POUR COMPRENDRE « LE CAPITAL »,FRANZ MEHRING et ROSA LUXEMBURG
« LE CAPITAL » FRANZ MEHRING
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Articles du 2 juin 2023[29880]
I. — Les douleurs de l’enfantement
.
Quand Marx déclina l’invitation à assister au congrès de Genève
parce qu’il jugeait plus important pour les travailleurs d’achever
son œuvre principale — il pensait n’avoir écrit jusque-là que des
vétilles — que de participer à un congrès quelconque, il avait en vue la
besogne entreprise depuis le 1er janvier 1866 : mettre au net et rédiger le
premier livre. Et, au début, l’affaire allait bon train, car « il avait natu-
rellement plaisir à lécher l’enfant après tant de douleurs d’enfantement »
.
Ces douleurs d’enfantement avaient duré à peu près deux fois autant
d’années que la physiologie demande de mois pour la fabrication d’un
enfant normal. Marx pouvait dire avec raison que jamais peut-être une
œuvre de cette nature n’avait été écrite dans des conditions plus diffi-
ciles. Il n’avait cessé de s’assigner des délais pour en finir, « en cinq
semaines» comme en 1851, ou « en six semaines» comme en 185g, mais
ces projets se heurtaient à sa propre critique impitoyable et à son
incomparable scrupulosité, qui l’incitaient toujours à de nouvelles
recherches et que ne pouvaient ébranler même les exhortations
impatientes de son plus fidèle ami.
.
Fin i865, son travail était achevé, mais ce n’était encore qu’un manus-
crit géant qui, sous cette forme, ne pouvait être édité par personne que
par lui, pas même par Engels. De janvier 1866 à mars i867, Marx tira de
cette masse énorme le premier livre du Capital dans son texte classique,
comme un « tout artistique », ce qui constitue bien l’illustration la
plus brillante de sa fabuleuse puissance du travail. Ces cinq trimestres
furent, en effet, remplis par d’incessantes maladies qui mirent même ses
jours en danger en février 1866, par une accumulation de dettes ‘qui
1. Extrait de Karl Marx. Histoire de sa vie, Leipzig 1920. (3e édition).
« lui cassaient la tête », enfin, et surtout par les absorbants travaux pré
paratoires au congrès de Genève des Internationales.
.
En novembre 1866, le premier paquet du manuscrit parvenait à Otto
Meissner, à Hambourg, éditeur démocratique, chez qui Engels avait
déjà fait paraître son petit ouvage sur la question militaire prussienne.
A la mi-avril 1867, Marx apporta lui-même le reste du manuscrit à Ham
bourg et trouva en Meissner un « gentil garçon » avec qui tout
s’arrangea après de courtes négociations. En attendant les premières
épreuves de l’impression qui s’effectuait à Leipzig, Marx rendit visite
à son ami Kugelmann, à Hanovre, dont l’agréable famille lui réserva
l’accueil le plus hospitalier. Il passa là des semaines heureuses qu’il
compta lui-même parmi « les plus belles et les plus riantes oasis dans le
désert de l’existence ». Une circonstance contribua aussi quelque peu à
son humeur joyeuse, et une circonstance à laquelle il n’était nullement
habitué : les milieux cultivés de Hanovre le reçurent avec considération
et sympathie ; et le 24 avril, il écrivait à Engels :
.
C’est que nous avons tous deux auprès de la bourgeoisie « cultivée » une position toute différente de ce que nous savons.
Et Engels répondait le 27 avril :
Je me suis toujours imaginé que ce satané livre, que tu as couvé si
longtemps, était la cause première de ta poisse et que tu ne sortirais
de cette poisse que le jour où tu en serais délivré. Ce travail éternel
lement inachevé t’écrasait physiquement, intellectuellement et finan
cièrement et je comprends fort bien qu’une fois débarrassé de ce cau
chemar, tu te croies maintenant devenu un autre homme, d’autant
plus que le monde, dès que tu vas y entrer, ne te paraîtra pas si
morose que par le passé 1 2 .
.
Engels y attachait l’espoir d’être bientôt débarrassé de ce « commerce
de chien ». Tant qu’il y était plongé il n’était bon à rien; la chose
avait surtout empiré depuis qu’il était principal, à cause des responsa-
bilités accrues.
.
Marx lui répondit à ce sujet le 7 mai :
J’espère, et j’ai la ferme conviction, que dans une année je serai
suffisamment riche pour pouvoir réformer de fond en comble la situa
tion économique et voler de nouveau de mes propres ailes. Sans toi,
je n’aurais jamais pu mener mon œuvre à bonne fin et, je te l’assure,
j’ai toujours eu comme un poids sur la conscience à constater que
c’était principalement à cause de moi que tu laissais gaspiller dans le
commerce et rouiller ta force merveilleuse et que, par-dessus le
marché, il te fallait encore prendre ta part de mes petites misères 5 .
.
1. Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 153. (Edit. Gostes).
2. Même ouvrage, même tome, p. 159.
En vérité, ni dans les années qui suivirent ni même d’une façon
générale Marx, n’est devenu « riche » et Engels dut rester encore quelques
années dans le « commerce de chien » ; néanmoins, l’horizon commen
çait à s’éclaircir.
.
Marx devait depuis longtemps une lettre à un adepte, l’ingénieur des
mines Siegfried Meyer, qui avait vécu jusque-là à Berlin et qui, vers
cette époque, émigra aux Etats-Unis ; durant ces journées de Hanovre,
Marx paya sa dette avec des paroles qui mettent une fois de plus en
lumière son « insensibilité ». 11 écrivait :
.
Vous devez avoir très mauvaise opinion de moi, d’autant plus
mauvaise si je vous dis que vos lettres ne m’ont pas seulement procuré
une grande joie, mais m’ont été une véritable consolation durant la
douloureuse période où je les reçus. Savoir assuré à notre parti un
homme de valeur, à la hauteur des principes, me dédommage du pire.
En outre, vos lettres étaient remplies de la plus agréable amitié {jour
moi personnellement et vous concevez que, en lutte acharnée avec le
monde (officiel), je puis sous-estimer cela moins que tout. — Pourquoi
donc alors ne vous ai-je pas répondu ? Parce que je ne cessais de
flotter au seuil de la tombe. Je devais, par conséquent, mettre à profit
le moindre moment où j’étais capable de travailler pour achever mon
œuvre, à laquelle j’ai sacrifié la santé, le bonheur de vivre et la
famille. J’espère que cette explication se suffit. Je me ris des hommes
dits pratiques et de leur sagesse Si l’on voulait être un bœuf, on
pourrait, naturellement, tourner le dos aux douleurs de l’humanité et
s’occuper de sa propre personne. Mais je me serais vraiment tenu pour
impratique’ si j’étais mort sans avoir entièrement achevé mon œuvre,
au moins en manuscrit.
.
Dans l’humeur joyeuse de ces journées, Marx a également pris au
sérieux un certain Warnebold, avocat absolument inconnu de lui, qui
lui transmettait le prétendu désir de Bismarck : Celui de l’utiliser, lui
et ses grands talents, dans l’intérêt du peuple allemand. Non pas que
Marx eût été enchanté de cette tentative de l’appâter ; il se sera dit, en
effet, comme Engels : « La façon de penser et l’horizon du bonhomme
sont caractérisés par le fait qu’il juge tout le monde d’après lui même ».
Mais, revenu au terre à terre de tous les jours, Marx aura difficilement
cru au message de Warnebold, Dans l’état encore inachevé de la Confé
dération de l’Allemagne du Nord, quand le danger d’une guerre avec
la France au sujet du commerce luxembourgeois venait à peine d’être
conjuré, il était impossible que Bismarck songeât à heurter de front la
bourgeoisie – elle venait tout juste d’entrer dans son camp et regar –
dait déjà d’un fort mauvais œ’1 ses lieutenants Bûcher et Wagener – en
prenant à son service l’auteur du Manifeste communiste.
.
Ce n’est pas avec Bismarck, mais avec une de ses parentes qu’à son
retour à Londres Marx eut une petite aventure. Il la raconta non sans
une certaine gêne à Kugelmann. Sur le paquebot, une jeune Allemande,
qui l’avait déjà frappé par son maintien tout militaire, lui demanda des
renseignements sur les gares londoniennes; d’où il résulta qu’elle devait
attendre son train pendant quelques heures ; ces quelques heures, Marx,
pn bon cavalier, l’aida à les passer en lui faisant faire une promenade
à Hyde-Park. C’est alors que j’appris qu’elle s’appelait Elisabeth de Puttkamer
et qu’elle était la nièce de Bismarck, chez qui elle venait de passer
quelques semaines à Berlin. Elle avait sur elle tout l’annuaire mili
taire, cette famille fournissant abondamment notre « vaillante armée »
d’hommes d’honneur et de belle taille. C’était une jeune fille instruite
et gaie, mais aiistocrate et « noir-blanc » jusqu’au bout des ongles.
Elle ne fut pas peu étonnée quand elle apprit qu’elle était tombée
dans les mains d’un « rouge » *.
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Mais la petite dame n’en perdit pas pour cela sa bonne humeur. Dans
une lettre gentillette, elle exprimait à son cavalier avec un « respect
enfantin » les « remerciements les plus cordiaux » pour la peine qu’il
s’était donnée avec elle, « créature sans expérience » ; ses parents faisaient
également savoir leur plaisir d’apprendre qu’il y a encore des gens
aimables en voyage.
.
À Londres, Marx termina la correction de son livre. Cette fois encore,
il ne manqua pas de pester contre la lenteur de l’impression. Mais le
16 août 1867, à deux heures du matin, il pouvait tout de même annoncer
à Engels qu’il venait d’achever la correction de la dernière feuille (la 4g e ).
