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👁‍🗹 Pourquoi Washington craint-il le jeune leader rĂ©volutionnaire du Burkina Faso ?

👁‍🗹 Pourquoi Washington craint-il le jeune leader rĂ©volutionnaire du Burkina Faso ?

Par Alan MacLeod, le 7 mai 2025.  (5) 👁‍🗹 Pourquoi Washington craint-il le jeune leader rĂ©volutionnaire du Burkina Faso ?


Au Burkina Faso, Ibrahim Traoré est en train de reconstruire son pays et, ce faisant, de se faire des ennemis en Occident. Depuis son arrivée au pouvoir en 2022, le jeune chef militaire a expulsé les troupes françaises, chassé les entreprises occidentales et aligné son pays sur la Russie, Cuba et le Venezuela.

Promouvant l’unitĂ© panafricaine et l’autonomie nationale tout en survivant Ă  des tentatives de coup d’État, TraorĂ© se positionne comme un anti-impĂ©rialiste radical et s’attire les foudres de Washington et de Paris. MintPress News explore le projet en cours Ă  Ouagadougou et les forces mondiales qui tentent de l’arrĂȘter.

Traoré dans le collimateur

Selon les dĂ©clarations du gouvernement, TraorĂ© a survĂ©cu de justesse Ă  une tentative de coup d’État orchestrĂ©e par l’Ă©tranger le mois dernier. Le ministre de la SĂ©curitĂ©, Mahamadou Sana, a dĂ©claré que la junte militaire a dĂ©jouĂ© un “complot majeur” visant Ă  prendre d’assaut le palais prĂ©sidentiel le 16 avril. Les comploteurs, a-t-il dĂ©clarĂ©, Ă©taient basĂ©s en CĂŽte d’Ivoire, un pays voisin soutenu par Washington oĂč la prĂ©sence militaire amĂ©ricaine s’est rĂ©cemment renforcĂ©e. Depuis son arrivĂ©e au pouvoir Ă  la suite d’un coup d’État militaire en septembre 2022, TraorĂ© est vivement critiquĂ© par les gouvernements occidentaux, notamment les États-Unis.

Le 3 avril, le gĂ©nĂ©ral Michael Langley, commandant du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), s’est exprimĂ© devant le SĂ©nat, accusant le dirigeant burkinabĂ© de corruption et d’aider la Russie et la Chine Ă  Ă©tablir une prĂ©sence impĂ©rialiste en Afrique. L’AFRICOM, le commandement rĂ©gional du Pentagone pour l’Afrique, coordonne les opĂ©rations militaires amĂ©ricaines, la collecte de renseignements et les partenariats en matiĂšre de sĂ©curitĂ© sur tout le continent, souvent prĂ©sentĂ©es comme des opĂ©rations de lutte contre le terrorisme.

Le jour du coup d’État, l’ambassade des États-Unis a modifiĂ© ses consignes aux voyageurs pour le Burkina Faso, recommandant de “ne pas voyager”. Langley aurait rencontrĂ© le ministre ivoirien de la DĂ©fense, TĂ©nĂ© Birahima Ouattara, Ă  plusieurs reprises cette annĂ©e, avant comme aprĂšs le coup d’État.

Depuis son arrivĂ©e au pouvoir, TraorĂ© limite systĂ©matiquement l’influence des puissances occidentales dans son pays, invoquant la souverainetĂ© nationale. En janvier 2023, il a expulsĂ© l’ambassadeur français, qualifiant le pays d’“État impĂ©rialiste”.

Un mois plus tard, il a ordonnĂ© aux troupes françaises de quitter le Burkina Faso. Cela a contribuĂ© Ă  dĂ©clencher une vague de rĂ©actions similaires dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest anciennement membres de l’empire français. Aujourd’hui, le Mali, le Tchad, le SĂ©nĂ©gal, le Niger et la CĂŽte d’Ivoire ont expulsĂ© les forces françaises de leur territoire. Le prĂ©sident Emmanuel Macron a rĂ©agi en accusant le Burkina Faso et les autres pays d’“ingratitude”, ajoutant que ces nations ont “oubliĂ© de remercier” la France.

Ibrahim Traoré au Forum Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg, en 2023. © Aleksey Smagin | Sipa USA via AP

Le gouvernement de TraorĂ© a Ă©galement bloquĂ© ou expulsĂ© de nombreux mĂ©dias occidentaux soutenus par leurs gouvernements, les qualifiant d’agents du nĂ©ocolonialisme. Radio France International et France 24 ont Ă©tĂ© les premiers visĂ©s. Ils ont Ă©tĂ© suivis par Voice of America, la BBC britannique et la Deutsche Welle allemande en 2024. Ces mesures ont suscitĂ© de vives critiques de la part d’organisations occidentales. Human Rights Watch, par exemple, a accusé le gouvernement de “rĂ©pression” à l’Ă©gard des dissidents.

