Les médias à la solde du capital – l’exemple français (Halimi-Rimbert)
Par Robert Bibeau.
Cet article est disponible en anglais et en italien ici:
Article de Halimi et Rimbert-ANGLAIS-ITALIEN- avec la Note de Bibeau du 7 fevrier 2024
Il est très étrange que nombre de journalistes croient sincèrement qu’il existe un « quatrième pouvoir » dont la mission serait d’apporter la vérité, la lumière et l’impartialité à la populace dubitative ou tétanisée. Pourtant, il n’y a pas si longtemps – au temps de la « pandémie » covidienne – les médias à la solde avaient exposé leur duplicité – colporté des mensonges – dissimulé des collusions et des malversations – ostracisé ceux non conformes au mantra dominant – lancé l’anathème contre la résistance légitime à cette « plandémie » patentée. Pire, aucun de ces médias – propriétés des multimilliardaires de la soi-disant information – n’a daigné s’excuser d’avoir ainsi dissimulé le meurtre ou la non-assistance à personnes âgées en danger. Pas d’excuse non plus pour avoir colporté et/ou fabriqué mensonges et contre-vérités et ainsi terrorisé la population incrédule de ce salmigondis médiatique.
Puis, il y eut la farce médiatique ukrainienne ou le chef néo-nazi Zelensky fut présenté comme un héros et une victime (sic), (voir Comment les États-Unis ont planifié la guerre d’Ukraine et la crise énergétique en Europe (RAND Corporation) – les 7 du quebec), et dernièrement la révolte agricole européenne fut dénigrée par ces médias. Les médias de propagande sont des menteurs à la solde des riches et les journalistes des mercenaires « plumitifs ». (Voir La crise agricole en Europe – Le grand capital international absorbe le petit capital régional (chiffres et statistiques) – les 7 du quebec).
En ce début d’année 2024, c’est le traitement médiatique du génocide mené contre le peuple palestinien qui interpelle journalistes et experts médiatiques honteux. Dans l’article ci-dessous, les journalistes Serge Halimi et Pierre Rimbert s’interrogent, étonnés, à propos de la propagande pro-israélienne des médias mainstream occidentaux…quelle naïveté (!!!) Ils écrivent :
« En quatre mois, les dirigeants du «quatrième pouvoir» n’ont pas seulement alimenté un culturalisme qui, comme au temps des empires coloniaux, place l’Occident au pinacle de l’humanité. Ils ont, dans leur grande majorité, entériné le point de vue de l’extrême droite israélienne et accompagné ou cautionné en France la marginalisation des opposants à la guerre israélienne contre le peuple de Gaza en leur interdisant d’exprimer leurs solidarités » (…)
Les journalistes s’égarent…il n’y a pas de « quatrième pouvoir« …médiatique dans la mesure ou les médias – télévisuels – radiophoniques – imprimés et numériques de masses sont la propriété de milliardaires d’affaires du « premier pouvoir« …le pouvoir économique…qui diligente le « deuxième pouvoir« …le pouvoir politique asservi et docile pour effectuer ses basses œuvres.
Les journalistes s’égarent également quand ils tentent d’incriminer la « droite » israélienne, française, européenne, occidentale et mondiale et de disculper la « gauche » israélienne, française, européenne, occidentale et mondiale. Le proxy israélien, cette base militaire impériale érigée au Moyen-Orient par l’hégémon américain, est au service de l’impérialisme occidental de gauche comme de droite. Depuis 75 années, le Parti Travailliste israélien (gauche) et le parti Likoud (droite fasciste) occupent la terre palestinienne, et mènent tour à tour des pogroms et des attaques génocidaires contre le peuple palestinien avec le plein soutien de la « gogauche » et de la droite française, européenne, occidentale et mondiale avec l’appui des médias menteurs. C’est le gouvernement de gauche de la France qui a fourni la technologie nucléaire à l’armée fasciste israélienne.