Ce volume est donc fini. C’est à toi seulement que je dois d’avoir
pu le faire! Sans ton dévouement pour moi, il ne m’eût pas été pos
sible de faire les travaux énormes nécessités par les trois volumes.
Je t’embrasse le cœur rempli de gratitude… Salut mon cher, mon
très cher ami*.
.
1. Lettres à Kugelmann, p. 66. Editions Sociales Internationales, Paris.
2. Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 189-190.
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Au nombre de ces personnes intelligentes ne comptaient certes pas
les savants allemands qui avaient jeté l’anathème justement sur le pre
mier chapitre du Capital, en raison de son « obscure mystique ».
A première vue, une marchandise nous apparaît comme quelque
chose de trivial, se comprenant très facilement. Mais à l’analyse, il appa
raît que c’est une chose extrêmement compliquée, pleine de subtilités
métaphysiques et d’arguties théologiques. En tant que valeur d’usage,
elle n’a rien de mystérieux… Le bois change de forme quand on en
fait une table. La table n’en reste pas moins du bois, un objet sensible
ordinaire. Mais dès qu’elle figure comme marchandise, elle devient
quelque chose qui tombe et ne tombe pas à la fois sous les sens. Elle
ne se contente plus de poser ses pieds sur le sol; vis à-vis des autres
marchandises, elle se dresse tète en bas, et de sa tète de bois s’épar
pillent les idées les plus bizarres devant lesquelles nous nous étonnons
davantage que si nous voyions la table se mettre à danser. (« Le carac
tère fétiche de la marchandise et son secret * »).
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Gela, les têtes de bois le prirent mal, qui produisent en quantité
industrielle subtilités métaphysiques et arguties théologiques, mais qui
sont incapables de créer quoi que ce soit d’aussi concret qu’une ordinaire
table de bois.
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En fait, sous l’angle purement littéraire, le premier chapitre compte
parmi ce que Marx a écrit de plus important. Il passa ensuite à l’analyse
de la façon dont l’argent se transforme en capital. Si, dans la circulation
des marchandises, des valeurs identiques s’échangent les unes contre les
autres, comment le possesseur d’argent peut-il acheter des marchandises
à leur valeur, les vendre à leur valeur et tirer néanmoins de la transac
tion plus de valeur qu’il n’y en a jeté ? 11 le peut uniquement parce que,
dans les conditions sociales actuelles, il trouve sur le marché une mar
chandise d’une nature tellement singulière, dont la consommation est
source de nouvelle valeur. Cette marchandise est la force de travail.
Elle existe dans la personne de l’ouvrier vivant qui a besoin d’une
somme déterminée de moyens de subsistance pour son propre entre
tien et celui de sa famille, laquelle assure la continuation de la main-
d’œuvre même après sa mort. Le temps de travail nécessaire pour four
nir ces moyens de subsistance représente la valeur de la force de travail.
Mais cette valeur payée en salaire est inférieure à la valeur que l’acqué-
reur delà main-d’œuvre parvient à tirer de cette dernière. Le travail
accompli par l’ouvrier en sus du temps nécessaire pour le remplace
ment de son salaire constitue la source de la plus-value, de l’augmen
tation continue du capital. Le travail non payé de l’ouvrier entretient
tous les membres non travailleurs de la société ; c’est sur lui que repose
tout l’édifice social où nous vivons.
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Il est vrai que le travail non payé n’est pas en lui-même une particu
larité de la société bourgeoise moderne. Depuis qu’il existe des classes
possédantes et non possédantes, la classe non possédante a toujours
dû fournir du travail non payé. Tant qu’une partie de la société délient
le monopole des moyens de production, l’ouvrier doit, degré ou contre
son gré, ajouter au temps de travail nécessaire pour son entretien un
temps de travail en excédent, afin de produire les moyens de subsis
tance destinés aux détenteurs des moyens de production. Le travail
salarié n’est qu’une forme historique particulière du système du travail
non payé qui règne depuis la séparation des classes, une forme histo
rique particulière qui doit être étudiée comme telle pour être juste
ment comprise.
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Pour la transformation de l’argent en capital, le possesseur d’argent
doit trouver sur le marché l’ouvrier libre, libre en ce double sens qu’il dis
pose comme personne libre de sa force de travail en tant que marchan
dise lui appartenant, et qu’il n’a pas d’autre marchandise à vendre,
donc qu’il est séparé de tous les objets nécessaires à la réalisation de sa
force de travail. Ce n’est pas là un rapport historique naturel, car la
nature ne produit pas d’un côté des possesseurs d’argent et de mar-
chandises et de l’autre des êtres possédant stuh ment leur force de travail.
Mais ce n’est pas non plus un rapport social commun à toutes les
périodes de l’histoire ; c’est le résultat d’un long développement histo
rique, le produit de nombreuses transformations économiques, de toute
une série de vieilles formations disparues de la production sociale.
La production des marchandises est le point de départ du capital. La
production des marchandises, la circulation des marchandises et leur
circulation développée— le commerce — forment les conditions histo
riques qui président à son apparition. De la création du commerce moderne
et du marché mondial au xvi e siècle date l’histoire moderne du capi
tal. L’illusion des économistes vulgaires voulant qu’il se toit trouvé
a une certaine époque une élite travailleuse accumulant des richesses et
une masse de gueux paresseux n’ayant rien eu à vendre au bout du
compte que leur propre peau est une fade puérilité : une puérilité aussi
fade que la pénombre dans laquelle les historiens bourgeois plongent la
désagrégation du mode de production féodal, qu’ils présentent comme
l’émancipation de l’ouvrier et non pas, du même coup, comme la trans
formation du mode de production féodal en mode de production capi
taliste.
.
En même temps que les ouvriers cessaient d’appartenir directe
ment aux moyens de production, comme les esclaves et les serfs, les
moyens de production cessaient de leur appartenir, comme chez le
paysan et l’artisan travaillant à leur compte. Par une série de méthodes
violentes et cruelles, que Marx décrit en détail dans son chapitre sur
l’accumulation primitive, en se fondant sur l’histoire anglaise, la grande
masse de la population fut dépouillée de la terre, des moyens de
subsistance et des instruments de travail. Ainsi prirent naissance les
ouvriers libres dont le mode de production capitaliste avait besoin ;
le capital est venu au monde dégouttant de sang et de boue par tous
ses pores, de la tête aux pieds. A peine dressé sur ses propres jambes,
non seulement il maintint, mais encore il reproduisit à une échelle sans
cesse croissante la séparation entre le travailleur et la propriété des
conditions qui permettent la réalisation du travail.
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Le salariat se distingue des formes antérieures de travail non payé
par le fait que le mouvement du capital est démesuré, que son
appétit de surtravail est insatiable. Dans les formations sociales-écono-
miques où la valeur d’usage prédomine dans le produit, et non sa
valeur d’échange, le surtravail est limité par un cercle plus ou moins
large de besoins , mais la nature de la production ne donne pas lieu à
un besoin illimité de surtravail. Il en va autrement quand prédomine
la valeur d’échange. Producteur du labeur d autrui, soutireur de sur
travail et exploiteur de la main-d’œuvre, le capital surpasse de loin en
énergie, en étendue et en efficacité tous les processus de production
antérieurs, basés sur le travail forcé direct. Il ne s’agit pas pour lui du
processus de travail, de la production de valeurs d’usage, mais du pro
cessus de mise en valeur, de la production de valeurs d’échange, dont
il pourra tirer plus de valeur qu’il n’y en a investi. L’appétit de plus-
value ignore la satiété ; la production de valeurs d’échange ne connaît
pas les limites que la satisfaction des besoins assigne à la production
de valeurs d’usage.
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De même que la marchandise est unité 1 de valeur d’usage et de
valeur d’échange, de même le processus de production de la mar
chandise est unité de processus de travail et de processus générateur
de valeur. Le processus générateur de valeur dure jusqu’au moment
où la valeur de la main-d’œuvre payée en salaire est remplacée par
une valeur égale. A partir de ce point, il devient processus de produc
tion de plus-value, processus de mise en valeur. Unité de processus de
travail et de processus de mise en valeur, il devient processus de pro
duction capitaliste forme capitaliste de la production des marchandises.
Dans le processus de travail, l’ouvrier et le moyen de produclion coo
pèrent ; dans le processus de mise en valeur, les mêmes parties consti
tuantes du capital apparaissent comme capital constant et capital
variable. Le capital constant se convertit en moyens de produclion :
matériel brut, produits accessoires, instruments de travail, et ne change
pas de valeur dans le processus de production. Le capital variable se
convertit en force de travail et change de valeur dans le processus de
production : il reproduit sa propre valeur plus un excédent, la plus-
value. qui peut elle-même varier, être plus grande ou plus petite. De la
sorte, Marx se trace une voie parfaitement claire pour l’étude de la
plus-value dont il trouve deux formes, la plus-value absolue et la plus-
value relative, qui ont joué des rôles différents, mais l’un et l’autre
décisifs, dans l’histoire du mode de production capitaliste.
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De la plus-value absolue est produite quand le capitaliste prolonge
le temps de travail au delà du temps nécessaire pour la reproduction de
la force de travail. Si tout allait selon ses désirs, la journée de travail
aurait vingt-quatre heures, car plus est longue la journée de travail et
plus est grande la plus-value produite. Inversement, l’ouvrier a le
juste sentiment que chaque heure de travail fournie en sus de l’équi
valent du salaire lui est soutirée injustement. Son propre corps est là
pour montrer ce q te signifie travailler trop longtemps. La lutte pour
la longueur de la journée de travail n’a pas cessé depuis la première
apparition historique d’ouvriers libres jusqu’à maintenant. Le capitaliste
lutte pour son profit et la concurrence l’oblige — fût-il personnelle
ment un homme probe ou un coquin — à prolonger la journée de
travail jusqu’aux extrêmes limites des possibilités humaines. L’ouvrier
lutte pour sa santé, pour quelques heures de repos quotidien, afin de
pouvoir exercer une activité humaine en dehors du « travailler, man
ger et dormir ».
