LA PROTECTION SOCIALE DANS LA FRANCE CAPITALISTE
Le surendettement de nombreux états n’ est plus à démontrer et aujourd’hui c’ est toute la partie concernant la protection sociale qui s’ amenuise d’année en année, ce qui démontre que le processus d’ accumulation du capital est en crise. Tout confirme qu’il y a accumulation de la richesse à un pôle et paupérisation de l’autre avec une poussée des surnuméraires, que nos dirigeants veulent contenir en montant des murs de toute part , tout en observant à l’ intérieur de leurs forteresses une croissance des surnuméraires. L’état français fait le constat suivant sur l’ éternelle trou de la sécu, qui au final se transforme en produit financier via la CSG et CRDS, ceci étant le rapport annuel 2024 passe à la vitesse supérieure. Sans oublier la suppression d’un deuxième jour férié dans le public et le privé, transformé en jour de solidarité travaillé !
Ci dessous un extrait :
Dans son rapport annuel de mai 2024 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss), la Cour des comptes critique la trajectoire financière de la sécurité sociale qui comporte des déficits croissants d’ici à 2027. À l’occasion de l’examen parlementaire du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, la Cour des comptes actualise son analyse sur les enjeux financiers liés à la sécurité sociale. Dans sa communication aux Assemblées, la Cour des comptes constate que 2024 est une année de rupture dans la résorption du déficit de la sécurité sociale depuis le pic atteint en 2020 lors de la crise sanitaire. Le PLFSS pour 2025 comprend un ensemble de mesures en recettes et en dépenses de nature à endiguer ponctuellement l’aggravation du déficit. Pour autant, d’ici à 2028, la trajectoire financière de la sécurité sociale continuerait de se dégrader, le déficit annuel atteindrait 19,9 Md€. L’accumulation de tels déficits, sans solution de financement, conduit à la reconstitution d’une nouvelle dette sociale qui atteindrait, d’ici à 2028, près de 100 Md€
Les débats sur le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) ont pu ainsi débuter déployant un nouveau volet de l’offensive budgétaire du gouvernement contre tous les travailleurs du public, comme du privé avec 15 milliards ponction a tous les niveaux.
Le gouvernement relève de 1 à 3 les jours de carence (jours d’arrêt maladie non indemnisés) et baisse le niveau de prise en charge des arrêts de 100% à 90% dans la fonction publique.Sans oublier la suppression d’un deuxième jour férié dans le public et le privé, transformé en jour de solidarité travaillé !
A cela s’ajoute une offensive radicale contre la Sécurité sociale via sa privatisation. l’état prévoit de réduire la part remboursée des consultations de 70% à 60%, tout en baissant le plafond de prise en charge des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie, de 52 euros aujourd’hui à 40 euros par jour maximum,
Ces ponctions augmenteront le coût des assurances complémentaires santé privées. Les pensions de retraite vont être également amputées, l’indexation annuelle des pensions sur l’inflation est repoussée au 1er juillet et non le 1er janvier comme prévu.
G.Bad
Voici un document historique sur la « securité sociale » en France au moment même ou un rapport cible les dépenses de celle-ci,
LA PROTECTION SOCIALE
DANS LA FRANCE CAPITALISTE
LA PROTECTION SOCIALE N’EST NÉCESSAIRE QUE PARCE QUE LA SOCIÉTÉ EST FONDÉE SUR L’INÉGALITÉ page 2
DE LA CHARITÉ CHRÉTIENNE À LA NÉCESSITÉ BOURGEOISE DU TRAVAIL page 3
1793, LA RÉVOLUTION FRANÇAISE PROCLAME LE DROIT AU TRAVAIL page 5
LE JEUNE MONDE OUVRIER ET SES MUTUELLES page 6
L’ÉTAT S’INSPIRE DES MUTUELLES MAIS LES PERVERTIT page 7
POUR INSTAURER SES ASSURANCES SOCIALES
LES PREMIÈRES ASSURANCES SOCIALES, INSTAURÉES PAR L’ÉTAT page 8
1945, LA PROTECTION SOCIALE ASSURANCE BOURGEOISE page 10
POUR AVOIR LA PAIX SOCIALE
LA SÉCURITÉ SOCIALE DE 1945, LE MYTHE ET LA RÉALITÉ page 11
LA SÉCURITÉ SOCIALE AUX MAINS DE L’ÉTAT (1945-1974) page 13
1974, LA CRISE ÉCONOMIQUE ET LE TROU DE LA SÉCU : page 15
L’ASSURANCE MALADIE DANS LE VISEUR
DEPUIS 1993, LES RETRAITES DANS LE VISEUR page 17
DE LA CSG AU RSA : L’ÉTAT REJOUE À L’ASSISTANCE page 18
LA SÉCURITÉ SOCIALE, UNE BUREAUCRATIE COMME LES AUTRES page 19
LA SÉCURITÉ SOCIALE AU SENS STRICT page 21
LA PROTECTION SOCIALE, COMBIEN DE MILLIARDS page 22
LA COLLECTE DES 700 MILLIARDS DE LA PROTECTION SOCIALE page 24
L’UTILISATION DES PRESTATIONS DE SANTÉ page 26
• vieillesse page 26
• santé page 27
• famille page 28
• emploi page 28
• logement page 29
• minima sociaux page 30
LE PRIVÉ DANS LA PROTECTION SOCIALE page 31
LE MARCHÉ MÉCONNU DE LA COMPLÉMENTAIRE SANTÉ page 32
LE TROU DE LA SÉCU ET LA GESTION FINANCIÈRE DE LA DETTE page 33
LE PAUVRE FRAUDEUR ET L’ÉTAT TRICHEUR page 35
LA SÉCURITÉ SOCIALE, PRIVILÈGE DE PAYS DOMINANTS page 37
L’IMPACT DE LA PROTECTION SOCIALE SUR LES INÉGALITÉS page 40
LA PROTECTION SOCIALE ET SON IDÉOLOGIE page 43
QUELQUES CHIFFRES REPÈRES page 45
BIBLIOGRAPHIE page 46
En France, les idées les plus confuses règnent au sujet de la protection sociale. À
intervalles réguliers, c’est son équilibre financier qui est surtout discuté : les retraites coûtent
trop cher, nous dit-on ; ou bien c’est l’assurance-maladie qui est en déficit. Ou alors ce sont les
tricheurs qui en profitent et qu’il faut punir… La composition exacte de la protection sociale
est mal connue de la population. Qu’est que c’est exactement ? Qu’est-ce même que la sécurité
sociale, qu’on croit souvent limitée à sa partie médicale ? Enfin, de leur côté, les syndicats
clament qu’il faut se battre pour préserver notre système, que nos ancêtres se sont battus pour
l’obtenir, et qu’il ne faut pas le laisser disparaître !
Qu’en est-il exactement ? Que recouvre précisément ce système ? D’où proviennent les
difficultés financières qu’il semble connaître à intervalles réguliers ? Quelle est son origine
exacte, et dans quelle perspective a-t-il été mis en place dans le monde capitaliste ? Est-ce
vraiment un outil imposé par le monde ouvrier pour rendre service à la population ? Ou n’estce
pas plutôt un appareil que le capitalisme manoeuvre selon ses intérêts ? Enfin dans quelle
mesure cette protection sociale réduit-elle les inégalités ? Et en quoi cette influence sur les
inégalités n’est-elle pas un moyen important pour le système de se préserver et de préserver
son idéologie ? C’est à toutes ces questions que nous allons tenter de répondre ici.
LA PROTECTION SOCIALE N’EST NÉCESSAIRE
QUE PARCE QUE LA SOCIÉTÉ EST FONDÉE SUR L’INÉGALITÉ
Si l’on examine l’histoire, on peut trouver de très anciennes racines à l’existence de
système d’entraide, d’indemnisation ou de mutualisation. “Malades, orphelins, infirmes font
l’objet d’attentions et de protections dans la Rome et la Grèce antiques”, c’est ce qu’écrivent
les auteurs du Que Sais-Je ? sur La sécurité sociale, Damon et Ferras. En fait, c’est très
certainement avec l’apparition des inégalités que se mettent en place de tels mécanismes.
C’est donc ici l’occasion de nous souvenir que la société humaine évoluée, civilisée,
n’a pas toujours connu ces inégalités. Et que les premières sociétés humaines étaient fondées
sur des principes de partage qui ne laissaient aucun de leurs membres dans le délaissement.
Ce ne sont pas seulement les chasseurs du paléolithique qui refusaient l’inégalité entre classes
sociales riches et pauvres, ce sont aussi des peuples vivant dans des villes. Contrairement à
une idée largement répandue, la vie égalitaire, et en tout cas sans classes sociales et sans l’État
qui perpétue ces classes, a perduré pendant une grande partie du néolithique, sur une période
de plusieurs milliers d’années.
Il n’y a pas besoin de protection sociale pour protéger les plus démunis dans une
société qui ne comprend pas de population démunie. Ce n’est qu’il y a quelques milliers
d’années, c’est-à-dire récemment à l’échelle historique, que les classes sociales, basées sur un
régime d’exploitation d’une classe par une autre, ont instauré les inégalités comme fondement
de leur fonctionnement.
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On connaît assez bien les systèmes qui ont été mis en place au Moyen Âge européen
pour venir en aide à ceux qui en ont alors besoin. L’idée qui guide ces actions, c’est celle de
charité chrétienne. Ce sont des congrégations religieuses qui se chargent d’apporter une
assistance aux plus pauvres et des soins aux malades. Et ce sont des communautés religieuses
qui vont construire, dans les villes, les premiers hôpitaux.
Mais si le mot hôpital est le même qu’aujourd’hui, la réalité est différente. Il faudrait
plutôt parler d’hospice. C’est l’Église qui détient alors le savoir médical, mais il est loin d’être
scientifique. Il s’agit surtout d’accueillir, que ce soient d’ailleurs des pauvres, des infirmes, des
malades sans domicile ou des pèlerins.
Au 14è et au 15ème siècle, avec les grandes épidémies, la peste, la variole, on enferme
les malades, ou on prend des mesures pour les isoler, et on place des hommes armés autour
des villes.
DE LA CHARITÉ CHRÉTIENNE À LA NÉCESSITÉ BOURGEOISE DU TRAVAIL
Changement au 17ème siècle : ces hôpitaux, qui étaient donc des lieux d’accueil pour
les plus pauvres, deviennent des lieux de détention. On crée des “hôpitaux généraux” où on
enferme, avec les malades et les invalides, les indigents, les mendiants, les prostituées. En
même temps, même si ce sont toujours des personnels de l’Église qui en assurent le
fonctionnement, l’autorité des hôpitaux passe entre les mains des communes. C’est donc la
morale de la toute nouvelle bourgeoisie de l’époque – une bourgeoisie alors essentiellement
commerçante – qui s’impose : on ne veut plus voir dans les rues les pauvres que crée la
société.
Dans un premier temps, donc, le réflexe des bourgeois des villes est de vouloir cacher,
enfermer ceux que les classes supérieures considèrent comme des asociaux. Mais une fois que
la bourgeoisie sera parvenue au pouvoir, elle va ré écrire l’histoire. Et ses intellectuels vont
prétendre que c’est elle, la bourgeoisie, qui, dans les États modernes, a inventé l’État social,
l’État capable de s’occuper donc de l’ensemble de ses citoyens, alors qu’auparavant ils étaient
laissés à l’abandon.
La réalité est presque l’inverse. La société chrétienne, nous l’avons dit, est basée sur
l’idée de charité. La charité, dans le monde chrétien est quelque chose de différent de l’idée
que l’on peut s’en faire. Il s’agit de quelque chose d’impératif, et non pas d’un acte gratuit. En
effet, dans l’idéologie chrétienne, on ne peut pas aimer son prochain sans aimer Dieu. Voici ce
qu’en dit le site forumactif.org : “Celui qui n’aime pas Dieu ne peut pas aimer son prochain
d’un véritable amour, c’est-à-dire pour Dieu. On aime alors d’un vain et faux amour. Dans la
pratique, ces deux commandements n’en font qu’un. L’amour de Dieu est la cause de l’amour
du prochain ; l’amour du prochain manifeste l’amour de Dieu et la nourrit.”
Très concrètement, aller soutenir un pauvre c’est apporter la preuve que l’on aime son
prochain, et que l’on aime Dieu. C’est la même chose. On imagine ce que cette manière de
voir peut donner dans une société où cette idéologie est celle qui domine toute la vie sociale et
personnelle. C’est quasiment une obligation que de ne pas laisser le démuni, le pauvre, à
l’abandon. Souvenons-nous aussi à quel point l’idée même de pauvreté pouvait être recherchée
par certains ordres religieux, parce que la pauvreté elle-même est une vertu.
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Aujourd’hui, les défenseurs de l’idéologie bourgeoise effacent ces manières de voir et
la remplacent par l’idée d’un Moyen Âge qui abandonnait les pauvres, pour mieux mettre en
valeur la protection sociale qui serait leur invention : c’est une double tromperie. Tromperie
sur ce qu’était le Moyen-Âge, et tromperie aussi sur les origines de la protection sociale, qui,
on le verra bientôt, est en réalité empruntée à des origines ouvrières.
Lorsqu’ils commencent à avoir un poids pour influer sur la vie de la commune, les
nouveaux bourgeois se posent d’abord comme question : “le pauvre a-t-il droit à un secours ?”
Comment distinguer celui qui est vraiment dans le besoin et celui qui veut vivre “aux crochets
de la société”. Si l’on apporte à un pauvre une aide, ne va-t-on pas le rendre dépendant de
cette aide, alors qu’il devrait chercher les moyens de vivre par son travail ? Et si l’on apporte
tout de même une aide à certains, ne faut-il pas en échange lui demander une contrepartie, une
forme de travail par exemple, pour qu’il se rende compte que ce n’est pas un droit que de vivre
sans travailler ?
Toutes ces questions, qui occupent régulièrement l’actualité au 21ème siècle, sont bel
et bien apparues dès le 16ème siècle, avec la formation de la bourgeoisie, bien avant donc
qu’elle devienne financière ou même industrielle. Ces gens sont viscéralement attachés à
préserver l’idée que le travail – à leur service et pour leur profit – est essentiel pour leur
condition de bourgeois, et c’est pourquoi ils se méfient tant de toute solution qui épargnerait le
travail.
Cette nouvelle manière de voir va, progressivement, effriter les manières de voir
chrétiennes qui animaient toute l’Europe jusque-là. L’idée essentielle va désormais devenir
celle de savoir distinguer entre pauvres méritants et pauvres non méritants. Et il semble que la
réforme protestante, lorsqu’elle se développe justement au 16ème siècle, va reprendre la
vision bourgeoise et lui apporter plus de force, partout où elle-même se développe.
Le fameux théoricien de la démocratie bourgeoise, Alexis de Tocqueville, écrit en
1835 : “Toute mesure qui fonde la charité légale sur une base permanente et qui lui donne
une forme administrative crée donc une classe oisive et paresseuse, vivant aux dépens de la
classe industrielle et travaillante. C’est sa conséquence inévitable”. Pas question de système
d’aide permanente, ou qui soit bien construit de manière administrative, nous dit Tocqueville !
Voilà la vision bourgeoise, une fois donc la bourgeoisie au pouvoir en France.
En 1871 encore, dans un rapport sur les bureaux de bienfaisance, un certain Paul
Bucquet écrit : “La législation sociale en France est dominée par ce principe : si la société a
le devoir moral de ne laisser aucune souffrance réelle sans soulagement, l’assistance ne peut
jamais être réclamée comme un droit par l’indigent”.
François-Xavier Merrien (Cahiers français de la Documentation française 358,
septembre-/octobre 2010) résume : “Dans le monde bourgeois en émergence, l’individu libre
et responsable (…) tient son avenir dans ses mains. La Charité individuelle sans contrôle
renforce la pauvreté et le désordre social. Il faut lui substituer la bienfaisance privée et le
patronage. Il ne s’agit plus d’exercer la charité sans règles pour obéir aux préceptes de la
religion.”
Pas de droit, donc, à l’indigent, là où la charité chrétienne faisait un devoir de lui venir
en aide. Voilà la réalité de la vision bourgeoise, à l’état brut.
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1793, LA RÉVOLUTION FRANÇAISE PROCLAME LE DROIT AU TRAVAIL
Un moment, pourtant, on a vu une tout autre attitude de la part du monde bourgeois.
Le temps d’une révolution, et seulement pour ce temps-là, des principes bien plus humains,
universels, égalitaires et fraternels, sont proclamés.
Dès 1790 déjà, un Comité de mendicité s’était formé au sein de l’Assemblée
Constituante. Il mettait “l’assistance des pauvres dans tous les âges et dans toutes les
circonstances de la vie au rang des devoirs les plus sacrés de la nation”. Mais ces secours
étaient encore conditionnés à l’obligation pour ces pauvres de chercher et de trouver du
travail, sous peine d’emprisonnement. Un autre comité, appelé « Comité de salubrité » met en
place des médecins chargés de soigner les indigents, avec des produits gratuits. Et l’État était
chargé de prendre le contrôle des hôpitaux, désormais financés par de l’argent public.
Mais c’est la Constitution de 1793 qui est un aboutissement, quand elle proclame
textuellement que la société doit trouver et donner du travail au malheureux qui n’est pas en
état d’en trouver par lui-même, dans son article 21 : “ Les secours publics sont une dette
sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du
travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.”
Pour les auteurs du Que sais-je ?, Damon et Ferras, “la déclaration du 24 juin 1793
reconnaît des droits créances du citoyen sur l’État. La société doit permettre à ses membres
de disposer de moyens de subsistance, soit en leur offrant du travail soit en procurant les
« moyens d’exister » à ceux ne pouvant travailler.” Pour Merrien, “La Convention proclame la
« dette sacrée » de la Nation, avec la Constitution de 1793. Il est dans les obligations de l’État
de prendre en charge les citoyens lorsqu’ils se trouvent dans l’incapacité réelle d’y subvenir
par eux-mêmes, de leur fournir un travail s’ils sont valides et une éducation qui prépare
l’avenir s’ils sont jeunes.”
Ainsi, l’idée même d’assistance est remplacée par celle bien plus claire et respectueuse
des individus d’un droit pour tout citoyen. Et c’est l’État qui a le devoir de répondre à ce droit.
C’est exactement l’inverse de ce que pensaient nos bourgeois jusque-là.
Une étude détaillée des évènements révolutionnaires nous expliquerait en quoi ce
changement provient d’abord et avant tout de la mobilisation du peuple de Paris, qui exige à
ce moment de la révolution des mesures radicales, mesures que les Montagnards vont
accepter de prendre parce que ce peuple leur est indispensable pour sauver la révolution face à
l’Europe royaliste coalisée et aux conspirations conservatrices de toutes sortes dans le pays.
Mais cette conception ne sera jamais mise en application. Elle sera non seulement
oubliée en haut lieu, mais systématiquement combattue par l’opinion bourgeoise, dans toutes
ses nuances.
Après l’exécution de Robespierre, l’assistance aux pauvres redevient une question
remise à la charité privée. Les hôpitaux sont rendus aux communes avec pour rôle d’héberger
les déshérités, et on rappelle les congrégations religieuses qui avaient été écartées.
