La théorie monétaire moderne (MMT) et la crise du capitalisme
Source: Critique du volume : « Le mythe du déficit » par Stephanie Kelton et Nick Beams
Par Claudio Buttinelli cet article est disponible en anglais, en italien et en espagnole ici:
Articles du 5 Aout
Tout au long de l’histoire du capitalisme et de ses crises récurrentes, diverses théories ont été avancées par les théoriciens de la « gauche » qui soutiennent que ces crises et les maux sociaux qu’elles engendrent peuvent être améliorés, voire entièrement éliminés, en changeant le système monétaire sans toucher aux fondements du mode de production capitaliste lui-même.
Tout en se présentant comme « de gauche » et « progressistes », prônant la réforme du système capitaliste, l’histoire montre qu’en période de grande crise, ils cherchent à détourner la classe ouvrière du programme de la révolution prolétarienne tout en fournissant les bases idéologiques des forces politiques qui font avancer une solution contre-révolutionnaire à la crise.
La Théorie monétaire moderne (MMT), dont les principes essentiels sont exposés dans le livre de S. Kelton, l’un de ses principaux défenseurs, est la dernière expression de ce phénomène.
La lutte contre ces tendances remonte aux origines mêmes de l’économie politique marxiste.
Au cours de l’hiver 1857-58, en pleine crise économique mondiale, Marx rédige la première ébauche de l’ouvrage qui deviendra le Capital, publié en 1867. Son travail initial nous est parvenu sous la forme des Gründrisse, publié pour la première fois en anglais en 1973. Il présente un intérêt particulier pour la compréhension du MMT.
Le point de départ de Marx était une analyse de l’argent et la réfutation des théories de l’anarchiste français Proudhon, alors considéré comme un théoricien socialiste de premier plan. Les Gründrisse commencent par une citation d’un des disciples de Proudhon, Alfred Darimon:
« La racine du mal est la prédominance que l’opinion s’obstine à attribuer au rôle des métaux précieux en circulation et en échange. »
Selon les Proudhonistes, les maladies sociales du capitalisme pourraient être surmontées si seulement l’or et les autres métaux précieux étaient retirés de leur statut privilégié de monnaie et réduits au statut de marchandises ordinaires. Si cela était fait, l’inégalité de l’échange entre le capital et le travail pourrait prendre fin et l’égalité naturelle de toutes les formes de travail pourrait être restaurée.
L’essence de la réfutation de Marx consistait à montrer que l’argent n’était pas un dispositif inventé dans le but de faciliter l’échange, mais qu’il découlait du système de production de marchandises lui-même, dans lequel le travail des particuliers engagés dans la production pour le marché, c’est-à-dire la production sociale, doit trouver une mesure indépendante. L’argent, insistait Marx, ne naît pas plus d’une convention que l’État, mais se développe à partir d’une société basée sur l’échange de marchandises.
Le point essentiel que Marx a établi, à travers une analyse détaillée des conceptions proudhonistes, est que l’argent ne crée pas les conflits et les contradictions de la société capitaliste, qui prennent des formes de plus en plus violentes lorsque la force de travail devient une marchandise sous forme de travail salarié, mais que c’est plutôt « le développement de ces contradictions qui crée le pouvoir apparemment transcendantal de l’argent« .
L’objectif des Proudhonistes était de supprimer les maux sociaux du capitalisme, alors de plus en plus visibles du fait de ses crises récurrentes, en changeant les rapports de distribution et de circulation, facilités par l’argent, sans toucher aux rapports sociaux de production sous-jacents, basés sur la production marchande.
Ici, Marx a soulevé ce qu’il a appelé la question fondamentale : « Les rapports de production existants et les rapports de distribution qui leur correspondent peuvent-ils être révolutionnés par un changement de l’instrument de circulation, de l’organisation de la circulation ? Et plus loin, « une telle transformation de la circulation peut-elle être entreprise sans toucher aux relations de production existantes et aux relations sociales qui reposent sur elles ? »
Le projet proudhoniste, qui reposait sur la poursuite de la production de marchandises, fondement de l’économie capitaliste, était une utopie. Il s’apparentait, comme le caractérisait Marx, à l’abolition du pape sans pour autant supprimer l’Église catholique.
