SANS MAJUSCULE (Thierry Noiret)
YSENGRIMUS — Nous présentons le recueil de poésie sans majuscule, de Thierry Noiret. Comme l’auteur s’en explique lui-même, dans un court avant-propos de trois pages qui fonctionne un peu comme une sorte d’auto-recension de son ouvrage, il y a dans la poésie de Thierry Noiret une recherche de dépouillement et une aspiration à la liberté par la fraîcheur textuelle écrivante. Le poète installe une tranquille corrosion des conformités graphiques. Pour ce faire, il procède en méthode. Dépouillée, son écriture reste articulée et construite, sans pour autant négliger la dimension automatiste susceptible de se manifester, dans ce type d’option textuelle. Si les majuscules sont sciemment abandonnées, en un geste rituel aussi assumé que peu banal, c’est notamment pour tendre à éviter d’établir des distinctions normantes qui découleraient de conventions orthographiques héritées plutôt que de priorités plus intimes et plus concrètes, émanant du texte même. Option dépouillement. On aspire à déployer l’expression dans la direction d’une écriture libre et qui n’hésite pas à cultiver un certain compagnonnage avec la brièveté, l’élisions, la paralipse, l’ellipse, voire presque une manière de mutisme. C’est effectivement dans une dimension de silence et de rapport au silence qu’il faut problématiser la lecture que l’on fait de la poésie de Thierry Noiret. Déjà, il nous recommande ouvertement de procéder à une lecture recto tono de son opus. Ceci aurait comme caractéristique de nous libérer de tous les effets de manches, parfois hautement perfectionnés, qui sont souvent profondément imbriqués à l’intérieur des jeux d’accentuation et de tonalité que l’on surajoute quand on récite du texte, surtout du texte rythmé, versifié ou se déployant en une expression culturellement codée (chansons, récitatifs, stances). Un rapport semi-secret à l’amuïssement, au silence, s’établit, s’installe, se corrobore, se cultive. Et ce silence va d’ailleurs chercher une profonde dimension thématique, notamment lorsque le poète nous amène à nous aviser du fait que la teneur fondamentale du mutisme est en réalité intimement cosmologique.
nous sommes plusieurs
je suis plusieurs
mais le silence nous entoure
inouï
il ne fallut pas moins de
deux heures
et des millions d’années
pour que l’humanité
fût unanime
que les âmes dansent de concert
que le chœur des nations
voie dans les étoiles
le fleuve de notre destinée
et apprenne à parler
mais le silence nous entoure
intempestif silence
de notre existence
il est si douloureux
d’oublier notre avenir
de rebrousser chemin
en taciturne
les comètes
quand elles entrent dans la danse
pourquoi ne pas
leur emboîter le pas
unanimes l’azur bouleversé
et le souffle nasal
unanimes le soleil sous nos yeux
et la lune
inouï le bruit de la bouche
quand elle arrache les mots
de l’âme endormie
mais le silence nous entoure
unanimes restons-nous
quand nous prend
le sommeil
demain il y aura bien
de quoi jaser
pourquoi le silence nous entoure
oserions-nous négliger
d’être trop humains
(texte XXVIII — disposition modifiée)
Les trente-quatre textes de Thierry Noiret travaillent ainsi fréquemment au niveau de thématisations fusionnelles. Cela consiste à installer ensemble l’articulation de grands pavois thématiques dont on comprend implicitement qu’ils seraient, d’autre part, susceptibles d’être posés de façon binarisée. Et, en réalité, ici, le flux poétique thématise l’articulation des choses de façon collective et, osons le mot spinozien, en une vision fondamentalement moniste. C’est ainsi, par exemple, que peut être mobilisée une corrélation profonde et intime entre Nature et Histoire. Et alors, le fait d’être une plante, le fait d’être un être biologique, un organisme vivant, le fait d’être un oiseau et le fait d’avoir des voisins et d’exister à l’intérieur de tours à condos… toutes ces facettes de l’être coexistent en une configuration motrice qui fait bien sentir que le flux naturel et le flux historique s’auto-critiquent et se transgressent l’un l’autre, en se faisant face, moins dans du pendulaire que dans du complémentaire. Tout se joue comme en la rencontre de deux substances chimiques, genre acide/base ou catalyseur/poison, qui, lorsqu’elles entrent en contact, suscitent un type profond d’émulsion ayant, entre autres, comme impact d’altérer le monde. Les couleurs, les ampleurs, les amplitudes, les croissances, rien ne sort inaltéré du choc thématique ès poéticité.
