Civilisation musulmane florissante : mythe ou réalité ?
Par Khider Mesloub.
Dans le monde d’obédience islamique, les musulmans, pour mieux crédibiliser leur discours apologétique d’une époque califale supposément florissante et flamboyante, notamment les salafistes militant pour le rétablissement d’un État islamique sur le modèle du prétendu vertueux et mythique Califat, n’hésitent pas d’affirmer que l’ancienne « civilisation musulmane » était fondée sur l’équité et la justice sociale, chapeautée par un État puissant et riche, sur fond d’un développement extraordinaire des connaissances. Il s’agit en l’espèce d’une mystification.
Certes, il a existé un semblant d’État musulman au Moyen âge, mais il reposait sur l’exploitation et l’oppression de classe. Sur l’esclavage. Une économie de subsistance et non d’abondance. Sur la disette et le paupérisme.
Une chose est sûre : la « civilisation musulmane », à l’exemple de la « civilisation chrétienne féodale » européenne, n’a jamais permis le développement des forces productives. Seul le capitalisme favorisera l’accomplissement de cette révolution extraordinaire d’expansion illimitée de l’économie. Rappelons que par l’expression « forces productives » on désigne les moyens de production (outils, machines, système de machines), l’ensemble des hommes qui les utilisent, ainsi que les savoirs indispensables au travail (savoir-faire des métiers traditionnels, connaissances techniques et scientifiques. Et seul le capitalisme, symbolisé par la Révolution industrielle impulsé au tournant du 18e et 19e siècles, produira un décollage sans précédent des forces productives. L’industrialisation des économies provoquera une forte hausse de la productivité et de la production. Impulsera une « civilisation technicienne », puis technologique, enfin numérique.
Aussi, est-il fallacieux d’employer la locution de « civilisation musulmane florissante » pour désigner une société qui n’a jamais permis le développement des forces productives. Une société qui a reposé depuis sa naissance sur le modèle sociétal féodal, demeuré figé au même stade économique archaïque jusqu’au XXe siècle.
En vérité, le désert persique fut tout juste capable de façonner une civilisation fondée sur du sable, et une religion exportée par le sabre. Autrement dit, l’ancienne société musulmane fut bâtie sur la promesse de prospérité céleste, et les conquêtes territoriales et les rapines terrestres.
Au cours de cette époque islamique, le fatalisme régnait en maître absolu et le Maître absolu régnait sur ses fidèles pétris de fanatisme. De là s’explique la résignation manifestée devant les phénomènes perçus comme imparables et fatidiques. Aucune main humaine ne pouvait et ne devait modifier le cours de l’histoire tracée d’avance par Dieu. Il s’ensuivit une absence totale d’une quelconque velléité de changement de la société musulmane de sa trajectoire prédestinée. Velléité de transformation économique. Cela se traduisit corrélativement par une soumission au cours du destin que rien ne devait troubler, ni bouleverser, ni révolutionner. Ni au plan économique. Ni au plan sociétal. Ni au plan politique. Dans l’optique de cette société islamique aveuglée par l’observance obsessionnelle de principes cultuels intangibles, l’innovation était tenue en suspicion, la modernisation, en répulsion. De là s’explique l’archaïsme permanent de la société musulmane, à l’instar de la société chrétienne à l’époque féodale.
Des siècles durant, le monde musulman stagna au stade féodal, dans lequel les forces productives étaient étouffées par le carcan des rapports sociaux archaïques imprégnés de religiosité, cette force spirituelle d’inertie réputée pour ses vertus économiques amollissantes, émollientes.
Seul le capitalisme permettra la transformation extraordinaire et permanente de la société. Comme le soulignait en 1847 Marx et Engels dans Le Manifeste du Parti communiste : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l’ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes ».
Qui plus est, si foisonnement intellectuel il y eut dans le monde musulman, il fut l’œuvre de « penseurs » autochtones des pays conquis, et non d’auteurs issus des tribus bédouines, accaparées par leurs occupations de rapines, leurs entreprises de conquêtes coloniales, et surtout leurs guerres « fratricides » au sein du sommet du pouvoir.
Sur cette prétendue période d’âge d’or du monde musulman mythiquement glorifié, il convient de rétablir la vérité historique : cet univers « intellectuel » d’une époque islamique tant magnifiée était imprégné fanatiquement de religiosité : la foi primait la raison. Ces « intellectuels » musulmans du Moyen-âge n’étaient absolument pas des libres penseurs, des philosophes matérialistes, des scientifiques, au sens moderne. Mais des théologiens versés dans la métaphysique confessionnelle, soumis au tout Puissant et servant les puissants. Leurs réflexions « scientifiques », y compris les plus audacieuses, ne devaient jamais réfuter la Révélation divine, aller à l’encontre des textes sacrés. Ce faisant, leurs connaissances, diffusées dans les limites dictées par la religion, étaient encadrées par le Coran, pour qui Dieu a créé l’homme et l’univers, prescrit le sens de l’existence et de l’Histoire. Dès lors que de tels axiomes dogmatiques sont religieusement décrétés dans le champ du savoir, il n’y a aucune place pour la connaissance scientifique, œuvre par essence de recherches libres fondées sur l’observation et l’expérimentation conjuguées avec l’esprit du doute méthodique, garant de la véracité épistémique.
