Guerre en Ukraine VI: Ajouter la puissance économique au modèle d’attrition

Par Peter Turchin − Le 10 Décembre 2023.

Dans les billets précédent de cette série de six…

Guerre en Ukraine V : Hypothèses alternatives

Depuis que j’ai publié ma série de blogs sur la guerre en Ukraine (la dernière ici) en juillet, je me suis rendu compte que je n’avais abordé explicitement qu’une seule hypothèse (qui prédit une victoire de la Russie).


Guerre en Ukraine IV : Projections

Dans cette partie, j’utiliserai les idées discutées dans les articles précédents pour faire des projections. Une projection diffère d’une prévision (et certainement d’une prophétie) en ce sens qu’elle n’est pas une tentative de prédire ce qui va se passer. Il s’agit plutôt d’une description de ce qui se produirait en fonction de certaines hypothèses et suppositions. En règle générale, nous voulons faire plusieurs projections, en utilisant différentes hypothèses.


Guerre en Ukraine III : une évaluation provisoire

Seize mois après le début de la guerre, l’issue finale de ce conflit reste incertaine. Les déclarations publiques des deux parties continuent d’exprimer une confiance illimitée dans leur victoire finale (voir, par exemple, Russia’s Strategic Failure and Ukraine’s Secure Future). Mais seuls les professionnels militaires qui servent dans les états-majors savent de quel côté l’avantage a basculé – ils disposent des données. Il faudra attendre la fin de la guerre et la publication des données pour pouvoir évaluer correctement les prévisions du modèle OL, dont il est question dans la partie II. Mais même à ce moment-là, nous ne saurons pas tout.


Guerre en Ukraine II : Le modèle

La première partie de cette série a présenté le modèle Osipov-Lanchester (OL) et illustré les idées à l’aide de l’exemple de la guerre civile américaine. Dans cette deuxième partie, mon objectif est d’extraire du modèle Osipov-Lanchester une prédiction pour la guerre en Ukraine.

Quelques points généraux/rappels :

  • Je ne prends pas parti et je ne discute pas des droits et des torts.
  • La guerre est un mal, mais elle doit être étudiée.
  • Je m’intéresse à une prédiction scientifique, pas à une prophétie.
  • Le modèle est très simple et sa prédiction n’est pas une déclaration de ce qui sera, mais un moyen de découvrir comment la réalité s’écarte de sa prédiction.
  • Je ne fonde pas cette prédiction sur une analogie directe avec la guerre civile américaine (GCA) ; je ne l’utilise qu’à titre d’exemple.

Guerre en Ukraine I : Ce qu’Osipov et Lanchester nous apprennent sur la guerre en Ukraine 

Comme mes lecteurs le savent, je ne prends pas parti de manière partisane ou idéologique – qu’il s’agisse des Démocrates contre les Républicains, ou des Russes contre les Ukrainiens (et l’OTAN). Je ne parlerai pas des droits et des torts de cette guerre. La question que je souhaite plutôt aborder est la suivante : quelle est la dynamique de ce conflit ? Et comment va-t-il se terminer ? Il est difficile d’aborder la guerre dans l’esprit d’une enquête scientifique…la suite sur : Guerre en Ukraine I : Ce qu’Osipov et Lanchester nous apprennent sur la guerre en Ukraine | Le Saker Francophone

 


Guerre en Ukraine VI: Ajouter la puissance économique au modèle d’attrition

Pour cet VIe billet  J’ai promis de montrer comment les hypothèses de puissance économique et de taux de pertes (voir Comment apprécier la puissance guerrière d’une alliance impériale? – les 7 du quebec)  peuvent être combinées au sein d’un même modèle informatique. Hier, le SocArxiv a finalement publié ma prépublication décrivant ce modèle (il a fallu plusieurs semaines pour résoudre certains problèmes bureaucratiques), et je peux maintenant y renvoyer les lecteurs :

Test empirique des prédictions d’un modèle de guerre d’attrition pour la guerre en Ukraine

En outre, grâce à mon assistant de recherche Jakob, vous pouvez maintenant jouer avec le modèle vous-même :

Modèle de guerre d’attrition (AWM)

Le modèle de guerre d’attrition est assez simple : il s’agit essentiellement d’un outil de comptabilité. Les principales hypothèses sont

(1) la dynamique future de la production de matériel de guerre par les belligérants,

(2) la manière dont le matériel est converti en pertes et

(3) la manière dont le point final est déterminé. Les détails se trouvent dans la prépublication.

Mais le message général est très clair. Une fois que la guerre est entrée dans la phase d’attrition (fin 2022) et qu’il est clair que les sanctions occidentales n’ont pas réussi à stopper la capacité de production russe, l’issue finale est devenue, pour l’essentiel, une certitude mathématique. Bien sûr, il est toujours possible qu’un événement majeur de faible probabilité (“fat tail”) vienne changer la donne, mais en partant du principe qu’il ne se produira pas, le modèle prédit, en fin de compte, la victoire de la Russie. Cette prédiction est résumée dans ce graphique (qui est une version un peu plus sophistiquée du graphique principal du billet que j’ai publié en juillet, Guerre en Ukraine IV : Projections) :

Dix réalisations générées par l’AWM pour la dynamique des pertes ukrainiennes. La bande bleue représente le point final estimé (le niveau de pertes lorsque la guerre devient insoutenable)

Si l’issue finale ne fait aucun doute (à moins d’un événement qui change la donne), il existe une grande incertitude quant à la durée du conflit (dans le modèle, une courbe brune croisant le niveau quelque part dans la bande bleue). Une partie de cette incertitude est due à divers événements aléatoires affectant la prédiction, mais une partie encore plus importante est due au manque de connaissances précises sur les paramètres du modèle et les conditions initiales (telles que les stocks initiaux d’obus et les taux de leur dépense), Ce dernier problème sera quelque peu amélioré après la fin de la guerre, lorsque de meilleures connaissances seront disponibles.

Comme je l’explique dans la prépublication, j’ai utilisé le modèle AWM pour étudier ce qu’il faudrait faire pour inverser le résultat prévu. Il semble qu’une suppression rapide de la capacité de la Russie à produire des munitions soit une condition nécessaire (mais je serais curieux de savoir si un lecteur trouve un autre ensemble d’hypothèses). Comme cela ne s’est pas produit en janvier 2023 (date à laquelle les deux prédictions alternatives, discutées dans le post précédent, ont été faites), il est maintenant clair quelle prédiction était basée sur la réalité, et laquelle ne l’était pas.

Peter Turchin est un scientifique de la complexité qui travaille dans le domaine des sciences sociales historiques que lui et ses collègues appellent : Cliodynamique

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone, sur Guerre en Ukraine VI : Ajouter la puissance économique au modèle d’attrition | Le Saker Francophone

 

EN COMPLÉMENTAIRE :  Résultats de recherche pour « guerre » – les 7 du quebec

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

Une réflexion sur “Guerre en Ukraine VI: Ajouter la puissance économique au modèle d’attrition

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