Les journalistes ne devraient pas tenter d’innocenter les médias mainstream, propriétés des milliardaires français, européens, occidentaux et mondiaux. Il n’y a rien d’étonnant dans leur duplicité avec les criminels de guerre du camp Atlantique ou ceux du camp impérial du Pacifique. Quant à nous, du camp prolétarien, notre solidarité indéfectible est acquise au peuple palestinien victime d’épuration ethnique, de crimes de guerre et d’une politique génocidaire qui dure depuis 75 ans n’en déplaise au « troisième pouvoir » de la Cour Internationale de Justice (CIJ) ou de la CPI. La tromperie de la Cour (impériale) Internationale de Justice (Chossudovsky) – les 7 du quebec
Le journalisme français, un danger public
Par Serge Halimi & Pierre Rimbert
Depuis le 7 octobre dernier, les grands médias veillent à l’alignement des planètes autoritaires
en France. Leur soutien inconditionnel à Israël s’accompagne de leur diffamation des opinions
dissidentes, de leur mise en cause des libertés publiques et de leur chasse aux immigrés. Jusqu’où ira
cette guerre idéologique ? Au service de qui ?
Un moment de folie médiatique a révélé en même temps que précipité un mouvement de
bascule politique : dans les semaines qui ont suivi les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre
2023, les principaux médias et le gouvernement français ont réalisé une double prouesse.
Celle d’exclure de l’«arc républicain» La France insoumise (LFI), qui refusait d’absoudre
d’avance les représailles militaires du gouvernement israélien à Gaza, et, symétriquement, celle d’y
inclure le Rassemblement national (RN). Jugé indigne de gouverner par les classes dirigeantes qui
appelaient à «faire barrage» contre lui, le parti fondé en 1972 par M. Jean-Marie Le Pen s’est trouvé
subitement réhabilité et blanchi par son alignement sur les positions du gouvernement israélien de M.
Benyamin Netanyahou. Sur Cnews-Europe 1, la journaliste Sonia Mabrouk en vint même à célèbrer en
Mme Marine Le Pen «le rempart, la protection, le bouclier pour les Français juifs» (10 octobre 2023),
tandis que Le Figaro (5-6 novembre 2023) et BFM TV (12 décembre 2023) alternaient un portrait
louangeur de M. Jordan Bardella et des bandeaux triomphaux «Bardella à Matignon: 46 % des
Français séduits».
Au même moment, la presse progressiste (sic) pilonne M. Jean-Luc Mélenchon dans les termes
qu’elle réservait autrefois à M. Le Pen: il «accumule les dérapages rances» (L’Obs, 12 octobre 2023) à
force de déclarations «imprégnées de stéréotypes antisémites» (Mediapart, 10 novembre 2023). «
Antisémitisme : comment Jean-Luc Mélenchon cultive l’ambiguïté », titre un long article du Monde (4
janvier 2024) qui échoue à produire le moindre propos antisémite. En trois mois, ce quotidien aura
consacré une demi-douzaine d’articles et plusieurs éditoriaux à la tentative d’assassinat symbolique du
dirigeant de LFI.
« Le diable a changé de camp », constate Nicolas Beytout dans le quotidien patronal L’Opinion
(12 octobre 2023) : « L’attaque du Hamas rebat les cartes. Les Insoumis sont plus faciles à haïr, le
Rassemblement national plus difficile à combattre.» Dans les médias, l’arc républicain se confond
alors avec l’arc israélien. Le 12 décembre, le journaliste de France Culture Brice Couturier révèle
même dans un tweet le désir inavouable d’une fraction croissante des élites françaises : « Puisqu’il va
falloir en passer par un épisode RN (tous les sondages le montrent), pourquoi pas dans le cadre d’une
cohabitation ? Dissolution. À l’Élysée, Macron garde la main sur la politique étrangère (pas de
rupture avec l’UE et l’OTAN), et il dissout au moment propice en 2026.»
Inimaginable il y a dix ans, une extrême-droitisation aussi rapide du spectre politique hexagonal
(sic) a évolué de pair avec la restriction des libertés d’expression, d’opinion, de manifestation. À l’unisson
du ministre de l’intérieur, les médias assimilent, par dessein idéologique ou par paresse intellectuelle, à
de l’antisémitisme des manifestations ordinaires de soutien à la cause palestinienne, lesquelles sont
d’abord interdites. «Des manifestations de soutien aux terroristes», corrige alors Bernard-Henri Lévy
dans Le Point (9 novembre). Son admirateur, le journaliste Darius Rochebin, propose sur LCI
l’«internement administratif des islamistes»(15 octobre 2023). (Le fascisme sort de l’armoire NDÉ).
