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L’ENVERS DE LA VILLA (Marie-Andrée Mongeau)

YSENGRIMUS — Nous présentons une novella (roman court) qui fait délicieusement la synthèse ultime des paradigmes fictionnels qui furent ceux de Marie-Andrée Mongeau (1958-2023). La motricité maritime (toujours dans un traitement indubitablement expert, mais ici, sous un angle récréatif et vacancier), la vie mentale dans les œuvres de fiction (façon roman à l’eau de rose nanane, en plus délié, en moins normatif), et le retour frais et vaporeux d’une gamine genre collège de l’Assomption (ou collège de Rimouski, comme dans le Conte d’ascenseur). Toutes les thématiques mongeauesques se retrouvent et font florilège, ici, en un pétillant cocktail de plage.

C’est qu’après la petite-niaiseuse-pas-si-niaiseuse, au collège, nous retrouvons maintenant la petite-niaiseuse-pas-si-niaiseuse en vacances. Le personnage fétiche de Mongeau, la tonique et incisive Liliane Rancourt, quatorze ans, sera derechef notre guide et notre narratrice. Elle s’envole, toute seule comme une grande, pour l’île de Saint-Martin, où elle va retrouver un oncle et une tante ainsi que son cousin Marcellin. Elle va enfin vivre des vraies vacances dans le vrai Sud, alors que, sur Montréal, nous sommes en plein mois de janvier. Mais rien n’ira plus, quand ces vacances vont prendre un tour particulier parfaitement inattendu. C’est qu’elles vont en arriver graduellement à intégrer le mystère, ces vacances de petit bout du monde. Tout se joue entre deux îles des Caraïbes, et en catamaran, encore. Le quatuor formé de Liliane, de son cousin, et des parents du cousin, doivent se rendre d’une des îles de Saint-Martin à une autre. Et, phénomène étrange et méconnu, le mât du catamaran, contre toutes attentes, se fracture. Quelques bons tas de complications se mettent alors en place, qui vont obliger les parents de Marcellin, qui sont les deux touristes adultes de service, à entrer dans une dynamique complexe d’interaction avec des agents d’assurance, des représentants de l’autorité, et toutes sortes de personnages de ce type. Attendu qu’il n’est pas question de traîner les deux ados dans toutes ces mésaventures bureaucratiques, on les laisse en compagnie du mystérieux oncle Paul, un gaillard du cru qui, lui-même de sa personne, vit dans une villa insulaire, en solitaire. Et c’est ici que les subtilités physico-culturelles se mettent en place. La villa de l’oncle Paul a la forme d’un hexagone. Un hexagone est lui-même, d’après ce que nous explique Liliane, relayant elle-même sereinement un lot solide et compact de notions de géométrie élémentaire, l’union géométrique de deux trapèzes. Rappelons, pour mémoire, que, pour sa part, un trapèze est un type particulier de quadrilatère dont les segments A et C, opposés l’un à l’autre, sont de longueurs identiques et les segments B et D, opposés l’un à l’autre et parallèles, sont de longueur inégale, le segment D étant le plus long des deux. L’hexagone est donc formé de deux trapèzes, dos à dos, éventuellement séparés/unis par un trait transversal, justement le segment D, le plus long des segments des trapèzes. Dans la villa de forme hexagonale de l’oncle Paul, le trait en question est une (ou deux) paroi(s) qui sépare les deux moitiés trapéziques de l’hexagone-villa. Posons les choses en figures. Si on imagine qu’on est un drone filmant la villa du haut, en plongée perpendiculaire directe, coupons d’abord la villa en ses deux parties.

La partie avant de la villa, ou avers de la villa, vu de haut. Le segment court du trapèze donne sur la plage et la mer. Le segment long donne sur l’envers de la villa

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La partie arrière de la villa, ou ENVERS DE LA VILLA, vu de haut. Le segment court du trapèze donne sur le flanc de la colline sur laquelle la villa repose. Le segment long donne sur l’avers de la villa

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L’avers et l’envers de la villa réunis, formant un hexagone. Le segment D (long segment des deux trapèzes conjoints) forme une (ou des) paroi(s) séparant l’avers habité de l’envers inhabité de la villa

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C’est bien ce qu’on a, dans notre novella. Une partie de la villa, trapèze numéro un, avers de la villa, fait face à la plage et la mer. L’autre partie de la villa, trapèze numéro deux, envers de la villa, fait face au flanc de la colline, sur le long de laquelle la villa est subtilement déposé. On a donc une habitation hexagonale symétrique, qui a deux côtés, un avers et un envers. Seul l’avers est habité et investi par l’oncle Paul. L’envers de sa villa, qui est le reflet en miroir inversé, de l’avers que le mystérieux tonton insulaire habite, est, lui, abandonné, délaissé, désaffecté, désâmé, même pas verrouillé. Curieux et matois, les deux ados, laissés souvent à eux-mêmes in situ par l’oncle Paul, vont rapidement promener leurs antennes sur tout cet univers. Et ils vont promptement en dégager/observer/fantasmer un ensemble de particularités mystérieuses. Le tout se synthétise en un questionnement-phare, qui s’amplifie et s’impose. Comment se fait-il que seulement une moitié de la villa de l’oncle Paul est habitée? Et qu’est-ce que l’envers de la villa révèlera de louche, de sinueux, de ténébreux, et de secret?

