LE P’TIT AVION DU NUNAVIK (Isabelle Larouche et Isabelle Charbonneau)

YSENGRIMUS — Un petit avion monomoteur de la compagnie Air Inuit, piloté par un ours polaire accompagné de son fils ourson polaire, assure le transport de passagers animaliers, au-dessus de l’immense territoire du Nunavik. Des personnages fauniques anthropomorphes hauts en couleurs vont, à chaque étape, monter dans l’avion et/ou en descendre. Ils vont ainsi transiter vers un autre segment de l’immense territoire nordique. Chaque plan, disposé en pleine présentation, sur deux pages, introduit un territoire particulier, un espace naturel, une ville, un point d’eau, ou un lieu-dit. On dispose ainsi d’un total de seize grandes vignettes paysagères, agrémentées par les animaux anthropomorphes qui se relaient, au cours de ce voyage aérien. Une petite retranscription en translittéré orthographique ordinaire, discrète mais perceptible, épinglée dans le coin inférieur gauche des pages paires, présente la prononciation du nom du lieu, en graphie francisée (ou anglicisée, dans la version anglaise de l’ouvrage). Notre florilège de figures fauniques anthropomorphes nous entraine donc dans une sorte d’excursion par grands plans visuels, qui configure une présentation imagée de chacun des lieux. Le texte d’Isabelle Larouche, tant dans l’ouvrage en français que dans l’ouvrage en anglais, ce dernier dans une adaptation de Faith Cormier, fonctionne selon le mode du court récitatif versifié, façon comptine. Ce procédé textuel éprouvé permet de lire à haute voix, notamment en compagnie de jeunes enfants. En rythme:

Survolant la baie d’Ungava, le p’tit avion poursuit sa mission.
Du haut de l’île d’Akpatoc, des guillemots ricanent en faisant des plongeons.
Dame Baleine et Monsieur Épaulard en ont des frissons!
Et voilà qu’à l’horizon apparaît déjà notre prochaine destination.
(p. 18)

Les illustrations d’Isabelle Charbonneau sont somptuaires, vives et colorées. Leurs charmes et leurs attraits sont invitants. Elles combinent adroitement un sens vif de l’imaginaire et une perspective figurative solidement tempérée. Ne ratez surtout pas le saisissant moment silencieux du vol nocturne (pp 22 et 23). Le petit monomoteur continue courageusement son avancée, par gros temps, en pleine nuit, nous faisant implicitement comprendre que l’exercice du voyage aérien dans le grand nord revendique aussi sa discrète et constante touche d’héroïsme. Très travaillé, donc, au plan de l’image, l’ouvrage propose aussi une facette ludique appelée Jeu de cherche et trouve. Dans une section en annexe (pp 41-43), des petites pastilles visuelles circulaires, isolant certains éléments dessinés des pages du livre, sont alignées et données comme devant être recherchées dans les illustrations du corps de l’ouvrage, un peu sur le principe de Waldo/Charlie.

Les animaux, plantes, objets et activités que tu vois dans les cercles sont présents quelque part dans le livre. Peux-tu les trouver? Exerce ton sens de l’observation et apprend leurs noms.

Ces cercles sont corrélés aux désignations des objets ou animaux qu’ils contiennent. Ils sont au nombre de cinquante-sept et ils forment ainsi, en soi, une sorte de glossaire imagière de type what’s what? Ceci permet d’envisager de jouer avec le livre, pendant une période de temps assez longue… un voyage en avion par exemple. Les segments textuels de l’ouvrage, en ses deux versions dans les deux langues officielles du Canada, sont aussi rédigés en langue inuktitut, dans une adaptation de Thomassie Mangiok et Nancy Etok. Cela permet aux francophones et aux anglophones de découvrir, à tout le moins visuellement, cet alphabet syllabaire, remarquable dans ses particularités spécifiques. L’ouvrage se complète d’un court résumé biographique de la carrière du pilote nordique Johnny May (Un peu d’histoire, pp 44-45, monsieur May est aussi mentionné en préface, pp 4-5). On retrouve aussi deux glossaires textuels (pp 46-47). Ils contiennent trente-trois mots inuktitut définis en français (définis en anglais dans la version anglaise de l’ouvrage) et onze mots français (mots anglais dans la version anglaise de l’ouvrage), définis eux aussi, pour fins d’enrichissement du vocabulaire. Ces deux glossaires textuels, ainsi que le glossaire visuel constitué par le Jeu de cherche et trouve (pp 41-43) permettent d’élargir significativement les connaissances lexicales et notionnelles de nos bambins lecteurs. La présentation de ces données linguistiques (pp 46-47) se complète d’un tableau des symboles du syllabaire inuktitut. Cela peut permettre d’amorcer un travail de déchiffrage des segments du texte rédigés dans la langue des Inuits. Sur les rabats de couverture avant et arrière apparait une carte simplifiée du Nunavik (nord du Québec, dit anciennement Nouveau Québec) fournissant la localisation géographique d’une vingtaine de localités, points d’eau et lieux-dits du grand nord. L’ouvrage, qui mesure 26.5 centimètres sur 24 environ, est une réalisation particulièrement soignée que l’on doit à la très dynamique maison d’édition Le Grand Élan, sous la direction éditoriale de Marie Blanchard.

