfaire sa mégalomanie, ainsi que son épouse la Chahbanou. Mohamad Reza avait épousé en 3me noce, une roturière, Farah Diba, et l’a intronisé officiellement impératrice d’Iran au cours d’une cérémonie au cours de laquelle il avait personnellement posé sur sa tête une couronne sertie de diamants, pesant 5 kg.

Asadollah Alam, ministre de la Cour, maître d’œuvre des festivités, était si impliqué par cette mission, si soucieux de plaire à son souverain, qu’il convoqua un jour entrepreneurs et fournisseurs pour leur adresser l’avertissement: «Si vous ne menez pas à terme ce projet de la meilleure façon dans tous ses détails et dans les délais, je viderai le chargeur de mon revolver sur vous avant de me tirer une balle dans la tête».

Asadollah Alam n’est pas un adepte des paroles verbales. Premier ministre d’Iran du 19 juillet 1962 au 7 mars 1964, il a été l’un des principaux superviseurs de la Révolution Blanche lancée par le Chah début 1963, et, face à la réaction d’une partie du clergé, a maté une manifestation de sympathisants de Khomeiny en juin 1963.

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1 – Les difficultés

Persépolis: les festivités devaient se dérouler à Persépolis sur les lieux même où Cyrus Le Grand avait fondé son empire. Distante de 75 km au nord-est de Chiraz, l’ancienne capitale était située en plein désert.

Asadollah Alam va la ressusciter en édifiant un camp de tentes, en une lointaine réminiscence amplifiée du «camp du drap d’or», un remake de la rencontre en France de François I er et d’Henry VIII d’Angleterre en 1520.

Les tentes avaient été confectionnées à la main, le parterre tapissé…….de tapis persan, équipées d’un système de climatisation et des moyens de communications les plus modernes. La place avait été dotée d’une fontaine centrale, entourée de verdures, d’un terrain de golf.

La zone avait été auparavant désinfectée à l’aide d’insecticides. Des hélicoptères avaient déversé 30 tonnes de produits chimiques en vue d’éradiquer serpents et scorpions, abondants dans le désert.

Soixante quinze mille (75.000) arbres ont été importés de France pour transformer la zone en jardin verdoyant. Et Cinquante mille (50.000) volatiles importés d’Europe pour l’animation du jardin. Un hic toutefois, ces volatiles qui devaient égayer la nature de leur gazouillis ne résistèrent pas à la rigueur du temps. Ils périrent au bout de quelques jours. 50.000. Un massacre écologique.

Deux cent cinquante (250) limousines ont été affectées au déplacement des cinquante augustes invités de l’aéroport de Shiraz à Persépolis via une autoroute spécialement percée pour l’occasion.

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2 – Les Hôtes

Le président américain Richard Nixon, rivé à la Maison blanche par la guerre du Vietnam, a délégué son vice-président Spiro Agnew; un geste qui est apparu comme un manquement au Chah d’Iran en raison de l’importance stratégique que revêtait l’Iran impériale pour les États Unis en sa qualité de gendarme du Golfe et de ravitailleur d’Israël en brut.

Richard Nixon, bientôt happé par les affres du scandale du Watergate qui débouchera sur sa démission, n’a pas jugé utile de se déplacer pour ce qu’il considérait comme une manifestation de prestige dérisoire.

Le Chah a surtout mis l’accent sur la densité de la présence royale des Cours européennes: Belgique, Danemark, Espagne, Luxembourg, Monaco, Norvège, Pays Bas, Suède, y compris Constantin, le Roi déchu de Grèce. Mais le plus important souverain d’Europe, la Reine Elizabeth II du Royaume Uni a décliné l’invitation, appréciant sans doute peu l’expression «Roi des Rois».

L’absence d’Elizabeth II a failli provoquer une crise diplomatique entre Londres et Téhéran, mais la Reine, en diplomate avisée, a résolu le problème en déléguant à ses agapes, son époux, le Prince Philippe, Duc d’Édimbourg, et leur fille, la prince Anne. Un émissaire spécial du Vatican a représenté le Saint Siège.

Hors Europe, l’Empereur d’Éthiopie, le Roi du Népal, le Roi de Malaisie, le président des Philippines Ferdinand Marcos et son épouse la très médiatique Imelda, le Roi Hussein de Jordanie, le Sultan Qabous d’Oman, figuraient parmi les 600 convives.

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3 – La restauration:

Maxim’s, le célèbre restaurant parisien, chargé du banquet, a sorti de sa retraite son chef Max Blot, et lui a confié la responsabilité de la restauration des majestueux convives. Pour cette mission de prestige, le chef disposait de 159 aide-cuisiniers et boulangers.

