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👁‍🗹 La mainmise de Washington sur le FMI

Par  Vijay Prashad pour Tricontinental : Institute for Social Research , le 7 mars 2025, via   Spirit’s FreeSpeech,  mars 08, 2025, sur 👁‍🗹 La mainmise de Washington sur le FMI

Les États-Unis, au sein de cette institution profondĂ©ment antidĂ©mocratique, disposent d’un droit de veto sur tout changement majeur et façonnent les politiques selon leur bon vouloir.

Aux yeux du Fonds monétaire international (FMI), une personne vivant dans les pays du Nord vaut neuf personnes vivant dans les pays du Sud.

Ce calcul est tirĂ© des donnĂ©es du FMI sur le pouvoir Ă©lectoral au sein de l’organisation par rapport Ă  la population des pays du Nord et du Sud.

Chaque pays, en fonction de sa “position Ă©conomique respective”, comme le suggĂšre le FMI, se voit attribuer des droits de vote pour Ă©lire des dĂ©lĂ©guĂ©s au conseil d’administration du FMI, qui prendra toutes les dĂ©cisions essentielles de l’organisation.

Un rapide coup d’Ɠil au conseil d’administration montre que le Nord est largement surreprĂ©sentĂ© dans cette institution multilatĂ©rale cruciale pour les pays endettĂ©s.

Les États-Unis, par exemple, dĂ©tiennent 16,49 % des voix au conseil d’administration du FMI alors qu’ils ne reprĂ©sentent que 4,22 % de la population mondiale. Puisque les statuts du FMI exigent 85 % des voix pour apporter la moindre modification, les États-Unis ont un droit de veto sur les dĂ©cisions du FMI.

Par consĂ©quent, la direction du FMI s’en remet Ă  la politique dĂ©cidĂ©e par le gouvernement amĂ©ricain et, l’organisation Ă©tant basĂ©e Ă  Washington, D.C., consulte frĂ©quemment le ministĂšre amĂ©ricain des Finances sur son programme politique et ses dĂ©cisions individuelles.

Armando Reverón, Venezuela, Ranchos, 1933. (Via Tricontinental : Institut de recherche sociale)

Par exemple, en 2019, lorsque le gouvernement des États-Unis a dĂ©cidĂ© de cesser unilatĂ©ralement de reconnaĂźtre le gouvernement du Venezuela, il a fait pression sur le FMI pour qu’il fasse de mĂȘme.

Le Venezuela, l’un des membres fondateurs du FMI, s’Ă©tait tournĂ© vers le FMI Ă  plusieurs reprises pour obtenir de l’aide, avait remboursĂ© les prĂȘts en cours au FMI en 2007, puis dĂ©cidĂ© de ne plus faire appel au FMI pour obtenir une aide Ă  court terme (en effet, le gouvernement vĂ©nĂ©zuĂ©lien s’est plutĂŽt engagĂ© Ă  crĂ©er la Banque du Sud afin d’accorder des prĂȘts-relais aux pays endettĂ©s en cas de dĂ©ficit de la balance des paiements).

Pendant la pandĂ©mie, cependant, le Venezuela, comme la plupart des pays, a cherchĂ© Ă  puiser dans ses rĂ©serves de 5 milliards de dollars en “droits spĂ©ciaux” (la “monnaie” du FMI) auxquels il Ă©tait autorisĂ© Ă  accĂ©der dans le cadre de l’initiative mondiale de relance des liquiditĂ©s du Fonds.

Mais le FMI, sous la pression amĂ©ricaine, a dĂ©cidé de ne pas transfĂ©rer l’argent. Ce refus a fait suite Ă  un rejet antĂ©rieur de la demande du Venezuela d’accĂ©der Ă  400 millions de dollars de ses crĂ©dits spĂ©ciaux.

Bien que les États-Unis aient dĂ©clarĂ© que le vĂ©ritable prĂ©sident du Venezuela Ă©tait Juan GuaidĂł, le FMI a continuĂ© de reconnaĂźtre sur son site web que le reprĂ©sentant du Venezuela auprĂšs du FMI Ă©tait SimĂłn Alejandro Zerpa Delgado, alors ministre des Finances du gouvernement du prĂ©sident NicolĂĄs Maduro.

Le porte-parole du FMI, Raphael Anspach, n’a pas rĂ©pondu Ă  un courriel envoyĂ© par Tricontinental en mars 2020 au sujet du rejet d’attribution des fonds, bien qu’il ait publiĂ© une dĂ©claration officielle selon laquelle

“l’engagement du FMI avec les pays membres est fondĂ© sur la reconnaissance officielle du gouvernement par la communautĂ© internationale”.

