LA VIE ROCAMBOLESQUE DE FRANÇOIS DU PARADIS, TOME 1: 1923-1941, TOME 2: 1941-1945, TOME 3: 1945-2012 (Pierre Charles Généreux)
AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR. Le présent ouvrage est un texte intégralement fictif. Il incorpore de longs segments parodiques, à l’intérieur desquels des personnages de fiction entrent en interaction avec des figures historiques. L’intégralité des développements de ce roman, ceux concernant les personnages fictifs et ceux les impliquant dans des interactions avec des personnages historiques, sont des produits strictement imaginaires, sans préjudice, et ne représentant aucune assertion, thèse ou hypothèse, sur ce qu’ont pu être les trajectoires privées, anciennes ou récentes, des personnages historiques en question. Toutes ressemblances avec des situations effectives font partie intégrante de l’exercice parodique et ne revendiquent aucunement le statut de vérité historique.
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François Du Paradis est un personnage rocambolesque, tonitruant et picaresque. Né vers 1915, susceptible de disparaître n’importe quand, dans les premières décennies du vingt-et-unième siècle, François Du Paradis va traverser, avec armes et bagages, la quasi-intégralité du vingtième siècle. La chose se jouera cul par-dessus tête, en vivant une existence totalement différente de ce qu’il avait pu prévoir ou anticiper. Ce jeune homme est né dans une bonne famille de respectables planteurs du Vieux Sud américain. Sa mère est de souche française. Son père… n’en disons pas plus sur son père, cela nous entrainerait déjà trop loin. François a vécu son enfance en Géorgie, dans les États-Unis d’Amérique, prospères et ségrégés, de l’entre-deux-guerres. Ses proches, dont la prégnance et le souvenir le suivront toute sa vie, sont Jane, André, Drew… et le faux-frère William. Tous ces jeunes gens, qui grandissent brièvement ensemble, temporairement libres et fugitivement heureux, relèvent d’un grand estate agricole et industriel, qui s’appelle le Domaine Rutherford. François est donc un enfant qui provient d’une famille immensément riche et dont la destinée semble sereinement toute tracée. Un ensemble de culbutes, de trahisons, d’épisodes tragiques, hirsutes et sanglants de toutes natures, tous totalement inattendus et non-souhaités, vont entraîner François dans un cheminement en dérive, totalement contraire à ce que semblait lui annoncer sa grande petite trajectoire familiale. Il sera accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, se retrouvera en taule, s’évadera, rebondira dans une commune secrète du bayou, en Louisiane. Ensuite il partira à la guerre, reviendra, provignera, circulera. Et je ne vous ai strictement rien dit… D’ailleurs je ne vais pas vous détailler l’ensemble de ce qu’a pu vivre François Du Paradis. Il est impératif de le lire. Le principe qu’il faut comprendre et saisir ici, en une mer orageuse et torrentielle de péripéties ébouriffantes et abracadabrantes, c’est que notre attachant personnage traverse le siècle de guingois, et que tout s’y joue en dépit de ses attentes.
François Du Paradis, de par sa condition initiale de grand-bourgeois, a, assez tôt, suivi une formation pianistique, brève mais assidue, à la Julliard School of Music. De profil académique et d’appétences, il est donc pianiste et musicien professionnel. Ses capacités de pianiste, de musicien professionnel, et même d’arrangeur, d’orchestrateur et d’ingénieur du son, vont le suivre partout, dans la quête délirante où elles seront entraînées, en compagnie de François. L’homme est double. Quelque part, ses pulsions d’homme d’action, de un, incorporent intimement sa sensibilité d’artiste musical, de deux. Ses mésaventures sordides et sa culture sublime connaîtront une sorte de fusion intime. Et on verra apparaitre des pianos, dans les conditions les plus improbables, y compris dans des villages dévastés par la guerre, dans les marécages de Louisiane, ou en prison. Et ces pianos, il jouera dessus et se définira largement grâce à eux. Le tout donnera au personnage tant un singulier relief qu’un charme irrésistible. Alors, chrono-historiquement, tout y passe. Jazz Age (les années folles), Seconde Guerre Mondiale, Trente Glorieuses, maccarthysme, époque underground de la contre-culture, même une touche de millénarisme. Rien ne nous est épargné. Généreux porte bien son nom. Il est un romancier d’action puissant, riche, nuancé, cinématographique, doublé d’un peintre de caractères sémillant et merveilleux. Et le récit se déploie à un rythme de charge. Le tout prend corps, en manifestant une capacité d’évocation à la fois perfectionnée et suave.
