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Où en est l’économie mondiale ? (Michael Roberts)

Par  Michael Roberts (2021)

Cet article est disponible en format Word avec graphiques et tableaux:   Michael RobertsOù en est l’économie[8379]

Comment se déroule la reprise mondiale après la pandémie de COVID ?  Le consensus économique est que les principales économies se redressent rapidement, grâce à la hausse des dépenses de consommation et des investissements des entreprises.

Le problème à venir n’est pas le retour à une croissance économique soutenue, mais le risque d’une inflation plus forte ou plus durable des prix des biens et des services, qui pourrait contraindre les banques centrales et autres prêteurs à relever les taux d’intérêt.  Et cela pourrait conduire à des faillites d’entreprises très endettées, puis à un nouveau krach financier.

Si ce risque est clairement présent au cours des deux prochaines années, y aura-t-il vraiment une reprise soutenue de la croissance économique au cours des cinq prochaines années ? Rappelons les prévisions officielles.  Le FMI estime qu’en 2024, le PIB mondial sera encore inférieur de 2,8 % à ce qu’il aurait été avant la crise de la pandémie.  Et la perte relative de revenus est beaucoup plus importante dans les économies dites émergentes – à l’exclusion de la Chine, la perte est proche de 8 % du PIB en Asie et de 4 à 6 % dans le reste du Sud.  En effet, les prévisions de croissance annuelle moyenne du PIB réel dans la quasi-totalité des grandes économies prévoient une croissance plus faible au cours de cette décennie par rapport à celle des années 2010 – que j’ai appelé la longue dépression.

Tableau  (Moyenne annuelle des taux de croissance réels du PIB)

Rien ne semble justifier l’affirmation de certains optimistes traditionnels selon laquelle le monde capitaliste avancé est sur le point de connaître une explosion dans les années 2020, comme les États-Unis l’ont brièvement fait dans les années 1920 après l’épidémie de grippe espagnole.

La grande différence entre les années 1920 et 2020 est que l’effondrement de 1920-21 aux États-Unis et en Europe a éliminé le « bois mort » des entreprises inefficaces et non rentables, de sorte que les survivants forts ont pu bénéficier d’une plus grande part de marché.  Ainsi, après 1921, les États-Unis ont non seulement récupéré mais sont entrés dans une (brève) décennie de croissance et de prospérité. Au cours des « années folles », le PIB réel américain a augmenté de 42 % et de 2,7 % par an et par habitant.  Rien de tel n’est prévu aujourd’hui.

Et la raison est claire à partir de la théorie économique marxiste.  Un long boom n’est possible que s’il y a eu une destruction significative de la valeur du capital, soit physiquement, soit par dévaluation, soit les deux.  Joseph Schumpeter, l’économiste autrichien des années 1920, s’inspirant de Marx, a appelé cela « destruction créatrice ».

En débarrassant le processus d’accumulation des technologies obsolètes et du capital défaillant et non rentable, l’innovation des nouvelles entreprises pouvait prospérer.  Pour Schumpeter, ce processus consistait à briser les monopoles stagnants et à les remplacer par de petites entreprises innovantes.  À l’inverse, Marx voyait la destruction créatrice comme la création d’un taux de rentabilité plus élevé après que les petites et faibles entreprises aient été dévorées par les grandes et fortes.

Il est vrai qu’après avoir plongé de 35 % l’année dernière, les bénéfices des entreprises mondiales ont connu un redressement spectaculaire cette année et sont en passe de terminer l’année (2021) au moins 5 % au-dessus de leur tendance pré-pandémique. Mais si ces chiffres sont exacts, ils contrastent avec le PIB réel mondial, qui devrait rester inférieur de 1,8 % à sa tendance pré-pandémique.

Tableaux (Profits globaux des monopoles ou grandes entreprises basés sur des rapports d’Octobre 2021)

Cette hausse des bénéfices a stimulé une certaine reprise de l’investissement productif (Capex), ce qui pourrait conduire à une hausse de 5 à 10 % en 2021.  Mais les économistes de JP Morgan pensent que cela pourrait être de courte durée, car leur outil de prévision suggère une baisse des investissements « malgré la forte croissance des bénéfices ».

(Profits globaux des monopoles et Investissement productif ou Capex)

La différence marquée entre la croissance des bénéfices et celle des investissements productifs est un indicateur clé du fait que les années 2020 ne ressembleront pas aux années 1920 pour les États-Unis ou ailleurs.

