Vie, mort et résurrection de la politique keynésienne
En période de crise économique systémique la gauche est déchirée entre sa volonté d’alléger temporairement le fardeau de la crise écrasant les épaules du prolétariat international et son désir abstrait de mettre fin une fois pour toute au paradoxe capitaliste. Lors de la Grande dépression capitaliste de 1929, l’économiste bourgeois J. Meynard Keynes a préconisé une politique économique totalitaire de type fasciste (de soi-disant « plein emploi ») afin de reconstituer les marchés des trusts et des cartels monopolistes qui menaçaient de s’effondrer. Les politiques capitalistes keynésiennes ont permi de reconstituer aux États-Unis une armée d’esclaves salariés que la Seconde Guerre mondiale transforma en chair à canon pour la défense des puissances impérialistes occidentales. Voilà grosso modo les bienfaits des politiques capitalistes keynésiennes que nous présente Brigitte Bouzonnie. Immanquablement , les remèdes économiques des années Trente donneront les mêmes résultats en 2023.
Ce texte est disponible en anglais, en italien et en espagnole ici :
Articles du 23 juin[32187]
Par Brigitte Bouzonnie.
Vie, mort et résurrection de la politique keynésienne. Voilà comment on peut résumer 90 ans de keynésianisme : 1933-2023. D’abord la success story incontestée du New deal (1934-1945). Puis, à compter des années quatre-vingts, la mise au rancart féroce et discutable de toute politique keynésienne. Et enfin, depuis ces dernières années, on assiste au grand retour d’un état keynésien, d’abord en Chine, puis aux Etats-Unis, pourtant chantre du libéralisme.
On rappelle le mécanisme du multiplicateur de Keynes : au départ, les pouvoirs publics injectent dans l’économie une somme importante : 100 milliards d’euros par exemple. Cette somme permet d’effectuer de grands travaux publics. Embaucher massivement de la main d’oeuvre, c’est à dire recruter en CDI un million de salariés jusque là au chômage. A leur tour les salariés consomment leur salaire : nourriture, logement, vêtements, transport, tourisme, livres, ordinateurs, culture….L’addition des salaires de 1 million de salariés recrée une demande intérieure, qui assure prospérité sociale (chômage au plus bas) et économique : toutes les entreprises de l’hexagone bénéficient de cette manne financière nouvelle, que sont les nouveaux salaires des ex-chômeurs. De son côté, l’Etat bénéficie de nouvelles rentrées fiscales directes ou indirectes.
C’est ce qu’on appelle le multiplicateur de Keynes : si on injecte +100 dans l’économie, on obtient in fine +1000, car la relance bénéficie à tous les acteurs privés et publics de cette économie.
1°)- Le succès de la politique du New Deal :
La politique de relance keynésienne (New Deal) est utilisée pour la première fois aux Etats-Unis avec le Président F-D Roosevelt avec J-M Keynes comme conseiller économique. La crise de 1929 génère 15 millions de chômeurs et pauvres états-uniens. On les voit marcher tristement sur la route sans but. Sans activité. Comme explique l’historien André Kaspi dans sa biographie de Roosevelt, aux éditions Fayard, Roosevelt est élu en 1934 avec la vague promesse : il va “faire quelque chose”(sic) sur l’emploi. Rien de plus. Roosevelt multiplie les plans de relance, souvent de véritables usines à gaz. Dans un premier temps, rien ne se passe. Il faut attendre 1936, pour voir le niveau du chômage commencer à diminuer timidement. Roosevelt persévère, continuant de mener une politique keynésienne multiforme, notamment les grands travaux d’aménagement dans le Tennessee, de nature à créer des centaines de milliers d’emploi pour les américains au chômage. Mais aussi et c’est moins connu des contrats aidés dans le secteur associatif. La seconde guerre mondiale fonctionne à son tour comme un plan keynésien de relance de l’industrie de l’armement, notamment avec la construction par l’économie américaine du célèbre T34 pour l’URSS.
A la fin de la guerre, la prospérité sociale et économique est revenue. Les 15 millions de chômeurs ont trouvé un emploi. Les entreprises sont prospères. L’Etat a des rentrées fiscales imprévues. Le plan keynésien de relance a fonctionné au delà de tout espoir.