Heureusement, il restera des grandes décisions révolutionnaires que l’enseignement et la
formation des médecins est enlevée à l’Église, et qu’elle s’accompagne désormais d’une partie
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pratique, qui se passe dans les hôpitaux. La voie est donc ouverte à une médecine scientifique,
où l’on raisonne sur la base des observations et des expériences.
LE JEUNE MONDE OUVRIER ET SES MUTUELLES
Avant la Révolution de 1789-1793, les groupements d’ouvriers sont rares. A la fin du
16è siècle, ce sont par exemple les mineurs. Face aux nombreux accidents, Henri IV impose
des prélèvements pour mettre en place une protection pour les blessés. C’est donc du plus haut
de l’État que cette idée de protection par un prélèvement sur le salaire de celui qui est
concerné par un risque est instaurée ; il n’est alors pas question de demander une participation
à d’autres catégories qui en auraient les moyens et qui ne sont pas concernées par le risque.
Dans les premiers ateliers, les premières manufactures des débuts du 19ème siècle, il
n’y a aucune protection pour l’ouvrier s’il tombe malade, s’il est mis en chômage, s’il devient
trop vieux pour travailler. Spontanément, se mettent alors en place des mutuelles de secours.
On collecte des sommes destinées à aider celui du groupe en question qui se retrouvera
demain dans l’impossibilité de subvenir à ses besoins. C’est aussi une première forme
d’organisation ouvrière, et de ce fait, elle sera vue comme telle et sera dans nombre de cas
réprimée.
Il faut bien voir que l’état d’ouvrier, qui va se multiplier considérablement avec le
capitalisme industriel, est quelque chose d’encore nouveau et surtout de particulier. Dans une
société qui a éliminé l’idée de charité basée sur la religion, qui de plus se méfie de tous ceux
qui ne travaillent pas, l’ouvrier est le plus fragile. Arraché de sa campagne, il n’a plus de terre
où il pourrait plus ou moins se nourrir. Séparé de sa famille traditionnelle, il n’en a plus la
protection. Sa seule protection, elle ne peut venir que d’une entraide avec ceux qui subissent la
même condition que lui.
L’état sanitaire de la population ouvrière est déplorable au 19ème siècle. Au point que
la mortalité élevée, la faiblesse physique des travailleurs peuvent rendre cette main d’oeuvre
difficile à exploiter et à en disposer. Au fond, comme l’écrit à juste titre Lutte Ouvrière dans
un article sur l’histoire de la sécurité sociale, « Le problème d’une protection collective est
apparu dès la naissance de la classe ouvrière. L’insécurité des prolétaires ne venait pas
seulement des risques liés à la maladie, aux accidents et à l’âge, mais avant tout du système
capitaliste lui-même. Car, dans ce système économique, chaque travailleur est un éternel
précaire, risquant de tout perdre du jour au lendemain : son salaire, ses ressources, son
emploi, son logement”.
Dans toutes les sociétés qui connaissent un essor de l’industrialisation, on va ainsi voir
se mettre en place des organisations mutuelles, qui cherchent à protéger les membres. On met
en commun les ressources, qu’on utilisera pour payer les dépenses, sinon inaccessibles avec
les salaires de cette période, de médecin, de médicaments, mais aussi de décès, de mariage.
En France, la Révolution a instauré en 1791 une loi qui rend quasi illégale cette
pratique. La Loi Le Chapelier, sous prétexte d’interdire le retour aux anciennes corporations,
et de préconiser la liberté du travail, interdit en même temps toute organisation ouvrière. Cette
loi ne sera abrogée qu’en 1864, et les syndicats ne seront réellement autorisés qu’en 1884.
Cela n’aura pas empêché le mouvement ouvrier de participer ou de réaliser de grandes
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révolutions, qui rythment et fondent l’histoire de la société française : en 1830, en 1848, en
1871.
L’ÉTAT S’INSPIRE DES MUTUELLES
MAIS LES PERVERTIT POUR Y INSTAURER SON CONTRÔLE
Ce n’est donc qu’une fraction des travailleurs français qui participent aux mutuelles.
Après la révolution de 1830, les mutuelles sont autorisées, mais elles sont alors placées sous
un contrôle de l’administration. Pour pallier à la pauvreté, en 1852, Napoléon III prend un
décret qui édicte qu’“une société de secours mutuel sera créée par les soins du maire ou du
curé dans chacune des communes où l’utilité en sera reconnue”.
Lorsqu’elles deviennent autorisées et légales, après 1864, les mutuelles changent en
fait de nature. Elles sont mises en place sous l’autorité d’un notable et sont plus ou moins en
réalité hostiles au monde ouvrier, lui qui a osé prétendre participer au pouvoir en 1848. Elles
seront plus ouvertes, par contre, aux fonctionnaires, aux artisans, aux employés.
Ainsi, on voit que la bourgeoisie, au bout d’un moment, s’empare d’une création du
monde ouvrier, pour la préconiser en la présentant comme une mesure sociale. Mais il la
place alors sous un contrôle étranger à la base ouvrière, en lui adjoignant un autre contenu que
le strict contenu de classe des exploités, en la rendant obligatoire au lieu qu’elle soit
volontaire. Il en a changé en réalité la nature profonde. Il en fait un outil qui, lorsque l’ouvrier
de base voudra s’en servir, ne peut pas aisément lui permettre d’oeuvrer à son émancipation.
Cette stratégie de récupération, puis de détournement d’une forme d’organisation créée
par le monde ouvrier, la bourgeoisie la reproduira, y compris avec les syndicats eux-mêmes,
puis avec les partis politiques. Mais pour l’heure, les syndicats ouvriers qui apparaissent en
cette seconde moitié du 19ème siècle sont encore ouverts aux idées d’un changement de la
société. Ainsi, dans son programme de 1891, le Parti socialiste de Jules Guesde et de Paul
Lafargue proteste contre “La liberté laissée à des hommes de spéculer sur la maladie de leurs
semblables en leur vendant les médicaments, c’est-à-dire les moyens de recouvrer la santé,
cinquante fois ce qu’ils coûtent. La grande majorité des travailleurs se trouve ainsi dans
l’impossibilité de se soigner et de soigner les siens ; comment, dans ces conditions, avoir de
l’argent pour le pharmacien, alors que bien souvent il n’y en a pas pour le boulanger ?”
En 1893, pour la première fois, l’État met en place un système d’assistance qui donne
un droit : tout malade privé de ressources a désormais droit à une assistance médicale gratuite,
chez lui ou à l’hôpital. Dans la pratique, les restrictions sont très nombreuses, et le
comportement tient encore beaucoup de la charité. Le système est financé par les communes,
les départements et pour 12% par l’État.
Pourquoi un tel changement ? C’est qu’en Allemagne, de l’autre côté de la frontière,
dans ce pays qui a pu envahir la France jusque Paris en 1870, Bismarck a mis en place un
système bien plus ambitieux. Depuis dix ans déjà, en 1883, il a instauré les assurances
sociales ouvrières. En 1887, ça a été les accidents du travail, en 1889 l’assurance santé, puis
l’assurance invalidité et l’assurance vieillesse.
La Prusse de Bismarck est alors un des régimes les plus durs et les plus réactionnaires
que connaît l’Europe. “C’est en réponse à l’agitation sociale, pour combattre les socio8
démocrates, que Bismarck engage une série de réformes qui firent de l’Allemagne un grand
précurseur. C’est ce qu’écrivent Damon et Ferras dans le Que sais-je ?. Interdisant, d’un côté,
le parti social-démocrate, il introduit, de l’autre, des législations novatrices et favorables aux
partisans potentiels de la social-démocratie. En 1883, est mis en place le premier système
d’assurance maladie obligatoire pour les ouvriers. L’édifice repose sur des institutions
particulières dont la responsabilité est confiée aux représentants des ouvriers. À partir de
1884, les industriels doivent cotiser à des caisses qui gèrent le risque d’accident du travail.
En 1889, une loi sur l’assurance vieillesse met en place des retraites (qui pouvaient être
prises à 65 ans – âge qu’on atteignait rarement à l’époque).”
Réfléchissons-y : la Prusse met en place la généralisation des caisses d’assurancemaladie
en même temps qu’elle pourchasse les militants socialistes -révolutionnaires, à
l’époque- et qu’elle tente d’étouffer le mouvement ouvrier. L’État allemand, avant son
concurrent français, a compris qu’il pouvait y aller franchement, et que cela était un moyen de
mieux contrôler et de calmer une classe ouvrière dont il a absolument besoin et qui, sinon, elle
l’a montré en France, pouvait être dangereuse. Et c’est finalement le modèle de Bismarck qui
va influencer les autres pays d’Europe occidentale, la France incluse.
Les assurances sociales mises en place par l’État bourgeois sont donc un système qui
est inspiré de la vieille tradition ouvrière mutualiste. Il en reprend l’idée selon laquelle on
collecte et on redistribue une aide, au sein de la population qui vit un risque donné. Le
système est peu coûteux, puisqu’il est financé principalement sur les salaires. Enfin, son
contrôle est totalement entre les mains de l’État et du patronat.
On n’a pas encore osé faire ce qu’a fait Bismarck, ainsi d’ailleurs que le Royaume-Uni
(où la collecte se fait par l’impôt), le partage de la direction du système entre représentants du
monde ouvrier et patronat. C’est évidemment une manière encore plus approfondie de
dénaturer la direction du mouvement ouvrier en l’intégrant à la société capitaliste, en offrant
de très bons postes à un certain nombre de ses responsables.
Après donc cette première en 1893 d’une assurance médicale gratuite, l’État français va
progressivement pousser à la mise en place d’une série de systèmes analogues : protection
contre les accidents du travail le 9 avril 1898, assistance aux tuberculeux en 1901, assistance
aux enfants en 1904, aux vieillards infirmes et incurables en 1905, aux femmes en couches et
aux familles nombreuses en 1913. Dans tous ces systèmes, il y a de très nombreuses
conditions et restrictions, qui les rendent en réalité très partiels. L’idée d’un système qui
couvrirait toute la population est encore absente. Il s’agit juste de chercher à pallier, plus ou
moins, à des situations choquantes, ici ou là. Enfin, ce sont les communes qui ont la charge
financière des aides versées.
LES PREMIÈRES ASSURANCES SOCIALES, INSTAURÉES PAR L’ÉTAT
Une première tentative de mise en place d’un régime qu’on ne peut pas encore qualifier
vraiment d’universel, c’est-à-dire destiné à couvrir toute une catégorie de population, date de
la loi du 5 avril 1910, qui institue les retraites ouvrières et paysannes. Le système est en effet
facultatif. Il aura peu de succès. Par contre, dans les mines, chez les fonctionnaires, sont mis
en place des régimes complets, à cette époque.
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C’est que le patronat français ne veut pas entendre parler d’une généralisation des
assurances sociales. C’est contraints et forcés que les patrons doivent accepter de voir le
système s’étendre tout de même, jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi,
en 1920, à la suite de l’épidémie de grippe espagnole qui va faire plus de morts que la
Première Guerre mondiale en Europe, un ministère de l’Hygiène et de la prévention sociale est
créé. Il devient le ministère de la Santé en 1930.
Cette année-là, le monde est en effet en train de connaître les impacts planétaires de la
très violente crise économique qui a éclaté en 1929 aux États-Unis. C’est aussi dans ce
contexte qu’est voté cette fois en France un système complet et obligatoire d’assurances
sociales, couvrant cinq risques – maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès- et qui
concerne tous les salariés de l’industrie et du commerce.
Les assurés peuvent choisir l’organisme qui va les assurer ; ils doivent cotiser pour 4%
de leur salaire, de même que l’employeur doit cotiser pour 4% également. Évidemment, une
tricherie de présentation se cache dans cette prétendue égalité. Car les 4% que le patron cotise
proviennent, tout comme l’ensemble de la plus-value qu’il réalise, du travail de son ouvrier.
En clair, c’est 4% de salaire différé et 4% de salaire impayé qui vont servir à former la
fameuse couverture de la protection sociale.
Pour satisfaire les nombreuses oppositions à cette loi, des restrictions que nous
connaissons bien y sont introduites : les médicaments ne sont remboursés qu’à 80%, reste
20% à la charge de l’assuré ; c’est le fameux « ticket modérateur », sensé modérer la
consommation médicale, et qui dit implicitement, dès l’origine donc, que le travailleur est
potentiellement quelqu’un qui sera tenté d’abuser des droits. L’indemnité journalière en cas de
maladie est fixée à 50% du salaire, et plafonnée à 40% du salaire ouvrier moyen. Et il faut
avoir travaillé au moins 60 jours pendant le trimestre précédent la maladie pour y avoir droit.
Le syndicat CGT-U, lié au jeune Parti communiste, encore révolutionnaire, s’oppose
au principe de la cotisation ouvrière. Il réclame tout simplement la gratuité des soins
médicaux, et des indemnités égales au salaire en cas de maladie. Il demande que les
indemnités soient financées par des versements patronaux et par des versements de l’État
“prélevés sur les budgets de la guerre et de la police”. Il demande la gestion des caisses
d’assurances par les salariés eux-mêmes et dénonce ces assurances sociales comme “une
véritable machine de conservation sociale… Un moyen habile pour obliger, sans bourse
délier, les travailleurs de ce pays à mettre leurs misères en commun pour diminuer les affres
des plus malheureux”.
Voilà donc quelle est la position des militants du monde ouvrier qui sont encore
révolutionnaires, ceux qui ne sont pas passés dans le camp du patriotisme et qui ont
abandonné l’internationalisme, lors de la déclaration de guerre en 1914, et qui maintenant se
retrouvent derrière la vieille étiquette socialiste. On est bien loin de ce qu’en disent de nos
jours les syndicats, qui présentent la protection sociale française comme le fruit d’un fier
combat ouvrier.
Aux assurances sociales, vont s’ajouter en France, toujours avant la Seconde Guerre
mondiale, les allocations familiales. La France est obsédée par le problème de sa natalité, elle
tient absolument à ce qu’elle reste importante, persuadée que c’est là un facteur essentiel dans
la guerre larvée ou ouverte qu’elle mène avec son principal voisin, l’Allemagne. Des caisses
de compensation chargées de répartir la charge des allocations familiales entre employeurs se
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sont créées un peu partout sur le territoire. Plus ou moins paternalistes, elles sont également
destinées à fidéliser la main d’oeuvre. La loi du 11 mars 1932 les généralise au profit de tous
les salariés de l’industrie et du commerce, puis en 1939, à l’ensemble de la population active.
Enfin, pendant la Seconde Guerre mondiale même, Roosevelt et Churchill signent une
Charte de l’Atlantique en août 1941, où ils promettent une sécurité sociale aux peuples qui se
sacrifient à la guerre. Ils y déclarent souhaiter “faire en sorte que se réalise, dans le domaine
économique, la plus entière collaboration entre toutes les nations, afin d’assurer à toutes de
meilleures conditions de travail, le progrès économique et la sécurité sociale”.
1945, LA PROTECTION SOCIALE N’EST PAS LE FRUIT DES LUTTES OUVRIÈRES,
MAIS UNE ASSURANCE BOURGEOISE POUR AVOIR LA PAIX SOCIALE (Faux. NDÉ)
En France, depuis des décennies, les militants du PCF, de la CGT et des autres
syndicats n’ont jamais cessé de répéter que la Sécurité sociale, telle qu’elle est née en 1945 au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était le fruit de combats de la classe ouvrière. Et
même que la Sécurité sociale appartenait à la classe ouvrière. Cette présentation, on l’a encore
entendue lors du récent mouvement contre la réforme Macron de la retraite vieillesse.
C’est un mensonge et une tromperie. Non, la Sécu n’est pas le fruit de combats
ouvriers, et non, elle n’appartient pas au monde du travail ! Elle a été fondée par la
bourgeoisie, avec certes la collaboration des syndicalistes CGT de l’époque et le soutien du
PCF allié alors à De Gaulle. L’objectif n’était en rien une quelconque émancipation du monde
du travail, mais au contraire l’acceptation par celui-ci des difficultés et des sacrifices,
plusieurs années encore à la suite de la guerre, pour reconstruire un pays et une industrie en
partie détruits par les combats des fins de la guerre.
Ce que le monde bourgeois craignait alors par-dessus tout, c’est ce qui s’était produit
un peu partout à la fin de la Première Guerre : la révolution sociale. Sur presque tous les
fronts européens, des soldats s’étaient alors mutinés, et des mutineries avaient évolué en
soulèvements généraux, la révolution avait gagné l’Allemagne notamment, et le pouvoir avait
été pris par les bolcheviks en Russie, donnant naissance à l’URSS sur le territoire du plus
grand pays au monde.
Certes, la bourgeoise avait tout de même été rassurée de voir en Staline celui qui avait
chez lui étouffé la flamme révolutionnaire, et qui avait ensuite imposé aux partis communistes
des divers pays de ne plus se consacrer qu’à la seule défense de l’URSS non pas par la voie
révolutionnaire mais par celle d’alliances avec les pays bourgeois. Mais l’arrivée de son
Armée Rouge jusqu’au centre de l’Europe occidentale était tout de même une menace. Car si
l’URSS n’était plus révolutionnaire et n’était pas aux mains des prolétaires, mais avait formé
toute une bureaucratie, il n’en était pas moins vrai qu’elle était vue par des millions de
travailleurs de par le monde comme un exemple et un espoir. En particulier en France, en
Italie aussi, les partis communistes étaient devenus le premier parti du pays.
De plus, les appareils politiques traditionnels en France étaient tous plus ou moins
compromis, mouillés directement ou indirectement par la collaboration avec l’occupant
allemand pendant la guerre, et par les bonnes affaires faites pendant cette période par les
milieux patronaux.
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C’est de Gaulle qui fit donc le choix d’ouvrir grands les bras au Parti communiste, lui
offrant des places de ministres pour la première fois de son histoire, et obtenant en échange de
la part du PCF et de la CGT, qui lui était fortement liée, une collaboration à sa politique. Le
gouvernement de De Gaulle du 13 novembre 1945 comprenait donc 5 ministres du PCF :
Maurice Thorez, ministre d’État, Charles Tillon à l’Armement, Ambroise Croizat (CGT) au
Travail et à la Sécurité sociale, Marcel Paul à la Production industrielle et François Billoux à
l’Économie nationale.
Il s’agissait donc de retrousser les manches, de ne pas faire grève, le temps que l’on
rebâtisse le pays. Le PCF et la CGT vont alors mettre toute leur énergie pour s’opposer
effectivement aux grèves, désorientant et démoralisant les travailleurs, en particulier dans les
mines, le charbon étant à l’époque une source d’énergie essentielle pour l’appareil industriel,
les chemins de fer par exemple.
La création de la Sécurité sociale en France en 1945 s’inscrivait dans cette
reconstruction. Elle devait servir d’assurance à la bourgeoisie contre des mouvements sociaux
pouvant être dangereux.
“De fait, rappelle Lutte Ouvrière dans un dossier sur la Sécurité sociale, (15/5/1976),
fut mis en route dès juillet 1946, exclusivement par les militants communistes et CGT, qui
formèrent ainsi la quasi-totalité des ordres professionnels de la nouvelle institution, sans
compter leurs 2 222 sièges d’administrateurs des Caisses (sur un total de 3 341) obtenus par
les élections à la proportionnelle d’avril 1947. Et cette gestion permit surtout à la CGT d’y
ancrer solidement pour plus de vingt ans toute une partie de sa base sociale. Aujourd’hui
encore, les militants communistes et cégétistes sont nombreux parmi les hauts cadres de la
Sécurité sociale”.