Bien que formellement indĂ©pendante depuis plus d’un demi-siĂšcle, la France conserve un contrĂŽle important sur ses anciennes colonies africaines. Quatorze pays utilisent le franc CFA, une monnaie internationale dont le taux est fixĂ© par rapport au franc français et dĂ©sormais Ă  l’euro. Les importations et les exportations vers la France (et dĂ©sormais vers l’Europe) sont donc trĂšs bon marchĂ©, mais celles vers le reste du monde sont prohibitives. La France conserve un droit de veto sur les politiques monĂ©taires du franc CFA, maintenant ainsi les États africains dans une dĂ©pendance Ă©conomique vis-Ă -vis de Paris.

TraorĂ© a dĂ©crit le franc CFA comme un mĂ©canisme qui “maintient l’Afrique en esclavage” et a annoncĂ© son intention de crĂ©er une nouvelle monnaie. Avec le Mali et le Niger, le Burkina Faso a quittĂ© le bloc rĂ©gional CEDEEAO soutenu par l’Occident et a créé l’Alliance des États du Sahel, une union panafricaine d’États qui se considĂšre comme la premiĂšre Ă©tape vers une Afrique unifiĂ©e et anti-impĂ©rialiste.

L’hĂ©ritage de Sankara

C’Ă©tait le rĂȘve du leader rĂ©volutionnaire burkinabĂ© Thomas Sankara. Comme TraorĂ©, Sankara Ă©tait un officier militaire qui a pris le pouvoir Ă  l’Ăąge de trente ans. En seulement quatre ans, il a introduit des rĂ©formes radicales pour stimuler la productivitĂ© du pays et rĂ©duire sa dĂ©pendance Ă  l’aide Ă©trangĂšre. Affirmant que “celui qui te nourrit te contrĂŽle”, il a encouragĂ© l’agriculture locale Ă  petite Ă©chelle afin de produire des aliments locaux plus nutritifs.

Alors que de nombreux dirigeants de la rĂ©gion dĂ©tournaient les fonds publics, la rĂ©volution socialiste de Sankara a permis de construire des logements sociaux et des centres de santĂ© et de lutter contre l’analphabĂ©tisme de masse. FĂ©ministe, il a interdit les mariages forcĂ©s et les mutilations gĂ©nitales fĂ©minines, et s’est attachĂ© Ă  nommer un grand nombre de femmes Ă  des postes Ă  responsabilitĂ©.

Sankara a Ă©tĂ© assassinĂ© en 1987. Ce n’est qu’aprĂšs l’arrivĂ©e au pouvoir de TraorĂ© que son assassin, l’ancien prĂ©sident Blaise CompaorĂ©, a Ă©tĂ© condamnĂ© par contumace. Compaoré vit en exil en CĂŽte d’Ivoire.

TraorĂ© se considĂšre comme un disciple de Sankara et de son mouvement. Les commentateurs occidentaux sont divisĂ©s sur la question de savoir s’il suit vĂ©ritablement les traces du leader lĂ©gendaire. Certains, comme Daniel Eizenga, du Centre d’Ă©tudes stratĂ©giques africaines (un think tank du Pentagone), affirment que les comparaisons s’arrĂȘtent au penchant du leader pour les treillis militaires et les bĂ©rets rouges. D’autres, comme le magazine The Economist, dĂ©plorent que TraorĂ© soit un vĂ©ritable leader, une Ă©volution de mauvais augure pour les grandes entreprises. Mais rares sont ceux qui nient son extrĂȘme popularitĂ©. Le prĂ©sident ghanĂ©en John Mahama, par exemple, a souligné que TraorĂ© Ă©tait prĂ©sent Ă  son investiture en janvier et qu’il a reçu beaucoup plus d’applaudissements que quiconque, y compris Mahama lui-mĂȘme.

Bon nombre des initiatives de TraorĂ© s’inspirent directement de l’Ăšre Sankara. Le nouveau gouvernement militaire a mis l’accent sur la souverainetĂ© alimentaire. Une nouvelle initiative d’un milliard de dollars a Ă©té lancĂ©e pour mĂ©caniser l’agriculture et augmenter la production de cultures de base telles que le riz, le maĂŻs et les pommes de terre.

TraorĂ© a Ă©galement pris des mesures pour nationaliser l’industrie miniĂšre du pays. L’Ă©conomie burkinabĂš repose sur l’or, ce mĂ©tal prĂ©cieux reprĂ©sentant plus de 80 % de ses exportations. Le pays est le 13e producteur mondial d’or, avec environ 100 tonnes par an, soit environ 6 milliards de dollars. Cependant, comme les entreprises Ă©trangĂšres possĂšdent et contrĂŽlent la production, le pays et sa population ne tirent que trĂšs peu de bĂ©nĂ©fices de cette industrie. En effet, le PIB annuel du Burkina Faso n’est que d’environ 18 milliards de dollars.