verdoyer
n’est-ce pas ce qui nous attend tous
nous sommes des arbres mal plantés
qui folâtrent la nuit
j’en ai les pattes molles
la peau flasque
d’avoir trop trempé dans la soupe primitive
des amabilités
il y a des végétaux qui rampent
des ronciers des nénuphars
des chiens perdus
des tours à condos
des banlieues en forme de forteresse
il y a bien de la vie
où est la paix
vernaculaire est bien l’affirmation
qui me vient en tête
j’essaie d’épeler
pas de quoi pavoiser
le vers a-t-il l’air pour s’ébattre
si tu es poète tu connais le chant des oiseaux
me dit-on
liberté prend deux ailes me souffle mon voisin
bardé de diplômes
mes images pourtant restent au sol
enchantées
moi aussi me répond le chêne feuillu
babiller n’est-ce pas ce qui nous rassemble
nous sommes des feuillus trop loquaces
qui écrivent la nuit
enfermés dans nos boudoirs
il reste ça à vivre
quand viendra la paix
(texte IV — disposition modifiée)
La dynamique globale de l’exercice procède d’un sens dialectique aussi heureux que solidement dominé. Ainsi, chez Thierry Noiret, le rapport constitutif aux grands thèmes, Cosmologie, Nature, Histoire ne se privent en rien d’une capacité, fine et sagace, à cultiver aussi une présence de la motricité poétique dans la miniature, notamment dans la miniature de l’existence sociologique et ethnographique… du poète même, de son installation humaine, de son logis principiel comme être vivant et même de son lot d’allées et venues villageoises. C’est ainsi que l’on se retrouve, à un moment donné, à découvrir des textes qui sont des quasi-descriptions ou des proto-narrations, dans les replis desquelles maintes petites choses de la vie ordinaire et vernaculaire se déploient, tourmentées ou tranquilles. Ces évocations, fugitives et senties, viennent nous chercher, en nous susurrant que, oui, le flux poétique est tout à fait apte à coexister avec quelque chose comme le langage de la vie ordinaire.
il en pleut des scories
notre âme en est pleine
l’enfance est un paysage
mais l’église
ne trône pas au centre
du village
elle le met là au monde
tout en bas
la côte est raide de notre
mémoire clairsemée
tel le grand champ
illuminé de chaumières
qui s’étire vers la forêt
à mi-chemin l’école dispense
le savoir
elles sortent jupes grises
bas blancs
à midi du pensionnat
j’évite de trop y penser
depuis la fenêtre
où j’ai oublié de m’assoupir
la vie tapie au creux
de ma mémoire
est une ascension sensible
vers la lumière
mon enfance je l’ai
ainsi ramassée
au détour d’un chemin
dont j’avais jeté la clé
les maisons deviennent
vraiment miennes
quand je les abandonne
en face la taverne
on y embrase de larges pans
de viande sur bois
la bière y coule depuis les
coteaux flamands
je ne peux m’y attarder
jeunes filles serez-vous
enfin miennes
quand je vous aurai
de même oubliées
pense-t-il sournoisement
plus haut l’hôpital où s’échouent
les mutilés
comme baleines égarées
là est le long champ
qui ravive ma jeunesse
au sommet la bibliothèque
à l’orée du bois
j’y égraine les confetti
enluminés
de mes ronflants souvenirs
dit-il ironiquement
plus loin règne l’oubli
drève des demoiselles
filles perdues
les louveteaux y hurlent
dit-on
mais les chasseurs plongés
dans leur lecture en oublient
de patrouiller
j’en aurai des saynètes à
mettre sur papier
quand j’aurai ce soir encore
gravi la colline
résisté à me noyer
dans les volumes bien rangés
de ma vie déjà
cataloguée
(texte XXIII — disposition modifiée)