Quand bien même le monde musulman aurait effectivement engendré une période caractérisée par la diffusion des arts, de la poésie et de la « philosophie », ces créations culturelles ne constituent pas un indice de développement économique, ni de progrès social, ni de démocratisation politique, c’est-à-dire de perfectionnement et d’épanouissement des forces productives. Encore moins un indice d’équité et de justice sociale. De libéralisation et de démocratisation politique.
Le niveau culturel d’une civilisation ne se mesure pas seulement à l’aune de l’accumulation de connaissances rudimentaires maîtrisées par une fraction réduite de la population, c’est-à-dire l’élite intellectuelle des classes privilégiées. Mais par l’application technique d’authentiques sciences dans le domaine économique permettant le développement des forces productives. Et, également, par leur diffusion parmi la population massivement scolarisée. Or, telle n’était pas le cadre historique de la société musulmane féodale jusqu’au XXème siècle, demeurée prisonnière d’un mode de production archaïque, d’une économie de subsistance, de rapports sociaux féodaux.
Par ailleurs, les sciences témoignent de la puissance de l’esprit humain, c’est-à-dire sa faculté à reléguer dans le musée de l’Histoire les explications mystiques, à déconstruire les théories métaphysiques et religieuses. Elles prouvent, par le recours systématique à l’observation et à l’expérimentation, leurs compétences épistémologiques à analyser et expliquer les phénomènes par les seules lois rationnelles, sans additifs toxiques surnaturels, autrement dit la métaphysique religieuse. Telle n’était pas l’environnement historique de l’époque islamique prétendument florissante. De là s’explique l’arriération économique du monde musulman. Et pour cause. Du fait de la vision téléologique de l’islam, les phénomènes naturels et humains étant prédéfinis dans leur éclosion et leur finitude par une puissance divine, toute curiosité humaine pour tenter de les analyser et les expliquer scientifiquement demeura vaine. Encore moins pour vaincre et dominer la nature en vue de sa transformation économique afin d’accroître industriellement la richesse de la société.
Or, comme le démontre l’histoire, toute société non dominée rationnellement et économiquement fertilise le terrain de la religiosité, de la fatalité, c’est-à-dire la croyance puérile, caractéristique de l’impuissance infantile. Dès lors la société religieuse se cantonne à bâtir des châteaux existentiels de sable, et des édifices sacrificiels, ces lieux de culte où elle ensevelit pieusement son existence copieusement infantilisée. « Voici le lieu du monde où tout devient enfant », disait Péguy de la cathédrale de Chartres. Nous pourrions appliquer cette remarque au monde musulman, où la mosquée écrase la société, supplante l’économie, évince la science, éclipse l’université.
Toute société foncièrement religieuse vit dans une forme de nihilisme existentiel. Car elle érige la vraie vie dans l’Au-Delà. Le vrai sens de la vie est hissé au Ciel. Cette forme de nihilisme conduit la société religieuse, fondée sur la pensée du néant (ou le néant de la pensée), à démissionner de la vie terrestre, à économiser son énergie pour mieux jouir de l’existence céleste.
Aussi, des siècles durant, la vie de la communauté musulmane fut réduite à une existence ascétique dans la perspective d’une récompense matérialisée « paradisiaquement » par une exaltante destinée céleste éternelle. Dans la société musulmane, à l’instar de la société chrétienne de l’époque féodale, cette divinisation de la vie céleste s’accomplit au prix du mépris de l’existence terrestre. De la mort existentielle sur terre, du suicide productif, du sabordage économique, incarné par le refus du travail. Le refus de l’investissement dans l’activité productive, jugée superflue, inutile, épouvantablement profane. Au vrai, ces deux sociétés féodales, chrétienne et musulmane, longtemps reposèrent sur la prosternation et la prostration, érigées en dogme social.
Aussi, certes l’ancienne société musulmane connut une période florissante marquée par de prodigieuses créations culturelles et fondations cultuelles. Mais jamais une époque caractérisée par une civilisation technicienne développée, hautement performante. Cette œuvre sera menée par le capitalisme. Et le capitalisme est le fruit (amer ?) de la bourgeoisie productive. Le capitalisme apparaît dans les manufactures créatives des villes florissantes de l’Europe, fécondées par une nouvelle génération d’entrepreneurs résolus à révolutionner le monde (ne pas oublier que la Bourgeoisie fut révolutionnaire pendant longtemps à une certaine époque).