Les théories du Proudhonisme des années 1850, qui cherchaient à résoudre les crises du capitalisme par ce que Marx appelait les « trucs de la circulation« , ont été reprises sous diverses formes dans la période qui a suivi.
Au milieu de la détresse sociale qui frappait les travailleurs et les petits agriculteurs aux États-Unis dans les années 1890, à la suite d’une grave récession économique qui a vu le chômage augmenter d’environ 25 % en 1893, William Jennings Bryan a été élu candidat du Parti démocrate à la présidence en 1896 en promettant de retirer la « croix d’or » de l’humanité.
L’étalon-or, disait-il, était la cause de la déflation, et il fallait changer le système monétaire en y intégrant l’argent, ce qui favoriserait un retour à la prospérité économique.
L’aggravation de la crise économique du capitalisme mondial après la Première Guerre mondiale a conduit à l’avancement d’un certain nombre de théories qui prétendaient que la crise pouvait être atténuée par des changements dans les formes de distribution économique et le système monétaire.
Dans les années 1920, C. H. Douglas a mis en avant la théorie du crédit social. Comparant l’écart entre la valeur de la production industrielle et les paiements effectués sous forme de salaires, de traitements et de dividendes, il propose le versement d’un dividende national pour combler ce déficit. La théorie du crédit social de Douglas et sa notion de demande insuffisante trouvent leur expression dans les vues de Keynes, qui soutient que les problèmes de l’économie capitaliste résultent d’une demande effective insuffisante, un écart qui devrait être comblé par les dépenses publiques.
Au cours des années 1920, les principales devises étaient encore liées à l’or – une situation que certains critiques en sont venus à considérer comme responsable de la persistance d’une conjoncture économique déprimée.
En 1924, l’économiste allemand Georg Friedrich Knapp a avancé une nouvelle théorie de la monnaie. Il soutenait que l’argent ne provenait pas de la production de marchandises et n’avait pas de valeur intrinsèque. C’était un jeton créé par les gouvernements comme moyen de paiement pour les obligations fiscales qu’ils imposaient. Cette théorie, connue sous le nom de chartalisme (dérivé du mot latin charta, qui signifie « jeton »), est à la base du MMT.
Toutes ces théories, de la MMT remontant à celles de Proudhon, ainsi que celles de Keynes, ont une perspective politique très précise. Émergentes en période de crise économique et sociale, elles se fondent sur la position selon laquelle ces crises ne découlent pas des contradictions inhérentes au capitalisme, enracinées dans la production de marchandises et la transformation de la force de travail en une marchandise et son exploitation, mais peuvent être surmontées par un changement des politiques gouvernementales et le développement d’un nouveau système monétaire et de crédit.
Elles visent à détourner la classe ouvrière de la tâche que lui imposent ces crises, à savoir renverser le mode de production capitaliste et entreprendre la reconstruction de l’économie sur des bases socialistes. Selon ces théoriciens, la tâche actuelle consiste plutôt à convaincre les pouvoirs en place d’abandonner leurs théories erronées et d’adopter les solutions qu’ils proposent, qui fourniront une base pour l’expansion capitaliste et éviteront la nécessité d’une révolution sociale. C’est le thème essentiel du livre de Kelton et du MMT.
Le mythe du déficit
Dès le début, Kelton a été lyrique sur le pouvoir du MMT, affirmant qu’il remet en question le statu quo grâce à une économie saine et « nous donne le pouvoir d’imaginer une nouvelle politique et une nouvelle économie », nous permettant de voir qu’un autre type de monde est possible, un monde dans lequel nous pouvons nous permettre d’investir dans les soins de santé, l’éducation et des infrastructures alternatives ». [Le mythe du déficit, pp. 12-13]
Il ne fait aucun doute que de telles choses sont matériellement possibles, en raison du vaste développement des forces productives, créées par le travail de milliards de travailleurs, qui seraient utilisées pour répondre aux besoins humains dans une économie socialiste planifiée. Mais elles sont impossibles à réaliser dans le cadre du capitalisme en raison des rapports sociaux sur lesquels il se fonde – rapports que le MMT ignore complètement, traitant l’économie capitaliste non pas comme un système social, avec des divisions de classe irréconciliables, mais comme une sorte de machine.
