7 au Front

France : il ne faut pas simplement abolir les privilèges mais aussi bannir les privilégiés (Mesloub)

Par Khider Mesloub.

Au lendemain de sa nomination à Matignon, le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, a annoncé sa résolution de mettre fin aux «privilèges à vie» des ex-ministres.

Le peuple travailleur de France lui rétorque qu’il compte, pour sa part, bientôt mettre fin, non pas aux privilèges, mais aux privilégiés, c’est-à-dire congédier définitivement les gouvernants, les capitalistes, les larbins politiciens, en un mot annihiler le pouvoir de toute la classe bourgeoise française.

Le peuple travailleur de France ne compte pas réitérer la fallacieuse abolition des privilèges politiques et administratives votée le 4 août 1789 par un aréopage de bourgeois à peine déféodalisé, défenseur acharné de la propriété privée.

La déclaration du 4 août a certes aboli les droits féodaux, c’est-à-dire les privilèges étatiques et administratifs des nobles, notamment l’hérédité des offices (charges de magistrature). Mais jamais les féodalités économiques et financières. Encore moins la société d’exploitation.

Elle a certes aboli les (in) justices seigneuriales. Mais pour la remplacer par l’unique et inique justice bourgeoise.

La bourgeoisie a certes aboli la vénalité des charges. Mais c’est pour charger, c’est-à-dire répandre et contaminer, toute la société, de sa mentalité vénale.

Elle a certes aboli les corvées seigneuriales et autres servitudes personnelles devenues obsolètes sous le capitalisme naissant. Mais pour les remplacer par les servitudes collectives salariées, la transformation de chaque paysan appauvri et artisan ruiné en ouvrier à vie. C’est-à-dire en prolétaire : celui qui ne dispose que de sa force de travail pour vivre (survivre).

Elle a certes aboli la dîme ecclésiastique, uniquement payée par les pauvres. Mais c’est pour la remplacer par le potentiel  impôt du sang payé par tous les prolétaires français, symbolisé par la conscription obligatoire instaurée le 5 septembre 1798.

Sur ce chapitre, la bourgeoisie aura expulsé le peuple français des églises piteuses pour concentrer sa progéniture adolescente dans ses nouvelles casernes ruineuses. Comble de cynisme, les enfants de la bourgeoisie bénéficieront du droit de remplacement et de substitution leur permettant de se soustraire à la conscription. Il suffisait aux familles fortunées, en échange d’une somme d’argent, de trouver une recrue pour effectuer le service militaire à la place de leur progéniture. Bien sûr, seules les familles les plus riches pouvaient se permettre un tel luxe.

Ainsi, la Révolution française a engendré une nouvelle oligarchie, celle de l’argent, qui règne encore sans partage. Le président actuel de la France, Emmanuel Macron, a plus de pouvoirs qu’un roi. Et l’Etat de droit, souvent invoqué comme preuve de la démocratie, n’a rien de l’égalité, ni de la liberté ou de la fraternité arborées au fronton des bâtiments publics.

Certes la Révolution bourgeoise française a mis fin à  la noblesse et à son ordre social, mais c’est pour les remplacer  par l’oligarchie financière et l’ordre capitaliste exploiteur.

«L’histoire de toutes les sociétés jusqu’à nos jours est l’histoire des luttes de classe». Et, par conséquent, des révolutions. Cependant, toutes les révolutions ou transformations sociales passées, notamment la Révolution française, ont la particularité d’avoir intronisé une nouvelle classe dominante au pouvoir. Et pour cause. Ces révolutions ont été conduites par des classes privilégiées et exploiteuses, porteuses certes d’un ordre social novateur «supérieur», en congruence avec leurs intérêts économiques, mais fondé toujours sur l’exploitation et l’oppression.

La «révolution féodale» ou transformation sociale féodale a été conduite par la noblesse en rupture avec le mode de production esclavagiste au sein duquel elle a émergé. La révolution bourgeoisie a été menée par la classe entrepreneuriale émergente, la classe bourgeoise, née au sein du monde féodal devenu suranné.

À partir du 17e siècle, en Europe, notamment en France, l’antagonisme de classe qui a conduit au renversement de l’ancien régime féodal, conduisant à l’abolition des privilèges de la noblesse, n’était pas celui qui opposait la noblesse et la classe qu’elle exploitait, la paysannerie asservie, mais l’affrontement entre cette même noblesse et une autre classe émergente exploiteuse, la bourgeoisie.