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Marx décrit de la façon la plus impressionnante le
demi-siècle de guerre civile menée en Angleterre par la classe capitaliste
et la classe ouvrière ; celte guerre civile commença avec la naissance de
la grande industrie, qui incita les capitalistes à renverser toutes les
limites que la nature et les coutumes, l’âge et le sexe, le jour et la nuit,
traçaient à l’exploitation du prolétariat : elle durera jusqu’à la pro
mulgation du bill des dix heures, conquis par la classe ouvrière comme
un puissant obstacle social qui l’empêche de se livrer elle-même et
son espèce par un contrat volontaire, à la discrétion absolue du capital.
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Delà plus-value relative est produite quand le temps de travail néces
saire pour la reproduction de la force de travail est réduit au bénéfice
du surtravail. La valeur de la force de travail est réduite quand la
force productive du travail est accrue dans les branches d’industrie
dont les produits déterminent la valeur de la force de travail. Pour
cela, il faut un bouleversement continu du mode de production, des
conditions techniques et sociales du processus de travail. Les explica
tions historiques, économiques, technologiques et psycho-sociales déve
loppées à ce sujet par Marx dans une série de chapitres traitant de la
coopération, de la division du travail et de la manufacture, du machi
nisme et de la grande industrie, ont été reconnues même par les bour
geois, comme des sources fécondes de découverte scientifique.
Marx ne montre pas seulement que le machinisme et la grande indus
trie ont engendré une misère effroyable, comme aucun mode de pro
duction ne l’avait fait avant eux; il montre aussi que, dans son « révolu-
tionnement » ininterrompu, la société capitaliste prépare une forme
sociale plus élevée. La législation des fabriques est la première réac
tion consciente et systématique de la société sur la structure antina-
turelle de son processus de production. En réglementant le travail
dans les fabriques et la manufacture, cette législation n’apparaît tout
d’abord que comme une ingérance dans les droits d’exploitation du
capital.
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Mais la rigueur des faits oblige bientôt à réglementer aussi le travail
à domicile et à intervenir dans l’autorité paternelle, c’est-à dire à
reconnaître qu’avec la base économique de l’antique famille et du travail
à domicile qui lui correspond, la grande industrie disloque elle-même
les vieilles conditions de la famille. « Si terrible et si écœurante que
paraisse la dissolution de l’antique famille dans le système capitaliste, il
n’en reste pas moins que la grande industrie, par le rôle décisif qu’elle
assigne aux femmes, aux adolescents et aux enfants des deux sexes dans
les processus de production socialement organisés et en dehors de la
sphère familiale, pose une nouvelle base économique pour une forme
supérieure de la famille et les relations entre les deux sexes. Il serait
naturellement aussi absurde de considérer comme absolue la forme
germano-chrétienne de la famille que les formes romaine et grecque
antiques ou la forme orientale, qui constituent d’ailleurs une série de
développements historiques successifs.
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Il est également évident que la
combinaison du personnel ouvrier collectif, formé d’individus de tout
sexe et de tout âge, bien que, dans sa forme capitaliste naturellement
brutale, où l’ouvrier existe pour le processus de travail et non pas le
processus de travail pour l’ouvrier elle constitue*, une source cmpoison-
née de corruption et d’esclavage, doit se transformer, si les conditions
sont favorables, en une source de développement humain 1 . » La
machine, qui dégrade l’ouvrier pour n’en faire que son appendice,
crée en même temps la possibilité de porter les forces produc
tives de la société à un niveau élevé qui permettra un développement
humain pour tous les membres de la société, ce pourquoi toutes les
formes sociales antérieures étaient trop pauvres.
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Après avoir étudié la production de la plus-value absolue et relative,
Marx développe la première théorie rationnelle du salaire que connaisse
l’histoire de l’économie politique. Le prix d’une marchandise est sa
valeur exprimée en argent et le salaire est le prix de la force de travail.
Ce D’est pas le travail qui apparaît sur le marché, mais l’ouvrier qui
offre sa force de travail, et le travail ne prend naissance qu’avec la con
sommation de la marchandise « main-d’œuvre ». Le travail est la
substance et Ja mesure immanente des valeurs, mais lui-même n’a pas
de valeur. Cependant, le salaire semble payer le travail parce que
l’ouvrier ne le reçoit qu’une fois le travail accompli. La forme du salaire
efface toute trace de division de la journée de travail en travail payé et
travail non payé. C’est l’inverse de ce qui se passe avec l’esclavage.
.
L’esclave semblait ne travailler que pour son maître, même dans la
partie de la journée de travail où il ne faisait que remplacer la valeur de
ses propres moyens de subsistance ; tout son travail apparaît comme du
travail non payé. Dans le salariat, au contraire, le travail non payé lui-
même apparaît comme payé. Dans un cas, le rapport de propriété dis
simule le travail effectué pour son propre compte par l’esclave ; dans
l’autre, le rapport d’argent dissimule le travail gratuit de l’ouvrier
salarié. On conçoit, par conséquent, écrit Marx, l’importance décisive de
la transformation de la valeur et du prix de la force de travail en
salaire ou en valeur et prix du travail lui-même. Sur cette forme
apparente, qui rend invisible le rapport réel et fait apparaître
exactement son contraire, repose toute la notion juridique de l’ouvrier
comme du capitaliste, toute la mystification du mode de production
capitaliste, toutes ses illusions de liberté, toutes les billevesées apolo
gétiques de l’économie vulgaire.
.
Les deux formes fondamentales du salaire sont le salaire horaire et le
salaire aux pièces. A la lumière des lois du salaire horaire, Marx
démontre le vide intéressé des phrases prétendant qu’une limitation de
la journée de travail doit faire baisser le salaire. C’est exactement le con-
traire qui est vrai. Une diminution passagère de la journée de travail
réduit le salaire, mais une diminution durable l’élève ; plus est longue
la journée de travail, plus le salaire est bas.
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Le salaire aux pièces n’est pas autre chose qu’une forme modifiée du
salaire au temps ; c’est la forme du salaire qui correspond le mieux au
mode de production capitaliste. Il prit une grande extension durant la
période manufacturière proprement dite ; dans la phase du développe
ment tumultueux de la grande industrie anglaise, il fut un moyen
d’allonger le temps de travail et de réduire les salaires. Le salaire aux
pièces est très avantageux pour le capitaliste, parce qu’il rend en grande
partie superflue la surveillance du travail et qu’il offre, par-dessus le
marché, les occasions les plus diverses d’amputer le salaire et d’accomplir
d’innombrables autres escroqueries. Pour les ouvriers, il entraîne en
revanche de grands désavantages : éreintement par le surtravail qui
doit augmenter le salaire, alors qu’il tend, en fait, à le réduire, concur
rence accrue entre les ouvriers et affaiblissement de leur conscience soli
daire, apparition de parasites qui s’interposent entre les capitalistes et
les ouvriers, d’intermédiaires qui détachent du salaire payé un fragment
considérable, et ainsi de suite.
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Le rapport entre plus-value et salaire fait que le mode de production
capitaliste non seulement reproduit sans cesse le capital, mais encore
engendre en permanence le paupérisme des ouvriers : d’un côté les
capitalistes qui sont les propriétaires de tous les moyens de subsistance,
de toutes les matières premières et de tous les instruments de travail, et
de l’autre la grande masse des ouvriers qui sont obligés de vendre leur
force de travail à ces capitalistes pour une quantité de moyens de sub
sistance tout juste suffisante dans le meilleur des cas à les maintenir en
état de travailler et à élever une nouvelle génération de prolétaires
capables de travailler. Mais [le capital ne fait pas que se reproduire, il
s’accroît et se multiplie sans répit; et Marx consacre le dernier chapitre
du premier livre à ce « processus d’accumulation ».
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La plus-value découle du capital, mais le capital découle aussi de la
plus-value. Une partie de la plus-value produite annuellement est con-
sommée en tant que revenu par les classes possédantes, parmi lesquelles
elle se répartit, cependant qu’une autre partie est accumulée sous foi me
de capital. Le travail non payé soutiré à la classe ouvrière est mainte-
nant un moyen de lui soustraire de plus en plus de travail non payé.
D’une façon générale d’ailleurs, le capital primitivement avancé
devient, au cours de la production, une grandeur de plus en plus infime
quand on le compare au capital directement accumulé, c’est-à-dire à la
plus-value ou au surproduit qui revient au capital, soit dans la main
qui a accumulé, soit dans une main étrangère. La loi de la propriété
privée reposant sur la production et la circulation des marchandises
se mue en son contraire direct par le jeu de sa propre dialectique
interne et inéluctable. Les lois de la production des marchandises
semblent fonder le droit de propriété du travailleur sur son propre
travail.
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Des possesseurs égaux de marchandises étaient face à face ;
pour chacun d’eux, le moyen d’appropriation de la marchandise de
l’autre n’était que l’aliénation de sa propre marchandise et cette mar-
chandise ne pouvait être produite que par le travail. Maintenant, la
propriété apparaît, du côté du capitaliste, comme le droit de s’emparer
du travail d’autrui non payé ou du produit de ce travail, du côté
de l’ouvrier comme l’impossibilité de s’approprier le produit fabriqué
par lui-même.
