Les ouvriers sont le moteur de l’émancipation et ils doivent encadrer eux même leur propre révolution!

Par Brigitte Bouzonnie.

Cet article est disponible en anglais, en italien et en espagnol ici:
Articles du 20 mai 2023[28670]

1°)-Alain Badiou :

*Parlons le langage de Nietzsche. Il faut savoir s’incorporer au mouvement de la transvaluation des valeurs établies. Il y a des moments, où il faut savoir affirmer le retournement des apparences infligées. Il faut avoir la liberté, gagée sur la pensée-action de la politique, de dire que nombre de ceux qui sont persécutés doivent absolument être honorées, non parce qu’ils sont persécutés (cela, c’est l’abomination humanitaire petite-bourgeoise), mais parce qu’au nom de nous tous, ils organisent l’affirmation d’une pensée différente de la vie humaine.  Ce fut le geste de Marx lui-même : les ouvriers qui n’ont rien, qui sont considérés comme la Classe dangereuse, je vais les honorer, et participer activement à leur première organisation : la première internationale, en tant qu’ils sont le moteur collectif de l’Histoire de l’émancipation, les principaux bâtisseurs d’une société égalitaire.

Quelle que soit l’échelle à laquelle nous pouvons aujourd’hui réitérer de façon neuve ce geste, nous le ferons. Nous rejetterons le verdict de Sarkosy et de ses rats, qui déclarent du haut de leur insignifiance réactionnaire, que cet homme là, ce malien de la plonge, est tout juste toléré, et doit remplir d’innombrables conditions pour pouvoir seulement rester où il est. Nous construirons, en scission du temps de l’opinion, une durée collective à l’intérieur de laquelle non seulement le Malien de la plonge gagnera une reconnaissance comme libre sujet, mais où il sera particulièrement honoré (sic) (De quoi Sarkosy est-il le nom ?, édition Lignes, 2008).

2°)- Brigitte Bouzonnie : à juste titre, Badiou propose que les ouvriers soient particulièrement mis en avant, car ils sont le moteur de l’histoire de l’émancipation.

Ce faisant, le philosophe Alain Badiou se positionne clairement à contre courant de tous les mécanismes, économiques, idéologiques, politiques, médiatiques, qui ont renvoyé, à compter des années quatre-vingt, la figure de l’ouvrier au rancart. Dans les poubelles de l’Histoire. C’est vrai pour Sarkosy, mais pas seulement. Dans cette entreprise de haine du populaire (prolophobie), hollande et macron ne sont pas mal non plus.

Aujourd’hui, la place des classes populaires est particulièrement subordonnée pour au moins trois raisons :

2-1°)-Depuis les années quatre-vingt, les ouvriers subissent de plein fouet le chômage et la pauvreté de masse. 1 million de chômeurs en 1980. 2 millions en 1988. 3 millions en 1997. 6,5 millions aujourd’hui, selon les chiffres de la DARES. 9 millions selon mes calculs. 15 millions de pauvres vivant en dessous du seuil de pauvreté. 79% des salariés qui ont du mal à joindre les deux bouts (cf Sud-Ouest du 1er mai 2010). Les emplois du secteur industriel ont été tristement délocalisés. Le secteur secondaire a perdu 1,5 millions d’emplois. Il ne représente plus que 11% de la population active (chiffres du site ELUCID).

2-2°)- Toujours depuis les années quatre-vingt, les ouvriers sont confrontés à une invisibilisation de leur image. Dans les médias, les films, les livres, les partis politiques, le gouvernement, le mot ouvrier a disparu. C’est devenu un gros mot comme disait Pierre Mauroy. Faisant le bilan du premier septennat de mitterrand, Georges Peyrol, journaliste de la bande à Badiou pour la confection du journal “Le perroquet”, écrit : “Vit-on jamais pareille période plus confuse et plus morne à la fois, ponctués d’épisodes détestables, : Talbot, les règlements contre les sans papiers, la mise en invisibilité des ouvriers, la promotion de Tapie en exemple pour la jeunesse…” (sic) (extrait du livre de souvenirs rédigé par Alain Badiou : Mémoires d’outre politique, édition Flammarion, 2023).

