7 au Front

Surenchère de victimisation identitaire et communautaire

Par Khider Mesloub.

Cet article est disponible en anglais et en italien ici :
Article de Khider Mesloub -anglais-italien-du 4 Decembre 2023

À l’ère de la victimisation, synonyme d’infantilisation, stade évolutif humain caractérisé par l’impuissance, le statut de victime est revendiqué avec complainte, voire plainte. Devant la société. Devant la justice.

Dans une société capitaliste moderne marquée tout à la fois par la différenciation socioéconomique et l’indifférenciation sociétale, c’est-à-dire l’inégalité sociale et l’uniformisation culturelle (américanisation de la pensée, standardisation sociologique et urbanistique), comment se distinguer pour se soustraire à l’anonymat personnel, sinon par l’adoption d’une posture victimaire, ultime stratégie de visibilisation existentielle.

Le monde capitaliste est fondé sur la compétition et la concurrence. Tout est objet de compétition et de concurrence. Dorénavant, nous sommes entrés dans l’ère de la concurrence victimaire. Pour rappel, le terme de victimisation désigne une tendance à s’enfermer dans une identité de victime.

De nos jours, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, avec les actes catégorisés, subjectivement et partialement, d’antimusulmans ou d’antisémites, on assiste à une surenchère de manifestations de colère exprimées sur fond d’antiracisme. Dans cette période de crise économique systémique, tout se passe comme si l’antiracisme et l’antisémitisme servaient d’instruments de diversion politique tendus par les classes dirigeantes pour dévoyer la colère sociale sur des revendications stériles communautaristes.

Somme toute, au lieu de dénoncer les violences sociales infligées à des centaines de millions d’individus, de toutes origines ethniques et confessionnelles, réduits au chômage ou mis en faillite, les « citoyens » atomisés, instrumentalisés par les médias stipendiés, sont invités à vitupérer contre la flambée du racisme antimusulman ou l’antisémitisme. Flambée de xénophobie souvent allumée et attisée par les pyromanes gouvernementaux.

Au lieu de condamner et, surtout, de combattre le « racisme social » subi par des millions de prolétaires, réduits à survivre dans une société caractérisée par l’apartheid structurel capitaliste, incarné par les inégalités sociales et les discriminations résidentielles, la privation d’emploi et l’anémie nutritionnelle, les prolétaires, atomisés, sont invités à défiler pacifiquement dans la rue pour blâmer moralement le racisme ou l’antisémitisme, combat communautaire par excellence.

Au lieu de lutter contre la mise au chômage de plusieurs millions de prolétaires, réduits à survivre d’aides alimentaires, on invite la population à manifester contre le sporadique racisme ou l’imperceptible antisémitisme.

Force est de constater que ces dernières années, à la liste des traditionnelles communautés autoproclamées victimes de racisme ou d’antisémitisme est venue se greffer une multitude d’autres lilliputiennes communautés, fabriquées pour les besoins de la cause. En effet, dans cette période marquée par la dépolitisation, on assiste à la surenchère de la victimisation communautaire, qui se traduit par l’enfermement des minorités soi-disant « discriminées » dans leur identité essentialisée.

Les oligarques de chaque supposée communauté, aux fins de capter l’adhésion de celles et de ceux qui se sentent discriminés, alimentent quotidiennement les divisions et les dissensions par une description de leur condition communautaire la plus sombre possible, propre à attiser l’exacerbation des ressentiments et, donc, des récriminations lucratives, des doléances compensatoires, des séparatismes communautaires rentables.

À notre période contemporaine, la classe dominante, faute de révolutionner les forces productives atones pour nourrir les prolétaires, transforme constamment sa sémantique pour les alimenter de termes euphémistiques nouveaux, afin de soulager sémantiquement leur souffrance. Illusoire moyen lexical littéralement créatif pour tenter de perpétuer son système d’exploitation en pleine déliquescence.