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Lorsque les prolétaires modernes eurent commencé à discerner ce
rapport, lorsque le prolétariat urbain de Lyon eut fait sonner le tocsin,
que le prolétariat agricole d’Angleterre lâcha le coq rouge, les écono
mistes vulgaires inventèrent la « théorie de l’abstinence » d’après
laquelle le capital prend naissance grâce à 1’ « abstinence volontaire »
de la classe capitaliste, théorie que Marx fouaille tout aussi impitoyable-
ment que Lassalle l’avait fouaillée avant lui. Mais ce qui contribue réel-
lement à l’accumulation du capital, c’est « l’abstinence » imposée aux
ouvriers, l’abaissement forcé du salaire au-dessous de la valeur de la force
de travail, ayant pour but de transformer partiellement en fonds
d’accumulation du capital le fonds de consommation nécessaire des
ouvriers. Nous trouvons là l’origine réelle des jérémiades sur la vie
« luxueuse » des ouvriers, les litanies interminables sur la bouteille de
champagne que des maçons auraient un jour vidée pour leur petit
déjeuner, les recettes de cuisine à bon marché des réformateurs sociaux
chrétiens et tout ce qui appartient à ce domaine de la mesquinerie capi
taliste.
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Voici donc ce qu’est, en fait, la loi générale de l’accumulation capita-
liste. La croissance du capital implique la croissance de sa partie variable
ou partie transformée en force de travail. Si la composition du capital
reste invariable, si une quantité déterminée de moyens de production
a toujours besoin delà même masse de force de travail pour être mise en
mouvement, la demande de main-d’œuvre et le fonds de subsistance
des ouvriers grandissent en relation directe avec le capital, d’autant plus
vite que le capital grandit plus vite. De même que la reproduction
simple reproduit continuellement le même rapport capitaliste
de même l’accumulation reproduit le rapport capitaliste à un niveau
supérieur : augmentation du nombre des capitalistes ou de leur
importance à un pôle, augmentation du nombre des ouvriers salariés à
l’autre.
.
L’accumulation du capital est donc la multiplication du prolé
tariat, et, dans le cas envisagé, elle a lieu dans les conditions les plus
favorables pour les ouvriers. Une partie plus grande de leur propre sur
produit — qui augmente et se mue en nouveau capital — leur revient
sous forme de moyens de paiement, en : orte qu’ils peuvent élargir le
cercle de leurs besoins et accroître leur fonds de consommation, de vête
ments, de meubles, etc. Toutefois, le rapport de dépendance où ils se
trouvent n’en est pas modifié, pas plus qu’un esclave bien vêtu et
bien nourri cesse pour cela d’être un esclave. Ils doivent continuer de
fournir une certaine quantité de travail non payé, qui peut diminuer
il est vrai, mais jamais jusqu’au point où le caractère capitaliste du
processus de production pourrait être sérieusement menacé. Si les
salaires s’élèvent au-dessus de ce niveau, la pointe du bénéfice s’émousse
et l’accumulation du capital se ralentit jusqu’au moment où les salaires
retombent à un niveau correspondant à ses besoins de mise en valeur.
.
Toutefois, c’est seulement lorsque le rapport entre les parties constante
et variable ne change pas dans l’accumulation du capital que la chaîne
d’or, que le salarié se forge à lui-même, se relâche. Mais en fait, les pro
grès de l’accumulation entraînent une grande révolution dans ce que
Marx appelle la composition organique du capital. Le capital constant
grandit aux dépens du capital variable ; la productivité croissante du
travail a pour conséquence que la masse des moyens de production
grandit plus vile que la masse de force de travail qui y est incorporée ;
la demande de main-d’œuvre n’augmente pas au même rythme que
l’accumulation du capital ; au contraire, elle diminue en valeur rela
tive. Sous une autre forme, le même effet est réalisé par la concentration
du capital qui s’accomplit indépendamment de son accumulation, du
fait que les lois de la concurrence capitaliste aboutissent à l’absorption
du petit capital par le gros. Tandis que le capital supplémentaire engendré
au cours de l’accumulation attire de moins en moins d’ouvriers par rap
port à sa grandeur, le vieux capital reproduit avec une nouvelle compo
sition évince de plus en plus les ouvriers qu’il employait précédemment.
.
Ainsi, prend naissance une population ouvrière relativement superflue,
c’est-à-dire superflue pour les besoins d’exploitation du capital, une
armée industrielle de réserve ; en périodes d’affaires mauvaises ou
moyennes, celte armée e3t irrégulièrement occupée et payée au-dessous de
la valeur de sa force de travail, ou bien encore livrée à la bienfaisance
publique ; dans tous les cas, elle sert à paralyser la résistance des
ouvriers occupés et à maintenir leurs salaires à un niveau inférieur.
.
Produit nécessaire de l’accumulation ou du développement de la
richesse sur une base capitaliste, l’armée industrielle de réserve devient
inversement le levier du mode de production capitaliste. Avec l’accumu-
ation et le développement de la force productive du travail qui l’accom
pagne, grandit la force d’expansion soudaine du capital, qui a besoin de
grandes masses humaines pour pouvoir les jeter brusquement, et sans
interruption du cycle de la production, dans d’autres sphères, sur
d’autres marchés ou dans de nouvelles branches de production. La
marche caractéristique de l’industrie moderne, le cycle décennal, entre
coupé de petites oscillations, de périodes de vigueur moyenne, de pro
duction à toute vapeur, de crise et de stagnation, repose sur la forma
tion continue, l’absorption plus ou moins grande et la reconstitution
de l’armée industrielle de réserve. Plus est grande la richesse sociale,
le capital fonctionnant, l’ampleur et l’énergie de sa croissance, donc
aussi la grandeur absolue de la population ouvrière et la force produc
tive de son travail, plus est grande la surpopulation relative ou armée
industrielle de réserve. Sa grandeur relative augmente avec la puissance
de la richesse. Mais plus est grande l’armée industrielle de réserve par
rapport à l’armée ouvrière active, et plus sont massives les couches
ouvrières dont la misère est en raison inverse de leur peine au travail.
Plus est grande enfin la couche de Lazare delà classe ouvrière et l’armée
industrielle de réserve, et plus est important le paupérisme officiel. Telle
est la loi générale absolue de l’accumulation capitaliste.
.
De cette loi, découle également la tendance historique de cette accu
mulation. Parallèlement à l’accumulation et à la concentration du capi
tal se développent de plus en plus la forme coopérative du travail,
l’application technique délibérée de la science, l’exploitation commune
systématique de la terre, la transformation des moyens de travail en
machines utilisables seulement d’une manière collective, l’économie de
tous les moyens de production grâce à leur utilisation en temps que
moyens de production communs du travail social combiné. Tandis que
diminue sans cesse le nombre des magnats capitalistes qui usurpent et
monopolisent tous les avantages de cette transformation, on voit grandir
la masse de la misère, de l’oppression, de la servitude, de la dégrada
tion, de l’exploitation, mais aussi de l’indignation de la classe ouvrière,
en augmentation continue, instruite, unie et organisée par le mécanisme
même du processus de production capitaliste. Le capital monopolisateur
devient une entrave au mode de production, qui se développe avec et
sous lui. La concentration des moyens de production, et la sociali
sation du travail atteignent un degré où elles deviennent incompatibles
avec leur enveloppe capitaliste. Le glas de la propriété capitaliste privée
sonne, les expropriateurs sont expropriés.
.
La propriété individuelle, fondée sur le travail individuel, se rétablit,
mais sur la base de la conquête de l’ère capitaliste : en tant que coopé –
ration d’ouvriers libres, en tant que propriété commune de la terre et
des moyens de production fabriqués parle travail même. Il va sans dire
que la transformation en propriété sociale de la propriété capitaliste
reposant déjà sur la production socialisée est loin d’être aussi longue,
pénible et difficile que ne fut la transformation en propriété capita
liste de la propriété morcelée reposant sur le travail des individus. Il
s’agissait dans ce dernier cas de l’expropriation de la masse du peuple
par quelques usurpateurs ; il s’agira dans l’autre cas de l’expropriation
de quelques usurpateurs par la masse du peuple.
.
Franz MEHRING.
ROSA LUXEMBOURG
III. — Les deuxième et troisième livres 1
.
Avec les deuxième et troisième livres de son œuvre, Marx eut
le même sort qu’avec le premier ; il espérait pouvoir les
publier aussitôt après la parution de ce dernier, mais de
longues années passèrent et il ne devait pas lui être donné
d’achever ces deux livres pour les remettre à l’impression .
.
Des études toujours nouvelles et de plus en plus approfondies, de
longues maladies, la mort enfin l’empêchèrent de terminer l’œuvre en
tière; voilà pourquoi Engels rédigea les deux livres en se servant des
manuscrits inachevés de son ami. C’étaient des brouillons, des esquisses,
des notes, tantôt de grands chapitres cohérents, tantôt des remarques
rapidement jetées sur le papier, comme un chercheur a coutume de
faire pour son usage personnel — gigantesque travail intellectuel
qui s’étend, avec de longues interruptions, de 1861 à 1878.
Ces circonstances expliquent que nous ne devons pas chercher dans
les deux derniers livres du Capital une solution achevée de tous les
grands problèmes de l’économie politique, mais seulement leur énoncé
partiel, avec des indications sur la direction où il convient de chercher
cette solution. Comme l’ensemble des conceptions de Marx, son œuvre
essentielle n’est pas une bible de vérités définitives, établies une fois
pour toutes ; c’est, au contraire, une source inépuisable d’incitations
au travail intellectuel, à la recherche et à la lutte incessante pour la
vérité.
.
Ces mêmes circonstances expliquent qu’au point de vue extérieur
également, dans la forme littéraire, les deuxième et troisième livres ne
soient pas aussi achevés que le premier, n’étincellent pas d’esprit comme
lui. Pourtant, et justement dans la simplicité de leur effort de pensée,
étranger à tout souci de forme, ils offrent à plus d’un lecteur une
jouissance encore plus élevée que le premier.
.