A partir de ce moment là, la politique keynésienne, l’état keynésien redistributeur s’impose comme outils privilégiés des politiques publiques économiques. Ils sont utilisés par tous les pays européens, surtout si l’économie est en panne. Souffre de sous-emploi. Pendant plus de quarante ans, le keynésianisme est enseigné à l’université comme la meilleure politique économique possible. On citera notamment les livres de Galbraith.
Comment expliquer le succès remporté par la politique keynésienne ?
Parce que cet outil est inséparable de la lutte contre la pauvreté, considérée alors comme la priorité du champ politique. Comme explique très bien Pierre Bourdieu : entre 1945 et 1981, le champ politique est structuré autour de l’opposition riche/pauvre (cf son ouvrage : “Réflexions sur le champ politique”, édition Presses universitaires de Lyon, 1998). Résultat : tous les hommes politiques de premier plan font de l’augmentation des salaires, la lutte contre le chômage et la pauvreté, leur préoccupation numéro une.
Cela concerne bien sûr les communistes Maurice Thorez et Waldeck-Rochet. Mais aussi le radical Pierre Mendès-France, le centriste J-E. Jeanneney, sans oublier bien sûr l’Abbé Pierre, ex-député MRP. Et Georges Pompidou, que l’annonce de 400 000 chômeurs en 1967 empêche de dormir.
Naturellement chacun a sa réponse, chacun voit midi à sa porte. Mais sur le principe de parler d’abord de la nécessité de tirer par le haut les plus faibles, tout le monde est parfaitement d’accord.
Mais la donne change à compter des années quatre-vingts. Comme explique Pierre Bourdieu : “avec l’arrivée de Jean-Marie Le Pen dans les médias, -autorisée personnellement par mitterrand en 1985-, le clivage structurant la vie politique riche/pauvre disparait au profit d’un nouveau clivage français/étranger (cf Réflexions sur le champ politique, op cit). Puis du clivage homme/femme. Pro écologistes et anti écologistes. Pro LGBT et anti LGBT….
Le primat de la question sociale est remplacée par le primat des questions sociétales.
Dans ces nouvelles priorités, les hommes politiques abandonnent tout discours sur la pauvreté, férocement mise au rancart de l’impensé et du refoulé. L’état keynésien devient donc à son tour un instrument inutile. Bon à la casse.
2°)-Dans les années 80, la mise à mort du keynésianisme par les libéraux :
En effet, le tournant libéral des années quatre-vingt rebat totalement les cartes dans les têtes et dans les priorités des politiques économiques.
Le capitalisme libéral mondialisé impose le primat de la politique de rigueur à vie. Un déficit ne devant pas excéder 3% du PIB, une pure invention de coin de table imaginée par Guy Abeille, administrateur de l’INSEE, sur demande expresse de Mitterrand.
Le nouveau capitalisme financier mondialisé impose aussi une nouvelle mentalité : selon laquelle “un salaire est un coût”, que l’on doit forcément diminuer de façon forcenée, analyse Frédéric Lordon dans on ouvrage : “Et la vertu sauvera le monde ?”, édition Raison d’agir, 1988. Donc, plus question de lutter contre le chômage, dont la courbe s’envole de façon scandaleuse dans l’indifférence générale des gouvernements successifs : 1 million de demandeurs d’emploi en 1980. 2 millions en 1988. 3 millions en 1997. 6,5 millions aujourd’hui.
On voit donc que dans l’ADN même du capitalisme libéral financier mondialisé, et à la différence du capitalisme keynésien comme celui du temps de Roosevelt, il n’y a aucune place pour le plein emploi. Mais pour son exact opposé : l’objectif structurel du capitalisme mondialisé est de faire un maximum de chômeurs afin de réduire les prix.
De façon cynique, la lutte contre le chômage cesse d’être la priorité des pouvoirs publics. Les augmentations de salaires aussi. Résultat : depuis les années quatre-vingt les salaires stagnent, augmentant en moyenne de moins de +1% par an contre +2,25% entre 1959 et 1979 : soit une baisse en salaires réels.
Dans ce contexte, et comme explique très bien le sociologue Frédéric Lebaron, du jour au lendemain, et pour des raisons plus idéologiques que véritablement économiques, le keynésianisme est mis au rancart par Mitterrand, trop soucieux de s’aligner sur les politiques libérales de ses grands amis : Thatcher et de Reagan.
Du jour au lendemain, le keynésianisme, qui avait pourtant largement fait les preuves dans l’histoire, notamment avec le succès du New Deal, est mis aux oubliettes. Considéré comme un objet de musée.
