Économie et marchés : et si le pire de la crise était devant nous?

Par Gérald Fillion, sur Radio-Canada.

Quand l’économiste prévisionniste québécois François Trahan affirme que le pire est à venir sur le plan économique, aux États-Unis comme au Canada, il appuie une bonne partie de son analyse sur le ralentissement marqué du marché immobilier. Lui qui a vu venir la crise de 2008 est d’avis qu’un scénario semblable se dessine.

Le passage de François Trahan à Zone économie en début de semaine sur ICI RDI a provoqué de vives réactions parmi nos téléspectateurs. L’investisseur a été nommé, à plusieurs reprises depuis 20 ans, comme étant le ou l’un des meilleurs stratèges de Wall Street. Ses prévisions sont suivies de près par nombre d’investisseurs, compte tenu de sa réputation.

Or, pour François Trahan, le pire est à venir puisqu’on n’a pas encore mesuré pleinement l’impact de la hausse des taux d’intérêt. Dans le cadre de notre entrevue, mardi soir, il a répété que les prochaines années seront apocalyptiques.

Ce mot est lourd de sens. Je dois vous dire que je ne suis pas convaincu qu’il ait choisi le bon terme pour décrire ce qu’il veut dire. Mais François Trahan l’assume. Il dit l’utiliser depuis plus d’un an pour illustrer combien on sous-estime l’effet réel des  hausses de taux, qui ont été très rapides au cours de la dernière année.

Rappelant que 68 % de l’économie repose sur la consommation, François Trahan souligne qu’il y a une forte sensibilité aux changements de taux d’intérêt.

Je dis apocalyptique parce que [la récession] n’a pas encore commencé, nous a-t-il dit. Le taux de chômage est encore à son creux. Ce que les gens semblent oublier à tous les cycles, incluant tous les économistes de la Réserve fédérale américaine, c’est qu’il y a un long délai entre la hausse des taux d’intérêt et l’impact sur l’économie. Dans les modèles d’économétrie qu’on utilise, ça prend deux ans avant d’avoir un impact sur l’économie.

Marché immobilier : comme en 2008?

François Trahan dit ne jamais avoir vu une situation économique aussi périlleuse. Comme le rapportait Bloomberg mercredi, faisant écho à une étude de la firme de courtage Redfin, le marché immobilier américain vient de connaître sa plus forte chute depuis 2008.

La valeur totale des propriétés aux États-Unis a baissé de 4,9 % dans la deuxième moitié de 2022 après avoir atteint un sommet de 47 700 milliards de dollars américains en juin dernier. Ce recul est le plus important depuis la période de juin à décembre 2008, alors que le marché avait connu une baisse de 5,8 %. Et on se rappelle tous de l’effondrement de 2008…

De plus, les reventes de propriétés sont au plus bas depuis 2010 et sont en baisse depuis 12 mois. Cela dit, la valeur des propriétés demeure 13 000 milliards de dollars américains plus élevée qu’en février 2020, au moment du début de la crise de la COVID-19.

Par ailleurs, le prix moyen des maisons aux États-Unis est passé de 433 133 $ en mai 2022 à 383 249 $ en janvier 2023, une descente de 11,5 %. Les baisses les plus importantes ont été enregistrées à New York, à San Francisco, dans les marchés les plus chers. La valeur augmente toutefois en Floride, à Miami notamment, avec une hausse de 20 % de décembre 2021 à décembre 2022.

Vers une récession et une baisse des marchés

Donc, selon François Trahan, on ne peut pas sous-estimer une nouvelle glissade du marché immobilier et son impact sur l’économie. Il est d’avis que la hausse des taux d’intérêt n’est pas terminée et qu’il y aura un rebond de l’inflation dans les trois à six prochains mois, ce qui va nécessiter d’autres interventions de la Réserve fédérale.

Un tel scénario nous conduit à une contraction de l’économie. Malheureusement, la récession est devant nous, c’est clair comme de l’eau de roche, nous a dit François Trahan, ajoutant que le marché boursier pourrait chuter de nouveau et que les pertes d’emplois vont se multiplier encore davantage dans le secteur des technologies.