Un changement dans la composition de la direction de la Sécu eut lieu en 1967. Par
ordonnance, De Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, imposa cette fois la présence de
représentants du patronat, ce qui permit de parler de « paritarisme » avec les syndicats, mais
aussi celle de représentants de l’État.
Cette Sécurité sociale va évidemment reprendre les pratiques déjà expérimentées
jusqu’ici avec les différentes assurances sociales, pour en faire un système cette fois complet.
Une nouveauté en France : on va associer des dirigeants syndicaux, censés représenter le
monde du travail, à son pilotage. Et dans la période qui suivit, les centrales syndicales, CGT
et CFDT, vont protester contre ces maudites ordonnances qui les ont rendues minoritaires, et
réclameront qu’on leur rende tous leurs sièges aux conseils d’administration.
LA SÉCURITÉ SOCIALE DE 1945, LE MYTHE ET LA RÉALITÉ
Cette Sécurité sociale, le PCF et derrière elle toute la gauche en a fait un mythe. Elle
serait le fruit d’un programme mythique, celui du CNR, le Conseil national de la résistance,
qui se met en place à la fin de la Seconde guerre. Mais le CNR regroupe en réalité un PCF qui
se dit ouvrier avec un MRP, parti chrétien démocrate, et une SFIO socialiste, et rien de bien
précis n’est dit sur la sécurité sociale dans ce programme, qui concerne surtout la libération du
pays, et qui ne sera même plus utilisé une fois la guerre achevée.
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La Sécu, nous dit-on encore, représenterait une forme de vie « à la française », formule
qui ne gêne pas la droite qui peut donc la reprendre. Et tous ces gens de la présenter comme
un système universel, démocratique, solidaire, voire égalitaire.
Mais tout cela est faux. D’abord, cotisation salariale comme cotisation patronale, le
système reste encore et toujours fondé sur la part de richesse obtenue par le travail de
l’ouvrier. D’ailleurs, ce que le patronat appelle « le coût du travail », c’est bien l’ensemble du
salaire, charges patronales comprises. Et d’ailleurs, il n’y a pas de cotisation “patronale” si le
salarié ne travaille pas. Ces cotisations ne sont donc que du salaire différé, le patron ne paie
rien de sa poche ; il utilise la richesse produite par l’ouvrier pour lui payer son salaire comme
ses charges.
Comme auparavant les Assurances sociales, la sécurité sociale est donc financée sur la
part salariale, pas sur les profits. La ponction, qui était auparavant de 4+4, soit 8% de la part
salariale, passe à 16%, qu’on présente sous la forme d’apparence améliorée de 6% pour le
salarié, 10% pour l’employeur.
Une vraie amélioration tout de même : au lieu de devoir travailler 60 jours pendant le
trimestre précédent, il suffit, avec la nouvelle Sécurité sociale, d’avoir travaillé 60 heures dans
le trimestre écoulé pour avoir droit aux remboursements et aux indemnités journalières. Un
nouveau régime, pour l’assurance longue maladie, est mis en place.
Ensuite, non, le système n’appartient pas aux travailleurs. Ce qui est vrai, et qui est
aussi nouveau en France, c’est que les salariés sont représentés par les organisations
syndicales. À l’époque, la CGT compte près de 5 millions d’adhérents, la CFTC un million. Et
des militants de ces syndicats vont réellement s’investir dans le travail que nécessite la mise
en place du nouveau système, puis dans son fonctionnement.
Mais l’État n’est pas du tout absent, même s’il est en retrait. C’est lui, on l’a vu, qui l’a
voulu, et qui l’a initié, d’en haut, avec ses méthodes, ses calculs, ses intérêts. Tout ce qui est
règles de fonctionnement, tout ce qui est lois, c’est lui qui en a les clés. Le montant des
cotisations, celui des prestations, sont fixés par l’État, au plus haut niveau. C’est donc une
duperie que de prétendre que la Sécurité sociale appartient aux ouvriers ou aux travailleurs.
Ce qui est propre aux ouvriers, ce qui est propre aux travailleurs, suppose des méthodes, des
manières de faire totalement différentes de ce qui est lié au monde bourgeois.
Comme l’écrit Gilles Nezosi (Cahiers français), “nonobstant ces ambiguïtés de départ,
les syndicats présentent la gestion des organismes de sécurité sociale comme une conquête et
une reconnaissance de la classe ouvrière”. Ce que l’on peut dire par contre, c’est que cette
participation des syndicats dans la Sécurité sociale, c’est le signe que la bourgeoisie indique
aux syndicats qu’elle peut effectivement les reconnaître, mais à la condition qu’ils prouvent
leur capacité à se dévouer pour la cause bourgeoise, concrètement ici la reconstruction du
pays dans des conditions politiques et économiques délicates et difficiles.
Enfin, la sécurité sociale n’est même pas non universelle, l’assurance maladie ne
couvre que 53% de la population pour l’instant. Il n’y a que les allocations familiales qui
couvrent tout le monde, parce que l’État – encore et toujours – veut mener une politique
nataliste, et le PCF en est entièrement d’accord, au point d’interdire les avortements ou les
informations sur la contraception.
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L’idée bien bourgeoise de ticket « modérateur » n’est pas oubliée ; il est de 20%, sauf
pour les seuls cas graves. Et dès les débuts, l’idée d’une mutuelle complémentaire va
s’imposer, l’idée donc d’un système à deux vitesses, tout le monde n’ayant pas les moyens de
pouvoir cotiser à une telle mutuelle. Enfin, les indemnités versées au malade restent toujours
limitées à 50% du salaire, et celles en cas d’accident du travail entre 60 et 80%.
Dans le domaine des retraites, les inégalités sont criantes. Les cadres, tout d’abord,
exigent qu’au-delà d’un certain plafond, leur salaire n’est pas soumis à cotisation. Quant aux
autres, il faudra attendre les années 1970 pour que ceux qui arrivent à la retraite en reçoivent
une décente. Auparavant, on n’a pas encore cotisé assez longtemps au vu du système, et les
vieux vont longtemps rester dans une situation de misère. En 1948, ils sont un million de
vieux à ne toucher que le minimum vieillesse de l’époque, l’allocation aux vieux travailleur
salariés (AVTS).
Au total, la Sécurité sociale de 1945 apporte une couverture à de nombreuses couches
de la population qui n’en avaient pas. Mais, pour ceux qui avaient déjà un système
d’Assurance sociale, comme les mineurs, elle n’est pas forcément un progrès. À tel point que
plusieurs professions vont refuser le nouveau système, et préfèreront conserver leur régime
particulier, dont ils trouvent les conditions plus avantageuses. Ce sera le cas des mineurs, des
marins, des cheminots, des employés du gaz et de l’électricité. Ce sont certains des fameux
régimes particuliers qu’Alain Juppé en 1995, puis Emmanuel Macron en 2019-2020, vont
vouloir détruire. Enfin, des professions vont simplement refuser d’intégrer la Sécurité sociale,
sans doute parce qu’ils la trouvent trop marquée par le monde ouvrier : c’est le cas des artisans
et des professions agricoles.
LA SÉCURITÉ SOCIALE AUX MAINS DE L’ÉTAT (1945-1974)
Dès les premières années, la Sécurité sociale connait des difficultés financières : les
dépenses augmentent plus vite que les recettes. Ce sont surtout les dépenses de l’assurancemaladie,
qui triplent entre 1945 et 1948. Il faut dire que la médecine est en pleine révolution,
avec de nouvelles générations de médicaments (les antibiotiques, en particulier la pénicilline),
et une transformation profonde de l’hôpital. La mortalité par infection est divisée par deux
entre 1945 et 1950. Les religieuses, plus ou moins bénévoles, le quart des effectifs soignants
en 1939, sont remplacées par un personnel qualifié qu’il faut rémunérer.
Pour le patronat, cette situation est insupportable. Il dénonce “une utilisation abusive
et frauduleuse de l’assurance maladie pour les petits risques », et s’insurge de ce que “les
salariés veuillent profiter de traitements dont ils n’ont pas un besoin certain”. Ce à quoi le
ministre du Travail (1946-1949) Daniel Mayer, membre de la SFIO (ancêtre du Parti
socialiste) répond, en expliquant que “toutes les augmentations de charges avaient été en
réalité prélevées sur les salaires et avaient fait obstacle à une augmentation beaucoup plus
forte de ceux-ci, qui sans cela eût été inévitable”.
Traduction : la Sécu et ses cotisations vous évitent, chers patrons, d’avoir à augmenter
les salaires. Et Mayer de le prouver en calculant que “le total des salaires et des charges
sociales, bien loin d’augmenter depuis 1938, avait sensiblement diminué”. Et il conclut :
“Cette augmentation des charges sociales se traduit donc en définitive par un effort de
solidarité imposé aux travailleurs et à eux seuls, au profit de leurs malades, de leurs enfants
et de leurs vieux”.
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En mai 1947, les ministres communistes sont rejetés du gouvernement. La bourgeoisie
applique une exigence américaine : le temps de la collaboration avec les partis communistes,
en France, en Italie, a trop duré. L’ennemi désormais, c’est l’URSS, et la guerre froide va être
lancée. Les communistes doivent maintenant être présentés comme des ennemis à l’intérieur
même du pays. Et c’est ainsi que le PCF est remercié des services rendus. Le patronat est aux
anges, lui qui retrouve une situation plus confortable, sans ces individus qui prétendent
représenter le monde ouvrier à leurs côtés.
A partir de la fin des années 1940, le monde occidental va entrer dans une période
qu’on nommera les Trente Glorieuses. La reconstruction booste l’économie capitaliste, elle
peut se permettre d’accepter de concéder des salaires à la hausse, et elle le fait d’autant plus
qu’il y a ce concurrent gênant, hors système capitaliste, même s’il n’est pas socialiste, l’URSS.
L’économie tourne à plein régime, le chômage est inhabituellement rétréci. La masse des
salaires étant à la hausse, les cotisations qui en sont une part augmentent en proportion et la
Sécurité sociale se porte au fond plutôt bien financièrement.
Du coup, l’État va en profiter pour lui faire supporter une partie de ce qu’il aurait dû
prendre en charge. La recherche médicale, la formation des personnels soignants, et
l’enseignement donné aux futurs médecins, même s’ils vont exercer en libéral, sont remis à la
charge de la Sécurité sociale. C’est pour cela que les facultés de médecine se déplacent en
1958 dans les hôpitaux, qui deviennent des CHU (centres hospitaliers universitaires). La Sécu
commence ainsi à être une vache à lait pour les capitalistes de la santé.
1958, c’est le retour de De Gaulle au pouvoir. Un accord, le premier, est signé entre la
caisse maladie de la Sécu et la Confédération syndicale des médecins français : l’assurancemaladie
prend en charge la moitié des cotisations maladie des médecins qui appliquent les
tarifs de la convention, et les remboursements sont relevés. 80% des médecins sont ainsi
conventionnés fin 1961.
En 1963, une manoeuvre d’ampleur et d’un genre nouveau est mise en place : on va
alourdir fortement les charges, les dépenses, de la Sécu. Après quoi, une fois mise en
difficulté, il sera aisé de justifier ce qu’on appellera des “réformes”, qui seront en fait d’autres
moyens de la restreindre, de l’obliger à accepter les modifications que l’État, représentant
global des différents capitalistes, souhaite opérer.
Donc, en 1963, l’État qui devait, jusque-là, gérer lui-même le régime déficitaire des
salariés agricoles sur son propre budget, le transfère au régime général de la Sécurité Sociale.
Il y ajoute en 1964 le régime des mines. Ce sont des milliards de dépenses nouvelles, et elles
vont mettre la Sécurité sociale dans le rouge.
Immédiatement, le CNPF (ancêtre du MEDEF) lance une campagne pour demander à
ce que la Sécurité sociale se limite aux “prestations essentielles”. On devrait donc lui enlever
certaines tâches, qui seraient transférées au privé, cliniques privées, assurances privées, qui
deviendraient plus tard des fonds pension. Il faut “faire confiance à la mutualité et à la
prévoyance libre”.
Le patronat a des idées claires : un certain nombre des prestations de la Sécu
pourraient être des affaires juteuses. Il suffirait de proposer un système du même
fonctionnement que la sécu -une cotisation régulière pour un risque donné ; une prestation
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payée si le risque advient -, avec un calcul adapté de la cotisation et du remboursement, pour
pouvoir en tirer un profit qui peut, potentiellement, être considérable.
En 1967, De Gaulle prend une série d’ordonnances destinées à limiter les dépenses : le
ticket modérateur passe de 20 à 30% cette fois pour les honoraires médicaux ; il faut
maintenant avoir travaillé 120 heures sur le dernier mois, au lieu de 60 heures dans le
trimestre ; la cotisation ouvrière passe de 6% à 6,5% du salaire. De nombreuses
manifestations se déroulent contre ces mesures, sans succès. Les accords signés à l’issue de
Mai 1968 ne remettront pas en cause ces ordonnances, sauf sur le ticket modérateur des
honoraires médicaux, ramené seulement à 25%.
Mais en même temps qu’il rogne ici ou là, qu’il montre en permanence que c’est lui le
maître, et que finalement cette protection sociale n’est pas une garantie absolue, que c’est lui
qui l’octroie en plus ou en moins, à sa guise, c’est-à-dire au fond, que cela n’appartient pas aux
travailleurs, l’État continue d’étendre la couverture progressivement, jusqu’à atteindre la quasitotalité
de la population. Fin des années 1970, avec les curés, ou avec les détenus des prisons,
on en arrive à 99% de la population qui est couverte.
En fait, l’État bourgeois agit en permanence en démontrant que ce système est de lui, à
lui, et que c’est du ressort de sa bonne volonté s’il permet d’apporter une certaine aide au
monde du travail.
1974, LA CRISE ÉCONOMIQUE, LE TROU DE LA SÉCU :
L’ASSURANCE MALADIE DANS LE VISEUR
En 1974, l’économie et en particulier les chiffres du chômage commencent à subir les
effets de la crise, qui a éclaté en 1973. À partir de cette date, on va régulièrement entendre
parler du « trou de la Sécu », trou qu’il faudrait combler avec toujours le même genre de
mesures : moins de remboursements, et des économies sur les dépenses, donc sur les soins.
On pourrait ainsi penser que la crise est à l’origine de ce fameux trou. Mais quand on y
regarde de plus près, c’est moins évident.
En effet, s’il est vrai que la montée en flèche du nombre de chômeurs va priver la Sécu
d’une fraction des cotisations, on va voir cependant dans le même moment l’État alourdir à
nouveau les dépenses de la Sécu, creusant ainsi le fameux trou de manière volontaire, en lui
faisant peser des charges nouvelles.
En 1974, l’État supprime les subventions qu’il pouvait apporter aux régimes spéciaux
qui étaient déficitaires. Et il en transfère les dettes de retraite et d’assurance maladie vers le
régime général des travailleurs salariés, vers la Sécu. Après quoi, après avoir donc contribué à
le creuser, le gouvernement Barre lance une campagne pour dénoncer le fameux « trou », et
lance ensuite un plan dit d’assainissement. Il y aura ainsi 19 plans de cette sorte jusqu’au plan
Juppé en 1995. Ces plans seront l’oeuvre de gouvernements aussi bien de droite que de
gauche.
Pendant les vingt premières années, de 1974 donc jusque 1993, c’est l’assurancemaladie
qui est dans le collimateur. Les dépenses de santé augmentent trop vite, répète-t-on
en haut lieu, matin, midi et soir. Le plus souvent, on va se servir de l’argument pour
augmenter la cotisation salariale, pratiquement toujours elle seule. On augmente le ticket
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modérateur, on baisse des taux de remboursement, on dé-rembourse certains médicaments. En
1979, la droite fait payer une cotisation d’assurance maladie aux retraités. En 1980, on laisse
les médecins fixer librement leurs honoraires, et c’est au patient de payer sans être remboursé
sur le dépassement. En 1981 et 1982, la gauche de Mitterrand ajoute une cotisation-maladie
cette fois aux chômeurs et aux préretraités au-dessus du Smic. En 1983, ces socialistes
inventent le forfait hospitalier : on fait payer le prix d’un repas normal à ceux qui ont besoin
d’être hospitalisés.
À cette époque aussi, un problème de fond va commencer à être créé de toutes pièces,
concernant le nombre de médecins. Au départ, ce sont les organisations de médecins qui ont
demandé aux pouvoirs publics de limiter le nombre de médecins formés, au début des années
1970, car ils voient alors un afflux d’étudiants. Des quotas, un nombre limite précis, sont donc
mis en place.
Mais rapidement, l’État va voir là un bon moyen pour économiser sur les dépenses
médicales : il se dit que s’il y a moins de médecins, il y aura moins de dépenses de maladie.
C’est soit idiot, soit écoeurant, ou les deux. Mais c’est ce qui se passe. Le nombre d’étudiants
autorisés à passer en seconde année de médecine est arrêté à 3500 en 1992. Des quotas ont
déjà été mis sur l’entrée des écoles d’infirmières depuis 1983. Et, avec le même raisonnement,
des quotas d’activité seront mis en place à partir de 1993-1994 pour les kinésithérapeutes et
les infirmières libérales : arrivé à un certain nombre de consultations, ils doivent ensuite
refuser de nouveaux patients.
Mais à force de comprimer le nombre de soignants, alors que la population augmente,
et qu’elle cherche à mieux se soigner, c’est la crise. On manque de kinés, on ne trouve plus
d’infirmières, les quotas sont levés en 2000. Pour trouver des médecins, on va en chercher à
l’étranger.
En même temps qu’il va chercher à économiser autant que possible sur le personnel
soignant, l’État va s’en prendre parallèlement aux dépenses de matériel. C’est Simone Veil,
ministre de la Santé du gouvernement Barre, qui lance les hostilités en 1976, en proclamant
qu’il y a 60 000 lits d’hôpitaux de trop en France.
Mais c’est surtout par une mesure de comptabilité que l’État va étrangler les hôpitaux,
aboutissant à la situation d’étouffement que l’on constate depuis des années maintenant. En
1984, est en effet instaurée la « dotation globale ». On ne donne plus à l’hôpital l’argent qui
correspond à la réalité de ce qu’il a opéré comme actes auprès des patients. Au lieu de cela,
c’est l’État qui fixe en début d’année une dotation globale, un montant avec lequel l’hôpital
devra se débrouiller jusqu’à la fin de l’année. Et bien évidemment, on utilise cette manière de
procéder pour freiner considérablement la hausse des dépenses d’une année sur l’autre : cette
hausse était de 8% entre 1968 et 1973 ; elle est comprimée à tout juste 1% par an depuis la fin
des années 1990.
Au niveau de chaque hôpital, il va recevoir une somme basée sur l’activité qu’il a eue
l’année précédente. En 2004/2008, s’ajoute le principe de tarification à l’activité (T2A) :
chaque soin particulier est codifié, tarifé. Et on calcule à partir de là le prix à payer à l’hôpital
pour ce soin. Sauf que si un hôpital parvient à faire faire un peu plus de soins, avec la même
somme d’argent, cela baisse la moyenne, et c’est ce nouveau prix, abaissé, qui est imposé à
tous. C’est une mise en concurrence générale.