Bien qu’aucune popularisation n’en ait tenu compte, bien qu’ils soient,
par conséquent ignorés de la grande masse des ouvriers, éclairés, ces
deux livres n’en constituent pas moins un complément et un dévelop-
pement essentiels du premier, indispensables à l intelligence de tout le
système.
.
Dans le premier livre, Marx étudie la question cardinale de l’économie
politique : D’où provient l’enrichissement, où est la source du profit ?
Avant que Marx entrât en lice, la réponse à ces questions était don
née dans deux directions différentes.
.
Les défenseurs « scientifiques » du meilleur des mondes, celui où
nous vivons, des hommes dont certains, comme Schulze-Delitzsch,
jouissaient également delà considération et de la confiance des ouvriers,
expliquaient la richesse capitaliste par toute une série de raisons plus
ou moins plausibles et de manipulations habiles : résultat de l’adjonc-
tion systématique au prix des marchandises d’un supplément « dédom –
mageant » le patron pour le capital noblement « abandonné » par lui
dans la production ; indemnité pour le « risque » couru par chaque
patron ; rémunération pour la « direction spirituelle » du patron, et
ainsi de suite. Toutes ces explications visaient le même but: présenter
comme « légitime » et immuable la richesse des uns, donc la pauvreté
des autres
.
En revanche, les critiques de la société bourgeoise, dont les écoles
socialistes qui apparurent avant Marx, expliquaient pour la plupart
l’enrichissement des capitalistes comme du pillage pur et simple, voire
comme un vol pratiqué au détriment des ouvriers et rendu possible
par l’interposition de l’argent ou par le manque d’organisation du pro-
cessus de production. Partant de là, ces socialistes aboutirent à
divers plans utopiques sur la façon de supprimer l’exploitation par la
suppression de l’argent, par « l’organisation du travail », etc.
.
Or, dans le premier livre du Capital, Marx révèle la véritable origine
de l’enrichissement capitaliste. Il ne s’occupe ni de justifier les capi-
talistes, ni d’accuser leur injustice : il montre pour la première fois
comment apparaît le profit et comment il tombe dans les poches du
capitaliste. Il explique le phénomène par deux faits économiques
décisifs : en premier lieu, la masse des ouvriers se compose de prolé-
taires, obligés de vendre leur force de travail en tant que marchandise ;
en second lieu, cette marchandise qu’est la force de travail possède
aujourd’hui un degré de productivité tellement élevé qu’elle peut
engendrer en un temps donné une quantité de produits beaucoup plus
grande qu’il ne lui en faut à elle-même pour se maintenir pendant
ce laps de temps. Ces deux faits purement économiques, qui
découlent du développement historique objectif, ont pour consé
quence que le fruit du travail du prolétaire tombe tout à fait
naturellement en possession du capitaliste et s’accumule mécani-
quement, pour constituer des quantités de plus en plus énormes
de capitaux au fur et à mesure que se maintient le système du salariat.
.
Marx n’explique donc pas l’enrichissement capitaliste comme un quel
conque dédommagement du capitaliste compensant des sacrifices et des
bienfaits imaginaires ; il ne l’explique pas davantage comme de l’escro-
querie ou du vol pur et simple au sens courant de ces mots ; il l’explique
comme un échange absolument régulier au point de vue juridique entre
le capitaliste et l’ouvrier, échange entièrement conforme aux lois qui
régissent n’importe quel autre acte de vente et d’achat de marchandises.
Pour élucider à fond le mécanisme de cette affaire irréprochable, qui
porte des fruits magnifiques pour le capitaliste, Marx dut développer
jusqu’au bout, en l’appliquant à la marchandise force de travail, la loi
de la valeur énoncée à la fin du XVe au début du XlXe siècles par
les grands classiques anglais Smith et Ricardo, c’est-à-dire l”explication
des lois internes de l’échange des marchandises. La loi de la valeur,
dont dérivent le salaire et la plus-value, c’est-à-dire l’explication du
processus par lequel, sans aucune escroquerie violente, le produit du
travail salarié se partage de lui-même en moyens d’existence misérables
pour l’ouvrier et en richesses obtenues sans travail pour le capita-
liste — tel est le contenu fondamental du premier livre du Capital.
.
Et là réside également sa grande importance historique : il a montré
que pour supprimer l’exploitation il faut avant tout, il faut exclu-
sivement, que soit supprimée la vente de la force de travail, autre
ment dit le salariat.
.
Dans le premier livre du Capital, nous nous trouvons sans cesse sur
le lieu même du travail : dans une fabrique, dans une mine ou dans
une exploitation agricole moderne. Ce qui y est exposé vaut pour
n’importe quelle entreprise capitaliste. Nous avons uniquement affaire
au capital individuel en tant que type de tout le mode de production.
Quand nous fermons ce premier livre, la naissance quotidienne du
profit est pour nous parfaitement claire, le mécanisme de l’exploi –
tation élucidé jusque dans ses derniers recoins. Sous nos yeux s’élèvent
des montagnes de marchandises de toute sorte, telles qu’elles sortent
directement de l’atelier, encore imbibées de sueur ouvrière ; et dans
la valeur de chacune d’elles, nous pouvons nettement discerner la
partie issue du travail non payé du prolétaire et qui devient tout aussi
légitimement que la marchandise entière, propriété du capitaliste.
.
Nous touchons ici du doigt la racine de l’exploitation.
Mais la moisson du capitaliste est encore loin pour cela d’être
engrangée. Le fruit de l’exploitation est là, mais sous une forme encore
inutilisable pour le patron Tant qu’il ne possède ce fruit que sous les
dehors de marchandises accumulées, le capitaliste ne peut s’estimer
satisfait de l’exploitation. C’est que précisément il n’est pas le proprié-
taire d’esclaves du monde gréco-romain de l’antiquité, non plus que le
seigneur féodal du moyen-âge, qui ne dépouillaient le peuple travail
leur que pour leur propre luxe et la grande vie de Cour. Le capitaliste a
besoin de sa richesse en monnaie sonnante pour l’employer à entre
tenir le « train de vie de sa condition »> et pour accroître sans répit son
capital. Il faut, à cet effet, que soient vendues les marchandises
produites par l’ouvrier salarié, y compris la plus-value contenue en
elles. Du dépôt de fabrique ou de la ferme, la marchandise doit
accéder au marché ; le capitaliste la suit du comptoir à la Bourse, au
magasin, et nous marchons sur ses traces dans le deuxième livre du
Capital.
.
Dans le domaine de l’échange des marchandises, où se déroule le
deuxième chapitre de l’existence du capitaliste, maintes difficultés atten-
dent ce dernier. Dans sa fabrique, à la ferme, il était le maître. L’orga-
nisation la plus stricte, la discipline et l’ordre y régnaient. Sur le marché,
par contre, règne l’anarchie complète, ce qu’on appelle la libre concur-
rence. Ici, nul ne se soucie du voisin et personne de l’ensemble Et pour
tant, au milieu même de cette anarchie, le capitaliste sent combien il
dépend a tous égards des autres, de la société.
.
Il doit marcher du même pas que ses concurrents. S’il perd plus de
temps qu’il n’est strictement nécessaire avant la vente définitive de
ses marchandises, s’il ne se munit pas d’assez d’argent pour acheter à
temps des matières premières et tout ce qui est nécessaire pour que l’en-
treprise ne subisse aucun temps d’arrêt, s’il ne veille pas à ce que son
argent, tel qu’il lui revient de la vente des marchandises, ne reste pas
inactif, mais soit investi quelque part d’une façon rémunératrice, il est
éclipsé d’une manière ou d’une autre. Or les chiens mordent les derniers
et le patron isolé qui ne fait pas en sorte que, dans le va-et-vient conti –
nuel entre la fabrique et le marché, son affaire marche aussi parfaite
ment que la fabrique même, ce patron donc, aussi consciencieusement
qu’il utilise ses ouvriers, n’obtiendra pas le profit usuel. Une partie de
son profit « bien acquis » restera accrochée quelque part, pas dans sa
poche en tout cas.
.
Mais ce n’est pas tout. Le capitaliste ne peut accumuler des richesses
que s’il produit des marchandises, donc des articles de consommation.
Mais il ne doit produire précisément que les sortes de marchandises dont
la société a besoin, et seulement autant qu’elle en a besoin. Sinon, les
marchandises restent invendues et la plus-value qui s’y trouve enfermée
s’en va à nouveau en fumée. Mais comment un capitaliste isolé saurait-il
tout cela? Personne ne lui dit de quels articles et en quelle quantité la
société a besoin à un moment donné; personne ne le lui dit parce que,
précisément, personne ne le sait. Ne vivons-nous pas dans une société
sans plan, anarchique? Chacun des patrons pris séparément est dans la
même situation. Et pourtant, il doit soi tir de ce chaos, de ce désordre
un tout qui permette aussi bien l’affaire individuelle des capitalistes et
leur enrichissement que la satisfaction des besoins de la société et la
continuation de la société prise dans son ensemble.
.
Plus précisément, il faut que le désarroi du marché déréglé permette
néanmoins en premier lieu le cycle permanent du capital individuel,
donne la possibilité de produire, de vendre, d’acheter et à nouveau de
produire, le capital muant sans cesse de sa forme argent à sa forme
marchandise et inversement : ces phases doivent coïncider, l’argent doit
exister en réserve, afin de saisir toute conjoncture d’achat sur le marché,
afin de couvrir les dépenses courantes de l’entreprise; par ailleurs, il
faut que l’argent — qui revient au fur et à mesure de la vente des mar-
chandises — trouve aussitôt à s’employer à nouveau. Les capitalistes
isolés, en apparence complètement indépendants les uns des autres,
forment ici déjà une grande confrérie; en fait, au moyen du crédit et
des banques, ils s’avancent continuellement les uns aux autres l’argent
nécessaire et puisent dans l’argent en réserve, permettant ainsi la conti-
nuation ininterrompue de la production et de la vente des marchandises
pour l’individu comme pour la société. Le crédit, que l’économie poli
tique bourgeoise ne peut expliquer autrement que comme une habile
institution destinée à « faciliter la circulation des marchandises »
Marx, dans le deuxième livre de son œuvre, montre, tout à fait en passant,
qu’il n’est qu’un simple mode d’existence du capital, un lien entre les
deux phases de la vie du capital : dans la production et sur le marché,
ainsi qu’entre les mouvements en apparence autonomes des divers capitaux.