Selon Kelton, les maux sociaux créés par le capitalisme sont le résultat non pas de ses contradictions objectives, mais d’une pensée incorrecte. Elle soutient que les politiques économiques qui donnent la priorité aux besoins humains et à l’intérêt public sont possibles au sein du capitalisme, si seulement « nos contraintes auto-imposées » sont abandonnées.
Ces contraintes, affirme-t-elle, découlent de la manière dont les dépenses publiques sont perçues et assimilées aux dépenses des ménages. Un ménage doit acquérir de l’argent pour financer ses dépenses et doit équilibrer son budget. Autrement dit, il est un utilisateur d’argent. Le gouvernement, en revanche, est l’émetteur de l’argent et n’est pas soumis à de telles contraintes, affirme-t-elle.
Un ménage ne peut pas créer de dollars pour financer ses dépenses, mais le gouvernement le peut. Cela signifie que les limites de dépenses qui s’appliquent à un ménage ne s’appliquent pas à un gouvernement souverain qui émet sa propre monnaie. Il peut toujours financer ses dépenses en imprimant simplement plus d’argent, ou en le créant simplement en appuyant sur un bouton d’ordinateur à la Réserve fédérale qui transfère l’argent de la banque centrale vers un autre compte bancaire.
« La distinction entre les utilisateurs de monnaie et l’émetteur de monnaie est au cœur du MMT », écrit-elle. [p. 18]
Le MMT ne soutient toutefois pas qu’il n’y a pas de limites à ces dépenses, mais qu’elles ne sont pas déterminées par des contraintes financières. Elles n’apparaissent que lorsque toutes les ressources disponibles de l’économie réelle sont pleinement utilisées et que les demandes supplémentaires qui leur sont adressées, résultant des dépenses publiques, dépassent la capacité de l’économie, entraînant ainsi l’inflation. Mais en attendant, il existe de nombreux problèmes sociaux, économiques et même écologiques, comme le changement climatique, qui peuvent être résolus.
Le premier point à noter est qu’il ne s’agit pas seulement d’un programme « America First » (Les Etats Unis D’abord), mais d’un programme « America Only » (Seul les Etats Unis).
Le Trésor américain jouit d’une capacité apparemment illimitée de créer plus de dollars en raison du rôle du dollar en tant que monnaie mondiale.
Cependant, Kelton affirme que d’autres pays, en tant qu’émetteurs de leur propre monnaie, y compris des pays comme le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada, peuvent faire la même chose, et le MMT « offre des perspectives » pour les pays ayant peu ou pas de souveraineté monétaire comme le Panama, la Tunisie, la Grèce, le Venezuela et bien d’autres. [p. 19]
Même un examen préliminaire démontre la fausseté de cette conception. Les monnaies des autres pays ne jouissent pas de la même position que le dollar américain. Si, par exemple, le Royaume-Uni ou l’Australie, sans parler de pays tels que l’Argentine ou le Venezuela, devaient simplement créer des réserves monétaires illimitées et les utiliser pour répondre à des besoins sociaux, ils constateraient très rapidement que la valeur de leur monnaie s’est effondrée sur les marchés mondiaux, ce qui a donné lieu à l’inflation et a sapé leur capacité à rembourser les dettes libellées en dollars américains.
Mais, nonobstant le rôle privilégié du dollar américain, il existe également des limites inhérentes à la création de dollars par la Fed américaine, qui découlent de la nature même de l’argent.
La production de marchandises, base de l’économie capitaliste, est réalisée par des entités privées, des sociétés et des individus. Mais en même temps, il s’agit d’une production sociale. Chaque société doit résoudre la question de la répartition du travail social dont elle dispose, de la répartition des ressources en main-d’œuvre dont elle dispose, afin de continuer à fonctionner.