Selon Anspach, comme on ne peut pas ĂȘtre certain de cette reconnaissance, le FMI n’a pas autorisĂ© le Venezuela Ă  accĂ©der Ă  son propre quota de crĂ©ances spĂ©ciales pendant la pandĂ©mie. Puis, brusquement, le FMI a supprimĂ© le nom de Zerpa de son site web. Et ce, uniquement sous la pression des États-Unis.

En 2023, lors du lancement de la Nouvelle Banque de DĂ©veloppement (Banque des BRICS) Ă  Shanghai, en Chine, le prĂ©sident brĂ©silien Luiz InĂĄcio Lula da Silva a souligné la politique d’“asphyxie” du FMI Ă  l’Ă©gard des pays les plus pauvres.

Évoquant le cas de l’Argentine, Lula a dĂ©clarĂ© :

“Aucun gouvernement ne peut travailler avec un couteau sur la gorge sous prĂ©texte qu’il est endettĂ©. Les banques doivent ĂȘtre patientes et, si nĂ©cessaire, renouveler les accords. Lorsque le FMI ou toute autre banque prĂȘte Ă  un pays du tiers monde, on a le sentiment que ces institutions s’octroient le droit de donner des ordres et de gĂ©rer les finances du pays, comme si ces derniers Ă©taient les otages de ceux qui prĂȘtent de l’argent”.

Ben Enwonwu, Nigeria, The Dancer, 1962. (Via Tricontinental : Institute for Social Research)

Tous les discours sur la dĂ©mocratie s’Ă©vanouissent face Ă  la vĂ©ritable rĂ©alitĂ© du pouvoir dans le monde : le contrĂŽle du capital.

L’annĂ©e derniĂšre, Oxfam a montré que

“1 % des plus riches possĂšdent plus de richesses que 95 % de l’humanitĂ©â€, et que “plus d’un tiers des 50 plus grandes entreprises du monde, d’une valeur de 13 300 milliards de dollars, sont dĂ©sormais dirigĂ©es par un milliardaire ou ont un milliardaire comme actionnaire principal”.

Plus d’une douzaine de ces milliardaires font dĂ©sormais partie du cabinet du prĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump. Ils ne reprĂ©sentent plus le 1 %, mais en fait le 0,0001 %, soit 10 000e de 1 %.

À ce rythme, le monde verra l’Ă©mergence de cinq milliardaires d’ici la fin de cette dĂ©cennie. Ce sont eux qui dominent les gouvernements et qui, par consĂ©quent, ont un Ă©norme impact sur les organisations multilatĂ©rales.

En 1963, le ministre des Affaires Ă©trangĂšres du Nigeria, Jaja Anucha Ndubuisi Wachuku, a exprimĂ© sa frustration Ă  l’Ă©gard des Nations unies et d’autres organisations multilatĂ©rales.

Les États africains, a-t-il dĂ©clarĂ©,

“ne sont pas en droit d’exprimer leur point de vue sur une question particuliĂšre au sein des organes importants des Nations Unies”.

Aucun pays africain, ni aucun pays d’AmĂ©rique latine, ne dispose d’un siĂšge permanent au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies.

Au FMI et Ă  la Banque mondiale, aucun pays africain ne peut imposer son programme. Wachuku a demandĂ© aux Nations Unies : “Allons-nous continuer Ă  ĂȘtre des sous-fifres ?”

Bien que le FMI ait prĂ©vu un siĂšge supplĂ©mentaire pour l’Afrique en 2024, c’est loin d’ĂȘtre suffisant pour le continent, qui compte plus de membres du FMI (54 pays sur 190) et plus de programmes de prĂȘt actifs que tout autre continent (46,8 % de 2000 Ă  2023), mais le deuxiĂšme plus faible ratio de vote (6,5 %) aprĂšs l’OcĂ©anie.

L’AmĂ©rique du Nord, avec deux membres, dispose de 943 085 voix, tandis que l’Afrique, avec 54 membres, en compte 326 033.

Alioune Diagne, Sénégal, Rescapé ou Survivor, 2023. (Via Tricontinental : Institut de recherche sociale)

Au lendemain de la crise financiĂšre de 2007 et au dĂ©but de la troisiĂšme grande dĂ©pression, le FMI a dĂ©cidĂ© d’entamer un processus de rĂ©forme.

Cette rĂ©forme a Ă©tĂ© motivĂ©e par un constat : lorsqu’un pays fait appel au FMI pour obtenir un prĂȘt-relais, ce qui ne devrait pas avoir d’incidence, il finit par ĂȘtre pĂ©nalisĂ© sur les marchĂ©s des capitaux, car solliciter un prĂȘt est considĂ©rĂ© comme un signe de mauvaise performance.