.
En second lieu, il faut que dans la confusion des capitaux isolés soit
maintenu le cycle permanent de la production et de la consommation
de la société dans son ensemble, et cela de telle façon que demeurent
assurées les conditions de la production capitaliste : fabrication des
moyens de production, ravitaillement de la classe ouvrière, enrichisse
ment progressif de la classe capitaliste, c’est-à-dire accumulation, et
activité croissante du capital global de la société. La façon dont l’en
semble résulte des innombrables mouvements indépendants des capitaux
isolés, dont ce mouvement de l’ensemble est toujours ramené au juste
rapport par les variations continues tantôt dans la surabondance de la
haute conjoncture, tantôt dans l’effondrement de la crise, pour s’en
échapper à nouveau l’instant d’après, la façon dont ce qui n’est aujour-
d’hui qu’un moyen dans la société — sa propre subsistance et le progrès
économique — et ce qui est son but — l’accumulation continue des capi-
taux — découle de tout ce qui précède en prenant des proportions de
plus en plus formidables, tout cela, Marx ne l’a sans doute pas définiti-
vement résolu dans le deuxième livre de son œuvre, mais il l’a placé
pour la première fois depuis cent ans, depuis Adam Smith, sur les bases
sérieuses de la loi scientifique.
.
Mais la tâche épineuse du capitaliste n’est pas encore épuisée avec
tout ce que nous avons déjà vu. Une fois le profit transformé dans une
mesure croissante en or, et au cours même de cette transformation, une
grande question se pose en effet: celle du partage du butin. Des groupes
fort divers formulent leurs prétentions : à côté de l’industriel se
présentent le marchand, le bailleur de fonds, le propriétaire foncier
Tous ont permis à leur manière l’exploitation de l’ouvrier salarié et la
vente des marchandises produites par lui, et tous réclament maintenant
leur part au profit. Mais cette répartition est une tâche beaucoup plus
complexe qu’il ne peut paraître au premier abord. Car parmi les indus
triels, il existe également selon la nature de l’entreprise, de grandes
différences, dans le profit réalisé, tel qu’il est pour ainsi dire puise sur
le lieu de travail.
.
Dans telle branche de production, la fabrication de marchandises et
leur vente sont très rapidement expédiées et le capital revient, accru,
dans le temps le plus bref ; il permet d’aller bon train dans les affaires
et le profit. Dans les autres branches, le capital est solidement fixé
pendant des années dans la production et ne rapporte de profit qu’au
bout d’un temps fort long Dans certaines branches, le patron doit
investir la majeure partie de son capital dans des moyens de production
morts : bâtiment, machines coûteuses, etc., qui ne rapportent rien par
eux-mêmes, ne fournissent aucun profit, pour autant indispensables
qu’ils soient à l’obtention du profit. Dans d’autres branches encore,
avec un outillage très réduit, le patron peut employer la majeure partie
de son argent au recrutement d’ouvriers dont chacun est une poule
diligente qui pond pour lui des œufs d’or.
.
C’est ainsi qu’apparaissent dans l’obtention même du profit de grandes
différences entre le3 divers capitaux, différences qui constituent à la face
de la société bourgeoise une « injustice » beaucoup plus criante que le
«singulier» partage entre le capitaliste et l’ouvrier. Comment parvenir
ici à un équilibre, comment partager «équitablement» le butin, de telle
sorte que chaque capitaliste reçoive « son dû » ? De plus, tous ces
problèmes doivent être résolus sans aucune réglementation consciente
et systématique. La répartition est, en effet, aussi anarchique que la
production dans la société actuelle. C’est qu’il n’y a pas de « répartition »>
véritable dans le sens d’une quelconque mesure d’ordre social : il y a
exclusivement échange, circulation des marchandises, vente et achat.
.
Comment, dès lors, chaque catégorie d’exploiteurs et chaque exploiteur
pris isolément obtiennent-ils par le seul canal de l’échange aveugle des
marchandises une portion « équitable » — équitable du point de vue
de la domination capitaliste — des richesses tirées de la force de travail
du prolétariat ?
.
Dans son troisième livre, Marx répond à ces questions. De même que
dans le premier livre il a démembré la production au capital et révélé le
secret du profit, de même qu’il a dépeint dans le deuxième livre le
mouvement du capital entre la fabrique et le marché, entre la produc-
tion et la consommation de la société, de même il suit pas à pas
dans le troisième livre la répartition du profit. Et toujours en observant
les trois conditions fondamentales ; tout ce qui se passe dans la
société capitaliste n’est pas arbitaire mais répond à des lois déterminées,
agissant régulièrement, bien qu’absolument inconscientes pour les
intéressés ; en second lieu, les rapports sociaux ne reposent pas sur des
mesures violentes de vol et de brigandage ; et, enfin, aucune sagesse
sociale n’apparaît pour agir systématiquement sur l’ensemble. C’est
uniquement à partir du mécanisme de l’échange, c’est-à-dire de la loi
de la valeur et de la plus-value qui en découle, que Marx développe
progressivement, avec une clarté et avec une logique pénétrantes tous
les phénomènes et rapports de l’économie capitaliste.
.
Si l’on considère l’œuvre dans son ensemble, on peut dire : Le pre-
mier livre, avec ses développements sur la loi de la valeur, le salaire et
la plus-value, met à nu, les bases de la société actuelle ; le deuxième et
le troisième livres montrent les étages de l’édifice construit sur ces fon
dations. On pourrait encore dire, en se servant d’une tout autre image:
le premier livre nous montre le cœur de l’organisme social ; où est pro
duit le sang vivifiant ; le deuxième et le troisième montrent la circula
tion du sang et la nutrition de l’ensemble jusque dans les dernières
cellules de la peau.
.
En ce qui concerne le contenu, nous nous mouvons, dans les deux
derniers livres, sur un plan tout différent du premier. Dans celui-ci
nous découvrions la source de l’enrichissement capitaliste à la fabrique^
dans les profondes assises sociales du travail. Dans les deuxième et troi-
sième livres,nous sommes à la surface, sur la scène officielle de la société.
Magasins, banques, Bourses, affaires financières, « agrariens nécessiteux»
et leurs soucis occupent ici le premier plan. L’ouvrier n’entre plus
en ligne de compte. Dans la réalité, il ne s’occupe d’ailleurs pas de ces
choses, qui se passent derrière son dos, alors qu’il a déjà été écorché.
.
Et dans la cohue bruyante de la foule affairée, nous ne rencontrons
en fait les ouvriers qu’à l’aube, quand ils gagnent en troupes les usines,
etau crépuscule, lorsque leurs ateliers les rejettent à nouveau en longues
théories.
.
On peut, à cet égard, ne pas apercevoir l’intérêt que peuvent présenter
pour les ouvriers les divers^ soucis privés des capitalistes dans la course
au profit et leurs querelles pour le partage du butin. Mais, en fait, les
deuxième et troisième livres du Capital contribuent autant que le pre
mier à la connaissance définitive du mécanisme social contemporain. Il
est vrai qu’ils ne revêtent pas pour le mouvement ouvrier moderne l’im-
portance historique, décisive et fondamentale, du premier. Mais ils
contiennent une foule de considérations qui sont également d’une
valeur inestimable pour l’armement spirituel du prolétariat en vue de
Ja lutte pratique. En voici deux exemples seulement.
.
Dans le deuxième livre, en traitant de la façon dont la nutrition régu-
lière de la société peut résulter de l’action chaotique des capitaux isolés
Marx en vient naturellement à parler des crises. On ne peut s’attendre
ici à une étude systématique et magistrale des crises, mais seulement à
des remarques incidentes. Cependant, l’utilisation de ces remarques serait
d’un gran d profit pour les ouvriers éclairés et pensants. C’est un argu-
ment qui a pris droit de cité dans l’agitation social-démocrate, ‘et
notamment syndicale, que les crises résultent avant tout de l’étroitesse
de vues des capitalistes : ces derniers ne veulent malheureusement pas
comprendre que les masses de leurs ouvriers sont leurs principaux
clients et qu’il suffirait seulement de leur payer des salaires plus élevés
pour conserver une clientèle solvable et conjurer le danger de-
crise.
.
Si populaire qu’elle soit, cette conception des choses n’en est pas moins
diamétralement contraire à la réalité et Marx la réfute dans les termes
suivants :
.
C’est une pure tautologie de dire que les crises découlent du défaut
de consommation payante ou de consommateurs capables de payer.
Le système capitaliste ignore le consommateur autrement que payant,
sauf sous la forme de la charité ou de la « grivèlerie ».. Le fait
que des marchandises soient invendables signifie tout simplement
qu’il ne s’est pas trouvé pour elles d’acheteurs capables de payer,
donc de consommateurs. Mais si l’on veut donner à cette tautologie
Un semblant de preuve plus profonde en disant que la classe ouvrière
ne reçoit qu’une partie trop faible de son propre produit et que le mal
serait conjuré du moment qu’elle en recevrait une partie plus
grande, du moment donc que son salaire augmenterait, il suffit alors
de remarquer que les crises sont toujours précédées par une période
où le salaire augmente d’une façon générale, où la classe ouvrière
reçoit une part relativement plus grande du produit annuel destiné
à la consommation. Du point de vue de ces chevaliers du sain et
« simple » bon sens, cette période devrait, au contraire éloigner la
crise. Il semble donc que la production capitaliste implique des
conditions—indépendantes de la bonne ou de la mauvaise volonté — qui
ne permettent que momentanément cette prospérité relative de la
classe ouvrière, et toujours comme signe avant-coureur d’une crise *.