Dans une société socialiste, cette tâche sera entreprise par le biais d’un plan conscient et d’une organisation démocratique. Dans la société capitaliste, elle est entreprise par le biais du marché. Cela implique de mettre sur un pied d’égalité les différents types de travail nécessaires au fonctionnement de la société. Dans une société productrice de marchandises, où le travail est à la fois social et privé, cette répartition est réalisée par le biais du système de la valeur.
La valeur de chaque marchandise (y compris de la marchandise -force de travail du prolétaire) est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire pour la produire. Mais cette valeur doit acquérir une forme matérielle indépendante, et cette forme est l’argent. Comme l’a dit Marx : « L’argent est le temps de travail sous la forme d’un objet général, ou l’objectivation du temps de travail général, le temps de travail comme une marchandise générale. »
C’est par l’argent que s’exprime le lien social objectif qui existe réellement entre les producteurs privés individuels. Les économistes, écrit Marx, disent que les gens font confiance à une chose, l’argent, parce qu’ils ne font pas confiance aux autres. « Mais pourquoi ont-ils foi en cette chose. Évidemment parce que cette chose est une relation objectivée entre des personnes ; parce qu’elle est une valeur d’échange objectivée et que la valeur d’échange n’est rien d’autre que la relation entre les activités productives des personnes ».
Historiquement, l’or a émergé en tant que produit monétaire. Depuis un siècle et plus, la monnaie fiduciaire émise par l’État en est venue à remplacer l’or dans le fonctionnement quotidien de l’économie capitaliste, et surtout de son système financier et de crédit, en particulier après le retrait de la garantie de l’or du dollar américain en août 1971. Dans ces conditions, la conception s’est développée selon laquelle la monnaie n’est qu’une convention et a échappé à son fondement matériel.
C’est la base de la théorie monétaire moderne (MMT) et de la promotion de ses illusions selon lesquelles le capitalisme peut en quelque sorte fonctionner en fonction de la satisfaction des besoins sociaux. « Libérés des contraintes qui nous liaient dans un monde de référence », écrit Kelton, « les États-Unis jouissent désormais de la souplesse nécessaire pour gérer leur budget, non pas comme un ménage, mais au véritable service de leur population ». [Le mythe du déficit : la théorie monétaire moderne et la naissance de l’économie populaire, p. 37]
Elle insiste sur le fait que nous « méritons de connaître la vérité », qu’un gouvernement émetteur de monnaie « peut se permettre d’acheter tout ce qui est à vendre dans sa propre unité de compte (le dollar) », et que « les poches de l’Oncle Sam ne sont jamais vides ». [p. 256]
Elle se tourne même vers l’ancien président de la Fed, Alan Greenspan, pour obtenir son soutien, citant le témoignage qu’il a donné au congrès US en 2005, dans lequel il a déclaré que « rien n’empêchait le gouvernement fédéral de créer autant d’argent qu’il le voulait et de le verser à quelqu’un ». [p. 182]
Il est certainement vrai que la Fed peut émettre de grandes quantités d’argent sans limite. Mais elle ne peut pas créer la valeur (d’usage et d’échange) que cet argent est censé représenter. Elle ne peut pas déterminer la quantité de cet argent qui doit être utilisée pour acheter des marchandises. De plus, en émettant du papier-monnaie, elle ne peut pas étendre la masse de plus-value supplémentaire extraite de la classe ouvrière dans le processus de production, qui constitue la base et la force motrice de l’économie capitaliste.
Autrement dit, en séparant l’argent du système de valeurs, le MMT met simplement de côté les relations sociales sous-jacentes de l’économie capitaliste. L’argent peut être créé en quantités illimitées. Mais, en dernière analyse, que ce soit sous forme d’or ou de papier-monnaie, il doit fonctionner comme le représentant matériel de la valeur.