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40 000 lits sont supprimés en dix ans, de 1993 à 2003. Les hôpitaux psychiatriques, les
plus touchés, doivent laisser des malades mentaux à la rue, ou en prison, où leur nombre se
met à augmenter. Enfin, en 1996, des Agences régionales d’hospitalisation sont mises en
place : il s’agit cette fois de fusionner des hôpitaux, de fermer des services, d’en transférer
d’autres, bref, de chercher de nouvelles économies en jouant sur la structure même de
l’implantation géographique du système de santé.
DEPUIS 1993, LES RETRAITES DANS LE VISEUR
Au cours des années 1991-1993, le chômage connaît une nouvelle flambée. Tout
comme en 1974, où l’État en avait profité pour rogner sur le système de santé, il va cette fois
s’en prendre au système des retraites. Un premier plan est appliqué par Balladur en 1993 : la
durée de cotisation dans les entreprises privées du commerce et de l’industrie passe de
37 années et demi à 40 ans, pour pouvoir toucher une retraite pleine.
Deux ans plus tard, Juppé lance un nouveau plan qui vise cette fois les fonctionnaires.
Les manifestations de novembre-décembre 1995 le font reculer sur cette partie de son plan,
mais pas sur la partie concernant la santé et l’assurance maladie : augmentation des cotisations
maladie sur les retraités et sur les chômeurs.
En 2003, avec Raffarin (Chirac), le régime des retraites des fonctionnaires est aligné
sur le privé, avec 40 années de cotisations obligatoires. Mais les fonctionnaires ont encore
pour eux un calcul qui se fait sur la base des six derniers mois de travail, contre les 25
meilleurs années pour les autres. En 2010, avec Fillon (Sarkozy), ce sont les 40 années
nécessaires à une retraite à taux plein qui passent à 41,5 ans à partir de 2012, et l’âge légal de
départ à la retraite est repoussé de 60 ans à 62 ans.
De même que les réformes concernant l’assurance maladie ont mis sur la touche une
partie de la population qui ne peut se soigner correctement, celles sur les retraites poussent
progressivement à la recherche de retraites complémentaires, où la prestation ne fait que
suivre le montant de la cotisation. Au total, l’évolution du système de protection sociale tend à
ce que se développe un autre système, accessible aux classes moyennes supérieures, qui est
une protection sociale privée : ce sont des assurances, des fonds de pension. L’autre résultat,
c’est qu’une partie de plus en plus nombreuse de la population se retrouve à dépendre des
minima sociaux.
Les fonds de pension, qui procèdent à un système de retraite appelé par capitalisation,
sont le plus développés aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Irlande, en Suisse. Mais avec
la crise des « subprime » de 2007-2008, les fonds de pension ont connu une chute très
importante de la valeur des pensions, de l’ordre de 20 à 30% au moins, et de nombreuses
couches de la population y ont perdu une part considérable de leur épargne retraite.
Enfin, en 2019, c’est Macron qui met en place un système à points qui se prétend cette
fois universel en supprimant les anciens régimes spéciaux, et en calculant cette fois sur la base
de l’ensemble des années de travail. Au moment où nous écrivons de nombreuses inconnues
persistent sur les modalités de calcul exactes. L’idée de fixer le montant global des retraites à
14% du PIB au maximum est avancée.
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DE LA CSG AU RSA : L’ÉTAT REJOUE À L’ASSISTANCE
En 1995, Juppé avait opéré quelque chose de nouveau : il a transféré une part de la
cotisation pour l’assurance maladie vers un impôt, la CSG. Pour le salarié, il ne semble pas y
avoir de différence. Il y a plus 1% sur la CSG, prélevée sur le salaire, et en même temps
moins 1% sur la cotisation maladie, prélevée sur le même salaire.
C’est le socialiste Rocard qui avait créé en 1991 ce nouvel impôt, la CSG
(Contribution sociale généralisée). Il l’avait présenté comme devant aider à financer la Caf, la
Caisse d’allocations familiales, la branche famille de la Sécu. Et cette CSG avait déjà été
augmentée en 1993 pour alimenter le Fonds de solidarité vieillesse.
En 1998, nouveau transfert vers la CSG : de 4,1% de cotisation sur les salaires et de
2,8% sur les retraites et les indemnités de chômage. Toujours donc avec un résultat neutre
pour le salarié. Il ne lui reste plus qu’une cotisation minime pour l’assurance maladie, de
0,75%. Par contre, la CSG devient maintenant le premier impôt direct, nettement plus
important que l’impôt sur le revenu.
Pourquoi ce choix de faire basculer des prélèvements pour la Sécu vers un
prélèvement sous forme d’impôt ? Il y a d’abord un gain financier. La cotisation sociale ne
porte que sur les revenus du travail (salaire direct et indirect), alors que la CSG touche tous
les revenus du ménage (revenus du travail, du patrimoine, des placements) et va toucher y
compris les retraités, qui sont une masse considérable.
Mais il semble y avoir autre chose. L’utilisation de l’impôt plutôt que d’une cotisation
serait en quelque sorte une volonté de faire oublier de l’idée qui a fondé la Sécu, celle d’une
certaine forme de solidarité, pour revenir à la vieille idée d’une assistance venant des
puissants. L’article premier du Code de la sécurité sociale (article L. 111-1) ne dit-il pas
“L’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale” ?
L’idée de base de 1945 n’était-elle pas d’absorber l’assistance ? L’État n’est-il pas en train, sans
le dire, de créer une situation à deux régimes ?
D’une part, il y aurait ceux qui ont droit à la protection sociale, celle de la Sécu, basée
sur une idée, même si elle est bien bureaucratisée, de la collectivité ; et d’autre part, ceux qui
reçoivent un des minima sociaux, que l’État veut bien leur octroyer, mais qui seraient en
quelque sorte les mauvais pauvres, ceux qui ne font aucun effort et profitent de la collectivité.
Ce qui justifierait qu’ils vivent à un niveau de vie à un cran nettement inférieur aux
précédents.
Robert Lafore (Cahiers français 358) s’indigne donc de ce que l’État multiplie
allègrement cette dernière forme d’assistance, en dehors donc de la Sécurité sociale, avec des
couvertures comme la CMU (couverture maladie universelle, qui s’adresse aux résidants sur le
sol français qui n’ont pas d’autre couverture santé), pour pallier une insuffisance de l’assurance
maladie. De même avec l’APA, allocation personnalisée d’autonomie, la PSD prestation
spécifique dépendance, ou encore la PCH, prestation de compensation du handicap, pour finir
avec le RMI, revenu minimum d’insertion. “ De complément pour quelques marges
relativement contenues d’inaptes au travail, conclut Robert Lafore, l’assistance se mue alors
en l’élément premier de la protection sociale, le « premier pilier » au sens des organisations
internationales : comprenons un socle destiné à garantir le minimum à tous, en lieu et place
de la sécurité sociale qui voulait justement tenir cette place au temps de cette institution”.
19
Si monsieur Lafore a raison, on peut suspecter les hauts fonctionnaires qui décident de
ce basculement discret de vouloir finalement discréditer l’idée même de sécurité sociale :
« Regardez, ce système basé sur la collectivité n’est pas capable de s’occuper de tous ces gens,
de tous leurs problèmes » ; abandonnez donc cette idée utopique. Il n’y a que l’État qui peut
vous aider…”
Nous verrons plus tard que cette action directe de l’État ne lui coûte vraiment pas
grand-chose, en proportion du budget de la Sécurité sociale. Quoi qu’il en soit, en 2013, c’est
10% de la population française qui vit de ce genre de minima sociaux.
LA SÉCURITÉ SOCIALE, UNE BUREAUCRATIE COMME LES AUTRES
Aux tous débuts de sa construction en 1945, et bien que son édification ait été décidée
du haut de l’État, la Sécurité sociale devait être un organisme assez vivant, où de nombreux
militants ont cru en s’y investissant contribuer à construire un outil propre au monde ouvrier,
aux opprimés de manière générale. Mais cette situation n’a sûrement pas duré bien longtemps.
En tout cas, dès les années 1960, ces militants syndicaux doivent laisser la place à une
nouvelle génération, les « administrateurs ». Provenant toujours des syndicats, ce sont
maintenant de véritables professionnels des nouveaux métiers dans la Sécu elle-même. On
s’organise de manière de plus en plus complexe et divisée. On travaille en commissions :
finance, action sociale, etc. Les administrateurs se présentent de plus en plus comme les
défenseurs des intérêts de chaque caisse. Ils ont le pouvoir de siéger dans toutes les instances
importantes. “ Par exemple, les commissions diverses d’action sociale ou le développement
social local pour les caisses d’Allocations familiales, les commissions de recours amiables
dans les caisses Primaires d’Assurance-maladie”.
L’intérêt du malade, du cotisant, passe de plus en plus au second plan, s’il n’est pas
complètement oublié, pour être remplacé par le bon fonctionnement de cette nouvelle
administration, avec toute sa bureaucratie.
“À ces ressources politiques et symboliques fortes (prise en compte de la voix des
organisations syndicales dans l’élaboration et le suivi des politiques sociales), il faut ajouter,
explique Gilles Nezosi (Cahiers français), les ressources matérielles importantes (heures de
délégation, crédits de formation) dont disposent les organisations syndicales pour mener à
bien leur action”. En clair, c’est de l’argent, des locaux, des machines pour imprimer, des
stocks de papier, des moments importants où il n’y a plus besoin de travailler avec ses
camarades et de connaître l’exploitation. En résumé, c’est une intégration à l’État dont il s’agit.
Même si ce fonctionnement apporte un progrès relatif à l’ouvrier de base, on est à mille lieues
d’une quelconque émancipation des travailleurs ; pire, on en oublie même l’objectif.
Des employés de plus en plus nombreux doivent préparer des dossiers que les
administrateurs examinent : l’esprit de hiérarchie s’installe. Vont ensuite émerger des
« techniciens » de la protection sociale, des spécialistes, chacun dans leur petit domaine, qui
peuvent facilement user du pouvoir que leur donne le fait de maitriser seuls ce domaine.
De fait, vont se mêler deux sortes d’élites au sein des bureaux de la Sécu : l’une en
provenance donc des syndicats, qui se fait sur un tri que nous connaissons bien : ce sont
20
évidemment des membres de l’aristocratie ouvrière, qui disposent d’un passé plus riche en
études, et ont vécu avec une plus grande disponibilité pour le militantisme que l’ouvrier de
base. Et ce sont, d’un autre côté, des gens issus cette fois des formations de l’État, y compris
de hauts fonctionnaires, qui se côtoient et s’influencent. Mais l’institution étant une fabrication
de l’État, ce sont très certainement ses rejetons qui apparaissent comme le modèle à copier
aux administrateurs représentants les salariés, et pas l’inverse.
Une grande école, du niveau des écoles d’ingénieurs, a même été mise en place en
1960 pour former tout spécialement ce personnel chargé de diriger et piloter la Sécurité
sociale : le CNESSS (centre national d’Études supérieures de la Sécurité sociale), devenu
aujourd’hui EN3S, il est situé à Saint Étienne. Ces personnels doivent en effet gérer une
somme qui au total approche les 500 milliards d’euros par an.
Tous ces gens vont faire de la Sécurité sociale une entreprise comme les autres, avec
des méthodes de management, de gestion, de ressources humaines, toutes choses auxquelles
personne n’avait pensé au départ. Parallèlement, continuent d’être envoyés par l’État ses
propres personnels, venant de l’ENA ou d’autres écoles, qui investissent la Sécu ou les
organismes qui l’entourent. “ Depuis la réforme Jeanneney de 1967 portant création des
caisses nationales de sécurité sociale, ces caisses sont dirigées par des énarques ou des
polytechniciens”.
“ Par ailleurs, nous explique encore Gilles Nezosi, l’action quotidienne des
organismes est de plus en plus supervisée par des hauts fonctionnaires, notamment ceux de la
Direction de la sécurité Sociale et de l’Inspection générale des Affaires sociales. Ces
nouvelles figures, qui s’érigent peu à peu en technocratie, vont gagner en autonomie vis-à-vis
des administrateurs mais également acquérir du poids au fur et à mesure que l’institution se
complexifie et que la nécessité d’une efficacité managériale et gestionnaire prend le pas sur le
politique.”
“ Les partenaires sociaux (dont les syndicats de travailleurs, NDLR) vont ainsi passer
d’un rôle de « dirigeants actifs » prenant au quotidien des décisions sur l’activité des
différentes branches, à une situation de « dirigeants politiques » certes garants du
fonctionnement et des grands principes de la sécurité sociale mais progressivement dessaisis
de leurs prérogatives. Avec pour conséquence leur éloignement du fonctionnement quotidien
des caisses au fur et à mesure qu’elles deviennent des organismes de plus en plus sollicités
par la population et de plus en plus complexes à gérer”. En clair, les syndicats ne sont plus là
qu’en tant que potiches, décorum pseudo ouvrier ou salarié, dans un monde qu’ils ne
maîtrisent plus en rien. Voilà la réalité, loin du slogan “La Sécu, elle est à nous !”
Pour finir sur ce point, on se contentera d’ajouter qu’aucune des innombrables réformes
dont nous avons parlé n’a jamais été lancée par les syndicats. “Les partenaires sociaux n’en
sont jamais à l’origine alors même que la réforme de 1967 les rend garants de l’équilibre
financier des différentes branches. En fait, l’État échafaude les plans, que les directions des
caisses mettent en oeuvre. Les syndicats, pourtant gestionnaires, semblent court-circuités ou,
en tout cas, n’assument pas leur rôle de garants puisqu’ils ne sont jamais à l’origine des
mesures correctrices” (G. Nezosi).
Nous dirions les choses un peu autrement : l’appareil construit par les militants
dévoués des années 1945 ne pouvait qu’être une machine au service de l’État bourgeois, ou
s’opposer à lui. L’État ne supporte pas un double pouvoir. Son pouvoir devait donc forcément
21
s’imposer. Les syndicalistes qui y sont restés ou les nouveaux arrivés qui ont continué à
vouloir contribuer à son fonctionnement, alors qu’il devenait évident qu’il n’était en rien un
outil du monde des travailleurs, n’ont pu le faire que par carriérisme, avec donc une idéologie
de réussite individuelle qui caractérise la société bourgeoise. Sinon, il y a bien longtemps
qu’ils auraient dû quitter ces fonctions.
La défense du monde du travail, dans ces conditions, n’est plus qu’un paravent à une
attitude honteuse : la collaboration de gens qui trompent la classe dont ils prétendent se
réclamer, pour mieux profiter personnellement en se vendant, dans l’organisme de
collaboration de classes le plus abouti dont peut rêver le monde bourgeois.
Ces dernières décennies, l’État a complètement fini de réintégrer la Sécu à son appareil
général. En 1996, c’est le Parlement qui décide de la loi de finances sur la Sécurité sociale, et
non plus les partenaires sociaux. En 2004, un Directeur général de l’Assurance maladie est
mis en place, il est autonome vis-à-vis des partenaires sociaux. Il revient au Directeur général
de l’UNCAM (Union nationale des caisses de l’Assurance maladie) de nommer les directeurs
des caisses primaires, mais aussi de négocier et de signer des conventions avec les
professionnels de santé. Les responsables de la Sécu sont donc maintenant, officiellement
après l’avoir été de fait, totalement indépendants des syndicats. Cerise sur le gâteau, c’est le
Conseil des ministres qui désigne ce Directeur général.
En 2004, l’État a mis en place des ARS, Agences régionales de santé. Derrière une
collaboration de plus en plus formelle entre les syndicats et l’État, c’est un nouveau
renforcement de l’État qui est institué dans le domaine de la santé. “Cette nouvelle forme
d’administration « para-étatique » ne fait toutefois pas illusion. Il s’agit d’un nouveau mode
d’intervention de l’État dans la protection sociale, moins visible car indirecte mais très
prégnante. Elle complète d’ailleurs les autres formes d’intervention nées ces dernières
années, comme les groupements d’intérêt public (GIP) ou économiques (GIE) – que l’on
retrouve dans divers domaines : l’assurance-maladie avec le GIE Vitale, l’assurance
vieillesse avec le GIP info retraite, etc. ou les divers comités (comité d’alerte sur les dépenses
de santé), conseils (Conseil d’orientation des retraites, haut conseil pour l’avenir de
l’assurance-maladie) et autorités (Haute autorité de santé) qui alertent ou éclairent les
pouvoirs publics ou bien élaborent des dispositifs qui auront une incidence sur le
fonctionnement quotidien de ces caisses » (Nezosi).
LA SÉCURITÉ SOCIALE AU SENS STRICT
Bonjour la bureaucratie… On pourrait en rire, mais il faut savoir que les différentes
branches de la Sécurité sociale emploient au total 146 000 employés (2015), et que
l’ensemble des fonctionnements coûte de l’ordre de 14 milliards d’euros : “Chaque année, près
de 14 milliards d’euros sont consacrés à la gestion de régimes de sécurité sociale, au sens
strict (soit 2% des charges totales) : 60% de dépenses de personnel, 40% d’autres dépenses
de fonctionnement et d’investissement (systèmes d’information et immobilier en particulier).”
C’est ce que nous dit le Que sais-je ? déjà cité. Et de préciser que ces “coûts sont,
naturellement moins élevés que ceux d’opérateurs concurrentiels privés qui, en plus de
satisfaire leurs clients, doivent les prospecter et les fidéliser”.
Pour entrer un peu dans le détail de cette bureaucratie, nous allons commencer par
parler pour l’instant que de la Sécurité sociale au sens strict, sans prendre en compte les autres
22
services de protection sociale, que nous chiffrerons lorsque nous examinerons le détail des
prestations.
La branche maladie est celle qui emploie le plus de personnels, 91 500 personnes, pour
récupérer les cotisations et couvrir les soins de 59 200 000 personnes (chiffres 2013). Plus
d’un milliard de feuilles d’assurances maladie étaient traitées chaque année, 1800 par minute ;
elles sont aujourd’hui dématérialisées.
La branche vieillesse – retraites, donc – n’emploie, en comparaison, que 13 200
personnes, à travers les organismes que sont la CNAVTS et CARSAT ; mais c’est elle qui
recouvre la plus grande somme monétaire, auprès de 17,7 millions d’actifs (60% des actifs).
La branche famille est concernée par une population de 12 millions d’allocataires, soit
31 millions de bénéficiaires, en tenant compte de tous les membres de la famille ; elle
combine les réseaux de la CAF et de la CNAV, qui totalisent 32 700 agents.
Enfin, la branche accidents du travail-maladies professionnelles couvre 18,3 millions
de personnes (65% des actifs). C’est ici 8,7 milliards de prestations, à travers la CNAMSATMP,
avec le concours des personnels des branches retraite et maladie CPAM et des
CARSAT.
Il faut ajouter à tout cela le service chargé du recouvrement auprès de 9,5 millions
d’employeurs ou des travailleurs indépendants, qui emploie 13 900 personnes et récupère, au
travers des réseaux de l’URSSAF et de l’ACOSS près de 460 milliards d’euros, un quart de la
richesse nationale. Dernier chiffre, les divers organismes de la Sécu, caisses primaires
d’assurances maladie, caisses d’allocations familiales, etc., totalisent chaque année plus de 60
millions d’appels téléphoniques
Répétons-le, nous ne venons ici de décrire que la Sécurité sociale au sens strict. Si l’on
veut juger de la portée de l’ensemble de la protection sociale, il faut y ajouter d’autres
organismes, ainsi que l’État proprement dit, ce que nous ferons un peu plus loin en entrant
dans le détail des services rendus par les diverses prestations.