L’équipe de Maxim’s s’est rendue en Iran dix jours avant les festivités et y demeurera quatre jours, soit au total 14 jours. Deux semaines de dur labeur. Un travail de forçat. La tente restaurant mesurait 68 mètres de long pour 27 mètres de large.

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4 – La propagande: Orson Wells pour le documentaire produit par une firme d’Hollywood

L’Iran a passé contrat avec une firme d’Hollywood pour promouvoir l’image du Chah, et de sa grandeur, à travers ses festivités. Et le grand cinéaste américain Orson Wells a été sollicité pour prêter sa voix au documentaire relatant cette épopée.

Sans craindre la contradiction, le producteur de ”Citizen Kane” conclut son propos en ces termes: «Ceci n’est pas un anniversaire, la fête d’un an, mais la célébration de 25 siècles». Parole de Mouton Rothschild qu’il aimait tant déguster.

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5 – Le public iranien: Persépolis «La célébration du Diable»

Les Iraniens ont été complètement occultés des festivités. Laissés pour compte, totalement relégués, absolument.

Les habitants de Téhéran et des provinces de l’Empire suivaient le déroulement des festivités à travers la Radio et, pour peu d’entre eux, par la télévision pour ceux qui en avaient les moyens d’en posséder.

Beaucoup avait pris connaissance des dépenses somptuaires, du gaspillage et de la dilapidation de la fortune nationale, pour satisfaire l’ambition démesurée de leur souverain, sa prétention, sa mégalomanie, qualifiant les festivités de Persépolis de «célébration du diable», selon l’expression d’un prédicateur.

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6 – Le grain de sable qui a tout gâché

Pour ce qui est du Chah, tout s’est déroulé selon ses vœux. Il est apparu au Monde comme l’héritier du Cyrus le Grand.

Mais, alors que le Roi des Rois concluait son discours, il s’est dressé pour admirer l’effet de son propos sur l’auditoire. Quelque chose d’imprévu se produisit alors. Une chose prévisible dans le désert mais imprévue par les maîtres d’œuvre de la cérémonie.

Un intersigne du destin: Une tempête de sable a soufflé sur les lieux de la cérémonie, les hôtes, incommodés, se sont mis à se protéger de la poussière, à secouer leurs vêtements, ne prêtant pas la moindre attention aux propos du souverain qui connurent le sort de toutes les tempêtes. Des paroles en l’air. Le Chah, décontenancé, n’avait plus d’autre choix que d’attendre que la tempête se calme.
Signe prémonitoire que sa passivité devant cette tempête: Quelques années plus tard, le Chah s’est révélé une fois de plus impuissant à s’opposer à une tempête, cette fois infiniment plus violente, qui l’emportera lui, sa famille, sa dynastie, sa cour, son régime les structures de son pouvoir.

Ah la folie des grandeurs…….Une ambition sans limité, démesurée, fatale à son destin, à son trône et à son empire. Sic Transit Gloria Mundi.

Sept ans après ce grand barnum planétaire politico-médiatique, sa majesté Aryamehr «Lumière des Aryens» était renversé par son peuple, aiguillonné par le chef spirituel des Iraniens l’Ayatollah Ruhollah Khomeiny, en 1979, année charnière du basculement géostratégique du Moyen orient. Le Roi des Rois finira sa vie errant de capitale en capitale, interdit d’accès sur le territoire des États-Unis, un pays dont il fut le gendarme et le laquais, pour finir en Égypte, un pays contre lequel il avait comploté dix ans plus tout avec Israël, en 1967, contre Gamal Abdel Nasser, le chef charismatique du nationalisme arabe.

A l’avènement de la République Islamique, en 1979, une tentative iconoclaste, a failli se produire comparable à celle qui se produisit quelque vingt ans plus tard des Bouddhas de Bâmiyân, dans le but d’éradiquer la forte référence culturelle à la période préislamique et à la monarchie. C’est ainsi que l’ayatollah Sadeq Khalkhali, le célèbre président des tribunaux révolutionnaires des premiers temps de la Révolution islamique, a tenté avec ses partisans de raser Persépolis à l’aide de bulldozers.
L’intervention de Nosratollah Amini, gouverneur de la province de Fars, et la mobilisation des habitants de Chiraz s’interposant devant les engins, permirent alors de sauver le site de la destruction.
Pour aller plus loin sur l’année charnière 1979, marquant à la fois la chute du chah d’Iran, le traité de paix égypto-israélien et l’assaut contre le sanctuaire de la Mecque, cf ce lien

https://www.madaniya.info/2020/02/10/contribution-a-la-metapolitique-de-lasie-occidentale/

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