Les événements récents le soulignent. L’expansion massive de l’argent par la Fed américaine depuis que la pandémie COVID-19 a déclenché une crise financière a vu la valeur du dollar chuter fortement, tandis que le prix de l’or a atteint des niveaux records, dans un contexte d’inquiétude quant à la durée pendant laquelle le dollar peut continuer à fonctionner comme monnaie mondiale.
Abordant cette question dans un article du New York Times au plus fort de la crise de mars, l’historien économique Adam Tooze a noté que, malgré la faiblesse de l’économie américaine, le dollar restait le moyen de paiement le plus universellement accepté et une réserve de valeur. Son argument était essentiellement circulaire : le dollar est accepté comme moyen de paiement parce qu’il est une réserve de valeur et il est une réserve de valeur parce qu’il est accepté comme moyen de paiement.
Il est impossible de dire combien de temps cela pourrait durer et si la crise actuelle conduit immédiatement à une crise de confiance dans le dollar et dans toutes les monnaies fiduciaires et à un tournant vers l’or. Mais il y a des limites inhérentes à la création de quantités infinies d’argent et de crédit.
La production capitaliste, avec le développement du système de crédit, a noté Marx, « s’efforce constamment de surmonter cette barrière métallique, qui est à la fois une barrière matérielle et imaginaire à la richesse, tout en lui cassant la tête à maintes reprises ». L’argent sous forme de métal précieux, a-t-il insisté, reste la base à partir de laquelle le système de crédit « ne peut jamais se libérer ». [Marx, Capital Volume III, p. 708, p. 741]
Keynes a peut-être rejeté l‘or comme une « relique barbare », mais les banques centrales continuent de le détenir. La Bundesbank allemande, par exemple, décrit l’or comme un « type de réserve d’urgence qui peut également être utilisé dans des situations de crise lorsque les devises sont sous pression », et la Banque d’Angleterre le décrit comme « la réserve de valeur ultime, la couverture contre l’inflation et le moyen d’échange ».
Kelton soutient que l’analyse du MMT est non partisane et que son pouvoir explicatif « décrit comment notre système monétaire fonctionne réellement ». C’est faux car il laisse de côté les rapports sociaux et de classe sur lesquels l’économie capitaliste est basée – la propriété privée des moyens de production, la production de marchandises pour le marché, la transformation de la force de travail en marchandise, et l’extraction de plus-value sur la base de ces rapports sociaux, qui est la source de l’accumulation de capital.
Cette séparation, qui est au cœur de la théorie de la monnaie du MMT, devient encore plus évidente lorsque Kelton se penche sur certaines des principales malignités sociales et économiques actuelles et sur les propositions avancées par le MMT pour les résoudre.
L’une de ses principales prescriptions politiques est la fourniture d’emplois par le gouvernement fédéral. Il s’agirait de garantir un emploi à tous ceux qui souhaitent un emploi au prix de 15 dollars de l’heure. Il servirait de stabilisateur de l’économie en période de ralentissement. En cas de reprise, les emplois fédéraux seraient réduits au fur et à mesure que les travailleurs retourneraient dans le secteur privé.
Il va sans dire qu’il n’y a aucune explication au chômage, sans parler des crises récurrentes et de plus en plus profondes du système capitaliste qui le produisent. Mais le MMT propose que les crises puissent au moins être atténuées par des projets de travail financés par la Fed en appuyant sur un bouton d’ordinateur pour créer plus d’argent.
L’analyse du MMT repose sur la conception selon laquelle la fonction de l’économie est de répondre aux besoins de la société par la production de biens et de services, tout en fournissant à la population, par le biais du système salarial, les ressources nécessaires pour les acheter et se maintenir.
Il s’agit d’un compte-rendu complètement fictif. La force motrice de l’économie capitaliste n’est pas la fourniture des moyens de subsistance. Sa base est l’expansion de la valeur par l’extraction d’une valeur supplémentaire, ou plus-value, de la force de travail de la classe ouvrière.
La source de cette plus-value – la base, en dernière analyse, du profit industriel, du gain, du paiement des intérêts et du rendement des actifs financiers – est la différence entre la valeur de la force de travail marchande, achetée par le capital par le biais du paiement d’un salaire, et la valeur créée par le travailleur au cours de la journée de travail.