LA PROTECTION SOCIALE, COMBIEN DE MILLIARDS ?
Après avoir examiné l’histoire de la protection sociale, d’où est venue sa nécessité et la
réalité qui a entouré sa mise en place, loin des mythes ou des mensonges, après avoir vu
également l’importance de cet appareil bureaucratique et par voie de conséquence le degré
d’intégration des appareils syndicaux qui y participent, alors qu’ils n’ont aucun pouvoir de
décision, nous allons essayer de regarder de près les différents domaines sur lesquels joue la
sécurité sociale.
Pour cela, nous allons commencer par donner un certain nombre de chiffres. Nous
savons qu’un chiffre en soi ne veut pas dire grand-chose. Il faut que le lecteur ait des
références, des moyens de comparaison. Nous essaierons donc de trouver ce genre d’éléments.
Par ailleurs, il est très facile de trouver des chiffres, sur internet en particulier, mais le
problème est qu’on en trouve plutôt trop que pas assez. Des chiffres qui mesurent des aspects
secondaires, avec des dénominations plus ou moins faciles à interpréter, se trouvent en très
23
grande quantité, et il faut faire un tri pour comprendre où se trouve l’essentiel. Nous espérons
ici rendre des comptes à peu près corrects, n’étant pas nous-mêmes comptables.
Autre difficulté, on ne trouve pas des chiffres complets pour les années les plus
récentes, on sera donc obligé de prendre les années pour lesquelles ils sont bien établis. Mais
cela ne devrait pas nous gêner car nous nous intéressons surtout ici aux ordres de grandeur.
Pour commencer, nous allons nous demander quelle est l’importance globale de la
protection sociale par rapport au budget complet de l’État en France. Après quoi, nous
entrerons un peu dans le détail des différentes branches, pour observer leur importance
relative entre les unes et les autres.
Premier chiffre, massif, le total des prestations de la protection sociale, le montant en
milliards d’euros de tout ce qui a été versé, que ce soit donc pour la maladie, les retraites, le
chômage, les aides au logement, etc, ce total se chiffre à 740 milliards d’euros (année 2017).
C’est un chiffre très important. Pour en avoir une idée, nous allons le comparer, d’un côté,
avec le PIB de la France, et de l’autre avec les dépenses de l’État en France.
Le PIB, produit intérieur brut, est un chiffre devenu classique pour donner une idée de
la taille économique d’un pays dans le monde. Ce chiffre mesure ce que les économistes
appellent « la valeur ajoutée ». Pour toute une partie de l’économie, c’est assez simple, il suffit
de mesurer les nouvelles machines, et d’enlever celles qui ne peuvent plus servir, ou les
nouveaux stocks produits et de retirer ceux consommés dans l’année. Pour ce qui est de
secteurs comme la justice, l’enseignement, qu’on appelle des secteurs non marchands, c’est un
peu plus délicat ; en tout cas, cette partie est également chiffrée, même si elle n’est pas d’un
montant très important par rapport au secteur marchand. Donc, selon ce calcul du PIB, la
France est numéro 6 mondial (2018) derrière les USA, la Chine, le Japon, l’Allemagne et le
Royaume-Uni. Et le PIB de la France est de 2350 milliards d’euros (2018).
Nos 740 milliards de dépenses de protection sociale (2016) représentent donc un peu
plus de 30% du PIB du pays. On voit ici qu’il s’agit de quelque chose de considérable. Cela
dit, attention, il ne faut pas croire que ces 740 milliards sont pris sur la richesse du pays ; cela
ne se passe pas du tout de cette manière. On ne fait ici que comparer les deux chiffres.
Deuxième élément de comparaison, peut-être plus pertinent : les dépenses de l’État.
Précisons avant de continuer que les dépenses de l’État à proprement parler ne comprennent
pas les dépenses de la sécurité sociale. Il s’agit seulement des dépenses telles que la police
nationale et l’armée, la justice et l’enseignement, la culture et les transports, et aussi les
charges de la dette. Ce chiffre est de 560 milliards d’euros (2017). Nos 740 milliards de
dépenses de protection sociale (2017), c’est nettement plus donc, que les dépenses de l’État.
C’est effectivement considérable.
Si l’on additionne maintenant les dépenses de l’État et les dépenses de la protection
sociale, on obtient ce qu’on appelle le total des dépenses publiques du pays : 560 plus 740,
nous arrivons à près de 1300 milliards de dépenses publiques en France. Dans ce chiffre
global, la protection sociale occupe 57% de la place (2017).
Évidemment, lorsqu’on réalise l’importance de ce chiffre de plus de 750 milliards
d’euros de protection sociale, on se pose toute une série de questions. On peut se demander
d’abord comment cette somme est récoltée ? et ensuite comment cette somme se répartit,
24
quels problèmes sociaux en consomment le plus ? On peut se demander également quel
impact a ou n’a pas la répartition de tout cet argent sur les situations respectives des familles.
C’est à ces questions que nous consacrons la suite de ce travail.
LA COLLECTE DES 700 MILLIARDS DE LA PROTECTION SOCIALE
D’où viennent ces 750 milliards, et sur la base de quel principe sont-ils collectés ? La
réponse est complexe, car il y a de fait plusieurs méthodes qui se combinent.
Si l’on regarde quelques bulletins de paye, on a une première idée de ces méthodes.
Nous avons pris trois exemples, pour voir d’une part les différents systèmes, ainsi que leur
importance.
Premier exemple, celui d’un technicien. Il voit sur son bulletin de paie 6 lignes de
prélèvements qui lui sont déduits de son salaire brut. Deux sont des impôts ; la CSG qui est de
6,8% du salaire brut, et la CRDS 2,9%, soit de ce côté 9,7% d’impôts. Et il y a aussi 5
grandes rubriques de la Sécu : la rubrique Santé qui se décompose en 4 lignes (Sécurité
sociale-Maladie Maternité ; Invalidité Décès ; Complément incapacité invalidité Décès TA ;
Complémentaire Santé) ; la rubrique Retraite comporte également 4 lignes (Sécurité sociale
plafonnée ; sécurité sociale déplafonnée ; Complémentaire Tranche 1 ; Supplémentaire
Tranche A). Puis on trouve la rubrique Famille et celle Assurance-chômage.
Certaines cotisations sont comptées comme retirées du salaire du travailleur, d’autres
le sont dans la colonne cotisations patronales. Se partagent entre l’employé et l’employeur les
rubriques Santé et Retraite. Les 3 autres rubriques, Accidents du travail-Maladies
professionnelles, Famille et Assurance-chômage ne sont payées que par le patron. Mais nous
avons déjà expliqué ce que nous pensons de cette « part patronale ».
Au total, le patron dit avoir versé de son côté en cotisations un montant qui est égal à
42% du salaire brut du technicien. Le technicien, lui, s’est vu retiré en cotisations de la Sécu
un total de 12,36% de cotisations sur son salaire brut. Le poste le plus important, c’est de loin
la retraite (11,57% au total des 4 lignes). Enfin, avec la CSG et la CRDS, on parvient à un
total de prélèvements sur le salaire brut de 22,06%.
Deuxième exemple, une ouvrière employée comme opérateur technique. Elle voit
figurer sur sa feuille de paye les deux impôts que sont la CSG et la CRDS (total 9,7%, le
même chiffre que pour le technicien). Mais elle a un total des différentes cotisations sociales
qui arrive à 23,18%, un peu plus donc que les 22,06% du technicien. Deux des pourcentages
pour la retraite sont les mêmes que chez le technicien, les autres sont différents. Quant au
patron, il informe qu’il a versé en cotisations une somme égale à un peu plus de 50% du
salaire brut de l’ouvrière.
Troisième exemple. Une personne retraitée de l’Éducation nationale, donc payée
directement par l’État, et pour laquelle il n’y a pas de cotisation patronale. Elle se voit prélever
un total de 13,66% : 8,3% pour la CSG, 4,56% pour la mutuelle de santé, 0,5% pour la CRDS
et 0,3% pour la CASA. Ce dernier impôt, dont le nom exact est Contribution additionnelle de
solidarité pour l’autonomie, est dans la suite de la CSG (Contribution sociale généralisée,
créée en 1991) et de la CRDS (Contribution au remboursement de la dette sociale, créée en
1996) puisqu’il a été instauré en 2013, pour financer le risque de perte d’autonomie.
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Ajoutons, au point où nous en sommes, que depuis janvier 2019, l’impôt sur le revenu
de chaque individu est retiré sur la feuille de paye. CSG, CRDS, CASA, Impôt sur le revenu,
on en est ainsi à quatre impôts qui sont prélevés à la source.
Ainsi, le système des impôts se croise en partie avec celui des cotisations sociales. Il
nous faut donc définir exactement chaque terme : la cotisation ne porte que sur des revenus
d’activité. L’impôt, la CSG, la CRDS, porte sur ce qu’on appelle une « assiette » plus large : sur
les revenus d’activités, mais aussi sur les autres formes de revenus, comme les revenus
appelés « de remplacement » : une allocation chômage, une pension de retraite, des indemnités
journalières, tout cela est donc taxé de 9,7%. Et il y a aussi les revenus de classes plus aisées,
sur le patrimoine, ou les placements financiers. On est donc bien au-delà des salaires avec la
CSG et la CRDS.
Au total, la CSG et les autres prélèvements sociaux du genre CRDS permettent à l’État
de récupérer 111 milliards (chiffre 2017), qui sont reversés à la Caisse nationale d’assurancemaladie
et à la Caisse nationale des allocations familiales.
111 milliards : pour avoir une idée de l’importance de ce chiffre, nous sommes, du
coup, obligés d’ouvrir une petite parenthèse, pour regarder l’ensemble du système des impôts.
On trouvera des chiffres plus complets à la fin de ce texte. Disons que le montant total des
impôts est de 630 milliards, que la CSG / CRDS est actuellement le deuxième impôt, après la
TVA (156 milliards) et devant l’impôt sur le revenu (70 milliards).
La Sécurité sociale reçoit donc de l’argent de deux sources différentes : les impôts sont
collectés par l’administration fiscale. Les cotisations sociales le sont par un des organismes
qui constituent la Sécurité sociale, l’URSSAF : l’Union de Recouvrement des cotisations de
Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales. Comment se répartit l’ensemble de ces
collectes ? La majorité 56% provient des cotisations salariales, mais 40% de l’argent collecté
vient de l’État.
Et comment cet argent est redistribué, ce qu’on appelle les prestations sociales ? Pour
ceux qui reçoivent les prestations, trois situations peuvent exister. Si la personne est salariée,
les cotisations sont prélevées directement sur sa feuille de paye. Il y a également les conjoints,
s’ils ne travaillent pas, ou les enfants : eux, sont des « ayant-droits ». Ils reçoivent des
prestations liées aux cotisations d’une autre personne, la mère ou le père de famille par
exemple.
Une seconde situation existe, c’est celle qui concerne notamment les allocations
familiales : il n’y a pas de condition de ressources, et la prestation que l’on touche est fixe, ne
dépend pas des revenus. Elle est la même pour tout le monde et ne dépend que du nombre
d’enfants. On dit qu’elle est « non contributive« .
Enfin, nous avons les personnes qui n’ont pas de ressources ou des ressources
considérées comme insuffisantes : elles reçoivent des prestations qui sont déclenchées et
calculées selon ces ressources ; on dit qu’elles sont “sous condition de ressources”. Bruno
Palier écrivait déjà en 2010 (dans Cahiers français) : “Une partie toujours plus importante de
la population est amenée à dépendre des prestations sous condition de ressources, des
minima sociaux notamment. Le nombre de bénéficiaires des minima sociaux a constamment
26
crû depuis le début des années 1980 et représente aujourd’hui plus de 10% de la population
française”.
“Les mesures adoptées, nous l’avons discuté au sujet de l’instauration de la CSG,
tendent à séparer les populations couvertes en deux groupes : ceux qui relèvent de
l’assurance (ayant suffisamment contribué pour bénéficier des prestations d’assurance
sociale) et ceux, de plus en plus nombreux, qui sont durablement exclus du marché du travail
et qui relèvent de la solidarité (ne devant compter que sur les prestations sous conditions de
ressources)”.
L’UTILISATION DES PRESTATIONS
Après avoir vu comment, par qui et pour quelles sommes l’argent de la protection
sociale est collecté, nous allons essayer de voir comment il est redistribué.
Nous n’avons pas, si l’on veut entrer un peu dans le détail, des chiffres complets pour
2017. Aussi, dans ce chapitre, nous allons prendre ceux de 2016. Ils proviennent de la
documentation complète la plus récente sur Internet, celle de la DREES (Direction de la
recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, ministère des Solidarités et de la
Santé). Ils détaillent la répartition donc en 2016, qui totalisait non pas 740 milliards mais 715.
• PRESTATIONS VIEILLESSE (325 milliards 2016)
C’est le poste le plus important, il se répartit en 287 milliards pour la vieillesse
(essentiellement donc la retraite), auxquels il faut ajouter 38 milliards pour le risque appelé
« survie », qui sont en fait les pensions de réversion, qui sont versées au conjoint lorsqu’un
membre de la famille qui touchait une pension retraite décède, sous certaines conditions.
C’est ainsi à un total de 325 milliards auquel on parvient pour ces deux types de
prestations de retraites. C’est près de la moitié de toutes les prestations de la protection sociale
en France, ou encore 14,6% du PIB, chiffre que le rapport Delevoye sur les retraites, qui avait
préparé la réforme Macron, préconisait de maintenir à 14%.
On note que dans ce chiffre considérable, on trouve que 3 milliards sont versés en tant
que minimum vieillesse (1,1% du total) et 8,6 milliards au titre de l’autonomie (APA
allocation personnalisée d’autonomie) et de l’aide sociale à l’hébergement. Se cache là un
problème nouveau, que nous nous contenterons juste de poser ici : celui du financement de la
dépendance, du fait de la perte d’autonomie, pour une population qui devient de plus en plus
nombreuse à vivre vieux.
Au cours de la période récente, le nombre de retraités a augmenté, chaque année, de
130 000 personnes en 2012, puis de 370 000 nouveaux retraités en 2013, après quoi ce chiffre
à la hausse est descendu à 210 000, 170 000, 143 000 en 2016.
Il y aurait encore beaucoup à dire et à réfléchir en ce qui concerne la retraite. C’est un
sujet que nous avons très souvent abordé dans L’Ouvrier (11 numéros). Nous ne pouvons pas
le développer ici.
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• PRESTATIONS SANTÉ (250 milliards 2016)
Le risque maladie vient en seconde position. Son montant a augmenté d’année en
année, depuis toujours. Sur les 204 milliards qu’elle regroupe, cette branche en consacre 154
aux soins, chez le médecin ou à l’hôpital ; et 13 milliards servent à payer les indemnités qui
remplacent le salaire.
Les instances de la Sécu ou les mesures gouvernementales n’ont de cesse de vouloir
freiner la tendance à la hausse. Mais si hausse il y a, c’est que la population, notamment parmi
les nombreuses classes moyennes, aspire à prendre de plus en plus soin de sa santé, mais aussi
que les industries de la santé font des bénéfices considérables.
Une des causes de la hausse difficile à contenir des soins, c’est la liberté donnée par le
gouvernement lui-même aux trusts pharmaceutiques sur les prix des produits qu’ils
considèrent comme innovants. Et c’est le cas notamment dans le traitement du VIH (Sida),
ainsi qu’en matière de soin du cancer ou de la mucoviscidose. Pour ne donner qu’un exemple,
dans le journal Le Monde du 1er octobre 2018, trois médecins s’insurgent contre les prix de
produits innovants sur le cancer : “Ils apparaissant malheureusement sur le marché à des prix
exorbitants. Aux États-Unis, la plupart coûtent plus de 120 000 dollars (103 000 euros) par
an et par malade, contre 10 000 dollars il y a une vingtaine d’années”. La Sécu sert ainsi à
faire les profits des trusts pharmaceutiques, comme des fabricants de matériel médical,
puisque c’est la Sécu qui finance les hôpitaux.
A noter la présence du secteur privé : 13% des prestations du risque maladie sont en
fait servis par des entreprises privées, des mutuelles, des institutions de prévoyance, qui tirent
donc un bénéfice de cet exercice. Ce chiffre est stable en pourcentage depuis 1990 ; mais cela
veut dire, puisque le montant en milliards augmente, que le privé se développe régulièrement.
Les maladies reconnues comme étant professionnelles et les accidents du travail, on l’a
vu, sont comptabilisés à part. Le montant des prestations (2016) est de 6,8 milliards. Ce
chiffre a une originalité par rapport aux autres chiffres de santé : il recule d’année en année.
Selon la DREES, ce serait en raison de “la baisse continue du nombre d’accidents du travail
et de maladies professionnelles”. Sauf que, toujours selon la DREES, “ce recul tient
principalement à la baisse de la part relative des secteurs industriels, au sein desquels les
risques d’accident sont les plus élevés, mais également au développement des actions de
prévention”. En clair, on a délocalisé les accidents du travail.
A noter que sur ces 6,8 milliards de prestations, plus des trois quarts concernent des
situations assez graves, car elles représentent des rentes d’incapacité permanente partielle de
travail (IPP). Un autre chiffre en baisse, c’est celui de l’Allocation de cessation d’activité des
travailleurs de l’amiante (ACAATA), qui passe de 573 millions d’euros en 2012 à 385
millions en 2016. C’est que le nombre des malades de l’amiante est tombé de 26 000 en 2012 à
16 000 en 2016. Plus besoin de verser à ceux qui décèdent. Enfin, on découvre au passage que
des personnels militaires touchent une pension militaire d’invalidité payée par la Sécu, et
qu’ils sont 164 000 dans ce cas !
Les personnes civiles qui sont invalides regroupent, elles, un peu moins de 40
milliards d’euros (2016). Là encore, on trouve une présence de l’assurance privée, puisque
c’est seulement 54% des prestations qui sont versées par la sécurité sociale et les
administrations publiques. Le reste se partage, pour 42% des ISBLSM (institutions sans but
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lucratif au service des ménages) et 4% des mutuelles et des institutions de prévoyance. C’est
donc là que se trouvent les fameuses maisons de retraite, qui reçoivent d’ailleurs des
financements de l’assurance maladie et des collectivités locales.
Les personnes qui reçoivent ces prestations invalidité sont 1 090 000 pour les pensions
d’invalidité, pratiquement autant pour l’AAH (allocation adulte handicapé), 255 000 pour
l’AEEH (allocation d’éducation de l’enfant handicapé) et 300 000 pour les autres personnes :
l’ACTP (allocation compensatrice pour tierce personne), la PCH (prestation de compensation
de handicap), l’ASI (allocation supplémentaire d’invalidité), l’AJPP (allocation journalière de
présence parentale).
Voilà donc pour l’ensemble des prestations de santé, ce qui constitue un total de 250
milliards (2016)
• PRESTATIONS FAMILLE
Nous en arrivons au « risque famille », avec 54,5 milliards de prestations versées
(2016). Ce total est en réalité le résultat d’un grand nombre de prestations différentes. On y
trouve par exemple l’allocation de rentrée scolaire (ARS) près de 2 milliards ; les indemnités
journalières IJ de maternité (3 milliards) ; l’accueil des jeunes enfants – en crèche 5 milliards,
l’ASE aide sociale à l’enfance 2,7 milliards.