La « loi immigration » votée par la majorité présidentielle, la droite et le RN viendra couronner
cette séquence, le 19 décembre : le texte, qui institutionnalise la préférence nationale et durcit la
répression des étrangers, a été promu par le ministère de l’intérieur comme un bouclier contre les
« atteintes aux intérêts fondamentaux de l’État», les «activités à caractère terroriste», et la provocation
à la violence — entendre celle de musulmans «islamistes» tentés de commettre des pogroms
antisémites.
Le séisme couvait — et s’était déjà manifesté ailleurs en Europe. L’ironie veut cependant qu’en
France un tel tournant autoritaire s’effectue sous la conduite conjointe d’une corporation
journalistique qui s’autoproclame gardienne des libertés démocratiques et d’un gouvernement
élu pour faire barrage à l’extrême droite. Et que l’une et l’autre justifient leurs agissements par la
nécessité de soutenir le «droit d’Israël à se défendre» au moment où cet État multiplie les crimes de
guerre dans l’espoir de précipiter l’exil ou la déportation de tout un peuple et d’empêcher ainsi qu’il
devienne un jour souverain sur son territoire.
L’ampleur des massacres commis à Gaza, la réprobation internationale qu’ils suscitent et le
discrédit d’un journalisme occidental à la partialité caricaturale amèneront probablement
certains protagonistes à espérer qu’on oubliera leur égarement et les dégâts qui en ont découlé.
Raison de plus pour revenir en détail sur les deux temps de la guerre de l’information qui s’est
ouverte le 7 octobre : la médiatisation des massacres du Hamas, abondamment décrits comme une
culmination historique de l’horreur, puis celle, toute en retenue et en litotes, de la guerre totale menée
par Israël contre les Palestiniens. En quelques semaines, la France a fait l’expérience d’un
journalisme de meute qui déteste autant le débat contradictoire que la liberté d’expression.
«Un combat des démocraties»
Trois dimensions structurent la médiatisation du conflit israélo-palestinien. L’axe temporel,
d’abord, dont le point zéro correspond toujours à l’assassinat d’Israéliens — ici, le 7 octobre — et
jamais au moment, antérieur, du meurtre d’habitants de Cisjordanie ou de Gaza. En 2021 et 2022 ainsi
qu’au cours des neuf premiers mois de 2023, l’armée d’occupation a pourtant tué respectivement 349,
291 et 227 Palestiniens, sans que ces exactions mobilisent les rédactions. Acrimed (23 octobre) relève
que, du 1er janvier au 1er octobre 2023, « le “20 heures” de France 2 n’a consacré que dix sujets au
conflit. Sur ces dix mois, le temps de parole de Palestiniens fut de trente-trois secondes».
Organiser ainsi le calendrier détermine mécaniquement la nature de ce qui fera l’événement (le
massacre d’Israéliens), le rôle tenu par les protagonistes (les terroristes du Hamas, les victimes
israéliennes et les justiciers de l’armée), enfin le déroulement du scénario : à l’horreur (du 7 au 26
octobre) succède la « riposte », le «droit d’Israël à se défendre» (27 octobre au 10 décembre). Ces deux
séquences concentrent l’essentiel de la médiatisation. Au détriment de la troisième: la contestation
internationale d’une guerre potentiellement génocidaire (depuis le début du mois de décembre)
sensiblement moins couverte que la première séquence (1). L’importance de cette dimension temporelle
se perçoit facilement : si l’événement médiatique s’était construit autour des crimes ordinaires
perpétrés par Israël dans les territoires occupés ou du blocus meurtrier de Gaza, le «droit des
Palestiniens à se défendre» aurait pu s’imposer comme un sujet d’actualité légitime.
Ou pas… Car le regard journalistique sur le conflit israélo-palestinien s’articule autour d’un
deuxième axe: l’occidentalisme. Alignées sur une diplomatie française et européenne de plus en plus
atlantiste, les rédactions voient en Tel-Aviv l’allié qui partage la même vision du monde, les mêmes
ennemis, la même conviction d’appartenir à une civilisation supérieure, celle des sociétés libérales.
Au Proche-Orient fait rage «un combat des démocraties occidentales contre l’obscurantisme de
l’islamisme radical», affirme la journaliste Laurence Ferrari dans une question-manifeste posée à
Michel Onfray (Paris Match, 4 janvier 2023). « Parce que l’horreur a été commise, il faut qu’elle soit
commise de l’autre côté ?» Lorsque M. Dominique de Villepin interroge ainsi l’animatrice de BFM TV
Apolline de Malherbe (27 octobre 2023), il s’attire cette réplique : « Mais vous pensez comme quelle
partie de l’humanité ? » — l’Occident éclairé ou ce Sud populeux où «la rue» ménage les terroristes.