Le chômage ne résulte pas d’un dysfonctionnement malheureux de l’économie, mais fait partie intégrante du processus d’accumulation de la plus-value.
Chaque secteur du capital est en lutte constante pour s’approprier sa part de la plus-value totale extraite de la classe ouvrière en faisant baisser ses coûts de production. L’une des principales façons d’y parvenir est de réduire les salaires en créant ce que Marx appelait « l’armée de réserve » du travail – les chômeurs.
Cette tendance s’exerce continuellement, surtout dans les périodes supposées les plus fastes de l’expansion économique. Comme les salaires augmentent dans les conditions d’une telle expansion, chaque secteur du capital est poussé par la lutte concurrentielle à introduire de nouvelles mesures pour réduire la main-d’oeuvre et intensifier l’exploitation de ceux qui restent afin d’augmenter les profits.
Les intérêts de la classe capitaliste dans son ensemble sont mis en œuvre par la Fed, ainsi que par d’autres banques centrales, qui relèvent les taux d’intérêt afin de supprimer la production économique et de maintenir une pression à la baisse sur les salaires. Au début des années 1980, la soi-disant « restructuration » de l’économie américaine a été menée par la Fed sous la présidence de Paul Volcker, qui a relevé les taux d’intérêt à des niveaux record pour fermer des pans entiers de l’industrie et créer un chômage de masse.
Le chômage n’est pas une caractéristique malheureuse ou accidentelle, mais fait partie intégrante d’un système socio-économique basé sur la marchandisation de la force de travail. En écrivant contre les Proudhonistes et leurs « trucs de circulation », Marx a noté : « Une forme de travail salarié peut corriger les abus d’une autre, mais aucune forme de travail salarié ne peut corriger l’abus du travail salarié lui-même ».
La même question – le passage par le MMT des relations sociales de l’économie capitaliste – se pose lorsque Kelton envisage la fourniture de soins de santé et d’autres services et équipements sociaux vitaux.
Contre les affirmations persistantes selon lesquelles l’assurance-maladie n’est pas viable, elle écrit : « Tous ces arguments sont malavisés car ils sont tous fondés sur le mythe du déficit. Tant que nous aurons des prestataires et des installations de santé pour répondre à la demande, l’assurance-maladie sera durable dans les seuls termes qui comptent – les véritables ressources productives de notre nation ». [p. 173]
Il est parfaitement vrai que toutes les ressources existent non seulement pour maintenir le système de santé, mais aussi pour le développer, ainsi que de nombreux autres services sociaux. Mais leur éviscération n’est pas le produit des formes de pensée erronées des décideurs politiques ou des mythes auxquels ils adhèrent.
Elle découle de la structure même de l’économie capitaliste, basée sur l’accumulation de la plus-value. Les services sociaux fournis par l’État ne produisent pas de plus-value. Ils sont plutôt une déduction de la masse totale de plus-value disponible pour l’appropriation par le capital. C’est pourquoi chaque crise économique qui menace l’accumulation de profits s’accompagne d’une volonté de réduire les services sociaux.
Selon M. Kelton, ces attaques ne sont toutefois pas ancrées dans des relations sociales et économiques objectives, mais découlent de formes de pensée dépassées, à savoir que le gouvernement doit équilibrer son budget.
À la manière d’un prédicateur religieux, le MMT proclame : « Je suis la sagesse et la lumière. Abandonnez vos anciennes façons de penser et la société pourra progresser, sinon au paradis, du moins dans un monde meilleur ».
Mme Kelton donne des exemples de ce qu’elle appelle le « mythe du déficit« , dont certains découlent de sa participation à l’équipe d’économie qui a conseillé le sénateur Bernie Sanders en 2015.
Mais si, comme elle le soutient, le MMT est une explication du fonctionnement réel du système monétaire, alors quelle est la raison de la persistance du mythe face à l’éclairage que le MMT apporte ? Si un mythe persiste, alors il doit avoir des racines sociales objectives. Il doit servir des forces de classe bien définies. Il ne peut pas plus être mis sur le compte de l’ignorance que la persistance de la religion ne peut être expliquée de la sorte.