Pour épaissir la sauce du mystère, derrière l’envers de la villa, entre ledit envers de la villa et le flanc de la colline, il y a une piscine. C’est une piscine d’assez bonnes proportions, désaffectée, vide, mais d’une grande étrangeté. Bon, c’est une piscine creusée faite de béton peint, écaillée, desséchée, un peu vieillotte, mais toujours fort solide. La curiosité, c’est que cette piscine, longue et large, n’est pas très profonde. Sa profondeur n’arrive même pas à l’aisselle des ados. Liliane, qui n’en rate pas une pour nous étaler sa jolie culture de fouineuse en la truffant allègrement de considérations multiples et diverses, s’avise du fait que cette curieuse structure, en fait, ressemble plus à un bain romain antique qu’à une piscine creusé bourdonnante et sémillante de resort panaméricain moderne. Et on se demande un peu, qu’est-ce qu’un bain romain antique peut bien ficher au cœur des Caraïbes. Mystère ondoyant. Et cela contribue à la sonorité de plus en plus tapageuse des déclencheurs imaginaires qui girent désormais à plein régime. Rien ne se calme, lorsqu’au flanc bétonné de cette piscine sibylline, on découvrira un ambivalent passage secret. Ah mais, pas de mystère durement imprimé dans les topographies exotiques et les configurations spatiales d’outre-pénates sans passage secret. Et d’ailleurs une des grandes qualités sapientales de ce petit roman, c’est celui, justement, d’étudier, au moins un petit peu, comment les organisations architecturales et paysagères sont, justement, des déclencheurs imaginaires. Il n’y a rien de plus oniroïde que ces espaces hors-normes, tortueux, réfractaires, qui semblent porter implicitement, en leurs tréfonds secrets, tout le mystère du déploiement historique obscur les ayant engendrés, jadis. Un rapport à un espace est toujours un rapport à un passé et un rapport à un passé est assuré d’ouvrir les portes de l’imaginaire, surtout les portes de l’imaginaire du coming of age, celui où on oscille encore en position mitoyenne entre les jolis élucubrations fleuries de l’enfance et une prise de contact plus dense et plus intense avec le monde complexe des adultes. Le coming of age veut se prouver, ici et maintenant. Et pour se prouver, en l’occurrence présente, notre susdit coming of age devra percer le mystère de l’oncle Paul et de sa villa. Or, si cet oncle Paul lui-même devient, pas à pas, subrepticement, l’agent sciemment producteur et générateur de son propre mystère, les pistes torves des jeunes détectives risquent assez vite de s’effilocher et de se rubaner joyeusement, dans toutes les directions. La densité ingénieuse des propensions fictionnelles n’est pas toujours celle de ceux et de celles qu’on pense.

Marie-Andrée Mongeau fusionne ici, donc, harmonieusement et joyeusement, sa facette de mémorialiste maritime et son amour inconditionnel et souriant du roman léger. Les lecteurs et les lectrices assidus de cette autrice savent qu’elle serre dans son petit cœur durillon et tendre cette aspiration à écrire quelque chose comme de la littérature sentimentale, de la littérature voyage, ou de la littérature jeunesse. On retrouve ici, dans cette novella, une sorte d’assouvissement rhapsodique de ces vibrantes facettes de notre écrivaine polymorphe. L’écriture est sobre, nette, précise. On visualise merveilleusement. L’histoire est légère et soulève derechef la bonne vieille problématique de l’installation du fantastique dans l’imaginaire des enfants-ados-adultes que nous sommes tous un peu. Bondance de bondance. Que se passe-t-il donc tant autour de cette fichue villa-là et de son envers? Y a-t-il quelque chose? Y a-t-il un mystère? Ou entend-on juste le vent et les vagues des vacances, qui emberlificotent tant les cheveux et les idées? Et à l’envers de la villa, que répond donc l’envers de l’oncle Paul? Qui est donc ce personnage barbu, biscornu, polyglotte, d’allure flibustière et qui semble charrier avec lui tout un lot de casseroles & gamelles inavouables? C’est ce que vous saurez peut-être, si vous lisez ce roman qui, même s’il ne changera pas radicalement votre vision principielle du monde, vous bécotera indubitablement quelques sourires sur le faciès. Lecture d’été. Jubilations assurées.

Cet ouvrage est parfaitement charmant, suavement grinçant, doucereusement ironique. Léger, maîtrisé et fort bien écrit.  Ça vous a un goût de littérature jeunesse et un souffle de vacances. Et c’est fier, sobre et précis, dans l’écriture. ÉLP est heureux, serein et enthousiaste de lancer dans l’univers des Belles Lettres cet ultime ouvrage d’une des solides autrices de son écurie.

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Marie-Andrée Mongeau, L’envers de la villa, Montréal, ÉLP éditeur, 2024, formats ePub, Mobi.

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