Le privé, ici, est encore présent, avec tout de même 5 milliards (4,7 milliards pour les
prestations d’hébergement accueil versées par les ISBLSM et 373 millions par des « sociétés
financières et non financières » (source DREES).
Mais les principales prestations sont au nombre de deux, chacune d’environ 12
milliards : les allocations familiales 12,5 milliards (2016) et la prestation d’accueil du jeune
enfant (PAJE) 12,3 milliards.
Au total, les prestations du « risque famille » sont en troisième place, après la vieillesseretraite
et la santé-maladie, invalidité, accidents du travail
• PRESTATIONS EMPLOI
Nous en arrivons au problème du chômage. Il ne cesse de faire la une de l’actualité
sociale depuis des décennies, mais les prestations qui lui sont consacrées se placent loin
derrière la retraite, la maladie, et même la famille, en 4è position avec un montant de 44,5
milliards (2016), 2% du PIB.
Une partie de cette somme concerne la formation professionnelle, qu’on appelle
« insertion ou réinsertion professionnelle » : 4,2 milliards. Les stages de formation
professionnelle des régions AFPA coûtent 1 milliard. L’essentiel, 30 milliards, est versé sous
le nom d’ARE, allocation d’aide au retour à l’emploi. Le privé est encore là, il participe au
système sous le nom de « sociétés financières et non financières » pour 4,8 milliards (2016).
En 2016, ce sont 2 562 000 personnes qui ont reçu une ARE, aide au retour à l’emploi
(il était de 2 211 000 en 2012). Si on y ajoute les autres prestations (ASS, Fonds de solidarité,
préretraites, etc., on totalise 3 millions de personnes indemnisées (hors formation). Mais le
nombre de demandeurs d’emploi (catégories A, B, C : tenus de faire des actes positifs de
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recherche d’emploi et n’ayant pas exercé d’activité ou ayant exercé une activité réduite au
cours du mois) est à la même date de 5 758 000.
La sécurité sociale et la protection sociale dans son ensemble sont ainsi un moyen
d’amortir les conséquences sociales d’un patronat qui recherche par nature à économiser sur la
main d’oeuvre, un moyen aussi de rendre le problème individuel. La réalité scandaleuse de
cette situation est vécue de manière plus ou moins honteuse – et parfois lucide et consciente –
par des gens ou des familles isolées, pour lesquelles la collectivité semble, par le biais de Pôle
emploi, venir en aide. Pourquoi se révolter, comment se révolter, dans ces conditions ? Peutêtre
en s’habillant d’un Gilet jaune… ou rouge.
Comme pour le sujet des retraites, nous aurions beaucoup à dire au sujet du chômage,
du travail, et de la possibilité de le partager. Nous nous en tiendrons ici à souligner que si la
Sécu met un trait d’égalité entre le risque Maladie et le risque Emploi, nous ne voyons pas du
tout les choses de cette manière. La maladie est d’un ordre différent que le chômage. La
maladie est certes liée à l’organisation de la société, à ses capacités de prévention et de souci
de la population, mais il est vrai qu’il y a une part de fatalité. La vie que nous connaissons sur
Terre n’est pas le bisounours des écolos citadins, c’est une lutte darwinienne entre espèces, y
compris entre l’homme et d’autres. Le coronavirus est venu le rappeler dans les pays riches
qui ont voulu l’oublier. Nous ne pouvons que faire avec.
Ce n’est pas le cas du chômage : il est entièrement et exclusivement dû au système
économique en place. D’autres types de société que le capitalisme ont su organiser le travail
selon d’autres règles que celles du capitalisme actuel, qui nous met tous en concurrence face à
l’emploi. Même les sociétés totalitaires – qui se disaient communistes -, en Allemagne de l’Est
ou en URSS, ont su s’organiser pour trouver du travail pratiquement à tout le monde.
Avec les moyens informatiques modernes, il serait possible de connaître, à tout
moment, les besoins de l’économie d’un côté, les capacités de main d’oeuvre et les
qualifications de l’autre, et d’en déduire une répartition la plus complète et la plus adéquate
possible du travail disponible. On pourrait décider, une fois ce genre de répartition fait, une
moyenne nationale et un niveau de vie correct et à peu près égal pour tous.
• PRESTATIONS LOGEMENT
Pour ce qui est du logement, la prestation la plus connue, c’est l’APL, aide
personnalisée au logement, qui est de 8,6 milliards (2016). Elle est distribuée auprès de
2 830 000 bénéficiaires, ce qui donne une moyenne de 3040 euros annuels d’APL par foyer.
Elle est versée aux ménages, avec ou sans enfants, à condition qu’on vive dans un logement
conventionné. Dans ce cas, le propriétaire, en échange de s’engager à louer à des locataires
ayant des faibles ressources, reçoit des aides financières et des déductions d’impôts de l’État.
Concrètement, l’APL n’est pas versée au locataire, mais au propriétaire, qui la déduit du loyer
demandé.
Deux autres aides existent concernant le logement : l’ALS, allocation de logement à
caractère social, qui vise des locataires dont le logement n’est pas conventionné : 5,5 milliards
(2016) ; et l’ALF (allocation de logement à caractère familial, qui vise les jeunes ménages,
celles qui ont une personne à charge (ascendant, descendant ou collatéral) et les femmes
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enceintes : 4 milliards. En tout, avec ces trois prestations, ce sont 6 millions et demi de foyers
qui bénéficient d’une prestation logement.
• LA PAUVRETÉ ET LES MINIMA SOCIAUX
Le risque pauvreté est le dernier de cette longue liste. Ses prestations se chiffrent à 22
milliards (2016). La prestation actuelle la plus répandue, c’est le RSA, Revenu de solidarité
active, 11 milliards, versée pour l’essentiel par les départements (le RSA socle) et en partie
par l’État (0,7 milliard : 0,4 milliard de RSA activité et 0,3 milliard de prime de Noël). Le
RSA socle s’adresse aux personnes qui n’ont aucune activité, ou un nombre d’heure très réduit,
ou encore un droit au chômage très faible ou nul.
Une nouvelle prestation a été mise en place en 2016, la prime d’activité, qui se
présente comme un complément pour des assurés qui ont des revenus très faibles, et qui peut
se cumuler avec le RSA socle. Cette prime d’activité représente 4 milliards (2016). S’ajoutent
également des prestations versées par les centres des communes ou intercommunaux (CCASCIAS),
pour 2,2 milliards. En 2016, 1 800 000 personnes ont bénéficié du RSA et 2 600 000
de la prime d’activité.
Les entreprises privées, même là, sont présentes comme dans toutes les branches que
nous avons examinées : ici, on les appelle ISBLSM – nous y reviendrons- et elles représentent
14,3% du risque, avec 3,1 milliards : ce sont concrètement des aides pour l’hébergement de
personnes en situation précaire.
Il faut se rendre compte que si les sommes versées sont dérisoires, et notoirement
insuffisantes, elles sont absolument indispensables pour toute une partie de la population, qui,
sans elles, se retrouverait tout simplement à la rue ou dans le dénuement. Une étude indique
ainsi que dans les Hauts de France, région très peuplée et pauvre, les prestations sociales dans
leur ensemble représentent la moitié de leurs revenus pour les 10% des personnes les plus
défavorisées.
Voici la liste des minima sociaux. Il existe en France un RSA, revenu de solidarité
active (1 945 900 personnes en 2015, Insee), une allocation adulte handicapé (1 062 300
personnes), une allocation invalidité pour personnes âgées (77 900 personnes), une allocation
de solidarité spécifique (concerne des personnes qui ont épuisé leurs droits au chômage,
472 700 personnes), une allocation d’insertion ou allocation temporaire d’attente (pour des
demandeurs d’asile, 12 600 personnes), une allocation transitoire de solidarité (6400
personnes), un minimum vieillesse (554 400 personnes), une allocation veuvage (7 700) et un
revenu de solidarité dans les Dom (9 200) : cela nous donne un total de 4 149 100 personnes
qui touchent un minima social. C’est 24% de plus qu’en 2000.
C’est à propos de cette dépense que le président Macron a fait sa sortie sur le “pognon
de dingue”. Dans une vidéo volontairement mise en ligne en 2018, pour montrer son souci des
plus démunis, on le voit s’écrier, entouré de ses collaborateurs : « On met un pognon de
dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas». Un coup de com qui foire
complètement… Mais c’est surtout un mensonge. Non, on ne met pas un pognon de dingue
dans les minima sociaux. Pour l’année 2016, par exemple, la pauvreté exclusion sociale se
monte à moins de 22 milliards de prestations, c’est à peine 3% du montant total de la
protection sociale.
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Comme le dit Piketty, ces sommes représentent à peine 1% du revenu national et sont
des sommes « presque insignifiantes à l’échelle de la totalité des dépenses publiques ».
Comme le note cet économiste « il s’agit pourtant de dépenses qui sont le plus violemment
contestées : on suspecte les bénéficiaires de choisir de s’installer éternellement dans
l’assistance, alors même que le taux de recours à ces minima est généralement beaucoup plus
faible que pour les autres prestations, ce qui reflète que les effets de la stigmatisation (et
souvent la complexité de ces dispositifs) dissuadent souvent ceux qui y ont droit de les
demander ». Nous l’avons vu ailleurs, un Laurent Wauquiez a gagné son ascension politique
auprès de la population de droite en pratiquant ce genre de dénonciation (« L’assistanat,
cancer de la société »).
Les deux choses vont ensemble : pour bien indiquer qu’il est hors de question de
vouloir effacer en quoi que ce soit l’existence des inégalités, on alloue certes un peu d’argent
aux plus démunis, et en même temps on leur crache moralement à la figure, en les présentant
comme des gens qui ne le méritent même pas, parce qu’en acceptant cet argent ils obligent, en
quelque sorte, à faire une petite exception au principe non-dit, qui veut que les inégalités
soient normales, naturelles.
LE PRIVÉ DANS LA PROTECTION SOCIALE
La gauche, ses syndicats, ses partis, n’a de cesse de nous prévenir que la protection
sociale est un gros gâteau pour le secteur privé et ses capitalistes et que si nous ne nous
battons pas, ces gens-là vont vouloir annexer tout ou partie de la protection sociale. Et ils
ajoutent que les services rendus seront alors amoindris, forcément, puisque le moteur de ces
gens-là est le profit à récupérer pour leurs entreprises.
Toutes les occasions sont bonnes pour nous avertir. Ainsi, lors du mouvement contre
la retraite Macron, on nous a dit et répété que l’objectif était de faire bénéficier les fonds de
pensions, comme le gestionnaire d’actifs BlackRock. En diminuant la retraite de catégories
qui en ont les moyens, comme les cadres ou les avocats, la réforme les pousserait à s’affilier à
ce genre d’assurances retraite, privée donc.
Cela n’est sans doute pas faux. Mais pour des gens qui sont au coeur de la Sécurité
sociale, il y a des choses qu’ils savent forcément et qu’ils devraient peut-être nous dire : le
privé, il est déjà là, et pas seulement avec un petit doigt.
Nous avons rencontré tout à l’heure le privé à plusieurs reprises. Si l’on n’y prête pas
attention, les chiffres semblent plus ou moins acceptables. Mais si l’on s’amuse à additionner
tous ces chiffres, qu’obtient-on ?
Si l’on utilise la terminologie de la brochure de la DREES, on trouve que trois sortes
d’institutions privées sont présentes dans le système de protection sociale : les mutuelles et
institutions de prévoyance, les sociétés financières et non financières, enfin les ISBLSM
institutions sans but lucratif au service des ménages.
Ouvrons ici une petite parenthèse : une entreprise est dite « à but non lucratif » si elle
ne se donne pas pour objectif l’enrichissement personnel, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne
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peut pas faire de bénéfices ; simplement, ceux-ci doivent servir à développer l’entreprise. Et
on est évidemment libre de considérer comme on veut le développement de l’entreprise.
Dans la protection sociale, chacun des trois groupes se partage autour de 20 milliards :
respectivement 22,3 milliards, 19,1 milliards, et 24,2 milliards. Le secteur privé profite donc
de services qu’il rend à certaines parties de la population, dans les mêmes domaines que la
Sécu : dans la maladie (avec un chiffre d’affaires de 22,7 milliards), dans l’invalidité (18
milliards), dans la vieillesse (près de 8 milliards, chiffre sans doute appelé à bondir), mais
aussi l’emploi (4,7 milliards) et l’exclusion (3,1 milliards) (tous chiffres de 2016).
Au total, le privé représente près de 66 milliards de prestations : c’est plus de 9 % de
l’ensemble des prestations de protection sociale du pays. Cette part du privé, le Français
moyen n’en a pas conscience. Mais on peut pourtant la voir dans un certain nombre
d’annonces publicitaires, y compris sur les grandes chaînes de télévision.
Les assurances privées, évidemment, ne travaillent pas dans la maladie, la retraite et la
pauvreté par charité, mais pour y faire des bénéfices. Bénéfices qui ne peuvent a priori
qu’augmenter le coût de tous ces services. Ce genre d’entreprise a l’avantage de ne pas
nécessiter de grosses infrastructures : pas de machines, ni d’usines ou de grands locaux. Des
bureaux suffisent pour se faire connaître par différents réseaux, viser telle ou telle clientèle,
collecter par divers moyens des cotisations, puis rendre une partie de l’argent collecté dans les
cas prévus.
L’art de gérer ce « travail » ne consiste plus qu’à maitriser les données et les calculs
statistiques, pour prévoir combien de temps va vivre telle catégorie de personnes ou telle
autre, et lui demander une cotisation qui rapportera au final un gain pour l’entreprise privée,
sachant qu’un certain nombre des cotisants devront être payés à un moment ou un autre du
reste de leur vie.
LE MARCHÉ MÉCONNU DE LA COMPLÉMENTAIRE SANTÉ
Nous l’avons vu sur les fiches de paye, nous payons tous une complémentaire-santé :
elle est obligatoire. Les Français l’ignorent souvent, cette complémentaire-santé relève du
privé. Les contrats sont individuels s’ils sont signés directement par la personne, ou collectifs
si c’est par leur entreprise ou par la branche. Ces contrats collectifs couvrent en général mieux
que les individuels. En 2012, 54% de la population était couverte par un contrat individuel et
35% par un contrat collectif (la moitié étant des ayant droit). Depuis 2016, la loi oblige tout
employeur à disposer d’une complémentaire santé pour ses salariés, et il doit participer pour
au moins 50% de la cotisation. Mais pour les temps partiels ou les CDD de moins d’un an, il
n’y a pas d’obligation, la Sécu verse une aide monétaire à l’employeur pour qu’il acquiert un
contrat individuel.
Trois sortes d’organismes proposent une complémentaire-santé : les mutuelles, les
sociétés d’assurance, les institutions de prévoyance. Les mutuelles sont régies par le code de
la mutualité, « appartiennent » à leurs assurés et sont à but non lucratif. Les institutions de
prévoyance ont aussi un but non lucratif, mais ont un statut différent, elles réalisent la
prévoyance collective de salariés. Les assurances sont également à but non lucratif, mais avec
des actionnaires qui sont les assurés.
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En 2014, les complémentaires santé ont collecté 34 milliards et reversé 27 milliards de
prestations, presque entièrement dans le domaine de la santé. À cette date, on comptait 573
organismes de complémentaire santé. Ils étaient 1700 en 2001. Leur nombre est en fort recul,
car ils subissent une concentration rapide.
Les complémentaires santé ne sont pas les seules complémentaires. Mais elles en
représentent la plus grande part de marché (53%), suivies par des complémentaires retraite
(20% du marché), les autres dommages corporels (20%) et l’assurance décès (10%). La
tendance actuelle est néanmoins à un recul, en proportion, de la complémentaire santé au
profit de la retraite complémentaire.
Parmi les grands pays riches, la France est celui où le marché privé de la
complémentaire santé est de loin le plus développé. Il y couvre 95% de la population, contre
86% aux Pays-Bas, 60% aux USA, 33% en Allemagne, 13% en Espagne, 11% au Royaume-
Uni, 6% en Italie, 4% en Suède. Les chiffres bas de ces quatre derniers pays s’expliquent par
le fait que l’assurance maladie est financée directement par l’impôt.
Tout en assurant un marché en expansion au privé, les calculs des cotisations et des
prestations, selon l’âge, la situation familiale, le lieu de résidence, l’ancienneté dans le contrat
et surtout le revenu, permettent aux complémentaires d’assurer en même temps une forme de
redistribution. On dépense plus en remboursements pour les plus bas revenus, mais c’est aussi
dû au fait que cette population est en plus mauvaise santé.
En tout cas, Sécu ou complémentaire privée, l’État, lui a une claire conscience de
l’utilité de ces systèmes. Comme le dit une brochure du ministère de la Santé (DREES) : “Un
système de santé accessible et de qualité permet également à des personnes en mauvais état
de santé de se soigner et, par suite, d’améliorer leur productivité et leurs opportunités de
participation à la vie économique”. Joliment dit, non ?
LE TROU DE LA SÉCU ET LA GESTION FINANCIÈRE DE LA DETTE
A partir de 1975 et pendant de longues années, la propagande a été intense et
incessante pour dénoncer le “trou de la Sécu”. Nous avons vu que ce trou, il a été creusé par
l’État qui fait payer par la Sécurité sociale que ce soient les hôpitaux, la formation des
médecins, et finalement le coût de l’ensemble du système de santé.
Après la grande grève de 1995 contre la réforme Juppé de la Sécurité sociale, le
gouvernement a mis en place un organisme financier, la CADES, Caisse d’amortissement de
la dette sociale. Il s’agissait de rassurer les nombreux bénéficiaires du fameux trou. Car la
comptabilité capitaliste n’accepte en réalité aucun trou. Dès qu’une année comptable connaît
un déficit, un manque de recettes par rapport aux dépenses, il est obligatoire d’emprunter. Peu
importe à qui on emprunte, cela peut se faire auprès des banques, auprès d’autres États, des
entreprises ou auprès de particuliers… très particuliers, ceux qui peuvent prêter des sommes
conséquentes. Il faut et il suffit de trouver quelqu’un qui est convaincu que vous serez bien en
situation de lui rendre et son argent et les intérêts que vous avez promis pour qu’il accepte de
vous prêter.
Le problème de toute dette, c’est que quiconque prête aime à se rassurer tout de même.
S’il voit que là où il a prêté, la situation non seulement ne s’arrange pas, mais au contraire, que
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le trou ne cesse de se creuser, il va finir par s’inquiéter et exiger que l’on fasse quelque chose.
Surtout, celui qui continue d’être endetté et qui, chaque année, doit à nouveau emprunter,
risque de ne plus trouver personne pour le faire. Les tentatives de Juppé en 1995 de faire
passer, pour la fonction publique, le nombre d’années de cotisation de 37,5 à 40 ayant échoué
grâce à la mobilisation de la rue, le gouvernement a demandé à des experts de gérer la chose
en bon capitaliste.