«J’aime Israël (…) parce que c’est un pays où souffle l’esprit européen», résume l’ancien
directeur de Charlie Hebdo Philippe Val, désormais chroniqueur sur Europe 1 (9octobre 2023), la radio
extrêmement de droite de M.Vincent Bolloré. (Le fascisme montre sa face hideuse. NDÉ).
Comme ce fut le cas pour Kiev un an et demi plus tôt, les médias entérinent sans vérification
ni recul la plupart des récits du gouvernement et de l’armée israéliens, dont les communicants
parlent souvent parfaitement l’anglais et connaissent les codes journalistiques du public-cible.
En revanche, toute information issue du Hamas, y compris le décompte des victimes, se
trouve frappée au coin du doute. Au-delà des multiples fake news de «Tsahal» (les quarante bébés
décapités, les vingt enfants brûlés et exécutés, le nouveau-né rôti au four, la femme enceinte abattue et
éventrée, le quartier général du Hamas sous l’hôpital Al-Shifa, etc.), dont le démenti tardif a moins
d’écho et d’impact que l’information sensationnelle initiale, c’est le cœur même du récit officiel
israélien que les médias français relaient: l’armée de la «seule démocratie du Proche-Orient» a pour
mission de détruire un monstre inhumain fondu dans la population gazaouie; le Hamas porte par
conséquent la responsabilité principale de toutes les victimes du conflit.
Comme souvent en pareilles circonstances, ce genre de propagande n’a pas de meilleur
interprète que Bernard-Henri Lévy. «Israël s’oblige à respecter le droit humanitaire, plaide
l’essayiste sur LCI le 29 octobre 2023. Israël fait tout ce qui est en son pouvoir pour qu’il y ait le
moins de victimes civiles possible. Encore une fois, Israël lance des tracts, téléphone, envoie des
messages de toutes sortes aux Gazaouis en disant “Ne restez pas! Ne restez pas les otages de ces
salopards qui vous manipulent depuis quinze ans, partez, fuyez.” Donc le droit humanitaire, il est dans
la tête et dans les cœurs des Israéliens autant que dans la tête et les cœurs des téléspectateurs bien
tranquilles de New York, de Paris ou de Berlin.» En somme, comme le précisera le 31 décembre M.
Netanyahou, Israël mène une «guerre d’une moralité sans équivalent».
Au fil des jours, cette fable débitée sur toutes les chaînes d’information relativise la courbe
ascendante des victimes palestiniennes. Et maquille en riposte légitime ce qui a les apparences d’une
tentative d’épuration ethnique. «Là, pour que ceux qui nous regardent, nous écoutent, comprennent
bien, le Hamas demande aux civils de ne pas bouger pour ensuite s’en servir comme… boucliers
humains et s’en servir comme une sorte de propagande alors même que l’armée israélienne prévient et
donne cet ordre d’évacuation. C’est… c’est bien ça l’objet de cette propagande du mouvement
terroriste ?» demande Benjamin Duhamel, le 13 octobre 2023, sur BFM-RMC. Perplexe face à une
présentation aussi lumineusement objective de la situation, son invité, le journaliste Georges
Malbrunot, répond : «Oui… c’est grosso modo à peu près ça.»
Deux jours plus tard, Duhamel chapitre un député de LFI qui a, prudemment, évoqué l’idée
d’un cessez-le-feu: «Avec le Hamas, François Ruffin? Le Hamas est un mouvement terroriste! Ça veut
dire que vous dites: il faut qu’Israël négocie avec le Hamas?» Puis il reprend: « Il y a quelque chose
qui m’interpelle dans ce que vous dites. Est-ce que, au fond, vous faites partie de ceux qui, notamment
au sein de La France insoumise, semblent renvoyer dos à dos d’un côté les attentats terroristes du 7
octobre et la riposte d’Israël ?»