.
En fait, les explications du deuxième livre comme du troisième don-
nent une vue profonde de la nature des crises; celles-ci apparaissent tout
simplement comme des conséquences inévitables du mouvement du
capital, un mouvement qui, dans son élan impétueux vers l’accumula
tion, vers l’accroissement, franchit toutes les barrières de la consom
mation, même si cette consommation est étendue autant qu’on veut
par l’augmentation du pouvoir d’achat d’une catégorie sociale ou par la
conquête de débouchés tout à fait nouveaux. Il faut donc aussi aban-
donner l’idée de l’harmonie des intérêts entre le Capital et le Travail,
méconnue seulement par la myopie du patronat, idée qui se dessine au
fond de cette agitation syndicale populaire ; il faut aussi renoncer à
tout espoir d’un raccommodage susceptible d’amoindrir l’anarchie capi –
taliste. La lutte pour l’élévation matérielle du prolétaire salarié possède
dans son arsenal spirituel mille armes par trop acérées pour avoir besoin
de cet argument théoriquement sans valeur et pratiquement douteux.
_
Autre exemple. Dans le troisième livre, Marx donne, pour la première
fois, une explication scientifique d’un fait que l’économie politique
considère bouche bée depuis qu’elle existe : dans toutes les branches de
production, et bien qu’investie dans les conditions les plus diffé-
rentes, les capitaux ont coutume de produire le profit dit «courant»
A première vue, ce phénomène semble contredire une explication
donnée par Marx lui-même, à savoir l’explication de la richesse capita-
liste uniquement par le travail non payé du prolétariat salarié. Com-
ment. en fait, le capitaliste obligé d’investir des parties relativement
considérables de son capital dans des moyens de production morts peut-
il obtenir le même profit que son collègue, qui n’a que peu de dépenses
de cet ordre et qui peut, par conséquent, employer une quantité plus
grande de travail vivant ?
.
Or, Marx résout l’énigme avec une simplicité surprenante en mon-
trant comment les différences de profits s’équilibrent par la vente d’une
marchandise au-dessus de sa valeur, par la vente de l’autre au-dessous,
et comment se réalise de la sorte un « profit moyen «identique pour
toutes les branches de la production. Sans s’en douter, sans aucun
accord délibéré entre eux, les capitalistes procèdent dans l’échange de
leurs marchandises de telle sorte que chacun d’eux apporte au tas
commun la plus-value tirée de ses ouvriers et que tous ensemble se
partagent fraternellement cette moisson générale de l’exploitation,
donnant à chacun selon l’importance de son capital. Le capitaliste
individuel ne bénéficie donc pas du profit obtenu personnellement par
lui, mais seulement d’une partie — celle qui lui revient — des profits
réalisés par tous ses compagnons.
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Dans la mesure où il s’agit du profit, les divers capitalistes se
comportent ici comme de simples actionnaires d’une société anonyme
où les parts au profit sont uniformément distribuées en pourcent et ne
diffèrent par conséquent pour les divers capitalistes que selon la
grandeur du capital place par chacun d’eux dans l’entreprise com
mune, après sa participation relative à l’entreprise globale.
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Combien cette loi en apparence tout à fait sèche des « taux de profit
moyens » nous permet de pénétrer profondément dans la solide base
matérielle de la solidarité de classe des capitalistes qui, frères ennemis
dans l’agitation quotidienne, n’en constituent pas moins contre la
classe ouvrière une franc-maçonnerie hautement et personnellement
intéressée à son exploitation globale! Sans que les capitalistes se ren-
dent naturellement compte de ces lois objectives, leur instinct infaillible
de classe dominante révèle une perception de leurs propres intérêts de
classe et de leur antagonisme à l’égard du prolétariat, instinct qui
s’affirme malheureusement beaucoup plus sûrement à travers tous les
orages de l’histoire que la conscience de classe des ouvriers, éclairée
et fondée justement par les œuvres de Marx et d’Engels.
Puissent ces deux brèves illustrations, prises au hasard, donner une
idée des trésors intacts qui s’offrent encore au prolétariat éclairé
dans les deux derniers livres du Capital, trésors de stimulation à la
recherche et à l’étude, qui attendent encore un exposé populaire. Ina-
chevés, tels qu’ils sont, ils offrent quelque chose d’infiniment plus pré
cieux que toute vérité achevée : l’incitation à la pensée, à la critique et à
l’autocritique, qui constitue l’élément le plus original de la doctrine
laissée par Marx.
Rosa LUXEMBOURG.
Franz Mehring
(1849-1919)Socialiste allemand. D’abord journaliste libéral, il rejoint le SPD lors des persécutions antisocialistes. Longtemps éditorialiste de sa revue théorique Die Neue Zeit.
Lié à R. Luxemburg, il rompt en même temps qu’elle avec Kautsky et est un spartakiste de la première heure. Dès 1917, il est au coté des bolchéviks. Malade, il est très atteint par l’assassinat de K. Liebknecht et R. Luxemburg ; il meurt quelques jours après eux.
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1. Dans sa préface de mars 1918: Franz Mehring écrit: « Afin de donner, dans
les limites étroites de mon exposé un tableau tout à fait clair des livres II et
III du Capital, j’ai demandé l’aide de mon amie Rosa Luxembourg. Les lecteurs
la remercieront, autant que moi-même, d’avoir répondu si volontiers à mes
désirs ; la troisième section du douzième chapitre a été écrite par elle. Je suis
heureux d’incorporer à cet ouvrage ce joyau dû à sa plume. » (N. R.)
Me trompé-je ? ce ne serait pas surprenant. J’ai l’impression que Marx ne saute pas au plafond, lorsqu’on parle de productivité, de marchandises qu’il faut écouler… pour moi fils de paysan, c’est comme faire passer la charrue avant les bœufs. Pour vivre, des denrées alimentaires, des outils, des vêtements…. sont nécessaires. Le cas de l’agriculture est un peu particulier, car souvent il faut semer à l’automne, et les fruits de ces semailles ne se révèleront que 7 à 8 mois plus tard, avec des résultats aléatoires, qui peuvent aller d’exceptionnels à catastrophiques. Un orage au mauvais moment peut tout détruire. Ce qui oblige — il faut bien manger! — à prévoir des stocks, qui serviront, ou se révèleront superflus ensuite.
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Pour les outils, les vêtements, les logements même, mise à part une petite réserve de pièces de rechange, il n’est pas nécessaire de fabriquer AVANT des besoins futurs qui viendront, ou pas. Cela change tout, le sol et le sous-sol sont bien moins accaparés, le besoin d’énergie également. Dans ce cas de figure bien entendu, le capitalisme n’a plus sa place : tout au plus, pour des fabrications compliquées, aura-t-on besoin de coopératives. Même l’État n’est plus nécessaire, son rôle le plus souvent étant de légiférer à perdre haleine, et de façon non souhaitable.
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Je mets à part certaines industries actuelles qui, à part le fait de mettre en œuvre des extractions difficiles, dangereuses, ultra-polluantes, et utilisant souvent en masse des enfants pour main-d’œuvre particulièrement à dénoncer, sont des sources de profits colossaux, et n’ont comme utilité que d’inciter un maximum de « consommateurs » à être esclaves de moyens électronumériques divers. Ceci devrait BIEN ENTENDU être tout simplement banni.
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Peut-être, s’il avait eu le temps et la santé, Karl Marx se serait-il penché sur ces aspects-là. On peut comparer avec son compatriote Landauer, qui tira des mêmes données dans le même pays des conclusions fort différentes : il faut dire que le premier se basa sur des populations différentes : les troupeaux d’ouvriers face aux requins de la finance comme il avait pu apprécier de les voir en Angleterre, contre une simple population de « petits » commerçants, artisans, paysans…. qui avaient en général gardé une certaine liberté et une certaine fraîcheur de contacts humains, et qui pour Marx étaient quantité négligeable.
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Complètement autodidacte, en-dehors d’un seul « stage syndical » à la fin des années 1970, j’avoue m’avancer sur la pointe des pieds ; cependant mon impression que »ceux qui causent » dans les journaux, dans le poste ou ailleurs, syndicalistes, économistes, n’ont peut-être pas raison. Un seul me semble plus crédible, mais lui est ethnologue, et se penche sur des aspects différents : Emmanuel Todd.
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Que conclure ? Quelqu’un sera-t-il en mesure de me répondre ?
