PARTENARIAT STRATÉGIQUE ENTRE LA CHINE ET LA RUSSIE – LA GUERRE SE PORTE DANS LE PACIFIQUE

Par M.K. Bhadrakumar – Le 11 juin 2023 – Source Indian Punchline

Cet article est disponible en anglais, italien et espagnole ici :
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La dynamique du pouvoir en Asie du Nord-Est subit un changement radical à cause du partenariat stratégique “sans limites” entre la Chine et la Russie. La défaite de l’Ukraine dans la guerre avec la Russie pourrait contraindre l’administration Biden à poser des “bottes sur le terrain“, ce qui déclencherait une confrontation mondiale. De même, les relations entre les États-Unis et la Chine sont au plus bas depuis leur normalisation dans les années 1970, tandis que la question de Taïwan pourrait potentiellement se transformer en casus belli de guerre. Il est certain que le théâtre de l’Asie du Nord-Est sera une arène cruciale dans la confrontation des grandes puissances qui se prépare.   

Symptomatique des tensions en cascade, le ministère russe des affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur du Japon vendredi et une protestation a été déposée dans un langage extraordinairement dur, lorsqu’il est apparu que les 100 véhicules que Tokyo a innocemment promis la semaine dernière à l’Ukraine seraient en réalité des véhicules blindés et des véhicules tout-terrain. Apparemment Tokyo dissimulait puisque les règles d’exportation du Japon interdisent à ses entreprises de vendre des articles létaux à l’étranger !

 

Tokyo franchit une “ligne rouge” et Moscou ne s’en amuse pas. Le communiqué du ministère des affaires étrangères de vendredi “souligne que l’administration du Premier ministre Fumio Kishida devrait être prête à partager la responsabilité de la mort de civils, y compris dans les régions frontalières de la Russie… (et) enfonce encore plus les relations bilatérales dans une impasse dangereuse. De telles actions ne peuvent rester sans conséquences graves“.

Vendredi, lors d’une vidéoconférence entre le général Liu Zhenli, chef d’état-major du département interarmées de la Commission militaire centrale chinoise et le chef d’état-major général des forces armées russes et premier vice-ministre de la défense, le général Valery Gerasimov, ils se sont dit confiant dans l’expansion de la coopération militaire entre les deux pays et le général chinois a noté que “la coordination entre la Russie et la République populaire de Chine sur la scène internationale a un effet stabilisateur sur la situation mondiale“.

Les médias chinois ont ensuite rapporté que les deux généraux avaient convenu que la Russie participerait (pour la deuxième fois) à l’exercice Northern/Interaction-2023 organisé par la Chine, signalant un nouveau cadre d’exercices stratégiques conjoints Chine-Russie, parallèlement à la patrouille aérienne conjointe au-dessus de la mer du Japon et de la mer de Chine orientale par leurs bombardiers stratégiques. D’ailleurs, la sixième patrouille aérienne conjointe de ce type a eu lieu mardi, depuis le début de la pratique en 2019.

Le tableau d’ensemble est que le changement de politique du Japon au cours de l’année écoulée – alignement étroit sur les États-Unis concernant l’Ukraine ; copie des sanctions de l’Occident contre la Russie ; fourniture d’armes létales à l’Ukraine, etc. a sérieusement endommagé la relation russo-japonaise. En outre, la remilitarisation du Japon avec le soutien des États-Unis et ses liens croissants avec l’OTAN (qui se rapproche de l’Asie-Pacifique) font de Tokyo un adversaire commun de Moscou et de Pékin.

L’impératif de repousser ce client américain résurgent est fortement ressenti à Moscou et à Pékin, ce qui a également une dimension mondiale puisque la Russie et la Chine sont convaincues que le Japon agit comme un substitut de la domination américaine en Asie et qu’il sert les intérêts occidentaux. De son côté, Washington encourage désormais activement le Japon à s’affirmer comme une puissance régionale en abandonnant les limites constitutionnelles jugulant son réarmement. Washington se réjouit que le Japon ait promis une augmentation à long terme de plus de 60 % de ses dépenses de défense.