Il y a deux raisons principales à cela : premièrement, une rentabilité toujours faible (on entend par là les bénéfices par rapport à l’investissement total dans les moyens de production et la main-d’œuvre) ; et deuxièmement, une dette élevée et croissante des entreprises et autres.

Pour éviter un effondrement comme celui de 1920-21 ou 1929-32, les gouvernements et les banques centrales ont réduit les taux d’intérêt à zéro lors de la grande récession de 2008-9 et, pendant l’effondrement du COVID, ils ont ajouté à cette politique d’argent facile d’énormes programmes de relance budgétaire.  Le résultat est qu’il n’y a pas eu d’élimination du « bois mort » des entreprises.  En effet, les entreprises dites « zombies » (dont les bénéfices ne suffisent pas à couvrir les coûts d’emprunt) sont toujours là et en nombre croissant.

(En rouge : Fraction des entreprises qui sont « zombies ». En noir : Probabilité de rester une entreprise « zombie » d’une année à l’autre)

La montée des zombies (données BIS)

J’ai déjà évoqué la montée des zombies à de nombreuses reprises sur ce blog.  Mais de nouvelles preuves viennent étayer la cause de ces entreprises zombies.  Deux économistes marxistes argentins, Juan Martin Grana et Nicolas Aguina, ont récemment présenté un excellent article sur les entreprises zombies, intitulé « A Marxist and Minskyan perspective on zombie firms » (Une perspective marxiste et Minskyan sur les entreprises zombies ). Voir cet enregistrement YouTube de 22.36 à 42.30. https://www.youtube.com/watch?v=4GWUkbGaD-U.

Grana et Aquina montrent empiriquement que 1) ces entreprises zombies ont augmenté en nombre depuis les années 1980 et 2) la cause n’est pas la hausse des coûts ou l’importance de leur dette mais simplement le fait que ces entreprises ont des taux de profit de la production beaucoup plus faibles, ce qui les oblige à emprunter davantage.  Les zombies ont donc une cause marxiste et non pas Minskéenne.

En effet, en raison de la faible rentabilité du capital productif dans la plupart des grandes économies au cours des deux premières décennies du XXIe siècle, les bénéfices du capital productif ont été de plus en plus détournés vers l’investissement dans l’immobilier et les actifs financiers, où les « plus-values » (bénéfices tirés de la hausse des prix des actions et de l’immobilier) ont généré des profits beaucoup plus élevésAu cours des deux dernières décennies, l’augmentation de la valeur des actifs a principalement résulté de la hausse des prix, plutôt que de l’épargne et des investissements accumulés.

McKinsey estime qu’un peu moins de 30 % de la croissance de la valeur nette en termes absolus était due à de nouveaux investissements, tandis que les trois quarts environ étaient dus à la hausse des prix.  Il s’agit de faire de l’argent avec de l’argent et non avec l’exploitation de la force de travail.  Ces gains se font donc aux dépens de ceux qui vendent à perte et/ou sont potentiellement « fictifs », car ils ne se réaliseront pas si le secteur productif s’effondre.

Selon un nouveau rapport du McKinsey Global Institute, deux tiers de la valeur nette mondiale (c’est-à-dire la valeur marchande des actifs moins les dettes) sont stockés dans l’immobilier et seulement 20 % environ dans d’autres actifs fixes.  La valeur des actifs (immobiliers et financiers) est désormais supérieure de près de 50 % à la moyenne à long terme par rapport au revenu annuel mondial.  Et pour chaque dollar de nouvel investissement net, l’économie mondiale a créé près de deux dollars de nouvelle dette. Les actifs et passifs financiers détenus en dehors du secteur financier ont augmenté beaucoup plus rapidement que le PIB, et en moyenne 3,7 fois les investissements nets cumulés entre 2000 et 2020. Si le coût de la dette a fortement diminué par rapport au PIB, grâce à la baisse des taux d’intérêt, le rapport élevé entre les prêts et la valeur produite « soulève des questions sur l’exposition financière et sur la manière dont le secteur financier alloue les capitaux à l’investissement ».

(Composition et croissance de la valeur nette. Plus loin : Investissement nets versus obligations)

 

 La hausse des prix des actifs a représenté environ trois quarts (75%)  de la croissance de la valeur nette entre 2000 et 2020, tandis que les nouveaux investissements n’ont représenté que 28 %.  La valeur des actifs et des capitaux propres des entreprises s’est écartée du PIB et des bénéfices des entreprises au cours de la dernière décennie.