Même son de cloche sur France Inter, mais un mois et douze mille morts plus tard (16
novembre): «Si Israël veut atteindre ses objectifs de guerre plus rapidement, il va devoir tuer plus de
civils puisque le Hamas se protège derrière les civils», justifie Pierre Servent, l’expert chouchou de la
station publique. «Je ne vois pas comment une autre armée d’un État démocratique pourrait faire
mieux», poursuit-il, en soulignant lui aussi «l’avertissement des populations, les couloirs
humanitaires, un certain nombre de précautions réelles que Tsahal prend pour atteindre ses
objectifs de guerre». Tout le contraire, selon lui, du Hamas, affairé à «créer un événement tragique
dans la bande de Gaza, qui va être monté en épingle».
C’est toutefois Europe 1 qui décroche le titre (très disputé) de porte-parole de M.
Netanyahou à la radio. Au point de faire parfois rougir d’embarras son idole. «Les soldats israéliens»,
affirme ainsi l’historien Georges Bensoussan sans être contredit par la journaliste Sonia Mabrouk, «ont
apporté la vie et la survie, ils ont apporté du matériel médical» (Europe 1-CNews, 16 novembre
2023).
Et puisque cette armée bienveillante nous ressemble, les journalistes français accompagnent un
de leurs compatriotes quand il rejoint ses rangs. Le 10 octobre 2023, dans la matinale de France Inter,
Sonia Devillers héroïse «Yoval», un étudiant qui, quittant la France pour se battre en Israël, ne semble
pas distinguer le Hamas de la population civile de Gaza. «Merci Yoval, bonne route!», conclut la
journaliste en guise de salut au soldat qui se prépare à envahir ce territoire palestinien. Sa consœur
Judith Waintraub célèbre un autre paladin dans Le Figaro Magazine (24 novembre 2024) : Julien
Bahloul, « né en France dont il est parti pour fuir l’antisémitisme», et qui « après cinq ans sur la
chaîne de télévision i24News, remet l’uniforme pendant ses périodes de réserve, qu’il effectue en
tant que porte-parole de Tsahal ».
Drames individuels et statistiques
Si l’idée d’un traitement critique de ces Français partis se battre à Gaza ne s’impose pas aux
rédactions des médias, publics ou privés, c’est que leur biais occidentaliste postule une hiérarchie entre,
d’un côté, des démocraties menacées par l’islamisme allié aux grands démons du moment (la Russie, la
Chine) et, de l’autre, le reste du monde. Nul journaliste n’admettra volontiers qu’il assigne une partie
de la planète à un statut de sous-humanité. Mais, ce qui revient au même, beaucoup se refusent à mettre
«sur le même plan des massacres qui ont été commis, avec des viols, des femmes qui ont été mutilées,
et puis des bombardements aujourd’hui qui sont dans le cadre d’une riposte, certes avec des morts
qui sont tout à fait inacceptables» (Sonia Mabrouk, Europe 1, 26 novembre 2023).
Selon que le clavier du journaliste décrit Tel-Aviv ou Gaza, le vocabulaire et la syntaxe
humanisent ou déshumanisent le propos: Le Hamas «massacre» ou «tue» ses victimes israéliennes ; les
Palestiniens «meurent» sans qu’on précise qui les fait périr. Comme après chaque attentat en Occident,
la presse dresse le portrait individuel de victimes émouvantes tandis que les Palestiniens se trouvent
souvent réduits dans les reportages à des ombres anonymes errant dans les décombres (2). Morts-sujets
auxquels on s’identifie comme les personnages d’un film, contre morts-objets qui tapissent un décor où
le regard glisse sans accrocher.
Près de quatre mois après le déclenchement du conflit, aucun grand média français n’a réalisé
une enquête quantitative sur le traitement journalistique du conflit. Aux États-Unis, The Intercept (9
janvier 2024) a analysé un vaste échantillon d’articles du New York Times, du Washington Post et du
Los Angeles Times parus entre le 7 octobre et le 24 novembre 2023 (3).
Les résultats ne devraient pas dépayser les lecteurs français. « Le terme de “carnage” a été
utilisé 60 fois plus dans le cas de victimes israéliennes plutôt que palestiniennes, et celui de
“massacre” 125 fois dans le premier cas et 2 fois dans le second. “Terrifiant” est employé 36 fois dans
le cas de victimes israéliennes, 4 fois si elles sont palestiniennes.»