On peut sonder cette question et révéler la raison des attaques contre les services de santé et autres en considérant la situation qui prévaudrait si les décideurs politiques fournissaient une explication objective de leurs mesures.
Que se passerait-il s’ils disaient au Congrès que la raison pour laquelle les dépenses de services sociaux doivent être réduites et qu’il n’y a « pas d’argent » pour les financer, est que ces dépenses sont une déduction de la plus-value extraite de la population active nécessaire pour maintenir et augmenter les bénéfices de Wall Street ?
Si une telle explication scientifique, dérivée des rouages réels de l’économie capitaliste, était avancée dans des conditions de tensions de classe croissantes, elle alimenterait une crise politique conduisant à la croissance du sentiment anticapitaliste et socialiste.
Nous ne suggérons nullement que les représentants du Congrès soient conscients des rouages réels de l’économie capitaliste, pas plus que ne l’est Kelton. Mais leur invocation de la nécessité pour le gouvernement de réduire les dépenses afin d’équilibrer son budget, comme le fait un ménage, joue un rôle politique certain, enraciné dans la structure de classe du capitalisme. C’est la couverture idéologique de ces théoriciens, les services qu’ils rendent à Wall Street.
Le MMT joue son rôle dans ce système d’obscurcissement en détournant l’attention des processus objectifs sous-jacents à l’œuvre et en se concentrant sur les conceptions des politiciens et des décideurs politiques.
Il avance l’idée que l’ordre économique et politique capitaliste, qui permet l’accumulation de vastes richesses aux mains d’une oligarchie financière aux dépens de la société, peut être miraculeusement transformé au profit de la population si l’on peut seulement faire en sorte que les décideurs politiques voient la lumière qu’il est censé apporter.
Dans la présentation de Kelton, le MMT peut non seulement effacer les conflits de classe et les contradictions au sein des États-Unis, mais il est capable de transformer l’impérialisme américain, qui est passé d’une puissance prédatrice, se tournant de plus en plus vers des moyens militaires pour maintenir sa domination mondiale et menaçant de déclencher une autre guerre mondiale, à un bienfaiteur des peuples du monde.
Il est nécessaire de reconnaître, écrit-elle, « que le gouvernement américain peut fournir tous les dollars dont notre secteur privé national a besoin pour atteindre le plein emploi, et qu’il peut fournir tous les dollars dont le reste du monde a besoin pour constituer ses réserves et protéger ses flux commerciaux. Au lieu d’utiliser leur statut d’hégémonie monétaire pour mobiliser des réserves d’or pour leurs propres intérêts étroits, les États-Unis pourraient mener l’effort de mobilisation des ressources pour un Green New Deal mondial, en maintenant des taux d’intérêt bas et stables afin de promouvoir la tranquillité économique mondiale ». [p. 151]
On se dit qu’il n’y a vraiment rien de nouveau sous le soleil, et le MMT, tel qu’avancé par Kelton, est un vin très ancien dans des bouteilles neuves. C’est la version moderne des théories qui ont été avancées lors des précédentes périodes de crise capitaliste pour détourner les travailleurs des vraies tâches à accomplir. Il n’est pas surprenant qu’elle ait été reprise par certaines sections de la pseudo-gauche, comme Alexandra Ocasio-Cortez, membre des Socialistes Démocrates d’Amérique et représentante au Congrès, qui soutient que le MMT doit constituer « une grande partie de la conversation ».
La voie à suivre n’est pas la fausse perspective d’une certaine réforme du système capitaliste via les « trucs de la circulation », mais son renversement par la classe ouvrière pour établir un gouvernement ouvrier afin d’ouvrir la voie à l’établissement d’une économie socialiste organisée et contrôlée démocratiquement dans laquelle les vastes forces productives soient utilisées pour répondre aux besoins humains.
Versão em Língua Portuguesa:
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