Le président tunisien serait-il saisi par la frénésie belliqueuse gouvernementale?
Par Khider Mesloub.
Nul doute, depuis l’été 2021, le président tunisien vit dans une mentalité d’assiégé face à ce qu’il considère comme une entreprise de déstabilisation menée sur tous les fronts par la « main étrangère » pour l’affaiblir. Pire. Par tout un « corps étranger », curieusement incarné par les subsahariens, ces « hordes d’envahisseurs africains » déterminés à subvertir l’État tunisien, à pervertir la matrice arabo-musulmane, selon les déclarations incendiaires et choquantes proférées en février 2023 par le président Kaïs Saïed. Déclarations qualifiées à l’époque de xénophobes par l’Union africaine.
Toujours est-il que pour joindre les actes à la parole, le président avait ordonné aussitôt l’arrêt immédiat de ce qu’il avait qualifié de « complot criminel » visant l’installation d’immigrants africains dans son pays, affirmant que leur dessein est de modifier sa composition démographique en tant que « pays arabe et musulman ».
Assurément, le président tunisien cultive une mentalité d’assiégé. Cette approche défensive et pessimiste est symptomatique d’une fièvre obsidionale qui s’est emparée du raïs.
Le président est persuadé d’être entouré d’adversaires, encerclé par des ennemis tapis au sein du pays. Ce faisant, à ses yeux cernés par la peur obsidionale, tout citoyen tunisien qui ne s’aligne pas sur son agenda politique autocratique chaotique devient potentiellement dangereux, un ennemi allié des puissances étrangères « œuvrant à la déstabilisation de la Tunisie ».
Favorisée par une conjoncture économique difficile et une crise de légitimité institutionnelle, cette politique obsidionale prend une dimension institutionnellement pathologique, politiquement polémique. Et surtout polémologique car elle fait la guerre à toute l’opposition politique, à toute la société civile tunisienne critique et dissidente.
Après avoir combattu et « abattu » les islamistes, « éliminé » ses fidèles alliés dans l’appareil d’État, décidé d’éradiquer les migrants subsahariens du paysage tunisien, il traque et embastille dorénavant les militants associatifs, les journalistes, les avocats, etc.
Or, on ne construit pas un pays sur la peur et la terreur. Ni on gouverne avec des imaginaires politiques paranoïaques. À trop cultiver le délire de persécution le président Kaïs Saïed a fini par perdre le sens des réalités, à s’aliéner la société tunisienne exaspérée par les accusations de collusion avec l’étranger portées contre elle, pour avoir réclamé son droit à vivre dans la dignité, revendiqué l’amélioration de ses conditions de vie et de travail, l’augmentation des salaires, l’instauration de la démocratie.
De toute évidence, le président tunisien est en proie à une névrose dénommée complexe de Massada, la citadelle assiégée.
Le complexe de Massada du président tunisien se manifeste par son autisme présidentialiste orgueilleux, son enfermement étatique jusqu’au-boutiste, illustré par sa certitude désespérée d’être seul détenteur de la « vérité gouvernementale » face à l’ensemble du peuple tunisien animé uniquement, selon le raïs omnipotent, par l’ignorance politique, égaré par « les ennemis de la Tunisie », selon sa terminologie paranoïaque ou complotiste.
Des « ennemis », le président Kaïs Saïed en décèle partout, au sein de la société civile tunisienne, tout comme dans son palais présidentiel. Au point de débarquer sans ménagement ni justification ses propres ministres et conseillers, d’embarquer sans autre forme de procès et manu militari des journalistes, des avocats, des dirigeants politiques de l’opposition, en vertu de son nébuleux et inquisitoire décret 54 qui punit la «diffusion de fausses informations», notamment sur la situation sociale et économique du pays.
Autrement dit, interdiction est faite à tout journaliste ou militant politique d’émettre la moindre analyse critique sur les conditions sociales dramatiques des Tunisiens et sur la situation économique désastreuse du pays. Les élites intellectuelles et le peuple tunisien sont sommés de chanter uniquement les louanges des « extraordinaires réalisations économiques et fantastiques avancées démocratiques » du président Kaïs Saïed !