De nos jours, tristement assombris par le séparatisme, chaque communauté ou groupe identitaire, pour caractériser sa victimisation, se construit son néologisme fondé sur le même suffixe : phobie. Judéophobie. Arabophobie. Islamophobie. Homophobie. Chacun de ses termes désigne une forme spécifique de racisme, selon leurs sectateurs.

Par ailleurs, la victimisation est devenue un modus operandi dans la guerre mémorielle lucrative. Dans une société capitaliste moderne ravagée par l’individualisme et l’anonymat, la victimisation permet de visibiliser son existence. Donc, d’obtenir une reconnaissance. Et, corrélativement, une réparation. Ainsi, la victimisation est un terreau fertile en matière de stratégies d’influence politique et de lobbyisme lucratif.

Pour ce faire, mue par l’appât du gain, chaque communauté se lance dans une surenchère de comptabilité des calvaires et de décompte des cadavres pour faire valoir son statut de victime exceptionnelle.

À notre époque caractérisée par une course effrénée à la victimisation, un communautariste juif brandira le lucratif paravent de la Shoah pour s’estimer plus légitime à bénéficier des réparations pécuniaires et du respect dû à son rang de victime ancestrale d’antisémitisme. Mais il sera aussitôt réfuté par un communautariste Africain qui se prévaudra de son passé marqué au fer rouge par l’esclavage et le colonialisme pour lui ravir son statut de porte-parole des victimes. En embuscade, le communautariste musulman surgit à son tour pour disputer au juif et à l’Africain leur titre de victimes, et s’ériger en principal martyr des souffrances humaines contemporaines. Tapie dans l’ombre, l’identitaire féministe bondit hystériquement pour s’autoproclamer l’unique victime de toutes les discriminations. Posté à l’intersection des bifurcations identitaires, l’identitaire homosexuel se dresse à son tour pour s’attribuer le palmarès du statut victimaire millénaire.

Nous sommes ainsi entrés dans l’ère de la victimisation communautaire et identitaire. Consolante et touchante. Et surtout sonnante et trébuchante. Car pécuniairement payante. En particulier pour ses porte-paroles attitrés et représentants officiels.

Pour le grand bénéfice du capital, la posture victimaire induit par ailleurs une structure mentale démissionnaire. Égocentrique. Pour information, l’égocentrisme se caractérise par une tendance à ramener tout à soi, par une focalisation sur les intérêts exclusifs de sa personne, de sa communauté. L’intérêt général est ainsi phagocyté par les intérêts particuliers concurrentiels.

Curieusement, à l’ère de la mondialisation et de l’ouverture des frontières, chaque minorité autoproclamée est invitée à s’enfermer dans sa propre identité, sa tribu, communauté religieuse ou groupe sexuel. Un enfermement dommageable et préjudiciable pour les prolétaires. Mais profitable et rentable pour la classe dominante.

Ironie de l’histoire, au moment où les bourgeoisies nationales se mondialisent, les prolétaires se tribalisent. Au moment où les capitalistes du monde entier, faisant fi de leurs différences ethniques et confessionnelles, unissent leurs efforts pour se coaliser et fusionner, les prolétaires sont exhortés, voire sommés, par leur bourgeoisie nationale unifiée, à se désagréger en de multiples segments identitaires et communautaires clivants et antagoniques.

Ainsi, chaque prolétaire est assigné à résidence dans sa spécificité identitaire, religieuse ou sexuelle. Il est sommé à n’exister et s’exprimer exclusivement qu’en tant que juif, musulman, « femme opprimée », homosexuel, etc. Sa principale réelle identité de classe prolétarienne est dissoute dans une identité imaginaire. Une communauté fantasmagorique.

Et si quelque prolétaire universaliste et internationaliste s’avise à contester ce schéma psychologique et modèle culturel particulariste, dénonce cette assignation essentialiste, il est aussitôt taxé d’agent du capital mondialiste, d’utopique, de totalitaire.