“Pourquoi l’Afrique, riche en ressources, reste-t-elle la rĂ©gion la plus pauvre du monde ? Les chefs d’État africains ne devraient pas se comporter comme des pions entre les mains des impĂ©rialistes”,

a dĂ©claré TraorĂ©. En aoĂ»t, son gouvernement a nationalisĂ© deux mines d’or clĂ©s appartenant Ă  des sociĂ©tĂ©s occidentales, en ne payant que 80 millions de dollars, soit une fraction des 300 millions de dollars pour lesquels elles auraient Ă©té vendues en 2023. En novembre, le gouvernement a annoncĂ© la construction de la premiĂšre raffinerie d’or du pays.

Une nation en guerre

Le Burkina Faso reste une nation en crise. Le pays, comme une grande partie de la rĂ©gion du Sahel, est engagĂ© dans une lutte acharnĂ©e contre des groupes islamistes bien armĂ©s qui ont pris le pouvoir et gagnĂ© en importance aprĂšs l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011. Depuis, la Libye est devenue un exportateur d’extrĂ©misme, dĂ©stabilisant la rĂ©gion. On estime que jusqu’Ă  40 % du pays est contrĂŽlĂ© par Al-QaĂŻda ou des forces affiliĂ©es Ă  l’État islamique. Plus de 1 000 personnes ont perdu la vie au Burkina Faso aux mains de ces groupes en 2024.

C’est pour cette raison que M. TraorĂ© a justifiĂ© le report des Ă©lections qu’il a promises lors de son arrivĂ©e au pouvoir, une dĂ©cision critiquĂ©e par beaucoup. “[Les Ă©lections] ne sont pas la prioritĂ©, la sĂ©curitĂ© l’est clairement”, a-t-il dĂ©clarĂ©. Reste Ă  savoir si le peuple burkinabĂ© acceptera cette dĂ©cision.

L’action la plus contestable de la guerre s’est peut-ĂȘtre produite en 2023 dans le village de Karma, oĂč environ 150 personnes ont Ă©tĂ© massacrĂ©es. Bien que le massacre ait Ă©tĂ© fermement condamné par le gouvernement, des groupes de dĂ©fense des droits humains tels qu’Amnesty International ont qualifié celui-ci de responsable des meurtres.

Tout en expulsant les forces françaises Ɠuvrant Ă  la lutte contre l’insurrection, TraorĂ© a accueilli des conseillers militaires russes. Il a d’ailleurs pris l’avion pour Moscou afin d’assister au dĂ©filĂ© de la Victoire le 9 mai. Ces initiatives ont suscitĂ© une vive inquiĂ©tude Ă  Washington et Ă  Bruxelles. Cependant, alors que l’armĂ©e amĂ©ricaine se concentre sur la Chine et la Russie et que la France est plus affaiblie que jamais en Afrique de l’Ouest, il est difficile de dire si une intervention militaire est envisageable. Une tentative de coup d’État ou un assassinat semblent plus probables.

L’avenir nous dira si TraorĂ© marquera le Burkina Faso d’une empreinte aussi indĂ©lĂ©bile que son hĂ©ros, Thomas Sankara. De nombreux dirigeants africains sont arrivĂ©s au pouvoir en promettant des changements radicaux, mais n’ont pas tenu leurs promesses. Pourtant, son message de panafricanisme, d’anti-impĂ©rialisme et d’autosuffisance trouvera certainement un Ă©cho. TraorĂ© a certainement les mots justes. Il faut maintenant qu’il passe Ă  l’action.

 

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Robert Bibeau

Auteur et éditeur

2 rĂ©flexions sur “👁‍🗹 Pourquoi Washington craint-il le jeune leader rĂ©volutionnaire du Burkina Faso ?

  • mouchet

    Mr Traore veut vraiment le changement son discours vĂ©ritable et exemplaire a bien dĂ©cris la situation africaine gangrĂ©nĂ©e par l’impĂ©rialisme. Le Burkina Faso a beaucoup d’or et des nĂ©gociants Libanais font le commerce de l’or en exportant dans un autre pays comme le Benin et le Togo. Bref tout cela tourne et la nationalisation des principales mines d’or est une bonne chose pour le peuple du Burkina Faso. La France et les USA veulent faire un coup d’Ă©tat et Mr Traore a demandĂ© l’aide de la Russie rien de plus normal. Mais la convoitise des mines d’or par l’occident sera difficile Ă  contrer sauf si une guerre Ă©clate entre l’occident et la Russie au Burkina puis Ă  long terme l’union africaine naĂźtra. Mr Traore a raison au dĂ©triment des intĂ©rĂȘts de la France et des USA voleurs patentĂ©s, mais il ne se laissera pas faire ayant Ă©chappĂ© Ă  un attentat financĂ© par l’occident et la Russie l’a trĂšs bien compris.

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