Sous mitterrand, il existait encore des voix critiques comme celle de Georges Peyrol, pour s’indigner de la disparition programmée de l’image des ouvriers de la société française. Aujourd’hui, plus du tout. On est blasé. Accoutumé. Coutumier du fait de l’absence de 40% de la population, disparue du jour au lendemain des télés et des consciences. A tort, on a renoncé à s’indigner de ce génocide idéologique silencieux. Par exemple, et comme je l’ai déjà raconté, un mélenchon/delapierre ont refusé pendant un an la publication de mes articles sur l’explosion mensuelle du chômage post-crise des subprimes en 2009 (90 250 nouveaux demandeurs d’emploi en janvier 2009, 82 250 au mois de février…dans le journal du Parti de gauche : A Gauche.

Un autre exemple : les sondages sont construits à partir du faux postulat suivant : selon les instituts de sondage roulant pour macron, il existerait 50% d’ouvriers et employés, 50% de cadres. Combien de fois ai-je vu sur BFMTV, des “sondages” occupant tout le petit écran. Et où on nous dit sans rire : “les ouvriers et employés, soit 50% de l’échantillon pensent comme ci, comme cela. Les cadres, soit également 50% de l’échantillon pensent le contraire”. Or, comme dit Emmanuel Todd, il y a tout au plus 30% de diplômés dans la société. Les cadres, qui sont minoritaires sans la population active, sont donc surreprésentés dans les médias. Inversement, les classes populaires (ouvriers et employés) volontairement minorées.

2-3°)-Oui, les ouvriers sont le moteur de l’histoire de l’émancipation, comme écrivent avec lucidité Karl Marx et Alain Badiou. Ce sont bien eux les gros bataillons des Révolutions : cela ne fait aucun doute. Un exemple entre mille : quand Mai 68 compte 15 millions de grévistes, on peut évaluer à 10-12 millions le nombre d’ouvriers et d’employés. 3 millions tout au plus le nombre de cadres. Le problème est ailleurs. Comme le montrent l’analyse du personnel de la grande Révolution Française, la Commune de Paris, Mai 68 : ce sont les seuls petits-bourgeois qui encadrent les Révolutions : Robespierre, avocat sans cause en 1789 et Saint-Just. En 1848, Alphonse de Lamartine, le député Ledru-Rollin…, Les petits-bourgeois déclassés animant la Commune de Paris, comme le montre l’analyse biographique de chaque “délégué”. Les Cohn-Bendit, Alain Geismar, Jacques Sauvageot, Maurice Najman, Henri Weber, et autres leaders étudiants de Mai 68. Voir : https://les7duquebec.net/archives/282713

Ainsi, lorsqu’on parle de Mai 68, ce ne sont pas aux 12 millions d’ouvriers et d’employés que l’on pense, mais au seul Cohn-Bendit, qui n’a jamais pris sa musette de sa vie. Une arnaque grossière, qui ne résiste pas même à un examen superficiel des faits. Une pure réécriture fallacieuse de l’Histoire, faisant de Mai 68 un mouvement purement libertaire de libération des moeurs : alors que les salariés grévistes se battaient pour de meilleurs salaires et plus de pouvoir dans l’entreprise !

Cohn-Bendit est un imposteur, au sens où l’utilise l’essayiste Roland Gori dans son livre : la fabrique des imposteurs”, édition “Les liens qui libèrent”, 2013. L’imposteur Cohn-Bendit est un illusionniste, qui fait prévaloir la forme sur le fond, lorsqu’il interpelle bruyamment un ministre de l’époque, “pour aller dans le vestiaire des filles” (sic), histoire de faire son intéressant. Il préfère l’audience médiatique au vrai mérite, opte pour le mensonge avantageux (faire croire qu’il y avait 15 millions de grévistes en mai 68, réclamant d’aller dans le vestiaire des filles) plutôt que le courage de dire la vérité. Il choisit de monter en épingle sa petite revendication personnelle minoritaire, plutôt que de dire la Vérité des faits historiques.

Le comble, c’est le pont d’or médiatique que les journalistes ont toujours fait à Cohn Bendit ! Entre 1968 et 2016-2017, on a toujours vu le champ politico-journalistique dérouler le tapis rouge à Cohn Bendit. Sans exception. Il a fallu attendre 2016, pour entendre une première critique du personnage, proférée par les militants, il est vrai de base, du mouvement “Europe écologie les verts” (EELV), le surnommant avec ironie : “Tatie Danielle” !