La CADES, donc créée en 1996, a été chargée de récupérer la dette, et de la gérer pour
l’amortir, c’est-à-dire en clair la rembourser plus vite que ne se creuse le trou. Pour cela, il
fallait deux choses, que la CADES n’ait pas un trou de départ trop gros, d’autre part qu’on lui
trouve des revenus. Pour que le trou semble gérable, on lui a transmis la dette
progressivement, année après année, une fois 2 milliards, une autre fois 10 et ainsi de suite. Et
pour trouver des sous, l’État a créé un nouvel impôt, la CRDS (1996) et a également fait une
ponction sur un impôt récemment créé en 1990, la CSG. La CADES peut également jouer sur
les marchés financiers, y compris en lançant de nouveaux emprunts. Ce qui compte, en ce cas,
c’est le différentiel de taux avec ceux que l’on cherche à amortir ; ce qu’elle n’hésite sans doute
pas à faire, à l’heure actuelle, où certains taux sont négatifs.
En 2018, sur 22 années donc, la CADES a pour bilan d’avoir repris au total 260
milliards de dettes de la Sécu et en a amorti 155.
Parallèlement à cette gestion financière de la dette, l’autre versant de l’action du
gouvernement se joue dans la multitude des mesures prises dans l’hôpital, pour les dépenses
maladie, ou dans les autres branches, qui cherchent toutes à obtenir une situation équilibrée
des dépenses.
Il faut le redire : tout ce gigantesque bazar a une utilité, celle de rapporter des intérêts
aux riches, à tous ceux qui peuvent acheter des emprunts pour payer une partie du fameux
trou. Les chiffres sont difficiles à trouver, mais on sait, par exemple, que les intérêts versés
entre 2010 et 2014 se sont montés à 17,5 milliards d’euros.
Depuis la fin des années 2010, on ne parle plus de trou. Car l’ensemble de tous les
régimes de la Sécu, depuis de nombreuses années, est en train de voir ses déficits annuels
diminuer. L’ensemble du régime général et du FSV (fonds de solidarité vieillesse) qui
alimente les pensions de retraites avait atteint en 2010 un creux de 27 ou 28 milliards d’euros
pour l’année. Puis ce chiffre a régulièrement reculé depuis. Au point que dès 2016-2017, on
voit se multiplier les annonces d’arrivée à l’équilibre pour 2019 ou 2020. “Pas encore guérie,
titre Le Monde en mars 2017, la Sécurité sociale va cependant mieux”. C’est là le résultat
d’une accélération de toutes les mesures d’économies inventées, multipliées depuis des années.
Et ce n’est pas parce que cela va mieux qu’on arrête de serrer la ceinture. Bien au
contraire : aux hôpitaux qui crient leur détresse, la réponse est d’expliquer qu’il y a un plan en
cours de restructuration de tout le système de santé, mais que celle-ci est “pensée sur
plusieurs décennies”. Et l’on a donné à la santé un objectif de 3,8 milliards de nouvelles
économies pour 2019, après les 4,2 milliards de 2018.
Dans la branche chômage, on annonce aussi en juin 2018 “un retour à l’équilibre plus
rapide que prévu”. C’est l’UNEDIC, une association paritaire syndicats – patronat qui la
pilote. Sa présidente, Patricia Ferrand, de la CFDT, se réjouit : « Nous voyons un peu le bout
du tunnel, c’est un temps important pour nous”. La croissance a augmenté le nombre
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d’emplois, donc les cotisations, et diminué le nombre de chômeurs qu’il faut indemniser.
Cerise sur le gâteau, patronat et syndicats ont signé en 2017 de nouvelles règles qui diminuent
l’argent payé aux chômeurs, une économie estimée à 930 millions d’euros par an en année
normale. Les comptes étant bons, tout va bien pour ces bons gestionnaires. Ces chiffres
montrent “que nous avons eu une gestion responsable”, déclare Jean-Michel Pottier, de la
Confédération des petites et moyennes entreprises.
Mais en 2019, patatras. Les Gilets jaunes sont sortis dans les rues. Résultat :
annulation de la hausse annoncée de la CSG pour les petites retraites, prime exceptionnelle
versée par les entreprises mais sans cotisation à la Sécu, suppression des cotisations
également sur les heures supplémentaires. Et du coup, annonce Le Monde : “Sécu : le retour à
l’équilibre repoussé à 2023« . Et nous ne parlerons pas ici de 2020 et de son coronavirus.
LE PAUVRE FRAUDEUR ET L’ÉTAT TRICHEUR
L’idéologie qui a prévalu dès le 17ème siècle lors de la montée en puissance de la
bourgeoisie, est restée quasiment inchangée jusqu’à nos jours. La nouvelle classe sociale a
supprimé la charité chrétienne, et l’a remplacée par un système de protection sociale inspiré
des mutuelles et des sociétés d’entraide ouvrière, mais cette fois entièrement contrôlé par
l’État.
Ce système est une sorte d’exception totale à toutes ses règles de fonctionnement : il
est basé sur la collectivité, il permet d’amoindrir les inégalités sociales, et il vient en aide
jusqu’à ceux qui ne travaillent pas. On pouvait donc s’attendre à ce que la classe qui dirige la
protection sociale n’ait de cesse de dire et redire, en permanence, à ceux qui à ses yeux, en
profitent : « On vous rappelle que c’est une exception que nous vous faisons”, « On vous
rappelle que la règle, la seule vraiment valable, c’est la concurrence, et donc que c’est à vous
de vous débrouiller pour trouver de quoi vous nourrir”, « On vous rappelle qu’on n’est pas
obligés de le faire, comme c’était le cas avec la charité chrétienne, et que si on le fait, c’est
parce nous voulons bien faire une exception”.
Et pour que tout un chacun n’oublie pas de le voir ainsi, et ne se mette pas à finir par
penser que c’est un dû auquel il a droit, il faut que le système nous fasse régulièrement des
piqures de rappel idéologique. Un bon moyen, c’est de se lancer dans une dénonciation des
profiteurs du système, comme nous en avons régulièrement.
Ainsi en 2010, le journal La Tribune titre qu’un arrêt maladie sur dix est injustifié.
C’est un mensonge, en fait, c’est un arrêt maladie sur dix de ceux qui sont déjà suspectés et
contrôlés qui s’avère être injustifié. Et cela veut dire que 9 suspects sur dix sont honnêtes.
Mais on connaît aussi des périodes où c’est tout un matraquage qui peut être opéré. Fin
2011, Laurent Wauquiez, ministre des Affaires européennes, lance l’offensive en sortant que
“l’assistanat est le cancer de notre société” et il propose d’imposer six heures de travail aux
bénéficiaires du RSA. À sa suite, un rapport parlementaire chiffre à 20 milliards d’euros par
an le montant des fraudes sociales. Après quoi, l’Assemblée nationale adopte de nouveaux
dispositifs pour lutter contre la fraude à l’assurance maladie.
Le gouvernement en profite pour envisager quelques coups de rabot sur la sécu, en
créant un délai de carence pour les fonctionnaires en arrêt maladie, comme c’est déjà le cas
36
pour les salariés du privé, qui ne sont indemnisés qu’à partir du troisième jour d’absence, en
règle générale. Il faut lutter contre “la multiplication des petits arrêts de complaisance, qui
ont un coût très élevé”, lance le député UMP Dominique Tian, auteur du rapport
parlementaire sur les fraudes.
À la Caisse d’allocations familiales (CAF), il y a déjà 600 agents dont le travail
consiste à dénicher ce qu’on appelle des “fraudes”. On envisage de les autoriser à accéder aux
relevés bancaires des allocataires. Un fichier aussi, déjà inscrit dans une loi de 2006, est prévu
pour lister les différentes prestations qu’un même bénéficiaire peut recevoir : c’est le RNCPS
(Répertoire national commun de la protection sociale).
Qu’appelle-t-on fraude ? Un décret d’octobre 2010 stipule que “de simples
inexactitudes, déclarations incomplètes et absence de déclaration de changement de
situation” doivent être considérées comme des “fraudes avérées”. Et il est prévu
“l’administration de pénalités essentiellement en cas de fausses déclarations, et maintenant en
cas de simples inexactitudes, omissions ou déclarations incomplètes”. Une seule exception :
“lorsque l’indu est causé par une erreur interne (qu’elle soit humaine ou technique), le trop
perçu ne saurait être considéré comme frauduleux”.
Donc, tout changement d’adresse, d’état civil, qui n’est pas immédiatement
communiqué, sera considéré comme une fraude. Si vous remplissez mal un formulaire, si
vous n’avez pas accès à internet à temps, vous êtes un fraudeur. Et si, trop content d’avoir
enfin trouvé du travail, vous ne pensez pas à le signaler de suite, et que vous ne vous occupez
que de régler les problèmes de la nouvelle vie qui s’ouvre à vous, vous êtes un fraudeur.
Normalement, l’idée de fraude suppose qu’il y ait une intention de frauder. Mais pas
dans le système de la protection sociale bourgeoise. “Les contrôles vont être beaucoup plus
importants et, en plus, si vous êtes pris, vous rembourserez”, avertit Xavier Bertrand à la
radio, en novembre 2011.
La fraude avérée, effectivement trouvée, y compris donc avec la manière de voir que
nous venons de dire, existe certes, mais elle est en réalité dérisoire. Le cas typique, c’est celui
d’une mère qui déclare vivre seule avec ses enfants, alors qu’elle s’est trouvée un petit ami.
Elle grappille ainsi quelques dizaines d’euros par mois. Cette fraude, effectivement détectée
en 2010-2011, se chiffre à 450 millions d’euros annuels, en comptant tout, Sécu, Caf,
URSSAF.
Mais à côté de cette fraude des particuliers, il y en a une autre, qu’on n’appelle pas
fraude, qui est le fait des entreprises, et de l’État lui-même. Il y a les cotisations patronales et
salariales non versées, qui sont alors évaluées autour de 12 milliards. A côté, donc, “la fraude
des pauvres est une pauvre fraude« , écrit dans Libération Julien Damon, un des auteurs du
Que sais-je.
Le travail au noir, dont de nombreux artisans sont coutumiers, représente une fraude
autrement considérable, puisque le député Dominique Tian évalue à l’époque entre 9 et 15
milliards de manque à gagner par an. Enfin, l’État dispense les patrons, toujours en 2011, de
20 milliards de cotisations sociales par an, qu’il s’engage à payer, mais il le fait avec du retard,
ce qui coûte là encore 2 milliards par an à la Sécu. Il faut y ajouter près de 8 milliards de taxes
sur le tabac qu’il ne reverse pas.
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Et puisque nous sommes dans les manières comptables de tricher, on peut rappeler que
la construction des hôpitaux est payée par l’assurance maladie, alors que les écoles ou les
casernes le sont par l’État ; que la formation des médecins, même si ensuite ils vont en vivre
richement en montant leur clinique privée, est payée par l’assurance maladie ; que la
modernisation des cliniques privées, pareil, est payée par l’assurance maladie, alors que bien
des salariés n’y mettront jamais les pieds.
Le pire, peut-être, dans l’hypocrisie de leur système, c’est ce qui est appelé par les
spécialistes le “non-recours”, le fait qu’un nombre important de personnes ont droit, d’après
leurs propres textes, à telle ou telle prestation sociale fournie par le système de la protection
sociale, mais n’en profitent pas. Pour un euro de fraude, il faut compter trois euros qui
devraient ainsi être versés et ne le sont pas.
Ainsi, en 2013, 1,6 million de personnes avaient droit de toucher le RSA, mais seuls
500 000 l’ont effectivement touché. Volontairement ou pas, le système écarte les autres. Soit
les gens ne savent pas qu’ils y ont droit, ou alors ce sont les agents de l’administration qui ne
savent pas exactement. Ou bien les dossiers à remplir sont compliqués, renvoyés, sans motif,
sur un ton méprisant, prennent un temps fou, finissent par décourager.
Et puis, pour certains, un bon tiers des personnes concernées, on sait qu’on y a droit,
on saurait remplir les formalités, mais on n’a pas envie d’être catalogué comme pauvre. On
trouve plus digne de ne pas recevoir une somme qui ressemble à une aumône, puisqu’il faut la
demander, se faire prier, tout justifier, alors que la sécu est déjà au courant de toute notre
situation, sans compter ensuite les contrôles, et nous l’avons vu avec l’exemple de Wauquiez,
les attitudes qui sont de véritables insultes publiques des représentants de l’État.
Au total, c’est autour de 7 milliards d’euros par an que l’État ne verse pas, estime-t-on
en 2013 (L’Ouvrier n° 246). Ce sont des chômeurs qui n’ont plus du tout d’indemnité chômage
et ne touchent pas le RSA, qui sont alors 620 000. Le droit au logement opposable, ils sont
650 000 à y avoir droit, et 370 000 ne le font pas. La couverture maladie universelle (CMU),
ils sont 6 millions à y avoir droit et 1,4 million ne la demandent pas.
D’une certaine manière, ces gens-là qui nous disent ce que devrait être une société
digne de ce nom, une société où personne n’aura à subir la charité de qui que ce soit. Où le
travail pour tous, un logement pour tous, ne seront plus des mots mais des obligations, des
évidences, la base d’une société humaine. Cette société, il faudra l’imposer. Et il faudra le faire
y compris contre l’État. Car s’il semble parfois réparer une injustice ici ou là, au fond, il est
d’abord là pour préserver tout un système basé sur l’injustice : le capitalisme.
LA SÉCURITÉ SOCIALE, PRIVILÈGE DE PAYS DOMINANTS
Aujourd’hui, la protection sociale est une forme de privilège qui n’existe de manière
développée que dans un nombre limité de pays liés au monde occidental dominant. Dans leur
Que Sais-je ? daté de 2015, Damon et Ferras le reconnaissent : “Malgré l’impressionnante
extension internationale de la sécurité sociale au cours du dernier siècle, une minorité
seulement de la population mondiale est complètement couverte. En 2012, selon l’OIT
(Organisation internationale du travail), le quart de la population mondiale a accès à des
systèmes “complets” de sécurité sociale, tandis que les trois quarts ne bénéficient que d’une
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couverture partielle ou ne sont pas couverts du tout. Toujours selon l’OIT, plus de 5 milliards
de personnes (sur 7 milliards, NDLR) ne bénéficient pas d’une couverture dite « adéquate ».”
On trouve une explication de cette situation dans l’ouvrage de Piketty, Capital et
idéologie (2019). Piketty fait en effet les observations suivantes. La protection sociale étant le
fait de l’État, celui-ci doit dans un premier temps mettre en place un système de collecte avant
de pouvoir ensuite redistribuer. Il faut donc que l’État ait une existence suffisamment forte, à
la fois centralement et localement, pour pouvoir imposer ce genre de collecte de manière
efficace. Pour donner un exemple de ce qui peut échapper à la collecte, aujourd’hui en France,
tout ce qui est payé au noir, très souvent dans le monde des artisans, évite un impôt, la TVA.
Jusqu’au Moyen Âge, les principaux États européens comme les autres États dans le
monde parvenaient à collecter quelque chose comme 1% à 2% du revenu national. Avec de
telles sommes, l’État était forcément réduit à des fonctions qu’on appelle aujourd’hui
régaliennes : la police, la justice, l’armée. Et encore, ces appareils étaient tout juste capable
d’être présente et de protéger les lieux de pouvoir.
Mais il va se passer un phénomène très particulier en Europe, qu’on n’observe pas
ailleurs dans le monde, ni en Chine, ni dans l’Empire ottoman, pour ne prendre que les
grandes puissances. Entre 1500 et 1800, l’Europe voit en effet ce chiffre de 1% ou 2% de
revenu collecté, sous forme d’impôts, monter progressivement à 6%-8%. Et pendant que
l’Europe approche de 6%-8% de recettes fiscales à la fin du 18ème siècle, la Chine ou
l’Empire ottoman stagnent toujours à 1%-2%.
Et les choses ne vont pas en rester là. Forte de cette collecte très nettement supérieure,
l’Europe, à partir de 1500, va se lancer dans la colonisation du globe : Amériques, Afrique,
Asie. Ce pillage qui se fait en partie aussi par un esclavage de masse, parvient ainsi à un
développement économique, qui amène le taux de recettes fiscales nationales à pouvoir
monter jusque 8%-10% à la veille de la Première Guerre mondiale.
Cette avance de l’Europe va ainsi se poursuivre, permettant à chaque étape d’avoir une
très importante avance technique, économique, militaire sur le reste du monde, pour
poursuivre son propre développement et étendre sa domination. Et ce nouveau développement
lui permet sans trop de difficulté d’augmenter encore le taux de prélèvement sur les
populations, consolidant ainsi l’État lui-même, son autorité et sa capacité à capter l’impôt ou à
imposer des systèmes de prélèvements.
Pour Piketty, « Le second bond en avant, qui se déroula des années 1910-1920 aux
années 1970-1980, conduisit l’ensemble des pays riches à passer d’environ 8%-10% du
revenu national en recettes fiscales à la veille de la Première Guerre mondiale à 30%-50%
depuis les années 1980 ; cette transformation est inséparable du processus général de
développement économique et d’amélioration historique des conditions de vie, et il aboutit à
la mise en place de diverses formes de sociétés social-démocrates”.
Piketty se pose une question intéressante : qu’est ce qui peut expliquer que le premier
décollage se soit produit en Europe et pas ailleurs ? Et il cherche une réponse de type
matérialiste : « un facteur particulièrement important apparaît clairement, écrit-il : celui du
morcellement de l’Europe en plusieurs États de taille comparable et la rivalité militaire
exacerbée qui en a découlé. Cette explication pose naturellement la question des origines du
morcellement politique, par la comparaison notamment à la relative unité chinoise, ou la très
39
relative unité indienne. On peut penser que les barrières géographiques et physiques propres
à l’Europe, en particulier à l’ouest du continent (où la France est séparée de ses principaux
voisins par des barrières montagneuses, maritimes et fluviales), ont pu jouer un certain rôle.”
On a donc ici une explication assez convaincante de l’avancée de l’Europe, des causes
de sa domination, et de l’existence eu Europe d’un système de protection sociale particulier,
dont on ne trouve pas d’équivalent ailleurs. (Nous mettons ici de côté le cas des Etats-Unis,
qui, eux aussi, à la faveur d’une période de guerres, les deux guerres mondiales, ont accédé à
la première place en exploitant le reste du monde sur une base directement capitaliste).
Mais il y a une chose que Piketty, qui est un réformiste, ne voit pas. C’est que son
analyse implique que la protection sociale n’est pas accessible aux pays dominés par l’Europe.
Il ne dit pas grand-chose des formes politiques, économiques par lesquelles la domination
économique et l’exploitation des autres pays se poursuit, même si avec le temps, un pays
comme la Chine a pu remonter une partie de la pente.
Nous, nous n’avons pas peur de le dire : la protection sociale est fondamentalement un
privilège construit d’abord et avant tout sur l’exploitation du reste du monde, sur le fait que la
France est et reste une puissance impérialiste. Mais nous l’avons vu, c’est un privilège pervers
: il crée des illusions dans le monde du travail. Il achète le calme social, il éteint l’idée de la
nécessité de changer totalement de fonctionnement social. Il est fondamentalement contrerévolutionnaire.
L’histoire économique et l’histoire tout court du capitalisme, depuis un peu plus de
deux siècles, nous montrent que seuls les pays qui dominent ou en ont dominé d’autres ont pu
se doter d’une protection sociale conséquente. Notre analyse est que si les autres pays n’y sont
pas parvenus, c’est qu’ils ont été combattus pour ne pas pouvoir connaître le même type de
développement. Ils ont été combattus militairement parfois, économiquement toujours,
politiquement aussi.