Les contacts répétés du protagoniste principal avec des figures historiques s’accumulent graduellement, comme si de rien. On finit par comprendre que s’exprime ici un objectif thématique constant. De fait, une perspective froidement philosophique se dégage des multiples découvertes faites par François, au contact des différentes figures culturelles, politiques et artistiques auxquelles, bon an mal an, il est confronté. De sa petite personne, François est un personnage l’un dans l’autre plutôt discret, presque effacé. Il est invisible, aux regards actualistes, et indiscernable, au sein du replis des feuillets copieux de l’héritage historique. Il est le témoin, le scripteur, le compositeur, le technicien, ou l’accompagnateur, dont on ne mentionne jamais le nom. Il est partout, mais il ne figure sous aucun script, dans aucun générique, sur aucune liste d’artistes, de collaborateurs, ou de membres du personnel ayant été impliqués dans le détail fin des soubassements secrets de telle démarche grandiose. François découvre les différentes figures culturelles, politiques et artistiques du vingtième siècle, par le petit bout de la lorgnette. C’est pour se rendre compte, justement, de leur implacable petitesse. Ella Fitzgerald est une femme abrupte, crue et vulgaire. Miles Davis et Charlie Parker sont des instrumentistes au talent très approximatif. Bill Evans est un petit ami et un grand toxicomane. Norma Jean est une arriviste aux vues courtes, qui paye en nature et ne cultive pas le scrupule. Les Kennedy et les Bouvier sont des débauchés, hypocrites, décadents et cyniques. Bob Dylan, même s’il écrit des choses géniales, n’est pas un phénix de sa personne, c’est plutôt un petit infatué sans envergure, qui pince sur un ton toc une guitare de pacotille. Phil Spector voit les choses de haut et il chaparde bien souvent le boulot et les idées des autres. Il n’y a que Charles «Charlie» Manson qui se ressemble à lui-même, dépositaire exclusif qu’il est de son propre discrédit, immense et malodorant. On pourrait, sur le même ton et dans le même angle, dégager aussi ce genre de regard critico-caustique, de plus en plus grinçant et convenu à mesure que François monte en graine au fil des décennies, sur les évènements phares de la déferlante américaine du temps. Le gars est indubitablement un peu désabusé, face aux grandes phases historiques qui le submergent. La guerre de 1939-1945, cette vaste absurdité brutale et innommable, est menée de façon parfaitement erratique. Le maccarthysme, qui prétendait rechercher l’intégrité, est en fait une magouille intégrale. La grande rencontre des Hippies à San Francisco, lors de l’été de la paix et des fleurs, ainsi que le festival musical de Woodstock, c’est jamais que du pataugeage, maroufle et inane, tant dans la boue et les détritus que dans la fugitive futilité juvénile. Voir de proche, en succession, tous ces grands phénomènes mythiques, cela draine le bon François dans le boyau stérile-fertile-fébrile de la désillusion. Ah, il ne nous impose pas ses idées, sur la lancinante question du décapage des mythes. Simplement, il nous fait bien sentir que le regard qui se pose, factuellement ou empiriquement, et le discours qui se porte, allégoriquement ou symboliquement, sur les grands-petits faits du monde ne sont pas vraiment les mêmes.