Cela étant, cet enfermement de chacun dans une communauté fantasmagorique ou identité imaginaire est le meilleur moyen pour diviser et cliver les prolétaires. Il permet de nourrir les préjugés et d’accentuer le séparatisme parmi les prolétaires, au grand profit de la classe dominante capitaliste qui se consolide et pérennise sa domination par la fragmentation de son ennemi de classe, le prolétariat, entraîné délibérément dans l’engrenage de la guerre fratricide : la guerre civile.

Khider MESLOUB

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

6 réflexions sur “Surenchère de victimisation identitaire et communautaire

  • Bonjour,

    merci pour votre texte qui met en lumière une triste réalité.

    Pour vous signaler une coquille en face de « février 2023 » : « ses » au lieu de « ces ».

    Cordialement,

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  • Jacques Abel

    Très bon article, mais, ne pas oublier que, classe, est un terme signifiant une division fondée sur la condition économique de chacun.
    Celles et ceux qui peuvent 100 euros de plus qu’un autre sur quelque chose, ne s’identifieront pas systématiquement à lui et vis versa, donc, on devrait pouvoir réfléchir s’il est judicieux à notre de croire que l’identité prolétaire est celle la plus pertinente susceptible de fédérer les gens à la condition modeste, voire simple au sens non complexe.

    Sortis de leur sérail, certains mots dans une société d’hyper communication où l’Image est prépondérante comme la nôtre, n’ont plus la moindre portée dans le cerveau et sont des identifiants obsolètes qui n’animent pas le cerveau contemporain.

    Nous oublions trop vite parce que victimes d’aliénations qui nous sont invisibles parce qu’on éprouve un sentiment positif uniquement bienveillant envers nous-mêmes, une supposée générosité d’accueil de l’autre, qui nous fait trop vite et souvent oublier, que, les gens ne se déplacent pas volontairement de là d’où ils sont originaires, comme peuvent se déplacer des objets.
    Pour créer des exodes, il faut créer les situations désastreuses qui les favorisent, quelles qu’elles soient, même à l’intérieur d’un pays développé, si le pouvoir économique nécessite un besoin de main d’oeuvre renforcé plus dans un coin que dans l’autre, il le fera, les saisonniers savent très bien ce que c’est que de transhumer, or, partout où on va, on reste longtemps et pourquoi pas à jamais celui d’où l’on vient, donc, est-il vraiment aussi rébarbatif que ça, de faire aimer sa patrie en contribuant à gommer le communautarisme pour faire figurer le destin commun?

    Tout ça demande à être considéré selon moi, mais bon…

    Répondre
    • @ ABEL

      Je vote pour prolétaire = le prolétariat est universel et n’a pas de patrie. Le prolétaire est internationaliste (je n’ai pas écrit mondialiste)…
      Le prolétaire a les mêmes conditions d’exploitation et d’aliénation sur chaque continent.. dans toutes les langues et sous tous les climats

      Le prolétaire est internationalement l’ennemi irréductible du capital mondial

      JE VOTE = PROLÉTAIRE DU MONDE ENTIER UNISSEZ-VOUS !

      Peu importe le temps qu’il nous faudra pour y parvenir…

      Robert Bibeau

      Répondre
      • Jacques Abel

        Bonsoir Rober,

        Je ne suis pas l’ennemi du terme ni de sa réalité, je veux croire que tu n’en doutes pas.
        Mais, franchement, est-ce qu’on dispose encore du temps dont a besoin la cause qui est la nôtre à tous.
        Notre ennemi commun, à nous tous les spoliés, est un polymorphe qui emploiera tous ses moyens pour ne jamais permettre une émancipation politique aux spoliés quant aux changements paradigmatiques qui doivent intervenir en eux, pour les libérer de leur esclavage.