Cependant, quoique né dans l’Europe chrétienne, le capitalisme ne fut pas conçu par la chrétienté dominée des siècles durant par des eunuques incapables d’engendrer la moindre création matérielle humaine, hormis ces fantasmagoriques ruminations religieuses célestes. Incapable de révolutionner les forces productives du fait de sa stérilité sociale congénitale, l’institution ecclésiastique ne contribua aucunement à la fécondation du capitalisme. Au reste, le célibat du christianisme lui interdisait d’épouser l’esprit de créativité, le privant d’engendrer la moindre civilisation matérielle et culturelle humaine.
Le christianisme, ennemi de la raison (comme toutes les religions), a tout juste été capable de bâtir une parasitaire institution ecclésiastique occupée scolastiquement à épiloguer sur le sexe des anges au ciel et à s’adonner au sexe avec les petits anges sur terre. Le capitalisme n’est donc pas né au sein de l’Église, occupée à s’agenouiller devant le Saint Esprit dans les miteuses églises, mais dans les « laboratoires scientifiques » de la société bourgeoise rationnelle émergente, au cœur des manufactures productives.
L’époque antique fut marquée par l’émergence des premières civilisations humaines, caractérisées par le développement extraordinaire de l’agriculture, l’invention de l’écriture, de l’architecture, de l’artisanat, du système d’irrigation. Cette période antique fut ainsi florissante. Or, pour caractériser ces prodigieuses civilisations égyptienne, babylonienne, hittite, grecque, romaine, chinoise, les historiens ne parlent pas de civilisations d’Ammon, de Mardouk, de Hattoussa, de Zeus, de Jupiter, Mithra, Bouddha, du nom des différents cultes de ces civilisations antiques. On attribue ces inventions et œuvres au génie de ces peuples (du moins l’élite lettrée, technicienne, artisanale et artistique) et non à leur « religion », c’est-à-dire à leur culte. On peut dire que leur génie est l’œuvre de leur extraordinaire culture et non du miracle de leur culte.
Quand on parle du miracle grec, une société marquée par le polythéisme, on attribue spontanément ce foisonnement intellectuel aux philosophes, à la société civile démocratique, mais jamais aux multiples dieux et cultes grecs.
Aussi, s’il y eut quelques génies de confession musulmane à l’époque « féodale », il faut l’attribuer à leur prodigieuses cultures générales personnelles et à leurs savoirs profanes, et non à l’islam, encore moins au Coran. L’islam, comme son Livre saint, ressortissent au registre spirituel, non au domaine scientifique, encore moins économique.
L’Islam offre la possibilité d’un épanouissement personnel, quand on y croit. Mais jamais le développement économique et social de la société, œuvre du labeur collectif opéré dans les usines et les champs agricoles au moyen d’outillages performants fabriqués par les humains actifs ; fruit d’un investissement éducatif et scientifique prodigué par un système scolaire sécularisé et moderne.
En conclusion, à propos du monde musulman, on ne peut parler de civilisation florissante. Mais plutôt de civilisation spirituelle phosphorescente. Car le monde musulman rayonne encore aujourd’hui au plan religieux. Il brille par la grâce de sa religion, et non par l’énergie de son économie. Rappelons que la phosphorescence est la propriété d’une substance de visiblement briller dans l’obscurité.
Ainsi, l’islam constitue, encore de nos jours, l’ultime « luminescence spirituelle » au sein d’une obscure société marquée par la crise économique, la détresse sociale, le désarroi psychologique.
Khider MESLOUB
Hum ! Hum !
Vu l’état des lieux en France aujourd’hui, se gausser de la civilisation florissante qu’a connu le monde musulman ne relèverait-il pas d’une certaine suffisance ?
Que constate-t-on ? Sur l’impulsion de précurseurs qui voulaient « le progrès à TOUT prix », notre monde surtout « OXYDANTal » est en train de retomber vers un âge hirsute digne des Pierrafeu malgré les apparences. Je l’ai souvent répété : on n’arrête pas le progrès, c’est lui qui nous arrêtera. C’est en « bonne » voie.
Bien entendu, les locomotives de ce désastre ont toujours été les mêmes : les banquiers, et ce depuis leur émergence il y a quelque mille ans. Là, ils approchent de leur morbide apothéose, puisqu’ils ne cachent guère que leur but est de rester seuls sur Terre avec quelques esclaves chargés de les servir.
Dans ce contexte, le monde musulman paraît presque plus sage.
Versão em Língua Portuguesa:
https://queonossosilencionaomateinocentes.blogspot.com/2024/08/civilizacao-muculmana-florescente-mito.html