7 au Front

Catherine McKenna en moi

YSENGRIMUS  — Il y a quelque chose d’important qui m’arrive à propos de Catherine McKenna. C’est quelque chose d’indéfinissable, de passablement envoûtant et de particulièrement difficile à saisir. C’est complexe, en tout cas, et c’est véritablement important. J’écoute madame McKenna attentivement, notamment quand elle intervient à la Chambre des Communes du Canada. Pour mes lecteurs et lectrices européens, je signale que Madame McKenna, née en 1971, est députée de la circonscription d’Ottawa-Centre et Ministre de l’Environnement et de la lutte aux changements climatiques du Canada (2015-2019).

Ce que je ressens, plus précisément la portion de Catherine McKenna qui vibre en moi, n’a rien à voir avec une quelconque harmonie des visions politiques ou une toute éventuelle communion idéologique. Au plan intellectuel et doctrinal, madame McKenna (comme madame Freeland, comme Justin Trudeau lui-même) me suscite plutôt des objections que des accords. Que fait madame McKenna au sein du cabinet de centre-droite (Parti Libéral du Canada) de Justin Trudeau? Eh bien, elle développe des considérations à rallonges sur l’urgence des changements climatiques, pour mieux dissimuler les effets environnementaux directs et indirects du foutoir pétrolier canadien. Comme ministre, Catherine McKenna sert la ligne de son parti, qui, l’un dans l’autre, est celle de sauver le gros des apparences de progrès consensuel pour mieux dissimuler au grand public le fait que les politiques mises en place par le parti qu’elle représente (et sert avec rectitude, tonus et discipline) sont des politiques de droite. Ce point est limpide dans mon esprit. Ce n’est pas politiquement ou intellectuellement que Catherine McKenna me travaille de l’intérieur.

Comme individu, sauf son respect, je m’en fiche un petit peu aussi, d’une certaine façon. Mère de trois enfants, dont deux filles, elle fait du cyclisme et de la natation. Bon. Anglophone de langue première, son français est passable, sans plus. C’est la grande canadienne anglaise athlétique et tonique, comme il y en a tant. C’est une avocate de formation qui a varnoussé dans l’international. Rien d’extraordinaire, ni dans les fonds ni dans les combles. Elle a du charisme, par contre. Un bon charisme, en plus. Un charisme frais et sain. Un charisme qui chante. Elle a une façon de se communiquer qui me fascine à chaque fois. Un style tribun, un petit peu, la voix rauque, un sens indéniable de l’effet de manches, mais sans excès. Jolie femme, elle ne flirte pas son interlocuteur. Lindsay Abigaïl Griffith, qui connaît bien la mode et le style, me confie que Catherine McKenna n’en joue pas, qu’elle s’y perd peut-être un peu, même. Tout en elle fait franc, droit et simple. Une canadienne du cru, en somme. Elle est une bonne communicatrice et elle survit passablement aux difficultés incroyablement épineuses des bobards climato-environnementaux qu’elle doit communiquer, redire, marteler, ânonner presque.

Syllogisme. Catherine McKenna travaille les hommes, je suis un homme donc… etc… Elle travaille les hommes, en effet, comme le corrobore une anecdote bizarre qui remonte déjà à quelque temps. Des réacs (masculins naturellement) se sont amusés à la surnommer Climate Barbie (Barbie environnementale ou Barbie climatique) et, pas achalée, elle leur a tenu tête avec brio et intelligence. Elle ne s’est pas laissée faire… sans pour autant trop en faire. Elle a expliqué qu’elle avait deux filles et que, comme modèle maternel, elle jugeait que si ses filles envisageaient une carrière politique, ce ne serait pas pour aller se faire parler de leurs cheveux ou de leur apparence. C’est après cette anecdote, hautement significative du point de vue sociétal, que Catherine McKenna s’est mise à vraiment remuer en moi. De fait, c’est seulement après ça que j’ai commencé à vraiment m’intéresser à sa signification philosophique, si on peut dire.

