LILIANE, PETITE NIAISEUSE À LUNETTES — CHRONIQUES DU COLLÈGE DE L’ASSOMPTION (Marie-Andrée Mongeau)  

YSENGRIMUS — Ces chroniques du Collège de l’Assomption couvrent les années 1970 à 1975, avec quelques incartades à la fin des années 1960 (à l’école primaire), puis en 1992 (pour le conventum de promotion), et au vingt-et-unième siècle (pour les réunions d’anciens, remises de prix d’enseignants retraités et amicales diverses). L’écrivaine Marie-Andrée Mongeau nous parle ici de choses qui lui sont, en bonne partie, vraiment arrivées. Simplement, elle installe la dynamique narrative à l’intérieur d’un univers de semi-fiction, gravitant autour d’un personnage portant le nom de Liliane Rancourt (nom fictif). Liliane est une jeune fille assez austère d’allure et portant des lunettes. Elle jette sur son univers social un regard sobre, intérieurement intense, désabusé, sardonique et caustique. Le traitement des délicieuses et amères questions collégiennes de son jeune temps sonne juste et net. Nous sommes dans une écriture très précisément réaliste qui cultive les particularités à la fois du journal intime, du dialogue intérieur, du récit imaginaire et de la chronique mémorialiste. L’autrice travaille ici, notamment, à partir de matériaux colligés dans sa jeunesse, calepins de notes, journaux intimes, notules diverses. La similarité entre la genèse d’écriture de cet ouvrage et celle des Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir (1908-1986) est particulièrement saisissante. Beauvoir avait écrit son ouvrage en 1958 (l’année de la naissance de Marie-Andrée Mongeau). L’ouvrage de la philosophe française couvrait une séquence de sa vie allant de 1908 à 1937, période de l’enfance, de l’adolescence et du début de l’âge adulte, où elle avait pris des photos, colligé des notes, tenu des journaux intimes et écrit des lettres. L’autrice Beauvoir produit donc son ouvrage finalisé, vingt à trente ans après les événements qu’elle évoque, en s’appuyant sur une documentation contemporaine auxdits événements qu’elle évoque. Marie-Andrée Mongeau, elle, écrit, cinquante ans après les événements qu’elle évoque, en s’appuyant sur une documentation, elle aussi, contemporaine des événements qu’elle évoque. Madame Mongeau m’a confié qu’elle n’a pas lu l’ouvrage de Simone de Beauvoir et qu’elle n’avait aucune idée de la dynamique de sa genèse d’écriture. On a donc affaire ici à un très intéressant phénomène de procédure d’engendrement en parallèle, chez les deux autrices. Et, de fait, Beauvoir et Mongeau ne se ressemblent pas seulement pour la méthodologie d’écriture. Sur de nombreux points, les thèmes et la vision se rejoignent aussi.

Le programme d’écriture de Liliane a pris corps au mitan de l’enfance, un peu comme le programme de vie. On s’imprègne donc de cette fraîcheur de ton très particulière et de cette jeunesse du traitement, se retrouvant déjà, de façon éparse, dans la documentation d’époque de Marie-Andrée Mongeau. D’ailleurs, celle-ci exploite ouvertement, et parfois même littéralement, ses vieux papiers du temps, en en citant astucieusement des segments et en procédant, toujours judicieusement, à des renvois très explicites à son corpus d’autrefois. La collégienne voyait loin. Il semble bien qu’elle avait déjà en vue, à douze ou treize ans, l’idée d’écrire plus tard des textes de fiction, sur ces sujets des vertes années. On a carrément affaire ici à la réalisation d’un exercice littéraire lancé dans l’enfance et finalisé aujourd’hui. Nous pénétrons, en compagnie de Liliane, dans l’autre section du cerveau mémoriel humain. C’est que, dans cet ouvrage, presque tout se passe à une époque où, au Collège de l’Assomption, la mixité estudiantine n’était en place que depuis 1966. Notre aventure collégienne démarre en 1970. Terrible et implacable arithmétique. Cela ne fait que quatre ans qu’il y a des étudiantes dans cette institution privée, lorsque Liliane y surgit. Et on sent bien que ça clopine encore pas mal pour ce qui est du respect de la section de l’univers social habité par ce que madame de Beauvoir appela autrefois le deuxième sexe. Par le petit bout de la lorgnette, le susdit deuxième sexe déploie ici la dynamique de lutte semi-consciente qui était la sienne, au quotidien, dans ce temps-là. Le travail de Marie-Andrée Mongeau n’est pas un exercice féministe, dans le sens explicitement doctrinal du terme (quoique…). Sauf que le féminisme ordinaire en suinte à chaque page. Il est à la fois parfaitement délectable et très important d’avoir en main ce type de documentation historiographique, sur tous ces petits faits surannés qu’il ne faudrait jamais oublier.