Depuis 2011, le total des actifs réels des entreprises a augmenté, en moyenne pondérée, de 61 points de pourcentage par rapport au PIB dans les dix pays.  Mais les bénéfices des entreprises qui sous-tendent ces valeurs ont diminué d’un point de pourcentage par rapport au PIB au niveau mondial.

(les gains de valorisation ont approché les rendements d’exploitation)

 

McKinsey craint que cette hausse de la spéculation sur les actifs non productifs, financée par un endettement accru, ne prenne une mauvaise tournure.  « Nous estimons que la valeur nette par rapport au PIB pourrait diminuer d’un tiers si la relation entre la richesse et le revenu revenait à sa moyenne au cours des trois décennies précédant 2000. En évaluant des scénarios incluant cette réversion de la valeur nette par rapport au PIB, une réversion des prix des terrains et des rendements locatifs aux niveaux de 2000, et un scénario dans lequel les prix de la construction ont évolué en fonction du PIB depuis 2000, nous constatons que la valeur nette par rapport au PIB par pays diminuerait de 15 à 50 % dans les dix pays cibles. »

 

En d’autres termes, un effondrement financier et immobilier.

Certains économistes classiques affirment que l’écart entre la rentabilité et l’investissement est trompeur car les entreprises investissent de plus en plus dans ce que l’on appelle les « biens incorporels ».  Les biens incorporels sont diversement définis comme des investissements dans les droits de propriété intellectuelle pour les logiciels, la publicité et l’image de marque, la recherche marketing, le capital organisationnel et la formation. Ces investissements ne coûtent pas aussi cher que les investissements dans les usines, les bureaux, les installations, les machines, etc. (actifs tangibles) et pourtant, ils génèrent beaucoup plus de bénéfices et de productivité.  C’est du moins l’argument que l’on avance.

Au cours des 25 dernières années, McKinsey a constaté que la part des actifs incorporels dans la croissance totale des investissements des entreprises était de 29 %, contre seulement 13 % pour les actifs tangibles. L’OCDE a indiqué en 2015 que les actifs incorporels avaient un rendement attendu de 24 %, soit le taux le plus élevé parmi les catégories d’actifs produits.

Mais c’est là que le bât blesse.  Bien que le commerce numérique et les flux d’informations aient connu une croissance exponentielle au cours des 20 dernières années, les actifs incorporels ne représentent toujours que 4 % de la valeur nette.  Ils ne sont pas déterminants dans l’augmentation des investissements des entreprises des grandes économies.  Les actifs fixes et les stocks sont six fois plus importants.

(L’immobilier compte pour deux tiers des actifs réels)

 

L’important reste l’investissement dans les actifs productifs tangibles.  Comme le dit McKinsey : « Notre analyse confirme que les excédents bruts d’exploitation, c’est-à-dire la valeur générée par les activités d’exploitation d’une entreprise après déduction des salaires, augmentent en même temps que la masse des actifs produits, c’est-à-dire les actifs résultant de la production, y compris les machines et équipements et les infrastructures ainsi que les stocks et les objets de valeur ». Plus la valeur des actifs produits est élevée, plus chaque travailleur d’une économie contribue au PIB, c’est-à-dire que la productivité du travail est plus élevée.

 (En haut : Retours de capital per capita. En bas : Actifs produits per capita)

Mais la rentabilité des actifs productifs tangibles est en baisse.  Ainsi, comme le dit McKinsey : « Si une entreprise investit, par exemple, un million de dollars dans de nouvelles machines, la valeur de l’exploitation de ces machines pour produire un gadget, sera-t-elle supérieure à la valeur du terrain situé sous l’usine où se trouvent les machines ? Si un particulier investit dans une propriété locative, les améliorations apportées à la propriété pour augmenter le loyer seront-elles rentables par rapport à la simple attente de l’appréciation du prix du marché ? »

Pour cette seule raison, il est peu probable que les années 2020 soient florissantes.

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

3 réflexions sur “Où en est l’économie mondiale ? (Michael Roberts)

  • Normand Bibeau

    Appeler «zombie» une entreprise vampirisée à mort par le banquier usurié qui en symphone la «substantielle moelle capitaliste », son sang vital: son profit par des «intérêts» assassins sur «prêts» mortifères prédateurs est pour le moins réducteur et conduis à l’économie capitaliste mondiale actuelle où les capitalisations boursières les plus valorisées sont celles des prêts, de la finance, des services, des loisirs: cinéma, sports, stupéfiants et tutti quanti de «pains et de jeux», la queue secoue le chien, le «parasite financier» d’empare de la bête et le condamne à se nourrir de «biens intemporelles» jusqu’à ce que mort s’ensuive: le capital n’a pas de patrie,ni de maître, autre que celui qui l’engraisse car l’appétit vient en mangeant.