L’argent est alors prĂȘtĂ© au pays Ă  des taux plus Ă©levĂ©s, aggravant ainsi la crise Ă  l’origine de la demande du prĂȘt.

Au-delĂ  de cette question se cache un problĂšme plus profond : l’ensemble des directeurs gĂ©nĂ©raux du FMI sont europĂ©ens, ce qui signifie que les pays du Sud n’ont aucune reprĂ©sentation aux plus hauts Ă©chelons de la direction du FMI.

L’ensemble de la structure de vote du FMI s’est altĂ©rĂ©e avec l’augmentation des votes par quota (basĂ©s sur la taille de l’Ă©conomie et la contribution financiĂšre au FMI) tandis que les “votes de base” plus dĂ©mocratiques (un pays, une voix) ont perdu de leur impact.

Ces différents votes sont évalués de deux maniÚres : les parts de quotas calculées (CQS), qui sont fixées par une formule, et les parts de quotas réelles (AQS), fixées par des négociations politiques.

Selon un calcul effectué en 2024, par exemple, la Chine a un AQS de 6,39 %, tandis que son CQS est de 13,72 %. Pour augmenter l’AQS de la Chine afin qu’il corresponde Ă  son CQS, il faudrait rĂ©duire celui d’autres pays, comme les États-Unis.

Les États-Unis ont un quota de voix AQS de 17,40 %, qui devrait ĂȘtre rĂ©duit Ă  14,94 % pour tenir compte de cette augmentation en faveur de la Chine. Cette diminution de la part des États-Unis Ă©roderait donc leur pouvoir de veto.

C’est pour cette raison que les États-Unis ont saboté le programme de rĂ©forme du FMI en 2014. En 2023, le programme de rĂ©forme du FMI a de nouveau échouĂ©.

Antonio Souza, BrĂ©sil, CadĂȘ minha praia? O mar levou ou OĂč est ma plage ? La mer l’a emportĂ©e, 2019. Le texte dans le tableau se lit, de haut en bas et de gauche Ă  droite, « amour », « paix », « nous » et « la mer », « sauver » et « planĂšte ». (Via Tricontinental : Institut de recherche sociale)

Paulo Nogueira Batista Jr. a Ă©tĂ© directeur exĂ©cutif pour le BrĂ©sil et plusieurs autres pays au FMI de 2007 Ă  2015, vice-prĂ©sident de la Nouvelle Banque de DĂ©veloppement de 2015 Ă  2017, et collabore à l’Ă©dition internationale de la principale revue chinoise Wenhua Zongheng.

Dans un grand article intitulé Une solution pour réformer le FMI (juin 2024), Batista propose un programme de réforme en sept points pour le FMI :

  • Rendre les conditions d’octroi des prĂȘts moins strictes.
  • RĂ©duire les taxes sur les prĂȘts Ă  long terme.
  • Renforcer les prĂȘts concessionnels pour Ă©radiquer la pauvretĂ©.
  • Augmenter les ressources globales du FMI.
  • Augmenter le pouvoir des votes de base pour donner plus de reprĂ©sentation aux nations les plus pauvres.
  • Donner au continent africain un troisiĂšme siĂšge au conseil d’administration.
  • CrĂ©er un cinquiĂšme poste de directeur gĂ©nĂ©ral adjoint, qui sera occupĂ© par un pays plus pauvre.

Si le Nord ignore ces réformes fondamentales et pertinentes, Batista affirme que

“les pays dĂ©veloppĂ©s seront alors Ă  eux seuls les maĂźtres d’une institution fantĂŽme”.

Il prĂ©dit que le Sud quittera le FMI et crĂ©era de nouvelles institutions sous l’Ă©gide de nouvelles plateformes telles que les BRICS.

En fait, de telles institutions sont dĂ©jĂ  en cours d’Ă©laboration, comme l’Accord de rĂ©serve de crĂ©dit (ARC) des BRICS, mis en place en 2014 aprĂšs la tentative infructueuse de rĂ©forme du FMI. Mais l’ARC « est toujours quasiment au point mort », Ă©crit Batista.

Jusqu’Ă  ce qu’il se dĂ©bloque, le FMI est la seule institution fournissant le type de financement nĂ©cessaire aux nations les plus pauvres. VoilĂ  pourquoi mĂȘme les gouvernements progressistes, comme celui du Sri Lanka, oĂč les paiements d’intĂ©rĂȘts reprĂ©senteront 41 % des dĂ©penses totales en 2025, sont obligĂ©s de s’adresser Ă  Washington.

Et, la main tendue, ils adresseront un sourire Ă  la Maison Blanche en se rendant au siĂšge du FMI.

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Robert Bibeau

Auteur et Ă©diteur

Une rĂ©flexion sur “👁‍🗹 La mainmise de Washington sur le FMI

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