Les auteurs relèvent par ailleurs « le manque d’attention médiatique réservée au nombre sans
précédent d’enfants et de journalistes tués, alors que ces deux groupes suscitent en général la
sympathie des médias occidentaux». Enfin, alors que les assassinats de civils commis par le Hamas sont
bien présentés comme le produit d’une stratégie intentionnelle, les journalistes dépeignent les meurtres
de Gazaouis «comme s’il s’agissait d’une succession d’erreurs reproduites des milliers de fois».
Le lexique chargé d’émotion pour les uns, distancié pour les autres, est également confirmé par
l’étude d’un autre média occidental, la British Broadcasting Corporation (BBC) (4). Les chercheurs ont
passé au crible 90 % de la production en ligne de la BBC entre le 7 octobre et le 2 décembre 2023.
Outre l’association presque systématique des mots «massacres», «meurtres» et «carnage» aux victimes
israéliennes — les Palestiniens étant «tués» ou «morts»—, la recherche établit que les termes exprimant
les relations familiales comme «mère», «grand-mère», «filles», «fils», «époux», etc., ont été beaucoup
plus fréquemment utilisés pour décrire des Israéliens que des Palestiniens.
Cent jours après l’attaque du Hamas en Israël dont le bilan s’élève selon Tel-Aviv (15
décembre) à 1 139 morts dont 766 civils et 132 otages toujours retenus à Gaza, les militaires israéliens,
équipés et financés par les États-Unis, avaient tué 23 000 Palestiniens (8 000 autres étant portés
disparus), bombardé des hôpitaux, des écoles, des églises, les centres culturels, les archives, les routes,
les infrastructures énergétiques, endommagé ou détruit 60 % des bâtiments, déplacé 85 % de la
population, organisé méthodiquement une pénurie d’eau et de médicaments ainsi qu’une famine à
grande échelle qui menace 40 % des survivants. C’est l’«une des campagnes punitives contre des civils
les plus intenses de l’histoire», relève l’historien américain Robert Pape, l’ampleur des destructions
surpassant celles d’Alep en Syrie, de Marioupol en Ukraine et même de villes allemandes par les
bombardements alliés à la fin de la seconde guerre mondiale (5).
Or il ne s’agit pas d’un dérapage :
l’opération a été précédée de déclarations officielles à tonalité génocidaire. À commencer par celles
du président socialiste Isaac Herzog («C’est une nation entière là-bas qui est responsable») et du
ministre de la défense Yoav Galant («Gaza ne redeviendra jamais ce qu’il a été. Nous éliminerons
tout»).
Et « Brice » interpelle France Inter
Analyser un carnage israélien conforme au destin que les dirigeants de Tel-Aviv entendaient
réserver à des «animaux humains» n’exigeait pas une puissante enquête pour en retracer l’origine, ni
des cours de sémiologie avancée pour en saisir le sens. Mais les médias ont alors changé de stratégie.
Après avoir disséminé sans relâche une histoire boiteuse résumant le destin palestinien au «terrorisme
islamiste» et la politique israélienne à une série de «ripostes» à ces massacres, après avoir affiché une
solidarité occidentale permettant d’humaniser l’allié et d’ensauvager l’adversaire, la plupart des
journalistes français ont choisi de détourner le regard. Ils ont délibérément réduit la médiatisation du
conflit afin de ne pas devoir poser des questions qui fâchent(6).
La logique et la justice auraient pourtant voulu que les régiments de commentateurs et de
décideurs qui avaient proclamé en octobre qu’«Israël avait le droit de se défendre» soient à leur tour
interpellés sur les conséquences de ce «droit» au regard du nombre de victimes qui en avait découlé. Et
qu’ils soient sommés de proposer des actions et des sanctions pour interrompre la tuerie.
Ne pas parler de «terrorisme» palestinien avait valu une lapidation médiatique aux
contrevenants. Cette fois, d’autres termes paraissaient découler de l’observation de la conduite
israélienne de la guerre: «déportation», «nettoyage ethnique», voire «tentative génocidaire». Les
journalistes allaient-ils à présent retourner leurs armes et leurs commentaires contre certains des
avocats d’un «soutien inconditionnel» à Israël, allaient-ils leur reprocher leur aveuglement alors que les
massacres de civils, cette fois à Gaza, imposaient qu’on haussât le ton contre leur protégé ?