    Ce ne sont pas les entreprises qui sont «zombies» mais les millions de travailleurs des entreprises manufacturières qui produisent des miens «matérielles»: du pain, de la viande, du lait, des automobiles,des poêles, des frigidaires, en somme, des marchandises consommables qui deviennent «zombies» sous les ponts jusqu’à leur élimination physique par la drogue, la maladie et les survivants par la guerre, voilà où aboutit le vampirisme financier.

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  • Normand Bibeau

    John Maynard Keynes, l’économiste «en chef» de la bourgeoisie, écrivait au sujet du Produit Intérieur Brut (PIB) :«[S]i vous payez des gens pour creuser un trou, et d’autres pour le reboucher, vous créez du PIB».

    LE PIB dit «RÉEL» se définit comme:«la somme totale des prix au marché, évalués en numéraires (dollars,euros,roubles, yuan,etc.), de TOUS les biens et services, investissements, dépenses publiques et privées, et les exportations, produits par une économie donnée, au cours d’une période donnée corrigée de l’inflation ou de la déflation.«Agrégat clé de la comptabilité nationale, il représente le résultat final de l’activité de production des unités productrices résidentes» (Insee,28/01/2021).

    Dans sa version dite: à prix constants ou en dollars constants ou corrigée de l’inflation et de la déflation, il consiste à comparer le PIB «réel» d’une année donnée à celui d’une année de référence, généralement l’année précédente.

    Pour ceux que l’exemple tartuféen de Keynes ne convainquent pas du caractère «mystificateur» du PIB, apprenez qu’au Royaume-Uni, depuis 2018, les revenus «estimés arbitrairement du trafic de la drogue et de la prostitution, sans les dépenses, sont intégrés au PIB «RÉEL» du Royaume-Uni conformément à l’harmonisation de la façon de mesurer la «richesse» au sein de l’Union européenne qui l’intègre également à son propre PIB «RÉEL».

    Que peut valoir un PIB «RÉEL» gonflé artificiellement et arbitrairement de «richesses» produites par des activités économiques incontrôlées et incontrôlables, évaluées d’une manière totalement arbitraire et qui pire que tout, parasitent littéralement l’économie et détruisent sa force de travail?

    La façon de calculer le PIB «réel» n’est en réalité qu’une supercherie bourgeoise conçue pour duper les idiots-utiles et leur jeter de la poudre de perlimpinpin dans les yeux pour faire croire à un «succès» là où il n’y a que désolation, pauvreté et récession.

    Ce PIB est aussi une supercherie conçue pour mystifier les idiots-utiles sur la «valeur d’usage» et la «valeur d’échange» d’un bien en conférant préséance à la «valeur d’échange».Ainsi, dans le PIB, la production de biens nuisibles comme les drogues et stupéfiants illégaux, les armes et les biens de luxe réservés à la bourgeoisie sont évalués au même titre que les biens indispensables à la vie comme la production d’aliments, d’eau, de médicaments, etc., faisant des économies parasitaires comme celle des U$A dont les principales productions destinées à l’exportation sont des armes et des dollars.

    Les économistes dits «progressistes», pour répudier le PIB «réel» bidon, ont promu le Produit Intérieur Brut «à parité de pouvoir d’achat» ( PIB PPA) c’est-à-dire qui comptabilise le PIB par habitant en évaluant le pouvoir d’achat des habitants en fonction d’une «monnaie artificielle» (Standard de Pouvoir d’Achat: SPA) qui prend en compte les écarts entre les niveaux de prix nationaux et fait s’équivaloir les prix exprimés en numéraires nationaux différents en un numéraire standard universel applicable à chaque économie.

    Ainsi, ce PIB PPA est sensé mesurer la «richesse» en biens et services, d’un habitant qui consomme dans son économie avec son numéraire recevrait de marchandises s’il consommait dans une autre économie avec l’équivalent de numéraire de cette économie, en résumé, combien y aura-t-il d’items à consommer dans son panier d’épicerie et de services, s’il magasinait ailleurs dans le monde.
    À SUIVRE.

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