Michael Roberts: Le taux de profit aux États-unis en 2021
Par Michael Roberts (26 décembre 2022)
https://tendanceclaire.org/article.php?id=1848
Traduction du billet de blog de Michael Roberts du 18 décembre 2022, par Gaston Lefranc :
https://thenextrecession.wordpress.com/2022/12/18/the-us-rate-of-profit-in-2021/
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30.12.2022-Roberts-Profit-Ysengrimus-Anglicisme-English-Italiano-Spanish
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Le taux de profit américain en 2021[21786]
Chaque année, j’analyse le taux de profit états-unien sur le capital. C’est parce que les données états-uniennes sont les meilleures et les plus complètes et parce que les États-Unis sont l’économie capitaliste la plus importante, préfigurant souvent les tendances du capitalisme mondial. Nous avons désormais les données pour 2021 (données nationales officielles les plus récentes).
Il existe de nombreuses façons de mesurer le taux de profit « à la Marx » – voir http://pinguet.free.fr/basu2012.pdf). Je préfère mesurer le taux de profit en rapportant la plus-value totale dans une économie au total du capital privé employé dans la production ; ceci afin d’être aussi proche que possible de la formule originale de Marx qui est s/(C+v), où s = plus-value ; C = capital constant – qui devrait à la fois inclure les actifs fixes (machines, etc.) et le capital circulant (matières premières et composants intermédiaires) ; et v = salaires ou coûts salariaux. Mes calculs peuvent être reproduits et vérifiés en se référant à l’excellent manuel expliquant ma méthode, aimablement compilé par Anders Axelsson de Suède.
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J’appelle mon calcul une mesure de « l’économie globale », car il est basé sur le revenu national total après dépréciation et après rémunération des salariés pour calculer la plus-value (s) ; les actifs fixes privés non résidentiels nets pour le capital constant (ce qui exclut donc le gouvernement, le logement et l’immobilier) (C) ; et la rémunération des salariés pour le capital variable (v).
Mais comme nous l’avons dit plus haut, le taux de profit peut être mesuré uniquement sur le capital des entreprises ou uniquement sur le secteur non financier du capital des entreprises. Les bénéfices peuvent également être mesurés avant ou après impôt et la partie fixe du capital constant peut être mesurée sur la base du « coût historique » (le coût d’achat initial) ou du « coût actuel ou de remplacement » (ce qu’il vaut maintenant ou ce qu’il en coûterait pour remplacer l’actif maintenant). Et il peut également inclure le capital circulant (matières premières et composants utilisés au cours d’une période de production) en plus des actifs fixes (machines, bureaux, etc.).
Il y avait autrefois un grand débat sur la mesure des actifs fixes à utiliser pour se rapprocher de la vision marxienne. Pour une explication de ce débat, voir mes posts précédents et mon livre, The Long Depression (annexe). Les actifs fixes peuvent être mesurés en tant que coûts historiques (HC) ou coûts actuels (CC).
La différence est due à l’inflation. Si l’inflation est élevée, comme c’était le cas entre les années 1960 et la fin des années 1980, la divergence entre les changements dans la mesure HC et la mesure CC sera plus grande – voir http://pinguet.free.fr/basu2012.pdf. Lorsque l’inflation diminue, la différence de variation entre les deux mesures HC et CC se réduit.
Sur l’ensemble de la période d’après-guerre et jusqu’en 2021, le taux de profit américain a connu une baisse séculaire de 27 % selon la mesure HC et de 26 % selon la mesure CC. Ainsi, pour une mesure empirique du taux de profit sur une longue période, il n’y a rien à choisir entre les mesures HC et CC.
La plupart des mesures marxistes excluent généralement toute mesure du capital variable au motif que la « rémunération des employés » (salaires plus avantages) n’est pas un stock de capital investi mais un flux de capital circulant qui se renouvelle plus d’une fois par an – et ce taux de rotation ne peut pas être mesuré facilement à partir des données disponibles.
Ainsi, la plupart des mesures marxistes du taux de profit sont juste s/C. Mais certains marxistes ont tenté de mesurer la rotation du capital circulant et du capital variable afin de les inclure dans le dénominateur, rétablissant ainsi la formule originale de Marx, s/(C+v).
Brian Green a réalisé un travail important en mesurant le capital circulant et son taux de rotation pour l’économie américaine, afin de l’intégrer dans la mesure du taux de profit. Il considère que cela est vital pour établir le taux de profit approprié et comme un indicateur des récessions probables. Voici l’ancien billet de Green sur sa méthode : https://theplanningmotivedotcom.files.wordpress.com/2021/11/1997-2020-various-rates.pdf.
Le travail de Green est précieux pour montrer les variations à court terme des taux de plus-value et de profit causées par les changements dans le capital en circulation. Green considère ces variations à court terme comme un indicateur important des cycles d’expansion et d’effondrement dans une économie capitaliste. Mais elles ne modifient pas de manière significative les tendances à long terme du taux de profit.