La tapisserie textuelle que déploie subtilement Thierry Noiret accompagne axiomatiquement son invitation initiale à la lecture verbalisée. Lire mon recueil à voix haute et monotone augmentera donc encore le ressenti afin qu’on se laisse emporter par les images, le rythme, les évocations et les contradictions (extrait de l’avant-propos). On se lance donc, de façon toute fluide, dans une petite aventure de lecture libre. Et on en vient à se réapproprier cette vieille notion de notre enfance qu’était le texte libre. Et c’est ainsi qu’en lisant Thierry Noiret à haute voix, et en laissant cette poésie couler en nous, on découvre une sorte de ré-harmonisation du vers libre et un travail, à la fois fort et intime, au niveau de la fluctuation des sujets et de l’aiguillonnement par les thèses implicitement ou explicitement défendues. Et, au terme de la promenade, le tout de la chose livre un résultat à la fois intellectuellement satisfaisant et très original. Voici donc une lecture qui aura certainement l’heur de plaire et de représenter un atout chantant et dansant, dans les parages de la poéticité active contemporaine. De fait, dans nos soirées de poésie des dernières années et décennies, on a beaucoup entendu cliqueter le lot de ces poésies rythmées à la mode. Bon, il s’installe calmement quelque chose de cela, dans le travail de Thierry Noiret. Mais, en même temps, ce n’est pas forcé, ce n’est pas exécuté, ça ne se déploie pas sous forme de gestus mis dans le son, comme le serait je ne sais quelle performance préconfigurée. Se verbalise ici le flux textuel, le jeu des rythmes, et l’organisation chantante des thématiques. Le tout se fait, avec énormément de naturel et une sorte de paix des sons et des sens. Le jeu se joue, notamment grâce à une plume incisive autant que de par un ensemble de corrélations d’écriture et d’intertextualité bien installées et bien tempérées. Le tout respire ce rapport à l’expérience qui ne ment pas, le long du chemin. Au fil de la lecture, on sent s’amplifier le sentiment d’avoir été confronté à un texte à la fois très pur, très simple, net, frais, écru… mais aussi profondément mûri.
Thierry Noiret, sans majuscule, Montréal, ÉLP éditeur, 2024, formats ePub, Mobi, papier.
.
C’est un choc, une conscience qui se réveille de son confort. Il m’apparaît , en le lisant, que je n’ai pas
« résisté à me noyer
dans les volumes bien rangés
de ma vie déjà
cataloguée ».
Genre chemin de Damas. Je repars explorer le monde avec mes mots alors que je songeais même à les mettre au rancart. Merci Thierry pour cette claque en pleine face. Et grâce te soit rendue Ysengrimus qui pose sans cesse la question’ « oserions-nous négliger
d’être trop humains » J’ose quand même un point d’interrogation?
«pourquoi le silence nous entoure»
C’est à cause de notre INDIFFÉRENCE..de l’étonnante faculté humaine à nous débarrasser au plus vite des sentiments qui nous bouleversent trop..et qui finissent comme poussière dans le vent.
Loin des yeux? loin du coeur.
Qu’est-ce que la conscience?? est-ce que tous en disposent vraiment d’une??
Les médias au service du gouvernement de l’Ombre savent comment exploiter les êtres soit disant ¨humains¨ qui sont devenus LÉGIONS de nos jours et de leur substituer une nouvelle conscience modelée sur mesure à leur agenda secret. Le GOUROU de l’IA Elon Musk, nomme ces expériences «L’HOMME AUGMENTÉ»… Il y a possiblement là une dangereuse dérive vers la transformation et la disparition du peu de conscience humaine existante sur la planète. Nous devrons bientôt nous battre pour conserver notre ESSENCE.