Les femmes en politique, notamment au siècle dernier, ont du, au début, se masculiniser et plus ou moins devenir one of the boys. Je ne vais pas épiloguer sur cette question, bien connue. On sort graduellement de cette culture transitoire d’ajustement et on commence à voir émerger des femmes politiques qui féminisent nos espaces de représentations, sans trompette et sans façon. Je me suis donc remis à observer Catherine McKenna, dans l’éclairage biscornu et inattendu qu’ont jeté sur elle ces ineptes masculinistes avec leurs insultes faiblardes crûment révélatrices d’une androhystérie d’époque. C’est la communicatrice (plus que le contenu convenu qu’elle communique) qui ressort, au bout du compte, en madame McKenna. Sans faire ni la chieuse ni la sinueuse, elle dégage un charme indubitable. Dosage de fermeté éloquente et de vulnérabilité non dissimulée. Ça me rappelle quelque chose, mais quoi donc? Je fouille dans ma mémoire encombrée pour essayer de retrouver quelle personnalité publique canadienne ou québécoise cela me ramène en mémoire. Je trouve, finalement: René Lévesque. Oh, oh, Catherine McKenna, quand elle se communique, me fait penser à René Lévesque. Pas simple, ça! Une sensibilité interpersonnelle souple et liante, presque à fleur de peau, côtoyant efficacement un sens oratoire juste, qui frappe net et qui répond à la susdite sensibilité de base, en la répercutant comme un efficace et symétrique effet d’harmoniques.

Comparer cette grande gigue anglophone, blonde et tonique de ce siècle à un René Lévesque, petit bonhomme québécois, chafouin et ratoureux du siècle dernier, est une saillie hautement inattendue. Vous me le concéderez. Mais c’est ça aussi, le Canada, la rencontre percutante et imprévue entre deux solitudes qui ne s’étaient pas trop vues au départ. L’analogie est d’ailleurs fort féconde, dans les deux sens. Il y avait, l’un dans l’autre, quelque chose de très féminin dans René Lévesque et je suis prêt à admettre, sans trop trembloter, qu’il annonçait hier les Catherine McKenna de demain. Dans cette rencontre, il y a bien la cigarette du vieux nationaliste qui vieillit assez mal. Catherine McKenna ne s’envelopperait pas de ces volutes là.

Ce que j’essaie de dégager, à coup d’analogies maladroites, de rapprochements hasardeux, et de tâtonnements empiriques et exploratoires, c’est qu’il y a quelque chose chez Catherine McKenna, femme publique, qui est à la fois ordinaire, banal, pris pour acquis et extrêmement important, beaucoup plus important que les petites lignes politiques qu’elle dessine et schématise du mieux qu’elle peut. Ces dernières, elles, resteront emberlificotées dans son temps historique (comme les lignes politiques de René Lévesque sont restées emberlificotées dans le sien). Ce qu’il y a de si suavement crucial dans cette femme politique, si je peux finir par mettre le doigt dessus, c’est du naturel. Voilà. Catherine McKenna est une femme politique et elle l’est de façon toute naturelle. Elle reste elle-même. Elle reste femme. Elle se domine comme telle, sans résidu. Elle est femme en politique comme Barack Obama fut noir en politique. On oublie la femme et le noir et on fait de la politique, tout naturellement, sans flafla.

D’autres femmes du peloton Justin Trudeau de 2015-2019 représentent aussi une telle réalité. On va pas toutes les nommer. C’est là un trait transversal d’époque, de toutes façons. Du côté des réacs aussi (les conservateurs parlementaires), il y a des femmes calibrées comme ça, tout autant. Au NPD et chez les Verts aussi. C’est bien d’une tendance sociétale qu’on parle. La tendance: femme en politique au naturel. Mais je trouve que, de ce peloton 2015-2019, c’est indubitablement Catherine McKenna qui remue le plus profondément en moi. Encore une fois: pourquoi? Elle est d’une intelligence moyenne, d’une cohérence politique assez étroite mais elle tient parfaitement. Non seulement elle est une femme politique mais elle est une femme politique ordinaire. Elle banalise inexorablement la féminité en politique. Toute la féminité, sans résidu et sans concession ni sur le centre ni sur la périphérie de la culture intime en cause. C’est important. Comme tous les événements ordinaires d’un progrès historique tranquille, c’est crucial, capital.