Pareillement, la société esclavagiste de l’antiquité romaine n’a pas été abolie par la classe des esclaves (en dépit de ses fréquentes révoltes légendaires conduites tout au long de l’Antiquité, comme la révolte avortée de Spartacus en 73 avant notre ère), mais bien par la noblesse qui dominera l’Occident chrétien pendant presque deux mille ans.

Ainsi, dans les anciennes sociétés, les classes révolutionnaires n’ont jamais été des classes exploitées mais de nouvelles formations sociales exploiteuses plus dynamiques. Cela s’explique historiquement et sociologiquement par la faiblesse du développement des forces productives. Aussi longtemps que  le développement des forces productives était médiocre pour assurer une abondance de biens à l’ensemble de la société, infligeant à celle-ci le maintien des inégalités économiques et donc des rapports d’exploitation, seule une classe exploiteuse était en mesure de s’imposer à la tête du corps social.

Ces classes révolutionnaires parvenues au pouvoir ne faisaient que substituer une forme d’exploitation « historiquement caduque » par une autre forme d’exploitation : l’esclavage par le servage, le servage par le salariat.

En revanche, sous le mode de production capitaliste où les forces productives ont été développées de façon extraordinaire grâce au travail salarié fourni par les ouvriers, pour la première de l’histoire la classe révolutionnaire est une classe exploitée : le prolétariat.

Pourquoi le prolétariat (la classe ouvrière, les travailleurs, les salariés, tous synonymes), est la classe révolutionnaire de notre temps ?

Du fait de la place centrale occupée par le prolétariat au sein de la production. En effet, la place spécifique qu’occupe la classe ouvrière au sein des rapports de production capitalistes, son statut de producteur collectif de l’essentiel de la richesse sociale et sa condition de classe exploitée par ces mêmes rapports de production, lui confère une mission historique d’émancipation universelle.

Dans la société capitaliste développée, l’essentiel de la richesse sociale est produit par le travail de la classe ouvrière. Pour rappel, l’appartenance à la classe ouvrière se détermine par le fait de la privation de la détention des moyens, de l’obligation pour le prolétaire de devoir vendre sa force aux propriétaires des moyens de production, appropriation qui leur permet de s’accaparer la plus-value.

La spécificité du capitalisme, c’est d’avoir développé, grâce au travail salarié, les forces productives à un niveau inégalé. Aujourd’hui, ce développement économique extraordinaire permet à la classe ouvrière de réaliser le vieux rêve de l’humble humanité : par le contrôle direct de la production, c’est-à-dire l’appropriation de ses richesses, réalisée par voie révolutionnaire, d’abolir l’exploitation.

Autrement dit, de procéder à l’abolition, non seulement des privilèges, mais également des privilégiés.

L’abolition des privilégiés, c’est-à-dire des capitalistes, entraînera l’abolition de la propriété privée des moyens de production, de l’échange marchand, de l’argent, du salariat.

Les richesses deviendront la propriété collective de la communauté humaine. Une telle appropriation collective par la société des richesses qu’elle produit, et prioritairement, des moyens de production, signifie qu’il n’est plus possible à une partie d’elle-même, à une classe sociale, de disposer des moyens d’en exploiter une autre partie.

Par l’abolition des privilégiés, c’est-à-dire des capitalistes, et non pas seulement des privilèges, la société annihilera ainsi, définitivement, toute possibilité d’instauration de rapports d’exploitation.

Khider MESLOUB

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

2 réflexions sur “France : il ne faut pas simplement abolir les privilèges mais aussi bannir les privilégiés (Mesloub)

  • Gabrièle

    Je m’étonne de la constance avec laquelle vous répétez que le capitalisme induit la méchante propriété privée. D’une part, le capitalisme prive de la propriété privée tous les citoyens, à l’exception des ultra riches qui n’ont rien à voir avec les personnes communément appelées riches, d’une façon lente mais efficace. Les impôts sur la succession, les taxes foncières en font partie. Cela profite aux grandes sociétés apatrides le plus souvent. Pensez au « Vous ne posséderez plus rien mais vous serez heureux. » de Davos. D’autre part, la propriété privée de sa maison, de son jardin, de son vélo et de son auto, de son apprentis … procurent une sécurité et une identité sans laquelle l’homme devient particulièrement vulnérable.
    Les ressemblances entre communisme et capitalisme sont grandes: universalité, appauvrissement généralisé, oppression sanitaire, perte de la propriété privée…
    Des historiens comme Marion Sigaud et Reynald Secher ouvrent de nouveaux espaces de compréhension. Le réel ne doit jamais être mis de côté, même lorsqu’il nous contredit. Seule la vérité rend libre.

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