Pour certains spécialistes, notamment les psychiatres, cette posture paranoïaque reflète un délire de persécution. En politique, c’est-à-dire au plan gouvernemental, cette mentalité d’assiégé symbolise une lutte désespérée d’un régime contre un destin historique tragique inéluctable : la fin de son règne.
Cette fièvre obsidionale se conjugue souvent avec cette autre démoniaque et sadique pathologie sociale et politique, fréquemment employée par les pervers narcissiques, à savoir l’inversion accusatoire. Cette technique de manipulation psychologique (ou politique) consistant à tenter de faire porter la responsabilité de ses propres erreurs (échecs économiques) à autrui en l’accusant de les avoir commises. Ce procédé de défense consistant à imputer la responsabilité d’un délit (d’un effondrement économique, d’une déconfiture politique, d’une défaillance gouvernementale) non pas au coupable (président, ministres, députés) mais à la victime (travailleurs revendicatifs, migrants en quête d’une vie meilleure, opposants politiques revendiquant leur droit d’exercer librement leur activité militante) est un artifice de propagande abondamment employé par les gouvernants, pour neutraliser les opposants, justifier l’embastillement des activistes, l’expulsion de migrants accusés de propager l’insécurité et la criminalité.
Assurément, nous vivons dans une période de tensions militaires. La guerre menace nombre de pays. D’aucuns affirment que nous serions à la veille de la troisième conflagration mondiale. Tous les gouvernants sont saisis par l’hystérie belliqueuse. Par le prurit despotique.
Le Président tunisien, en proie à la fièvre obsidionale, serait-il également saisi par cette frénésie belliqueuse politique ou politique belliqueuse frénétique, à observer comment il malmène sa population laborieuse récalcitrante (ce sont des Tunisiens qui revendiquent leurs droits socioprofessionnels, leur désir de vivre dignement, leurs droits démocratiques) ; comment il traite sa société civile, notamment les journalistes et les avocats, bâillonnés et embastillés sans autre forme de procès ; comment il traite les migrants subsahariens, jetés à la vindicte populaire ?
La « menace extérieure », agitée comme un épouvantail par le président tunisien, ne doit pas lui servir de prétexte pour verrouiller les libertés individuelles et collectives des Tunisiens, assiéger le peuple tunisien par une politique de persécution délirante, matérialisée par des arrestations et des incarcérations arbitraires. Pour prôner des mesures discriminatoires à l’encontre des migrants subsahariens, victimes expiatoires, boucs émissaires commodes, « moutons noirs » de la Tunisie officielle désormais gouvernée par des loups qui traquent impitoyablement les migrants africains, devenus leurs « bêtes noires ». Le brandissement complotiste de l’«ingérence étrangère » par Kaïs Saïed ne doit pas lui servir de paravent pour mener son étrange politique de belligérance contre tout son peuple.
Pour exorciser sa « phobie obsidionale », après avoir chassé du gouvernement et du Parlement les membres du parti Ennahdha pourtant élus démocratiquement, pourchassé les migrants subsahariens accusés de « corruption ethnique et religieuse », bâillonné et embastillé à tour de bras journalistes, avocats, militants, le président Kaïs Saïed va-t-il dissoudre le peuple tunisien pour son indocilité atavique et sa rébellion chronique, afin d’exercer, dans sa nouvelle Tunisie privatisée et transformée en forteresse, son règne absolutiste sans se confronter à la moindre opposition politique, sans se heurter à la moindre contestation sociale, sans lire ni entendre la moindre analyse critique tunisienne sur le pays, sans croiser la moindre migration noire africaine ?
En fait, Kaïs Saïed, en proie à la fièvre obsidionale, vient de se suicider politiquement. Saborder sa présidence, aujourd’hui entachée par sa politique répressive, son bilan économique régressif, ses déclarations anti-migrants agressives.
Le chef d’État Kaïs Saïed veut isoler les Africains de la Tunisie, dessaisir le peuple tunisien de sa gouvernance. Au vrai, bientôt ce sera le peuple tunisien exaspéré qui isolera le désespéré président nord-africain Kaïs Saïed de la Tunisie, l’expulsera de la présidence pour avoir gouverné par l’insécurité économique et la violence politique. La malnutrition et la maltraitance. La privation alimentaire et la privatisation étatique (personnalisation du pouvoir présidentiel).
Khider Mesloub
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