Nos androhystériques réactionnaires ne s’y sont pas trompés, finalement. Cochons qui s’en dédit, ils ont flairé les truffes du progrès social fondamental porté de façon toute ordinaire par Catherine McKenna. C’est elle qu’ils ont attaquée. Ils ont senti, en elle, le danger pour l’ordre patriarcal contre lequel ils se recroquevillent encore. C’est bien pour ça qu’ils se sont mis à farfouiller en s’énervant. Ils ont essayé de remettre Catherine McKenna dans une petite boite de carton et de cellophane. Oh, la futile tentative. Je leur dédis ici un petit mème, tiens, pour qu’ils ne se sentent pas pleinement inutiles, au sein du processus qui continue d’inexorablement se déployer.

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Catherine McKenna qui remue en moi, c’est la féminisation ordinaire de nos représentations politiques et politiciennes, finalement. La fin des token women, la fin aussi des wonder women. Pour être une femme en politique, il n’est plus nécessaire ni de faire le service ni de faire des merveilles. Il s’agit tout simplement d’être une citoyenne et de fréquenter l’agora.

Il nous faut plus de femmes comme Catherine McKenna en politique. Elle incarne ce que nous tendons à devenir collectivement, dans nos bons coups comme dans nos nunucheries. Il faut l’écouter parler, l’observer se dire. Ce sera pour constater que se manifeste en elle une profonde aptitude à représenter ce que nous sommes, sans malice et sans extraordinaire. Le fait est que 52% de ce que je suis manquait et manque encore largement à la Chambre des Communes. C’est bien pour ça que Catherine McKenna remue si fortement en moi, finalement. C’est qu’elle œuvre à sortir de cette prison archaïque que je lui suis, bien involontairement.

Catherine McKenna

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4 réflexions sur “Catherine McKenna en moi