On devra approcher cet ouvrage comme si c’était une sorte d’album photo. Il ne faut pas en attendre de récits excessivement élaborés, autre que celui de la trajectoire topographique d’un petit avion, point par point. L’exercice a une fonction tant didactique qu’artistique. Il s’agit d’évoquer, de faire voir et connaître, de faire imaginer ce type très particulier d’exaltation visuelle suscitée par les différents lieux nodaux d’un voyage aérien en monomoteur, au-dessus du vaste espace du Nunavik. Les animaux anthropomorphes que nous rencontrons fugitivement, au fil des pages, sont sympathiques, attachants, exubérants, débonnaires. Ils se déploient en grand nombre. Le lecteur est implicitement invité à s’impliquer dans le travail de découverte et de compréhension de ce monde haut en couleurs. On a entre les mains un livre jouet, en fait, un ouvrage qui ne doit pas nécessairement se lire de façon linéaire, comme on le ferait, par exemple, d’un petit roman ou d’une bande dessinée (il n’y a ni cases ni phylactères). L’ouvrage est plutôt conçu pour inviter et susciter une mobilisation permanente, tant de l’adulte que de l’enfant, dans la rencontre intime avec cet univers semi-imaginaire. Les deux versions, française et anglaise, se suivent très précisément. On peut donc envisager que ces deux ouvrages soient subsidiairement exploitables pour l’apprentissage d’une des langues officielles du Canada… au bénéfice des locuteurs de l’autre langue officielle.

On a ici, de tous points de vue, un ouvrage magnifique. Il est d’une beauté visuelle et d’une finesse textuelle hautement satisfaisantes. Il a été conçu par des gens qui ont une compréhension fine de ce que les jeunes enfants font avec un livre. Et surtout, il manifeste le souci crucial de nous faire entrer dans cette dimension d’existence extraordinaire qu’est celle des particularités topographiques, géographiques et surtout linguistiques et ethnoculturelles du Nunavik.

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Quatrième de couverture:

Les jours raccourcissent au Nunavik mais le soleil est encore doux. Au sol, les hélices au vent, un petit avion va bientôt s’envoler. «Installez-vous, madame Belette et monsieur Caribou.» Le pilote tend la main à son jeune assistant. Fiston va enfin voyager! En tournée de Kangiqsualujjuaq à Kuujjuaraapik, le petit avion du Nunavik accueille à bord les animaux de la région. Suivez-les dans ce périple nordique jusqu’à leur arrivée, où une surprise les attend! Un livre coloré et ludique pour découvrir le Nunavik, sa faune et ses paysages grandioses.

JEU DE CHERCHE ET TROUVE. Cherche les animaux, plantes, objets et activités au fil des pages et apprends à connaître leur nom!

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Isabelle Larouche, autrice, Isabelle Charbonneau, conceptrice et illustratrice (2023), Le P’tit avion du Nunavik, Éditions du Grand Élan. Montréal, couverture rigide, 48 p. [en collaboration avec Thomassie Mangiok et Nancy Etok]

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Isabelle Larouche, autrice, Isabelle Charbonneau, conceptrice et illustratrice (2023), The little Nunavik airplane, Éditions du Grand Élan. Montréal, couverture rigide, 48 p. [en collaboration avec Thomassie Mangiok et Nancy Etok, adaptation en langue anglaise par Faith J. Cormier]

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Une version-avion de l’ouvrage, plus petite et à couverture souple, existe, en langue inuktitut.

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