Si vous incluez le capital circulant et le capital variable dans la mesure du taux de profit, cela fera une différence au niveau du taux de profit, mais pas une grande différence à la tendance et aux tours du taux de profit depuis 1945.
J’avais l’habitude de faire mes propres calculs annuels du taux de profit américain pour l’ensemble de l’économie et pour le seul secteur des entreprises. Mais nous pouvons maintenant utiliser l’excellente base de données produite par Deepankur Basu et Evan Wasner (https://dbasu.shinyapps.io/Profitability/) pour le secteur des entreprises uniquement, ce qui est similaire à ma méthode de mesure du taux de profit.
J’ai donc reproduit leurs résultats et mis en évidence les endroits où le taux de profit a baissé et augmenté. La mesure de Basu-Wasner exclut le capital variable du dénominateur. Vous pouvez l’inclure en utilisant leur base de données, mais cela fait peu de différence pour les tendances et les points d’inflexion du taux de profit depuis 1945. Le graphique ci-dessous montre le taux de profit américain dans le secteur des entreprises jusqu’en 2021.
‘Taux de profit des grandes entreprises US en pourcentage)
La première chose à remarquer est que la loi de Marx sur la tendance à la baisse du taux de profit est confirmée par la tendance du taux de profit américain. Celui-ci a chuté de 27% sur la période 1945-2021. Nous pouvons également discerner l’énorme chute de la rentabilité de 1965 à 1982, de 23,2% à 13,5%. Et nous pouvons identifier une reprise pendant la période dite néo-libérale de 1982 à 17,5% en 2006. Après cela, le taux de profit chute progressivement, mais dans une série de booms et de dépressions, dans ce que j’appelle la période de la Longue Dépression, jusqu’à 16,3 %.
Ce que l’on remarque également dans cette mesure, c’est que le taux de profit des entreprises américaines a augmenté de 1982 jusqu’à un pic en 2006. On pourrait donc faire valoir, comme certains l’ont fait, que la loi de Marx ne peut pas être la cause sous-jacente de la grande récession de 2008-2009 si le taux de profit des entreprises américaines atteignait son plus haut niveau depuis 25 ans en 2006.
Mais si l’on considère uniquement le secteur des sociétés non financières (SNF), qui représente ce que l’on pourrait appeler la partie « productive » de l’économie capitaliste (où les travailleurs créent une nouvelle valeur pour les capitalistes), l’histoire est différente.
Dans la théorie marxienne de la valeur, le secteur financier ne crée pas de nouvelle valeur ; il prélève une partie du profit extrait du travail dans le secteur non financier (productif). Et c’est l’augmentation des bénéfices du secteur financier, en particulier depuis 1997, qui fausse le taux de profit des entreprises jusqu’en 2006 (voir le graphique ci-dessous).
(Part du profit financier dans le profit total des entreprises aux États-Unis (%) )
L’examen du taux de profit des SNF (Société non financières) est donc plus pertinent pour la santé sous-jacente de l’économie capitaliste américaine. Lorsque la hausse des bénéfices financiers est retirée des données, nous constatons que la rentabilité du secteur non financier a atteint son sommet bien avant 2006, en 1997.
( Taux de profit sur le capital des entreprises du secteur non financier aux US en % )
( Age Dorée Crise du profit Récupération néolibérale Longue Dépression )
Le graphique du NFC montre également que le taux de profit américain sur le capital non financier a connu une baisse séculaire au cours des 75 dernières années – à la Marx. Basu-Wasner calculent la baisse annuelle moyenne du taux de profit à -0,42%. Entre 1945 et 2021, le taux de profit du CNF (Corporations non financières) a chuté de 32 %.
Durant le soi-disant « âge d’or » du capitalisme américain d’après-guerre, le taux de profit du CNF était très élevé, dépassant en moyenne les 20%, avec une hausse de 6% entre 1945 et 1965.
Puis vint la période de crise de rentabilité entre 1965 et 1982, où le taux de profit a chuté de 44 %.
Cela a provoqué deux grands effondrements en 1974-5 et 1980-2 et a conduit les stratèges du capitalisme à tenter de restaurer le taux de profit avec les politiques « néolibérales » de privatisation, d’écrasement des syndicats, de déréglementation de la finance et de mondialisation à partir du début des années 1980.
La période « néolibérale » de 1982 à 1997 a vu le taux de profit du secteur non financier augmenter de 34%, même si au pic de 1997, le taux était encore inférieur à la moyenne de l’âge d’or. Puis vint une nouvelle période de crise de rentabilité, que j’ai baptisée la Longue Dépression.
Au cours de cette période, qui comprend la Grande Récession de 2008-9 et, bien sûr, l’effondrement du COVID en 2020, le taux de profit a chuté de 15 %. En 2020, le taux de profit des États-Unis dans son secteur non financier a atteint son plus bas niveau depuis 75 ans, mais s’est redressé en quelque sorte en 2021, tout en restant inférieur au taux pré-pandémique en 2019.