@ Jean Claude Cousin, les dits »Artisans, Commerçants, Paysans » sont historiquement et matériellement et par nature ceux qui sont destinés a devenir les possédants et les capitalistes exploiteurs… et sont en effet ceux qui le soient devenu pour migrer de leur status a celui d’industriels, de financiers, de promoteurs immobiliers et que sait-je encore ! Ceci est expliqué par Marx lorsqu’il aborde l’économie primitive et l’économie féodale. Bien entendu, ce ne sont pas tous qui y arrivent, mais la quasi majorité des capitalistes exploiteurs pur jus n’ont été que »Artisans, Commerçants, Paysans » ou leur parents, et dans le pire des cas, lorsqu’ils n’y arrivent pas se transforment en »bourgeois » lambda, petits possesseurs confortables qui se moquent du monde et méprisent ceux ceux d’entre eux qui soient devenu capitalistes car eux n’y sont pas parvenu ! Il faut donc lire ou comprendre ces idées développées par Marx dans le bon contexte..celui de la réalité qui dit que 99% des humains ne possèdent rien sauf leur force de travail a vendre que ce soit chez un industriel, un paysan agriculteur, un commerçant ou un Artisan ! car ceci est le véritable contexte du capitalisme mondial qu’on vit tous depuis le début de la révolution industrielle a ce jour, même si le capitalisme d’aujourd’hui est a des années lumière de l’époque de Marx, car aujourd’hui hélas, le drame du capitalisme a institué et imposé ses règles a 8 milliards d’individus sur terre, leur faisant croire qu’ils n’ont aucun droit sur les richesses que la terre produit, et que la richesse appartient a un seul clan auquel il faut se soumettre et se mettre a sa disposition pour l’enrichir encore plus, et demeurer pauvre toute sa vie ! Encore pire aujourd’hui, le capitalisme interdit l’accès a la propriété a un travailleur, ou un couple de travailleurs de la base, car pour posséder son toit et ne pas louer toute la vie, il faut aujourd’hui faire partie des cadres bien formés et expérimentés qui se mettent au service du capital pour mieux faire fonctionner ses mécanismes d’exploitation des travailleurs de la base, et il faut être deux cadres pour pouvoir se payer une maison ! Marx n’a pas vécu assez longtemps il est vrai pour voir que se idées et les idées socialistes ont provoqué au fond un siècle et 20 ans de guerres meurtrières qui continuent a ce jour, et même le colonialisme n’a pu voir le jour et prendre de l’expansion que pour ces mêmes raisons, et pour nulle autre raison que celle de servir les intérêts des classes possédantes et celles qui détiennent et accumulent les capitaux, l’or et l’argent ! Quant a Emmanuel Todd, cet intello de salon et écrivaillon a profit est très très loin de susciter l’intérêt d’un esprit fécond de la trempe de Marx qui s’Interresse a l’économie politique et la décortique d’un point de vie autant historique, que philosophique que politique et économique ! ……j’espère avoir répondu a ta question, poliment et brièvement.
@ Oeil de Faucon
Merci pour cette perle encore, et encore mieux les explications et commentaires de Rosa Luxembourg en seconde partie ! Cette femme était d’une intelligence, pertinence, honnêteté intellectuelle et sens critique rarement lu ou rencontré ! Assassinée lâchement, elle est a l’image de celles et ceux qui paient a ce jour de leur vie leur opposition au racket et a la pègre en col blanc qui a pris en otage 8 milliards d’individus sur terre, et se sont accaparé par la force brute et celle de pratiques mafieuses les ressources et les richesses de notre planète et se sont efforcé depuis toujours de tenter de légitimer tout ceci a travers des lois et des systèmes de non droit maquillé par les états mafieux d’aujourd’hui !
Pour l’anecdote, je vous donne l’exemple ici de communauté trop dégoûtées par le capitalisme, se sont retourné vers des extrêmes dont le traffic de drogue et souvent se retrouvent forcés de s’y retrouver ! il existe au Maroc deux petites régions qui vivent partiellement de traffic de hashish ou de drogue, Au nord du pays les gens du Rif qui le produisent et ne s’enrichissent que rarement de leur production, car ce sont les intermédiaires Marocains, Européens et autres flics et réseaux d’autorités qui en profitent…et s’enrichissent, par contre, beaucoup plus au Sud dans les plaines de la Chaouia, des plaines arides et sèches souffrant de sécheresse depuis des lustres et surtout de misère totale, et de marginalisation totale de l’état, les enfants de la région ont commencé a se rendre dans les années 70 et 80 en Espagne et en Italie pour y travailleur comme petit manœuvres agricoles exploités a souhait a ce jour, et si beaucoup d’entre eux n’ont pu y survivre ou l’endurer se sont tourné vers le commerce de voitures ou d’habits qu’il rapportent d’Espagne, et d’Italie et revendent dans leurs patelin, une toute petite catégorie d’entre eux a commencé a travailler très tôt pour les clans mafieux du traffic de hashish et stupéfiants locaux, et après 25 ans a s’amasser des fortunes en servant de mules de transporteurs, de coursiers et de petits bra pour le cartels, ils cumulent aussi quelques années de prison dans ces pays européens, sans être violents ou associés aux crimes violents de la drogue, ils sont souvent pris comme boucs-émissaires, et font des peines de six mois a 1 ou 2 ans max, puis sont relâché et aussitôt réhabilité par leur patrons qui leur renouvellent les papiers, car jamais extradés au vu de la connivence de la justice et les flics Espagnols et Italiens avec la Mafia, bref, a tel point que n’importe qui de cette région vous dira qu’ils font des allers-retours au bled tous les deux mois, avec des 30 ou 50 ou 100 mille euros de cash sur eux a chaque fois, et lorsqu’ils disparaissent et ne reviennent pas, ils purgent des peines de six mois ou 1 ans pour réapparaitre en bonne santé et encore plus riches qu’avant ! Bref, l’un deux sur Youtube raconte tout cette histoire en détail et que s’il avait bossé toute sa vie comme salarié agricole en Espagne ou en Italie comme il y’en a des dizaine de milliers…et comme seule perspective qui s’offrait a lui qui s’apparente a de l’esclavage car ils sont souvent logé a 10 dans des baraquements de fortune qu’ils louent en plus sous des tôles sur les mêmes terre ou il y a du travail, il aurait fini en légume, ou en victime des Capos des terres agricoles qui les traitent comme du bétail, la police aussi et aucun droit de travailleur ne leur est acquis, même pas le salaire minimum car triment souvent pour 500 euros par mois a ce jours… y a qu’a voir les femmes des campagnes marocaine qui se rendent chaque année en Espagne a ce jour sur contrat dans les serres de fraises, pour travailler dans des conditions atroces, penchées ou a quatre pattes toute la journée pour des salaires en dessous du smic espagnol approuvé par contrats de l’État Espagnol ! d’où leur est venu l’idée aux mecs de se faire recruter jeunes comme transporteurs et mules pour les gros trafiquants de drogue qui paient bien, et leur demandent d’assumer les conséquences s’ils se font arrêter et emprisonner mais en contrepartie, leur assurent la protection en prison, en plus de l’immunité vis a vis de leurs titres de séjour, et le droit de garder leurs résidence et pouvoir la renouveler chaque année sans problème ! donc lorsqu’ils se marient ils le font au bled, gardent leur femmes au bled, et ne vont en Espagne et en Italie que pour »bosser » sur des mandats précis et courts en espérant ne pas se faire chopper lors de leurs »missions » de convoiement de la drogue ! Ainsi, dans leur coin ils ont pu sortir de la merde et la misère totale et indescriptible des familles par milliers ! et le type, d’ajouter, »Aujourd’hui, après 30 ans de carrière dans cette filière parsemée de séjours réguliers en prison, cela fait 10 ans que j’ai arrêté, j’ai bâti mon capital….regardez mes camions qui distribuent la bouffe animale aux fermes de tout le pays, et gratuitement aux pauvres , j’ai sorti mes parents et ma fratrie de la misère, mes enfants sont lauréats ou inscrits dans les meilleures universités, ma fille ainée est docteur en droit et approuve la carrière de son père, et si je ne m’étais pas révolté contre le système pourri du bled, et ceux de l’Europe, je serais encore aujourd’hui moins qu’un insecte, un microbe, ou alors morts dans des conditions atroces et mes parents aussi »! fin de citation….!
il est clair donc que c’est pas tout le monde qui accepte l’humiliation et l’exploitation sans limite et sans le moindre profit, et cette histoire de petits trafiquants, résume a elle seule ce a quoi on a poussé des populations entières par la cause du capitalisme sauvage et terrible qui s’applique chez nous et vous savez quoi ! j’approuve totalement leur démarche et leur révolte car autrement comme a dit le gars ils auraient péri avec leurs parents dans des conditions atroces comme périssent encore aujourd’hui d’ailleurs des dizaines de milliers de citoyens Marocains dans le Maroc profond et »inutile » et qui n’ont souvent même pas accès a l’Eau potable ! il faut savoir que le secteur informel dans l’économie Marocaine a constitué pratiquement l’ossature de l’économie pendant des décennies et sans elle, le peuple aurait tout simplement crevé de faim…. sauf qu’aujourd’hui c’est rendu pire, on a fermé les frontières des présides Espagnols de Ceuta et Melilla sauf aux voyageurs et interdit la contrebande de marchandises qui y a prospéré pendant des décennies, créant un choc violent chez la population car n’ayant rien prévu pour les embaucher sur place, sauf quelques rares jobs sous le seuil du Smic Marocain qui est de 300 Euros, donc personne n’est embauché au smic lorsqu’il trouve du boulot, mais plutôt a un alaire qui oscille encore entre 150 et 200 euros par mois, surtout le femmes dans les usines ou les manufactures de textile clandestine, comme l’une a Tanger prenant place dans la cave d’une petite villa, il a fallu qu’il pleuve des trombes un matin pour qu’une vingtaine de femmes meurent noyées (26 au total de jeunes femmes) dans leur cave car enfermées et ne sachant pas que la cave en question était inondable, et celles qui n’ont pas crevé noyées, ont été électrocutées par l’eau qui a atteint les disjoncteurs ! ce drame comme tant d’autres similaires (Usines de mousses de matelas clandestines qui brulent et tuent une centaine d’employées bloquées dedans c’est arrivé a Casablanca en plein jour il y a a peine quelques années aussi, elles touchaient 130 euros par mois) ! bref…. Autant vendre la drogue ou les organes humains de cette fichue société qui les exploite de cette façon que de vivre et crever ainsi !
Merci encore pour le billet ! Rosa Luxembourg avait raison, Marx n’a fait que définir la direction de toute la réflexion intellectuelle et scientifique qui reste a faire encore !