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CE QUE NOUS RACONTENT LES TREMBLES (Thierry Noiret)

T’as des fourmis dins jambes
T’as pogné ça à Pointe-aux-Trembles.
(Lucien Francoeur, Vieux Os, 1978)

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YSENGRIMUS — Nous présentons le recueil de récits courts Ce que nous racontent les trembles, de Thierry Noiret. Sans malice et sans façon, on va se retrouver ici dans une culture prosaïque et explicite de l’outre-ville. C’est-à-dire que les choses dites se déploient toujours bel et bien dans le ventre de la ville de Montréal, selon l’aphorisme bien connu une ile, une ville. Cependant, en réalité, nous nous retrouvons investis dans un espace très particulier de la culture montréalaise. soit Pointe-aux-Trembles. Et la susdite pointe aux ci-devant trembles, c’est, de fait, la proue orientale de l’île de Montréal. Un petit monde coloré et spécifique y poudroie. Il s’agit d’un ancien village datant du dix-septième siècle, fondé naguère par un certain Pierre Payet dit Saint-Amour, rien de moins qu’un des ancêtres de la conjointe de Thierry Noiret. Ce lointain hameau est devenu aujourd’hui ce qu’on appelle, dans le jargon nord-américain, une ville de banlieue. Il ne faut surtout pas confondre ce phénomène para-urbain, sociologiquement hautement particulier, avec les banlieues à la française. Il s’agit ici plutôt des suburbs (on parlait anciennement de banlieues-dortoirs), ce phénomène très caractéristique du continent nord-américain. Pointe-aux-Trembles est donc aujourd’hui officiellement un quartier de Montréal, mais, en réalité, le pays des pointeliers est, en soi, une manière de micro-univers, produisant une culture originale et une démarcation ethnoculturelle suffisante pour que des sensibilités artistiques et littéraires s’y intéressent en soi et s’en inspirent. Dont acte.

Pointe-aux-Trembles, où je me lève matin après matin, redevient à chaque jour une promesse, un espoir, un futur décor pour y peupler mes habitudes et m’y promener en toute quiétude.  L’inquiétude, les remords et les soupirs n’habitent pas ici. 

 Il y a tout au contraire ce trop-plein d’émotions, de découvertes, de rencontres possibles. Il me faut chercher les recoins secrets, les ruelles où jouent les enfants, leurs cachettes, les lieux de rendez-vous des amoureux illégitimes, les petites encoignures magiques, les forces telluriques et, pourquoi pas, les sources encore à forer, les caches où se terrent les divinités locales ou les humbles chaumières d’où, le matin, s’extirpent les humains.

(fragment de l’avant-propos)

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L’acte d’écriture est ici d’autant plus idiosyncrasique, tonique et pétillant que l’auteur de l’ouvrage, Thierry Noiret, est lui-même originaire d’Europe. Québécois de branche, il est un peu belge, un peu français un peu tout ça. Il a passablement navigué. Francophonie européenne de bonne futaie et de fière obédience. Et cet auteur fait référence régulièrement, au fil de cette petite série de courts récits, au dialogue intérieur entre sa culture d’origine et sa culture d’adoption. On a donc affaire à un pointelier à la fois mûr et vert, adoncques un témoin vif et acéré de toutes les saillies d’un lieu qui est encore frais et neuf, pour lui. On découvre la voix d’un néo-pointelier, comme on dit dans le ton du jargon contemporain. Car notre scripteur est solidement enraciné et il déploie l’attitude sereine au beau risque de laquelle il est de bon ton de vivre là où nos chaussures nous ont amené. Candide et expérimenté à la fois, l’auteur fiche son écriture dans la terre grasse et odoriférante de son nouveau terroir. Thierry Noiret nous raconte donc les différents faits saillants de cette petite vie du bout de l’île. On découvre ses activités de jardinage, sa botanique locale et sa zoologie continentale, ses petite mythologirations au ras des mottes. Et, tout doucement, on intériorise les différentes particularités de cet univers, notamment dans sa facette sociale et physique. Et de s’y déplacer en méthode, d’y circuler en boucle. On découvre alors qu’ici le transport en commun de surface est aussi lancinant qu’omniprésent. Plus précisément, la question, toujours particulière et imparable, des déplacements par autobus urbains connait, en ce lot de menues vastitudes, une suite de variation rhapsodiques peu communes. Et, une petite vie se vit, en mouvement et sans artifice.