Cela nous amène à parler des causes des variations du taux de profit. Selon Marx, les variations de la rentabilité dépendent principalement du mouvement relatif de deux catégories marxiennes dans le processus d’accumulation : la composition organique du capital (C/v) et le taux de plus-value ou d’exploitation (s/v). Si le C/v dépasse le s/v, le taux de profit diminuera, et vice versa.
Selon la mesure des coûts actuels de Basu-Wasner, depuis 1945, la composition organique du capital (COC) a connu une hausse séculaire de 40 %, tandis que le principal « facteur de contrepoids » de la loi de Marx sur la tendance à la baisse du taux de profit, le taux de plus-value, a légèrement baissé de 5 %. Le taux de profit a donc chuté de 32% depuis 1945 (voir le graphique ci-dessous).
(Secteur non financier US : changements, du taux de plus-value ROSV ; OCC de la composition organique du Capital et ROP du Taux de Profit entre 1945-2021)
Dans la crise de rentabilité de 1965-82, le taux de profit du NFC a chuté de 44% alors que la composition organique du capital (OCC) a augmenté de 29% et que le taux de plus-value (ROSV) a chuté de 28%.
A l’inverse, dans la période dite « néo-libérale » de 1982 à 1997, le taux de plus-value a augmenté de 14%, tandis que la composition organique du capital a diminué de 15%, de sorte que le taux de profit a augmenté de 34%.
Depuis 1997, le taux de profit américain a baissé d’environ 15%, parce que la composition organique du capital a augmenté de 28%, dépassant l’augmentation du taux de plus-value (8%). En d’autres termes, au cours des deux premières décennies du 21e siècle, les capitalistes du secteur non financier américain ont exploité encore davantage la main-d’œuvre, mais pas suffisamment pour empêcher la chute du taux de profit.
La loi de rentabilité de Marx est donc confirmée par les résultats de chacune de ces périodes, comme elle l’est pour l’ensemble de la période 1945-2021.
J’ai soutenu à maintes reprises que la rentabilité du capital est essentielle pour évaluer si l’économie capitaliste est en bonne santé ou non.
Si la rentabilité baisse de manière persistante, la masse des bénéfices finira par diminuer, ce qui déclenchera un effondrement de l’investissement et une récession. Et l’un des résultats probants des données est que chaque récession économique d’après-guerre aux États-Unis a été précédée (ou coïncidée) par une chute du taux de profit et par un ralentissement de la croissance des profits ou une chute pure et simple de la masse des profits. C’est ce que l’on attendrait cycliquement de la loi de la rentabilité de Marx. La Grande Récession et le marasme pandémique de 2020 ont été précédés (ou accompagnés) par des baisses particulièrement fortes de la rentabilité et de la croissance des profits.
(Récession : ROP changement, du taux de profit et de l’augmentation du taux de profit )
Il semble désormais très probable qu’à la fin de cette année, en 2022, les principales économies entreront dans un nouveau marasme, trois ans seulement après le marasme pandémique de 2020.
Les bénéfices des entreprises américaines ont chuté au troisième trimestre 2022, selon les dernières données publiées. En effet, les bénéfices des sociétés non financières ont chuté de près de 7 % sur le trimestre. Les bénéfices des entreprises américaines ont ralenti à 4,4 % en glissement annuel, contre 7,7 % en glissement annuel au deuxième trimestre, et fortement par rapport au pic de croissance de 22 % en glissement annuel atteint à la fin de 2021. Les bénéfices non financiers ont ralenti à 6,4 % en glissement annuel.
(Pourcentage de changement du taux de profit d’une année sur l’autre)
Une contraction des bénéfices a commencé car les salaires, les prix à l’importation et les coûts d’intérêt augmentent désormais plus rapidement que les recettes des ventes. Les marges bénéficiaires (par unité de production) ont atteint un sommet (à un niveau élevé), car les coûts unitaires non liés à la main-d’œuvre et les coûts salariaux par unité augmentent et la productivité stagne. La manne des bénéfices post-pandémique est terminée. Lorsque nous obtiendrons des données complètes sur la rentabilité des entreprises en 2022, attendez-vous à ce qu’elle ait à nouveau chuté alors que nous entrons dans une nouvelle crise aux États-Unis en 2023.
» C’est parce que les données états-uniennes »
Intéressant point de vue sur le plan économique et statistique
Mais pourriez-vous m’expliquer pourquoi il est logique de dire (quoique déjà bien plus judicieux* qu’ « américain ») « étatsunien » (ou états-unien ») et pas » étatsunisien » »
Merci
* Oui les Brésiliens, les Portoricains et les Canadiens habitent aussi le continent américain
Versão em Língua Portuguesa:
https://queonossosilencionaomateinocentes.blogspot.com/2022/12/michael-roberts-taxa-de-lucro-nos.html