Par exemple, Alain Geismar, leader de l’UNEF de mai 68, et donc beaucoup plus légitime que Cohn-Bendit à parler de Mai 68, est décédé en 2019 d’un accident automobile. Sa triste disparition n’a entrainé aucune émotion populaire. Aucune célébration officielle. On a appris cette information par la bande. Inversement on n’ose imaginer l’enterrement que, bien sûr, je ne souhaite pas, de Cohn-Bendit : pendant huit jours, les télévisions vont s’arrêter de vivre pour lui rendre hommage.

Mais revenons à notre commentaire du texte d’Alain Badiou : le véritable problème n’est pas de savoir si oui, ou non, les classes populaires sont le moteur de l’Histoire, ce qui bien sûr ne fait aucun doute. Mais, comme a pu en être conscient très tôt Karl Marx, le fait que les Révolutions sont presque toujours confisquées par des petits-bourgeois, plus ou moins honnêtes. Classe moyenne, qui ensuite, comme le montre l’après Mai 68, s’est ralliée à la Bourgeoisie, nous imposant à tous un projet d’immobilisme social, violemment prolophobe.

Donc, à la différence de l’analyse de Alain Badiou, le problème selon moi, n’est pas tant “d’honorer”, donner une médaille, dresser une statut aux ouvriers, que de créer des millions d’emplois en CDI, afin de lutter contre le chômage et la pauvreté touchant les classes populaires. Relever de façon substantielle les salaires. Donner une bonne image des classes populaires dans les médias. Les laisser s’auto organiser librement, avec leur propre programme. Très loin des partis politiques et des organisations syndicales classiques. Sans faire une OPA dessus, comme mélenchon et binet payé 13 000 euros par mois.

C’est tout le projet du mouvement des Gilets Jaunes, anti partidaires, qui ont rédigé leur programme, et dont voici les dix principales revendications : (Voir: Résultats de recherche pour « gilet jaune » – les 7 du quebec )

1°)-Démission de Macron and co.

2°)-Augmentation des salaires.

3°)-Suppression des privilèges politiques.

4°)-Davantage de référendums.

5°)-Sixième République participative.

6°)-Rétablissement de l’ISF.

7°)-Baisse des salaires des gouvernants.

8°)-Baisse du nombre de parlementaires

9°)-Plus de moyens dans le milieu médical.

10°)-Combattre la fraude fiscale.

On remarquera un “cousinage” entre le programme des Gilets jaunes et le programme du Rassemblement “Pouvoir au Peuple”, laboratoire d’idées au service des classes populaires. Par exemple, les gilets jaunes proposent une diminution du nombre de parlementaires. Le programme du Rassemblement “Pouvoir au Peuple” la suppression pure et simple de tous les parlementaires.

En tout état de cause, les deux programmes ont chacun leur utilité. Le programme de gilets jaunes doit être popularisé. Il est intéressant et défend véritablement les classes populaires et les petites classes moyennes. Par nos modestes moyens, via la lettre politique indépendante, on s’y emploie.

De son côté, notre programme le Rassemblement “Pouvoir au Peuple” développe 43 propositions. Par exemple, dans le domaine international, sortir de la zone euro et de l’OTAN. Dans le domaine national : rédiger une nouvelle Constitution aux rond points des gilets jaunes, lieux de départ de manif, esquisse d’un pouvoir à la base, qui à terme gouvernera seul le pays, sur une excellente idée de mon ami Dominique Kern. Dans le domaine financier : pouvoir redonné à la Banque de France de battre monnaie. Dans le domaine social : augmentation importante des salaires et grand plan de rattrapage, car les salaires stagnent depuis les années quatre-vingt. Retour à l’échelle mobile, c’est à dire l’indexation des salaires et retraites sur les prix. Plan de lutte contre le chômage et la pauvreté : zéro pauvre, zéro chômeur…. Nationalisation de Facebook, une très bonne idée de mon amie Monika Karbowska….

Lui aussi à son utilité. Comme écrit mon camarade marxiste Ernesto Monteagudo : “La conscience politique efficace des opprimés n’est pas immanente à leur comportement social de révoltés (ça ne suffit pas ), quelques soient les classes dont ils sont issus, prolétariat ou classes moyennes intellectualisées en voie de prolétarisation … Il leur faut un parti politique et un programme extérieur à leur pratique sociale, à leur praxis, pour connaître les évolutions possibles d’une situation donnée, il faut en connaître la causalité et avoir des connaissances politiques exactes”(sic). Nous apportons notre modeste connaissance des évolutions économiques, politiques, sociales de la société française 2023, pour la construction d’un programme en commun avec les Gilets Jaunes, antipassanitaires 2021… (voir: Résultats de recherche pour « gilet jaune » – les 7 du quebec).