Après une année difficile en bourse, les marchés sont en reprise depuis le début de 2023, d’environ 4 %. Ces hausses seront de courte durée, selon François Trahan, qui nous prévient de ne pas nous laisser tromper par la reprise temporaire des marchés. Il est clair, selon lui, que le vrai marché baissier n’est pas encore arrivé.

De plus, déjà, 100 000 emplois ont été supprimés jusqu’à maintenant en 2023 dans les entreprises technologiques aux États-Unis, après la suppression de 140 000 emplois en 2022. Ça ne fait que commencer, selon le prévisionniste.

François Trahan n’est pas le seul

Les projections de François Trahan rejoignent, en quelque sorte, celles de Jean Boivin, directeur du BlackRock Investment Institute, ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada, que nous avons reçu à plusieurs reprises à Zone économie. Dans un discours devant les membres de l’organisme CFA Montréal à la fin janvier, Jean Boivin a déclaré qu’il faut s’attendre à d’autres hausses de taux d’intérêt.

Sans paraître aussi alarmé que François Trahan, Jean Boivin a dit qu’il est incohérent de penser que la Réserve fédérale aux États-Unis va entrer prochainement dans une forme d’assouplissement quantitatif. Autrement dit, la hausse des taux pourrait se poursuivre et Jean Boivin ne fait pas partie des experts qui s’attendent à une baisse du taux directeur à partir de la fin de l’année 2023, et davantage en 2024.

Comme rapporté par mon collègue Richard Dufour dans La Presse le 26 janvier dernier, Jean Boivin s’attend à ce que l’inflation s’atténue lentement, mais elle restera supérieure aux attentes des marchés et aux cibles des banques centrales.

Les banquiers centraux ne seront pas en mesure de procéder à un assouplissement avant encore très longtemps. Oubliez les baisses de taux avant très longtemps. Selon lui, on aura une récession avec une inflation élevée, une situation qu’on n’a pas vue depuis 40 ans.

Ils ne sont pas nombreux les experts à avoir une projection aussi sombre de l’économie de la prochaine année. La plupart des économistes s’attendent à ce que l’inflation faiblisse encore dans les prochains mois, que les banques centrales arrêtent de hausser leur taux, au Canada en tout cas, et qu’une baisse des taux s’amorce éventuellement, fin 2023 début 2024.

L’avenir nous le dira. Je ne peux pas mieux dire!

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

4 réflexions sur “Économie et marchés : et si le pire de la crise était devant nous?

  • 26 février 2023 à 7 h 36 min
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    Je suis surpris de voir que personne ne mentionne que le dollar est sous pression énorme. La Chine commence à transiger le pétrole en Yuan avec l’Arabie, sans oublier le BRICS.

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    • 1 mars 2023 à 10 h 31 min
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      Désolé de vous contredire monsieur Charland

      sur la première page du webmagazine – en zone éditoriale – cet article porte sur le dollar et sur l’or https://les7duquebec.net/archives/280736

      Vous pouvez aussi – à l’aide de la fenêtre RECHERCHE – inscrire le mot OR DOLLAR et vous obtenez
      CECI = 40 textes de nos archives traitant de l’or et du dollar
      Bibeau

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  • 4 mars 2023 à 21 h 46 min
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    Monsieur Trahan parlait d’une baisse des emplois pour LIMITER l’inflation, tout en laissant entendre qu’il y a encore pas assez de chômeurs. Cette théorie n’est valide que dans une surchauffe économique où la demande est plus forte que l’offre(aka inflation reconnue par les banques centrales et nos dirigeants). Mais la VRAIE INFLATION a été provoquée par une INONDATION MASSIVE de dollars par les gouvernements (Stimmy checks, PCU, aide aux entreprises etc…) et la RESPONSABILITÉ de cette inflation n’est pas acceptée par nos gouvernements. La dilution de la masse monétaire n’existe pas, bin voyons!
    On a donc un scénario infernal pour le peuple: augmentation de l’inflation, augmentation de tous les taux d’intérêts sur prêts, diminution des emplois et une spirale sans fin de mise à pied causée par la réduction de la demande dans les entreprises. Sans compter le futur gel des salaires pcq les employeurs vont devoir  »protéger » leurs revenus (qui seront à la baisse).
    Klaus and friends vont pouvoir nous le faire le grand RESET avec le revenu minimum garanti (aka BS…)

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