Ce qui inquiète Moscou et Pékin, c’est également la montée d’éléments revanchards – vestiges de l’ère impériale du Japon – aux plus hauts échelons du pouvoir au cours de la période récente. Bien entendu, le Japon continue de nier les atrocités qu’il a commises pendant la période de colonisation brutale de la Chine et de la Corée, ainsi que les crimes de guerre horribles perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette tendance présente des similitudes frappantes avec ce qui se passe en Allemagne, où les éléments pro-nazis récupèrent également du prestige et un nom. Curieusement, un axe germano-japonais est présent au cœur des stratégies de Washington contre la Russie et la Chine en Eurasie et en Asie du Nord-Est.

La Bundeswehr allemande étend ses exercices de combat dans les océans Indien et Pacifique et déploiera davantage d’unités navales et aériennes dans la région Asie-Pacifique l’année prochaine. Un récent rapport allemand note que “l’intensification de la participation allemande aux manœuvres régionales en Asie-Pacifique a lieu à un moment où les États-Unis effectuent des manœuvres record en Asie du Sud-Est, dans leurs tentatives d’intensifier leur contrôle sur la région et d’évincer, autant que possible, la Chine “.

Les motivations du Japon sont faciles à comprendre. Outre le revanchisme japonais qui alimente les sentiments nationalistes, Tokyo est convaincu qu’un règlement avec la Russie sur les îles Kouriles n’est pas envisageable aujourd’hui, voire jamais, ce qui signifie qu’un traité de paix ne sera pas possible pour mettre fin officiellement aux hostilités de la Seconde Guerre mondiale. Deuxièmement, le Japon ne considère plus la Russie comme un “élément équilibrant” dans sa relation troublée avec la Chine.

Troisièmement, et c’est le plus important, le Japon considère la montée en puissance de la Chine comme une menace politique et économique et se militarise rapidement, ce qui crée sa propre dynamique en termes de renforcement de sa position de puissance en Asie et d’intégration à l’Occident (“globalisation”). Inévitablement, cela se traduit par la promotion de l’OTAN dans la dynamique des puissances asiatiques, ce qui touche profondément les stratégies de sécurité et de défense nationales de la Russie. Par conséquent, les espoirs que les stratèges de Moscou avaient nourris dans le passé de voir le Japon se détacher de l’orbite américaine et d’être encouragé à exercer son autonomie stratégique se sont évaporés.

Il est permis de penser que, dans son empressement à intégrer le Japon dans le “collectif occidental” dirigé par les États-Unis, le Premier ministre Kishida est allé trop loin. Il se comporte comme s’il était obligé d’être plus royaliste que le roi. Ainsi, le jour même où le président Xi Jinping s’est rendu à Moscou en mars, Kishida a atterri à Kiev, d’où il s’est rendu pour assister à un sommet de l’OTAN et a ouvertement commencé à faire pression pour l’établissement d’un bureau de l’OTAN à Tokyo.

Il a ensuite accueilli le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, à Tokyo et lui a donné une tribune pour réprimander publiquement la Chine depuis sa porte. Il n’y a pas d’explication simple à ce comportement excessif. S’agit-il uniquement d’un comportement impétueux ou d’une stratégie calculée visant à légitimer l’ascension des éléments revanchards que Kishida représente au sein de la structure du pouvoir japonais ?

Il est certain que l’Asie du Nord-Est est aujourd’hui une priorité pour la Chine et la Russie, étant donné le chevauchement de leurs intérêts dans la région. L’expansion de l’OTAN en Asie et la forte augmentation de la projection de forces américaines font comprendre aux stratèges de la défense de Pékin et de Moscou que la mer du Japon est une “arrière-cour commune” pour les deux pays, où leur partenariat stratégique “sans limites” devrait être optimal. Les commentateurs chinois ne minimisent plus le fait que les liens militaires russo-chinois “servent de contrepoids puissant aux actions hégémoniques des États-Unis“.

Il est tout à fait concevable que, dans un avenir proche, la Chine et la Russie commencent à considérer la Corée du Nord comme un protagoniste de leur alignement régional. Elles pourraient ne plus se sentir obligées de respecter les sanctions imposées par les États-Unis à la Corée du Nord. En effet, si cela devait se produire, une multitude de possibilités se présenteraient. Les liens militaires russo-iraniens ont créé un précédent.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

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