Si l’émotion et la sensibilité sont pleinement présentes dans ces trois ouvrages, la sensiblerie et les petites normes étroites, elles, ne sont pas de la partie. Les bien-pensants et les petits esprits sont priés de passer leur chemin. François Du Paradis est un homme un tout petit peu moral, lui, entrainé dans une quête très extrêmement amorale, elle. C’est aussi un mâle au sang rouge. Il aime les femmes, très sensuellement. Son hétérosexualité est indubitable. Il aime les hommes, très émotionnellement. Sa compréhension et son respect pour l’homosexualité masculine sont d’un modernisme intégral… même s’il ne vogue pas, lui-même, sur cette carène aux voiles parfumées et vaporeuses. Séduisant plus que séducteur, aimant autant qu’amant, il est attiré par tout le monde. Il le dit et il l’exprime. La flamboyante présentation textuelle, fébrile et heureuse, de ses torrides ébats humains est digne des plus imparables pages d’un San-Antonio. Et François Du paradis va vivre, au fil des années, un ensemble tumultueux de relations amoureuses, avec des personnalités fictives ou historiques. Cela va nous entraîner dans une série de manifestations de ces passions, toutes plus polychromes et échevelées les unes que les autres. Pulsions romanesques, pulsions sensuelles, même combat.
Il y aurait énormément à dire sur l’immensité des œuvres culturelles vingtièmistes auxquelles cette trilogie massive nous fait rêver et repenser. C’est une percutante traversée des cent dernières années, tant pour le style que pour les situations historiques et culturelles évoquées. Pour lesdites réalités évoquées, on a l’impression, entre autres, de retraverser le cinéma, cet art ultime du dernier siècle. J’ai pensé à Cool Hand Luke, pour l’évocation des terribles chain gangs sudistes et de leur univers véritablement dur et concentrationnaire. J’ai pensé à O Brother, Where Art Thou?, pour l’atmosphère décalée et anxiogène des sectes forestières et lacustres de l’Amérique profonde. J’ai pensé au film The Longest Day, aux romans La mort dans l’âme de Jean-Paul Sartre et A Farewell to Arms d’Ernest Hemingway, pour la saisissante et drolatique évocation des scènes de guerre. Bidouillant son identité et le tout de sa trajectoire de vie, François nous rappelle fatalement le Don Draper de la la série télévisée Mad Men, puis, plus tard et d’une tout autre façon, le Ray Smith du The Dharma Bums de Jack Kerouac, si fasciné par son éternel compagnon de voyage, l’omnipotent Japhy Rider. Et que dire du terrible rappel qu’on nous fait du Helter Skelter de Vincent Bugliosi. Je ne vous en dis pas plus. Vous découvrirez bien, les armes à la main, pourquoi c’est si terrible. Ceci dit, il y a deux grandes œuvres avec lesquelles l’éblouissante trilogie La vie rocambolesque de François Du Paradis, est en extra-profonde coquetterie. Il s’agit du film Forest Gump, pour la subtile et lancinante mise en interaction symbolique et allégorique des personnages fictifs avec des personnages réels de l’implacable héritage mythologico-historique américain. Et on pense aussi, pour l’éternel thème masculin de la géronto-vengeance, et pour le regard, dur et implacable, sur l’héritage de cette chienne de vie, que l’on traîne comme un boulet, à Les Phalanges de l’Ordre noir de Enki Bilal, ainsi qu’à un certain comte de Monte-Cristo…
Oh, mais ces analogies saisissantes ne doivent pas faire illusion. Les ouvrages de Pierre Charles Généreux sont d’une originalité inégalée. François notre Maitre fait la synthèse du siècle. Et on étale et déploie devant soi, dans cette trilogie étonnante, saisissante, magistrale, peut-être le premier regard littéraire et fictionnel qu’arrive à porter le vingt-et-unième siècle qui, tout doucement, avance vers la mise en boite de son premier tiers, sur le siècle précédent, celui qui fut, de tous les points de vue, un vrai siècle de fous, catastrophique, sanglant, perturbant, artistique, mélancolique. Le vingt-et-unième siècle dit au vingtième… tu n’y es plus. Mais tu es imprimé en moi. Pour toujours. Je le sais, en mautadit. François Du Paradis me l’a dit et redit.
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Pierre Charles Généreux, La vie rocambolesque de François Du Paradis, tome 1: 1923-1941, tome 2: 1941-1945, tome 3: 1945-2012, Montréal, ÉLP éditeur, 2023-2024, formats ePub, Mobi, papier.
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