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, M. Gérard Larcher, président du
Sénat, M. Éric Ciotti, président des Républicains (LR), Mme Anne Hidalgo, maire de Paris, pour ne
citer que ceux-là, auraient pu être soumis à la question comme les dirigeants insoumis quelques
semaines plus tôt. «Approuvez-vous le nettoyage ethnique», «S’agit-il plutôt d’une déportation?»,
«Pourquoi ne pas interdire la participation des athlètes israéliens, souvent réservistes de l’armée, aux
Jeux olympiques ?», «Quand prendrez-vous enfin des sanctions contre Israël?». On sait — mais à vrai
dire on avait déjà deviné — qu’il n’en serait rien. Même un journal comme Le Monde, qui s’est
distingué par une couverture plus juste du conflit que la plupart de ses confrères, ne recommande
toujours pas que l’État coupable de crimes de guerre en Palestine soit sanctionné par la «communauté
internationale».
Lors de ses vœux du Nouvel An, le président Macron a consacré quinze mots aux 22 000 morts
de Gaza. Ce même 31 décembre 2023, Le Journal du dimanche est parvenu, malgré ses 48 pages, à ne
publier aucun article sur le martyre palestinien. Deux semaines plus tard, deux dirigeants politiques
aussi différents que MM. Raphaël Glucksmann et Éric Zemmour étaient longuement interrogés, l’un
par France Inter, l’autre par Europe 1. Seul point commun entre ces deux émissions: cinquante minutes
d’entretien, aucune consacrée à Gaza. M. Glucksmann parla bien d’hôpitaux attaqués — mais
seulement de celui de Corbeil-Essonnes, victime de hackeurs russes.
Quelques jours plus tôt, le 21 décembre, M. François Hollande était — une nouvelle fois —
invité par France Inter. Après seize minutes d’entretien la guerre de Gaza n’avait toujours pas été
abordée. Un auditeur, «Brice», perturba alors le ronronnement de l’échange: «À partir de combien de
dizaines de milliers de morts en Palestine va-t-on enfin décider de demander à tous vos intervenants
s’ils condamnent sans ambiguïté les atrocités de l’armée israélienne? Au début, pendant quelques
jours vous égreniez le nombre de morts de chaque côté, et puis, je me rappelle bien Nicolas Demorand
[présentateur de la matinale de France Inter], vous vous êtes arrêtés à 1 200, au moment où c’était à
égalité. Là, maintenant, on est à vingt fois plus [de morts côté palestinien]. Donc il serait peut-être
temps de demander à chacun s’il condamne sans ambiguïté tout ça.» Peine perdue. Le lendemain, le
député insoumis François Ruffin était l’invité de France Inter; à aucun moment les journalistes ne
l’interrogèrent sur Gaza.
Du 8 au 21 octobre, dans les quinze jours qui suivent l’attaque du Hamas, tous les invités de la
matinale de France Inter sauf deux sont interrogés sur les massacres ou expriment spontanément leur
horreur: «On est obligés aujourd’hui si on veut se conduire bien de dire ce que ça nous fait à l’intérieur
de nous, ce qu’on ressent», explique le comédien Vincent Lindon le 13octobre. Deux mois plus tard,
cette «obligation morale» a disparu. Du 8 au 21 décembre, alors qu’enfle un débat international sur les
risques de génocide à Gaza, y compris au sein d’agences des Nations unies, seuls deux des invités de la
matinale de France Inter sont questionnés sur le sujet. L’intervention de «Brice» portera ce nombre à
trois…
On cumulerait à l’envi les preuves d’un journalisme
biaisé en faveur d’Israël, comme la couverture en direct
par France Info, le vendredi 12 janvier 2024, de la défense
de Tel-Aviv contre les accusations d’actes de génocide
alors que, la veille, les plaidoiries sud-africaines devant
la Cour internationale de justice à La Haye n’avaient
pas bénéficié du même traitement. Toutefois, la critique
d’un « deux poids, deux mesures » qui suggère un
déséquilibre justiciable d’un réglage ne suffit pas.
Car ce traitement particulier du conflit israélo-palestinien participe d’une transformation plus large.
En quatre mois, les dirigeants du «quatrième pouvoir» n’ont pas seulement alimenté un
culturalisme qui, comme au temps des empires coloniaux, place l’Occident au pinacle de l’humanité.
Ils ont, dans leur grande majorité, entériné le point de vue de l’extrême droite israélienne et
accompagné ou cautionné en France la marginalisation des opposants à la guerre en leur interdisant
d’exprimer des solidarités hier encore évidentes.