Piketty lui-même décrit un des mécanismes par lesquels les pays dominants peuvent
exercer leur toute puissance et maintenir les pays dominés dans un retard économique
permanent par rapport à eux. Il part du constat “que les États les plus pauvres du monde se
sont appauvris des années 1970-1980 aux années 1991-2000, avant de se redresser très
légèrement dans les années 2000-2010, sans pour autant retrouver leur point de départ
(pourtant fort bas)”. Et il observe que pour le “tiers des pays les plus pauvres, qui regroupe
essentiellement des pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud, on constate que les
recettes fiscales sont passées de 16% du produit intérieur brut au cours de la période 1970-
1979 à moins de 14% en 1991-1999 puis 14,5% en 2010-2018.”
Autrement dit, il y a un lien entre la capacité du pays à prélever des recettes fiscales et
le niveau de richesse ou de pauvreté du pays.
Eh bien, les pays dominants ont trouvé là un moyen de faire reculer économiquement
ces pays, déjà pauvres : ils leur ont imposé de baisser leurs recettes fiscales traditionnelles,
qui sont essentiellement des droits de douane, sous prétexte de libérer le marché, de
« moderniser » l’économie, d’une manière assez rapide et brutale, dans les années 1970. De 6%
du PIB dans les années 1970, ces droits de douane sont brusquement tombés à moins de 4%
dans les années 1990 et à moins de 3%, donc divisés par deux, dans les années 2010. Le
résultat en a été une asphyxie de ces États, qui n’ont pu trouver de quoi exister, si ce n’est en
40
s’endettant. Les droits de douane sont effet les impôts les plus faciles à prélever, les pays
occidentaux le savent bien, eux qui ont mis des siècles pour les remplacer de manière
suffisamment efficace par d’autres impôts, comme des prélèvements sur les revenus ou sur la
propriété.
L’IMPACT DE LA PROTECTION SOCIALE SUR LES INÉGALITÉS
Si l’on écoute un tout petit peu les divers économistes et autres commentateurs qui,
pratiquement tous, défendent le point de vue des riches et du patronat, la France est une plaie
question protection sociale. Elle en fait bien trop, bien plus que tous les autres pays. On
trouve des chiffres assez variables selon qui les utilise. Le site BFM business, par exemple,
s’indigne de ce que la France prenne en 2016 la première place dans ce domaine avec, je cite
pour bien souligner la manière qu’ont ces gens d’en parler, “47,6% de la richesse produite
ponctionnée”.
Le chiffre est peut-être exact, mais c’est évidemment un pur mensonge que de dire que
c’est de la “richesse ponctionnée”. Les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire le total à la fois
de tous les impôts et des cotisations sociales, ce total s’élève à 1000 milliards d’euros pour
2017. Sur ces 1000 milliards, un tiers, 370 milliards proviennent des cotisations sociales, donc
pour l’essentiel du travail salarié. Deux tiers, 630 milliards sont collectés par l’État par les
différents impôts. Et là encore, ce sont de toute évidence massivement les travailleurs qui en
payent la grande majorité (on trouvera le détail des différents impôts à la fin de ce travail).
Pour nous, il n’y a a priori rien de choquant à ce que 47% des richesses produites
soient redistribuées. On pourrait même dire que notre idéal est que 100% des richesses
produites soient ensuite redistribuées. Toute la question est donc plutôt de chercher à
comprendre comment se passe la redistribution.
Or, si l’on fouille un peu dans les montagnes de chiffres qui sont servies copieusement,
on peut trouver quelques anomalies. Par exemple, cet article de l’Observatoire des Inégalités :
“Protection sociale : pourquoi les plus riches touchent trois fois plus que les plus pauvres’”
(29 avril 2015). À la lecture, on découvre effectivement que si l’on prend les 10% des
Français les plus riches et les 10% les plus pauvres, ce qui fait autant de monde d’un côté que
de l’autre, et que l’on examine les pensions de retraites de chaque côté, on voit que les plus
riches reçoivent 52 milliards, et les plus pauvres seulement 4,6 milliards, dix fois moins.
Évidemment, c’est là l’effet des inégalités de salaires du temps où ces personnes étaient
en activité qui en est la cause, mais aussi le type de répartition : les retraites gardent l’inégalité
de la vie active. Mais on pourrait tout à fait imaginer un autre système avec des calculs
aboutissant par exemple à ce que les plus riches touchent deux fois moins qu’actuellement, ce
qui leur laisse encore une belle marge. Cela dégagera immédiatement 26 milliards qui, s’ils
étaient reversés aux 10% les plus pauvres, signifierait pour eux une retraite… multipliée
par 5. L’on pourrait ainsi imaginer bien d’autres équations très simples, l’important ici étant en
fait politique, le choix d’une répartition qui cherche à rattraper un peu les inégalités de départ,
au lieu du système actuel qui les fige et les recopie crument jusqu’à la mort.
Si on regarde cette fois l’ensemble des prestations sociales des 10% les plus riches et
celles que touchent les 10% les plus pauvres, on observe que la situation est à l’inverse de
celle des retraites : “Les 10% les plus pauvres ont touché 11 milliards, écrit toujours le même
41
article, alors que les 10% les plus riches n’ont reçu que 1,3 milliard”. C’est que nombre de
prestations sont plafonnées, accessibles seulement aux plus démunis, ou encore ouvertes à
tous mais avec une progressivité : elles sont plus importantes pour ceux qui ont moins.
Mais ne nous y trompons pas. Si on vient de voir qu’il y a effectivement redistribution
et redistribution, il reste vrai que le système global de la protection sociale permet quand
même d’éviter à des millions de gens de se retrouver dans la misère, la maladie ou dans la rue.
Si la protection sociale permet cela, il n’y a pas non plus de quoi applaudir ; c’est plutôt
l’occasion de souligner que sans la protection sociale rajoutée au système, celui-ci met
naturellement dans la misère ou à la rue des millions de gens. C’est donc bien le système qu’il
faut changer, pas la protection qui n’est qu’un pis-aller.
Selon un autre article de l’Observatoire des inégalités, “Les allocations réduisent le
nombre de pauvres de cinq millions”. Pour définir un pauvre, en France, on a choisi d’utiliser
le revenu médian (qui change chaque année), qui est le revenu au-dessus duquel il y a autant
de gens qu’en-dessous. Sont dits pauvres ceux qui ont moins de 60% de ce revenu médian. Ce
calcul nous donne un chiffre de 8,7 millions de pauvres. On peut ensuite calculer ce qu’il en
serait s’il n’y avait pas tout le système de redistribution, par prestation sociale et par impôt,
que nous avons décrit : le nombre de pauvres augmenterait immédiatement de 5 millions et
serait de 13,7 millions.
Avec les calculs, on peut aussi étudier ce qui se passe selon différentes situations. Pour
les personnes seules, il y a aujourd’hui 16% de taux de pauvreté ; sans protection sociale et
sans redistribution, il y en aurait 24%. Le pire serait pour ce que l’on appelle les familles
monoparentales, et qui sont très souvent des femmes seules avec enfants : actuellement, elles
sont déjà 43% en situation de pauvreté ; sans la protection sociale, ce serait 61%. Selon des
calculs encore plus ciblés, on s’aperçoit que le pire pour ces femmes est d’avoir 3 enfants.
Si vous vous promenez un peu sur le site gouvernemental des impôts, vous pouvez
trouver un passage qui explique que l’ensemble du système de prélèvement est bénéfique,
qu’il permet de diminuer les inégalités. “La France ayant fait le choix d’un système combinant
haut niveau de prélèvement et haut niveau de transfert et de services publics, est-il d’abord
écrit, le caractère redistributif de ce système doit s’apprécier dans sa globalité, prélèvements
et redistribution par les prestations compris. Au total, les prestations sociales (prestations
familiales, allocation logement, minima sociaux et prime d’activité) contribuent pour deux
tiers de la réduction des inégalités, et l’impôt progressif sur le revenu pour un tiers. »
La protection sociale compterait donc pour deux tiers, et l’impôt sur le revenu pour un
tiers à la réduction des inégalités. Le site des impôts ajoute : “Les impôts et prestations
sociales augmentent de plus de deux tiers le niveau de vie des 20% des foyers les plus
modestes, et diminuent d’un cinquième celui des 20% les plus aisés.”
On nous donne enfin le résultat sur l’écart entre riches et pauvres : “ Avant impôts et
prestations sociales, le niveau de vie des 20% des ménages les plus aisés est huit fois
supérieur à celui des 20% les plus modestes. Après redistribution, il est quatre fois plus
élevé.”
L’État a sans doute choisi un des calculs qui lui sont le plus favorables. En comptant
un peu différemment, sur les 10% ou les 5% au lieu de 20% par exemple, on obtiendrait
d’autres chiffres. Il n’empêche que la redistribution, la réduction mathématique des inégalités,
42
est une réalité. Et le site peut dire : « Notre système redistributif permet également de réduire
significativement le taux de pauvreté : celui-ci s’établit aujourd’hui à 14% contre 17% en
moyenne dans l’Union européenne, mais atteindrait 22% en l’absence de redistribution”.
Les tenants de gauche de la protection sociale, incapables et se refusant absolument à
remettre en cause le système capitaliste qui crée, entretient et aggrave les inégalités, parent de
toutes les vertus la protection sociale française, en en exagérant bien souvent l’effet de justice
sociale. Et les politiciens de droite en profitent pour dénoncer l’importance de ce système :
“On nous prélève trop d’argent !” Et pour mieux embrouiller les choses, ils mélangent la
protection sociale avec les fonctions régaliennes, ils additionnent la police avec la maladie,
l’armée avec les retraites, les prisons avec les accidents du travail, et ils affichent ainsi 47% de
prélèvements obligatoires.
Pour notre part, nous séparons l’État qu’on dit régalien, police-justice-armée- avec son
appareil de répression, qui est tout entier affecté contre les mouvements sociaux dès qu’ils
sortent du train-train ordinaire, et nous ne le mélangeons pas avec la protection sociale. Nous
ne prônons pas le système de protection sociale, nous nous en servons pour montrer le
problème monstrueux que génère le système capitaliste : des inégalités qui ne cessent de
s’accroître, une protection sociale qui humilie des millions de gens, les rend dépendants de
l’État, les soumet aux attaques de ceux qui les accusent de profiter du travail des autres, et une
impossibilité de cette protection pour la plus grande partie de la population dans le monde.
Ceux qui attaquent les “prélèvements obligatoires” importants de la France ont en
réalité deux objectifs dans leurs discours : ils visent bien sûr à déconsidérer la Sécu, car tout
recul de la Sécu signifie une chance et une opportunité de plus pour le privé de prendre le
relais. Sauf que le privé ne cherchera jamais à assurer et à protéger les plus pauvres, qui ne
leur rapporteraient rien. Il viserait encore et toujours les classes solvables, les classes
moyennes, et tant qu’à faire les classes moyennes supérieures, qui ont des moyens et ne
rechignent jamais à se protéger dès qu’ils croient pouvoir le faire, multipliant leurs assurances
de toutes sortes sans trop regarder ce qui fait doublon.
Mais il y a également un autre objectif dans ces attaques contre la fameuse première
place de la France en matière de prélèvements obligatoires. Cela cache une volonté de réduire
les moyens financiers dont dispose l’État. C’est la politique qu’a utilisé la « révolution
conservatrice » de Reagan et Thatcher dans les années 1970 : on fait campagne contre le trop
d’impôts, on décide ensuite de réduire ceux-ci ; l’État se retrouve avec des moyens réduits : il
doit se défaire d’un certain nombre de missions : une partie de l’éducation, par exemple ; ce
qui part vers le privé, et devient une nouvelle source de profit. En prime, l’État manquant de
rentrées fiscales est incité à s’endetter ; mais auprès de qui s’endette-t-il ? Là encore auprès de
capitalistes privés pour qui l’endettement de l’État est une excellente affaire, car ses emprunts
sont les mieux garantis du monde… capitaliste. Les capitalistes déjà riches s’enrichissent donc
un peu plus, et que peuvent-ils faire de cette richesse ? Ils peuvent l’investir dans les nouvelles
écoles privées, ou les nouveaux transports privés, désormais nécessaires. C’est d’une logique
impeccable !
LA PROTECTION SOCIALE ET SON IDÉOLOGIE
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La protection sociale a été créée pour servir d’amortisseur social. Et l’on peut dire que
cela a marché. Hormis Mai 68, et quelques moments moins marqués comme Décembre 1995,
il n’y a plus eu de mouvement profond en France depuis 1945. Bon an mal an, elle a permis de
passer la crise de 2008 sans trop d’à-coups pour leur société. Nous avions noté comment
Sarkozy et les autres, qui ne cessaient de dénoncer jusque-là la protection sociale française
comme un gâchis, ont changé leur cuti après 2008 pour dire à l’unisson qu’elle était inscrite
dans le patrimoine français.
Mais nous ne devrons jamais oublier que la bourgeoisie, la classe la première
bénéficiaire du capitalisme, a toujours deux options politiques pour maintenir son système
fondé sur l’inégalité : la carotte et le bâton, avec, entre les deux, une série de politiques qui les
combinent de diverses manières.
La carotte de la sécurité sociale date de 70 ans maintenant. Mais l’URSS n’existe plus.
Et un certain nombre des politiciens qui servent cette bourgeoisie sont régulièrement tentés de
revenir au bâton. Cela coûterait juste à leurs yeux un budget plus grand pour la police.
Mais nous ne mettons pas au pinacle la protection sociale pour autant. Nous
dénonçons ses limites et son hypocrisie, ses conséquences morales et psychologiques pour la
population travailleuse.
Pour nous, la protection sociale, c’est un pansement sur une infection. Le pansement
de la protection sociale sur la maladie capitaliste là où elle se voit le plus. Le pansement ne
soignera jamais l’infection, mais il la cache, donne une image plus propre du corps social. Si
c’est un progrès, c’est seulement par rapport à la situation qu’on a pu connaître aux débuts du
capitalisme, lorsqu’il s’est installé en Europe.
Mais c’est en raison de la peur due à la révolution russe, qu’il a consenti à introduire
des règles de solidarité contraires à sa logique de concurrence individuelle. Et il ne peut le
faire que pour une part réduite de notre humanité.
Nous, nous voulons soigner l’infection, en éliminant le virus qu’est le profit capitaliste
individuel, qui envahit tout l’espace tant qu’on ne le combat pas. Ce n’est que dans l’attente de
cet objectif qu’il peut nous arriver de défendre le pansement, lorsque des voyous veulent le
détricoter. Le propre du capitalisme, c’est d’être capable de tout utiliser, de profiter de tout. Il
va chercher à faire du profit même avec cette protection sociale qui lui sauve la mise en
cachant les effets réels de ses principes de base.
En ce qui concerne l’impact donc de la protection sociale sur les inégalités, nous
affirmons qu’à aucun moment, ce système ne met réellement fin à l’inégalité, ni du logement,
ni du chômage, ni de quoi que ce soit. Il se contente d’apporter une aide qui, non seulement
n’est pas assurée de durer, au gré des lois et autres décisions budgétaires du gouvernement,
mais qui, surtout, place l’allocataire d’un droit dans une situation de toute manière différente,
inégale à celle de quelqu’un qui n’en a pas besoin.
Quant aux inégalités qui subsistent, elles restent criantes, choquantes, surtout si l’on
regarde la richesse du pays, et les possibilités financières qui existent. On peut redire, pour ne
prendre qu’un seul exemple, le coût des 10% des retraités les plus riches, 52 milliards d’euros,
alors que les 10% de retraités les plus pauvres touchent moins de 5 milliards. Pour la santé,
44
réputée permettre à des millions de personnes de se soigner correctement, l’inégalité se
creuse, entre ceux qui doivent faire le choix de ne plus soigner telle ou telle affection, et les
plus riches qui, protection sociale ou pas, se payent sans problème cliniques privées et autres
médecins non conventionnés. Pour ce qui est du chômage, aucun paiement ne remplace le fait
d’avoir un travail, aucune prestation n’efface l’image que l’on peut avoir de soi-même et de
l’utilité que l’on a ou pas dans la société.
L’inégalité un peu diminuée dont se vante le site du gouvernement n’est pas un progrès
pour nous. Celui qui en bénéficie doit constamment s’excuser, se justifier, mois après mois,
année après année, de ses revenus insuffisants, de sa cotisation suffisante. Alors que celui qui
a la chance sociale de profiter de l’inégalité du système si elle le place plutôt au-dessus, celuilà
n’a jamais rien à justifier pour bénéficier de cette inégalité.
Ce n’est certainement pas la seule raison, mais le développement de ce système de
protection sociale a contribué à faire perdre beaucoup au monde ouvrier, au monde du travail.
L’esprit de solidarité est effacé. Il ne reste plus que les moments de grèves où l’on reprend la
pratique de la solidarité financière ; et parfois, aussi, lors d’un décès, d’une retraite, de manière
plus symbolique qu’autre chose.
Nous sommes, nous, pour que chacun et chacune soit assurée, sans avoir à le
demander, à le quémander, de disposer d’un logement correct, d’un revenu décent, d’un
emploi qui nous corresponde. Les moyens existent de mettre en place un tel fonctionnement :
les systèmes d’information modernes existent, les systèmes matériels existent, les capacités
matérielles et les compétences humaines, pour organiser cela à grande échelle en même temps
qu’à la plus petite échelle.
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QUELQUES CHIFFRES REPERES
(chiffres arrondis 2017, en MM milliards d’euros)
1300 MM DEPENSES PUBLIQUES
740 MM
Protection
sociale
340 MM Retraites 46%
250 MM Santé 34%
56 MM Famille 8%
44 MM Chômage 6%
22 MM Logement 3%
28 MM Pauvreté 4% 100%
560 MM
Organismes
d’Etat
85 MM Administration 15%
40 MM Armée 7%
32 MM Police 6%
5 MM Justice 1%
70 MM Aides économiques 13%
44 MM Dette (charges) 8% 50%
151 MM Education 27%
93 MM Infrastructures 17%
6 MM Loisirs, culture, culte 6% 50%
1000 MM PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
370 MM
Cotisations
sociales
37%
630 MM
Impôts
et taxes
156 MM TVA
111 MM CSG / CRDS
70 MM Impôt sur le revenu
37 MM Impôt sur les sociétés
32 MM Taxe foncière
29 MM TIPP, etc
18 MM Taxe habitation
16 MM Tabacs et alcools
160 MM divers 63%
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BIBLIOGRAPHIE
Julien Damon, Benjamin Ferras : La sécurité sociale ; Que sais-je ? Puf 2015
Cahiers français 358 : La protection sociale : Quels débats ? Quelles réformes ?
La documentation française septembre-octobre 2010
Thomas Piketty : Capital et idéologie, Seuil 2019
DREES : La protection sociale en France et en Europe en 2016 ;
ministère des Solidarités et de la Santé, édition 2018
DREES : La complémentaire santé ; ministère des Solidarités et de la Santé, édition 2016
Lutte Ouvrière : L’État, la Sécurité sociale et le système de santé, CLT 7/11/2003
Lutte Ouvrière : 70 ans de la Sécurité sociale ; LDC septembre-octobre 2015
Février 2020
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