Et pourtant, dans cette disposition de concrétudes très précises de récits ordinaires par le petit bout de la lorgnette, va graduellement s’installer, comme si de rien, l’imaginaire, le fantastique, l’oniroïde, le déliré, le surréel, l’élucubrant, l’abracadabrantesque. Et ainsi, graduellement toujours, on entre dans un autre plan de la fiction. On s’y installe en douce. On s’y établit calmement. Alors? Alors, la terre cherche à bouger, des animaux disparaissent subitement, des personnages étranges se mettent à développer leur propre suave statut de pointeliers et à l’assumer. C’est bien qu’à un certain moment, dans le mouvement d’écriture, il appert qu’on oscille à mi-chemin entre des nouvelle hyper-réalistes, des micro-récits du quotidien et/ou des conte, des allégories. La transition ténue entre ces deux approches textuelles se fait tout naturellement, par glissements, sans heurts. Il faut bien pourtant admettre que l’exercice n’est, en fait, pas si simple ou innocent que ça. Une référence élaborée à José Saramago, premier prix Nobel de littérature de langue portugaise, est certainement une manière de contribution significative à la mise en place des arcanes de l’ambiance. N’en disons pas plus. Ce serait déjà en dire trop. Fait troublant et intéressant, l’ouvrage se termine sur une sorte de rapsodie-collage entre les lambeaux d’un ancien entretien ayant eu lieu précédemment et des développements contemporains, en repousses. Et cela nous donne à lire et à découvrir, encore une fois, une des particularités de l’écriture de Thierry Noiret. Cet auteur, qui est aussi un penseur de l’écriture, est toujours un petit peu en train de produire son propre métadiscours, de parler de son coup de plume, de se décrire scripteur et de se regarder écrire. En mode… voici ce qu’il en est du moi écrivain. Cela se joue un petit peu comme dans Les mots de Sartre. On retrouve quelque chose de cette attitude ici. Et c’est une manière de constante. Elle s’était déjà manifestée, notamment, en prologue de ses deux recueils de poésie, parus ou à paraitre, chez ÉLP.

Le style de Thierry Noiret est sobre, simple, dépouillé, direct, agréable et vif. Pour utiliser un mot qu’affectionne le critique et blogueur littéraire Denis Morin, je parlerai d’une écriture sympathique. Le texte est engageant, naturel. On peut aller jusqu’à suggérer qu’il fascine au ralenti, pour arriver à dire que l’on fleurit doucement, imperceptiblement, dans le dispositif qui se configure, au sein de cet exercice. On prend place, tout simplement, dans cet univers, en compagnie de monsieur Noiret, de sa conjointe, de son voisin et des différents personnages réels et imaginaires qui se mettent à peupler son petit monde, tout en parcs, rives, rues et avenues numérotées. Et on y est un peu comme en famille. C’est une situation qui nous amène à nous dire que voilà quelque chose que je pourrais presque lire dans le journal du matin ou sur les médias sociaux. Il y a une force diffuse de l’écriture ordinaire qui se déploie ici, dans le feutré. Et cela se manifeste avec beaucoup de bonheur. On apprécie un efficace et un dépouillement de la prose contemporaine. Et cela est susceptible de satisfaire amplement tous types de lecteurs et lectrices.

Comme on a affaire à un recueil de nouvelles, je n’entrerai pas plus dans les détails, de façon à éviter de tout éventer, de me mettre à vendre la mèche de ces récits courts. On peut dire tout simplement que ça se lit comme un charme et nous oblige un peu, quand même, à touiller un certain nombre d’éléments de réflexion, notamment sur la question, aujourd’hui toujours saillante, des religiosités vernaculaires. Car il semble bien que le fleuve Saint-Laurent, qui arrose sereinement le beau pays des pointeliers, eh ben, vous savez pas… il est peuplé de dieux lares et de déesses liges. Et, par-dessus le marché, ils ont une notable et hirsute compagnie de conséquence au village. Je ne vous en dis pas plus. Il faut lire.

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Thierry Noiret, Ce que nous racontent les trembles, Montréal, ÉLP éditeur, 2024, formats ePub, Mobi, papier.

 

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