Ils ont ainsi précipité le baptême républicain du RN, en même temps qu’ils
célèbrent le réarmement militaire et moral de la France au nom de la lutte
contre la menace russe et le terrorisme islamiste. Le combat mené depuis quinze
ans par les gouvernements libéraux contre les mouvements «populistes» et les
régimes «illibéraux» a ici trouvé un renfort inattendu: la naissance et l’installation
en France d’un journalisme autoritaire. (Le fascisme relève la tête avec le plein
soutien des médias à la solde des milliardaires impérialistes. NDÉ)
Serge Halimi & Pierre Rimbert
Notes
(1) Nombre d’articles et de séquences audiovisuelles répertoriés dans la presse française sur l’agrégateur Europresse.
(2) Cf. Pauline Perrenot, « À la Une du Parisien, la caricature du double standard », Acrimed, 21 décembre 2023.
(3) Cf. également les recherches de Holly Jackson sur un autre échantillon de presse américaine à l’adresse:
https://github.com/hollyjackson/casualty_mentions_nyt
(4) L’étude est résumée par Xander Elliards, «Study shows BBC “bias” in reporting on Palestinian and Israeli deaths», The
National, Glasgow, 9 janvier 2024. Les données sont disponibles à l’adresse: https://github.com/liet-git/bbc-bias#wordbank-analysis
(5) Julia Frankel, «Israel’s military campaign in Gaza seen as among the most destructive in recent history, experts say»,
Associated Press, 11 janvier 2024.
(6) Cf. Alain Gresh et Sarra Grira, «Gaza, l’escorte médiatique d’un génocide», Orient XXI, 8 janvier 2024
Versão em Língua Portuguesa:
https://queonossosilencionaomateinocentes.blogspot.com/2024/02/a-media-soldo-do-capital-o-exemplo.html
De plus en plus de Français pensent que le régime actuel au pouvoir est mené par une véritable bande gangsters. On en connaît les noms et même les visages puisqu’ils passent régulièrement à la télévision. Ce régime est en situation de fuite en avant tout comme ceux qui l’aident notamment les journalistes et groupes de presse. Leurs turpitudes sont graves et répétées et l’essentiel de leurs efforts est de cacher ce qui gêne l’exécutif et d’assurer une propagande grossière. Ils ont changé de métier et sont, en fait, complètement enferrés dans un système corrompu et quasi criminel. Cela ressemble justement à un criminel qui a tellement commis de délits qu’il ne peut plus revenir en arrière et donc, continue ses méfaits parce qu’il n’a plus d’autres solutions. La situation au Proche Orient et le suivisme aveugle des médias en faveur du régime Netanyahou est un exemple mais il y en a bien d’autres. Le « quatrième pouvoir » est donc en effet mort et le pouvoir judiciaire qui suit la même pente va connaître le même sort même si les magistrats sont convaincus du contraire. Le Parlement avec ses députés godillots et ses sénateurs dépravés se positionne aussi pour la chute. L’édifice gaullien de la Vè République est en cours d’effondrement et bien malin qui pourrait dire à ce stade ce qui suivra : une VIè ? Une monarchie sunnite ? Sans doute rien pour le moment ; juste un État policier qui essaye de survivre à lui-même en écrasant la population.
Le 4éme pouvoir remonte à des décennies en arrière. Le seul pouvoir restant, de nos jours, est celui du pouvoir, justement, qui en réalité est au pouvoir du si controversé 4éme pouvoir d’antan.
https://wp.me/p4Im0Q-6bR – Apparemment, les agriculteurs ne font plus recette, du moins en France, le seul pays qui résiste encore …. Tous les frontaliers sont aux postes !.
De plus en plus ‘osé’.
Le chef ‘nazi’ (sic!) Zelensky, juif de chez juif, qui serait soutenu par Bloch-Dassault, Boloré, Niel, Lévy, Weintraub, Braun-Pivet, Glüksmann,…
Vous savez où vous mettez les pieds?
Vous allez être assimilés à ce bon M.Le Pen (Horresco referens!)
Ping : Poutine a subverti les médias traditionnels et alternatifs dans son interview avec Tucker Carlson – les 7 du quebec
Versão em Língua Portuguesa:
https://queonossosilencionaomateinocentes.blogspot.com/2024/02/a-media-soldo-do-capital-o-exemplo_29.html