Et Liliane de bien nous faire faire le tour du propriétaire. On commence par la salle des filles. Elle se trouvait sous la grande salle des garçons, ouverte, elle, aérée, lumineuse et où on retrouvait des tables de billard et de Mississippi. Jim Crow des filles oblige, la salle des filles, elle, n’était jamais qu’un vestiaire étroit, où il n’y avait que des casiers et des espaces pour se changer. L’infirmerie, par contre, était un endroit où les filles pouvaient aller se réfugier, notamment lorsqu’elles ressentaient des malaises féminins, effectifs ou imaginaires. Toute une culture intime en émane, que Liliane évoque, avec brio. Elle mentionne aussi un certain corridor rose. C’était un espace spécifique, aux murs rose pâle, où se regroupaient les amoureux et, tant pour sa couleur que pour sa saveur romantique, ce corridor célèbre faisait rêver de façon toute différente les garçons et les filles. Le gymnase et la mezzanine étaient les seuls espaces de nature académique encore strictement ségrégués. Les filles allaient donc en éducation physique à des moments distincts des garçons. Ceci, encore une fois, braque la caméra sur un univers particulier que Liliane nous fait découvrir.

Bonne élève, Liliane est une intellectuelle. En plus, elle n’a pas les idées de tout le monde. Elle va donc vivre les péripéties de sa vie à sa manière et en rendre compte, sur le ton qui est le sien. Sans tout livrer, osons ici quelques exemples. Liliane ne craignait pas vraiment de se faire coller une retenue disciplinaire. Elle se rendait alors en salle d’étude et faisait ses devoirs scolaires, sans se sentir particulièrement punie ou flétrie. Liliane s’impliquait dans le journal étudiant. Elle y était fort active, vu qu’elle ressentait pleinement l’appel des muses et travaillait même déjà sur un roman racontant… l’histoire de la vie quotidienne d’une collégienne. Les récitations et les compositions étaient des obligations qu’il fallait rencontrer, en les calligraphiant soigneusement. Écrivaine, aussi au sens matériellement scriptural du terme, dessinatrice de surcroit, Liliane nous parle, avec force détails, du papier à entête blasonnée, des crayons, des stylos et des différents objets fins qui sont en rapport avec l’intimité calligraphe à l’écriture. On retrouve même un poème d’époque, rendant hommage à son efface (gomme à effacer). C’est très senti. Tout un segment de la réflexion porte aussi sur l’orientation académique des jeunes collégiennes. Dans cette portion de l’ouvrage, où les dimensions documentaire et critique se rencontrent en bonne harmonie, on s’aperçoit que, dans les années 1970, on faisait faire aux garçons et aux filles des tests d’orientation qui avaient comme objectif de prétendre les guider pour choisir leur carrière future. Mais les choix de carrières n’étaient vraiment pas les mêmes pour un côté et l’autre du dur mur de la division en sexage. Marie-Andrée Mongeau développe cette question de façon à la fois très précise et incroyablement désopilante.

Ne disons rien ici de ce que Liliane nous raconte sur ses enseignants et enseignantes. Elle apprend d’eux mais elle les combat aussi, leur résiste sourdement. Notre Liliane cogite, s’instruit, absorbe, mais elle conteste aussi. La contestation fut extrêmement féconde dans ces années et notre jeune cogitatrice évoque certaines poussées de révoltes estudiantines qui lui apportèrent des éléments d’émancipation personnelle qui n’étaient pas prévus au départ. Les années 1970-1975 marquent une révolution des valeurs. L’habillement était alors une question centrale, hautement sensible. Dans ce collège traditionnaliste, à l’époque, on portait encore des uniformes et ces uniformes, surtout chez les jeunes filles, déployaient, disons… des phrasés chromatiques particulièrement perfectionnés, sur lesquels Liliane nous fournit des détails parfaitement passionnants. On découvre, ou redécouvre, que l’habillement, chez la femme, est toujours hautement sémiologisé. Du contestataire, au vestimentaire, aux joies et aux colères, on en vient à entrer dans l’univers secret des sentiments de Liliane. Les amours et les amitiés. Ce qu’elle pense des garçons et ce qu’elle dit à leur sujet ne laisse pas sa place. Et cela nous donne à découvrir un autre document d’époque particulièrement savoureux et irrésistible, soigneusement enchâssé dans le développement principal de l’ouvrage, et intitulé Ode aux gars du collège. À lire, d’urgence.

Redisons-le. Tout se focalise ici dans l’angle fille… et c’est certainement la qualité la plus saillante de cet ouvrage suave. On découvre que les jeunes femmes, il y a cinquante ans, vivaient dans un univers où, osons le mot, les injustices, calmes et tranquilles, qu’elles subissaient étaient permanentes, implicites. Et elle s’avance, la nécessité impérieuse de féminiser nos espaces mentaux, dans les formulations contemporaines comme dans celles du souvenir. Lire cet ouvrage, c’est une occasion, notamment pour les jeunes filles, de mieux comprendre comment ont vécu leurs mères et leurs grand-mères, à une époque que l’on devine heureuse, mais que l’on souhaite aussi révolue. La jeune collégienne de 1970-1975 évoquée ici portait des lunettes, c’est indubitable. Était-elle effectivement, factuellement, la petite niaiseuse qu’elle annonce… là… prudence. Laissons simplement à ceux et celles qui liront et cogiterons cet ouvrage le soin d’en décider.

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Marie-Andrée Mongeau, Liliane, petite niaiseuse à lunettes (Chroniques du Collège de l’Assomption), Montréal, ÉLP éditeur, 2023, formats ePub, Mobi, papier.

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