        Le polymorphe est en train mué là, or, si on doit reconnaître chez-lui son vrai point faible, c’est justement ce que font ressortir les évènements de l’époque actuelle, à savoir que son armée internationale de liges, sans laquelle, il n’est rien, nous lui faisons prendre conscience par nos attaques intellectuelles, qu’elle n’a toujours pas de chez-elle, c’est toujours une nation dispersée qui a des pays, mais pas de patries.
        Une nation dispersée qui, dans sa dispersion, voit que l’entité promise à la défendre n’est qu’un ersatz par rapport à ce qu’elle a vraiment déjà, et qui la coupe de plus en plus de cela, parce que dans les pays où vivent ces dispersions, leurs compatriotes, eux, voient comment est exploitée sans vergogne toute la substance saine de leurs pays pour sauver un monstre donc chaque génération vivante et consciente était éduquée à ce qu’aucun autre monstre depuis le dernier apparu auparavant comme cela, ne puisse un jour repointer son nez.

        Cette chose horrible est là, déchaînée, plus meurtrière et bestiale qu’aucune autre avant elle.
        Alors, qu’est-ce qu’on fait, on prend le temps pour que les choses deviennent idéales comme on veut, ou on défonce leurs chaînes aux esclaves dispersés, pour qu’ils deviennent eux aussi des patriotes dans le pays dans lesquels ils vivent?
        Plutôt que d’y vivre dans la peur qu’un jour leurs voisins leur fassent la peau?

        La guerre est là, bruyante, elle le deviendra bientôt dans nos pays sous d’autres formes si nous ne faisons rien pour l’empêcher et détruire son existence là où elle bat son plein.
        Pour ça, quels plans, quels objectifs, quels moyens mis en oeuvre?

        Le sionisme n’était et n’est pas une solution, c’est une cause de mort inéluctable pour les dispersions qui croient encore qu’elles doivent faire preuve de patriotisme envers l’entité effroyable qui prétend les incarner, israël.

        Voilà pourquoi, selon moi, ta conception prolétarienne du problème qui galope vers nous, n’offre pas d’efficience rapide à sa parade, c’est une utopie parce que ta vision des choses est la création d’une identité à vocation universelle, c’est un sinon le mondialisme.
        Je peux me tromper, c’est sûr, néanmoins, je pense qu’on a plus de chances de sauver du monde d’un bâtiment où le feu couve, si on les évacue dès la première odeur d’incendie, avant même l’apparition de la fumée, que de chercher à savoir d’où vient le problème.
        Peut-être est-il temps vois-tu, d’essayer de faire les juifs ne plus penser d’eux-mêmes en tant que peuple-nation, avant que les bestialités primitives des Hommes ne s’activent contre eux, une bonne fois pour toutes.

        Jacques Abel

        Répondre
  • Robert bibeau

    Excellent texte, bravo Khider

    Je ne ferais qu’une correction…dans le paragraphe qui suit : « Ironie de l’histoire, au moment où les bourgeoisies nationales se mondialisent, les prolétaires se tribalisent. Au moment où les capitalistes du monde entier, faisant fi de leurs différences ethniques et confessionnelles, unissent leurs efforts pour se coaliser et fusionner, les prolétaires sont exhortés, voire sommés, par leur bourgeoisie nationale unifiée, à se désagréger en de multiples segments identitaires et communautaires clivants et antagoniques. » FIN DE CITATION.

    J’écrirais plutôt « les prolétaires sont endoctrinés – incités – à se tribaliser… » ce que les prolétaires révolutionnaires refusent et- combattent de toutes leurs forces comme dans ce texte internationaliste prolétarien que nous offre ici Khider Mesloub.

    Merci Mesloub

    PS : la photo qui accompagne l’article présente une autre secte inventée et promue par la bourgeoisie pendant l’hystérie COVID – les vaccinés terrorisés qui s’isolaient de leur communauté de résistance à la propagande communautariste.

    Robert Bibeau

    Répondre

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