L’Histoire montre la nécessité d’une “avant garde”(1) révolutionnaire connaissant de façon précise la situation géopolitique, économique du moment. On raconte comment Lénine s’enfermait des semaines dans une bibliothèque, pour analyser la situation en Russie. L’économiste marxiste Vincent Gouysse a publié sur le site Réseau International un texte très intéressant, rédigé par Staline dans les années vingt, où ce dernier pointe la vassalité, dès cette époque, des pays européens endettés vis à vis des Etats-Unis, suite à la première guerre mondiale. Ce qui montre l’importance, pour toute avant-garde digne de ce nom, d’avoir une connaissance précise et argumentée de la société nationale et mondiale du moment.


(1)-Le mot “avant garde” ne doit pas effrayer. Naturellement, ce mot est diabolisé par l’idéologie mondialiste occidentale. Ainsi, un jour, mélenchon a dit que “la France insoumise n’était pas une avant garde”(sic). Justement, l’histoire montre que les pires ennemis du Peuple, ce n’est pas l’avant-garde (Lénine, Staline), ce sont les petits-bourgeois socio-démocrates comme mélenchon, qui font semblant de défendre les classes populaires, pour que ces dernières votent pour lui : par exemple, avec le programme “l’Humain d’abord” de 2012, contenant notamment un droit de véto donné au comité d’entreprise pour contrecarrer les plans sociaux, sur proposition du syndicaliste et animateur du mouvement social de 1995 avec Bernard Thibault, Claude Debons. Et qui, à quelques encablures du pouvoir, 2016, liquident leur programme passé pour un positionnement à peine centre gauche.


La publication de cet article ne signifie pas que le webmagazine Les7duquebec.net endosse la totalité de ces propositions.

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

3 réflexions sur “Les ouvriers sont le moteur de l’émancipation et ils doivent encadrer eux même leur propre révolution!

  • 21 mai 2023 à 3 h 11 min
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    L’appel du collectif ouvrier Gkn Firenze, usine en lutte; occupée depuis 6 mois, suite a l’inondation d’Emilie Romagne :

    N’appelez pas d’urgence ce qui est une conséquence logique. Conséquence logique d’un système.
    Et ne parlez pas d’urgence sans parler d’urgence. Urgence de changer pour ne pas être submergé et submergé par l’urgence.
    Nous sommes solidaires des populations touchées par les énièmes « événements climatiques adverses ». Nous discutons d’une équipe à mettre à la disposition des brigades de solidarité qui pourraient être constituées. Nous discuterons de l’affectation d’une partie des fonds encore collectés pour Gkn en Émilie-Romagne au fonds de solidarité avec les sinistrés des inondations.

    Mais quelle fatigue de récolter les larmes et les dégâts. Quelle fatigue d’avoir raison.

    Bien sûr, quand l’eau a atteint le toit, on n’y peut plus rien. Nous voulons avoir la force de prévenir, de défendre nos territoires, nos vies, nos projets. Nous en avons assez d’appeler ce qui en est la conséquence logique une urgence. D’un système.

    Et à ceux qui se battent pour le travail, comme nous, qui se battent pour les salaires, comme nous, qui luttons contre la précarité, nous continuons à demander : pensez-vous qu’il n’y a qu’un seul combat pour la justice sociale qui puisse tenir debout dans un monde qui s’effondre ? injustice climatique ? Pensez-vous que cela vaut la peine de travailler toute une vie pour s’accrocher au travail avant d’être emporté par la prochaine pluie ?

    La convergence n’est pas une idée, mais un état de nécessité.

    L’individualisme et la fragmentation sont un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre. Car si vous n’êtes pas conscient que vous êtes une classe et une communauté, la catastrophe vous le rappellera.

    Une étreinte de soutien qui traverse les Apennins.
    # levons-nous

    Collettivo Di Fabbrica – Lavoratori Gkn Firenze

    https://www.facebook.com/coordinamentogknfirenze/

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