On nous « explique” que la politique keynésienne est “impossible”, car le multiplicateur de Keynes relancerait les importations et non la production intérieure. L’argument est spécieux : on peut tout à fait protéger la production intérieure par un protectionnisme intelligent. Ne pas avoir les deux pieds dans la mondialisation forcenée des échanges, dominée par les Etats-Unis, comme le fait imprudemment et de façon profondément anti sociale un certain Mitterrand entre 1981 et 1995. Puis les autres gouvernements entre 1995 et 2023.
En effet, les gouvernements de droite et de gauche n’hésitent pas à sacrifier de façon cynique toutes nos filières industrielles, -soit 1,5 millions de salariés-, au nom d’une mondialisation au succès aléatoire. La France ne peut qu’en sortir forcément perdante, au vu de son statut de puissance moyenne, notamment derrière l’Allemagne et les Etats-Unis.
3°)- Résurrection du keynésianisme :
Mais l’histoire du keynésianisme rebondit en Chine. La connaissance de la Chine est très complexe. Comme nous disait le regretté Alain Benajam : “pour comprendre la Chine, il faut savoir qu’elle est structurée par sept familles idéologiques différentes. Dont l’une est l’équivalent de la City londonienne, avec ses prêts toxiques : hedges, effet de levier, etc…”(sic).
Mais parmi ces sept familles, il existe aussi la famille keynésienne. Ainsi, le gouvernement chinois de Xi Jinping maintient un état keynésien, une demande intérieure avec des salaires relevés régulièrement. Et une politique de lutte contre la pauvreté analyse l’économiste marxiste Vincent Gouysse. Ce qui ne l’empêche pas d’être la première économie mondiale.
Nonobstant toutes les critiques que l’on a pu faire sur le keynésianisme, l’exemple chinois montre donc qu’il est parfaitement possible de mener une politique keynésienne, tout en maintenant des échanges extérieurs avec les BRICS et avec l’Occident.
Mieux encore, Donald Trump s’inspire du modèle chinois keynésien. Au mois de décembre 2020, il décide d’un grand plan keynésien d’un montant de 500 milliards de dollars. Mais il ne peut le réaliser, car “battu” par Biden au terme d’élections largement truquées. Nul doute que si Donald Trump est réélu en 2024, il mènera une grande politique keynésienne, qui structurera tout son mandat.
On assiste donc à un retour du keynésianisme, notamment aux Etats-Unis, le pays chantre du libéralisme, responsable de sa disparition comme outil privilégié des politiques publiques économiques à compter des années quatre-vingt.
Voilà pourquoi le programme du Rassemblement Pouvoir au Peuple préconise la définition d’un grand plan de relance keynésien d’un montrant de 500 milliards d’euros. Sur le modèle du plan keynésien décidé par Donald Trump au mois de décembre 2020. Sous réserve de l’accompagner d’une politique douanière intelligente, et d’une relocalisation de nos activités, une politique keynésienne est de nature à créer des millions d’emplois en CDI, comme le montre l’exemple du New Deal, qui a permis à 15 millions de chômeurs de retrouver un emploi.
Versão em Língua Portuguesa:
https://queonossosilencionaomateinocentes.blogspot.com/2023/06/vida-morte-e-ressurreicao-da-politica.html
G.Bad Sur le sujet voir le très bon livre de Paul Mattick
Marx et Keynes Les limites de l’ économie mixte.
Le livre est épuisé, voir vente sur le net.
« Résumons-nous : le réformisme suppose que le capitalisme soit réformable. Tant que celui-ci conserve ce caractère, l’essence révolutionnaire de la classe ouvrière demeure à l’état latent. La classe ouvrière cessera d’avoir conscience de sa situation de classe, et elle identifiera ses aspirations à celles de la classe dominante.
Un jour cependant, la survie du capitalisme finira par dépendre d’un « réformisme à rebours » ; le système sera contraint de recréer les conditions qui ont conduit au développement de la conscience de classe et à la perspective d’une révolution prolétarienne. Lorsque ce jour viendra, le nouveau capitalisme ressemblera à l’ancien, et il se retrouvera de nouveau, dans des conditions changées, face à l’ancienne lutte de classe.» ( Paul.Mattick, Le nouveau capitalisme et l’ ancienne lutte de classes ( 1968) Edition Spartacus sous le titre «Le marxisme hier, aujourd’hui et demain).