  • Sam

    Bon ben…au delà ce l’excellent plaidoyer que vous faites ici pour toutes ces femmes modernes en politique…y a tout de même un chouiya de faiblesse de cœur pour cette sacrée Mme McKenna !:))) avouez-le Ysengrimus ! vous prendriez-bien un petit verre de vin en tête à tête avec  »Catherine » (en veillant à prononcer son joli prénom à l’anglaise’) avec une p’tit air de Jazz de votre choix qui jouerait en arrière ! sacré coquin ! :))) bon, si toutefois Mme McKenna était libre déjà et ouverte à un entretien en tête à tête avec notre Ysengrimus !…chose qui n’est en soi pas du tout impossible…je serais vous, avec votre notoriété intellectuelle, celle du respect pour les femmes, votre plume, votre palmarès d’entretiens avec des femmes très précieuses de notre temps et votre diplomatie qui aurait du ouvrir une ambassade et une école pour les bonnes manières d’envergure mondiale, je n’hésiterais pas à la contacter ! Je suis formel Ysengrimus ! ce qui vous manque le plus, c’est  »un agent » ! un gérant de carrière qui prenne vos rendez-vous, vous rende justice à vous et au prestige que vous représentez, et vous balance dans l’arène médiatique et politique pour y faire office de  »vulgarisateur » sans pareil à son époque ! …. et n’allez pas m’accuser s’il vous plait  »d’androhysterique » moi aussi, tout ce que je dis, c’est qu’elle est vachement sexy et crédible Mme McKenna moi aussi ! :))
    Et vous avez parfaitement raison d’avoir ce petit faible pour toutes ces femmes, pour la simple raison que ces toutes femmes sont en général tout ce qui nous reste et subsiste comme espoir de nous sortir du grand merdier qui pue les couilles androhysteriques ! et pas qu’au Canada, qu’en politique, ou en arts et littérature, j’ai pu tout au long de ma vie admirer des femmes ici et ailleurs, même dans les affaires, à droite ou à gauche, dans la mode, au boulot avec de simples collègues…etc, sans jamais juger ou m’obstiner sur leurs  »défauts » ! et je dois dire, qu’en petit charmeur, faiseur de court que je fut, j’ai toujours reçu leur approbation et leur sympathie ! comme je dois dire et admettre qu’il est vrai que c’est souvent à droite et dans le carriérisme le plus révoltant qu’on croise ces femmes déterminées, sexy et très dignes et qui forcent l’admiration ! je vous passe des médecins brillantes et coquettes, des professionnelles aux métiers libéraux avec une forte personnalité, et même de certaines femmes fortunées et aux affaires qui ont décidé de ne pas se laisser faire dans ce milieu !
    Comme quoi, on a beau ramener nos convictions et principes  »humanistes’, et  »progressistes », mais ça sentira toujours la couille mouillée quand c’est uniquement des hommes qui en font bruit ! :))) le monde n’a tout simplement pas encore assez intégré les femmes ou leur a rendu justice pour autant ! et il est fort à parier qu’en plus d’être celles qui nous tirent d’affaire déjà maintenant, ce seront elles qui soient capables de nous tirer d’affaire pour les plus gros merdiers dont nous sommes capables ! et çà ne serait que justice au final si la majorité des hommes étaient relégués à ce qu’ils savent faire de mieux : bosser comme des forçats, et bander comme des ânes ! laissant le soin à ces belles créatures de jouer leur rôle pour une fois, et exceller dans l’art d’exister, mener et diriger ! Que justice soit faite alors ! surtout qu’on dira jamais non à l’envie de bander et rebander à perpette , jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de jus ou que les couilles éclatent pour de bon ! :)))
    Amicalement !

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  • Sam

    Remarquez d’ailleurs comment est ce que ces belles et très intelligentes créatures dont Mme McKenna se sentent encore obligées d’obéir, de flatter, d’épouser des thèses de mecs et de dirigeants dont elles ne sont absolument pas convaincues comme vous le dites si bien dans votre article ! Remarquez aussi comment elles nous témoignent encore du respect, de l’admiration et de l’encouragement avec tous nos défauts ! c’est que non seulement elles n’ont toujours pas le choix, mais même lorsqu’elles ont le choix, elles nous traitent bien, elles nous flattent et se soucient de nous malgré tout ce qu’on leur a fait !!!! il n’y a pas le moindre doute que si ça ne tenait qu’à sa personne et ses convictions, Mme McKenna et des millions de femmes comme elles, non seulement enverraient balader leur boss, mais elles referaient le monde ! tout en veillant aux intérêts des hommes et en prenant le plus grand soin d’eux, car voyez-vous, derrière chaque femme de ce calibre, il y a eu une petite fille qui a adoré son papa, sans jamais renoncer à l’amour évident pour sa maman ! et ça, c’est une règle universelle ! et peu importe ce qu’en disent les Anthropologues couillus, les eugénistes et les théoriciens des races !
    Je n’ai jamais compté sur un mec, un ami, un collègue, sauf ceux qui démontraient le même respect pour les femmes, et je dois dire que j’ai eu feu mon père comme modèle, qui a géré une ribambelle de filles, les a respecté même lorsque certaines se mettaient en mini jupe en plein monde arabe, ou fumaient des clopes, et remerciait devant nous le » bon dieu » de lui avoir donné des filles… il a pas eu tord, car il a bénéficié de leur soutien et leur amour jusqu’à la fin !
    et je dirais enfin que hormis le narcissisme de mon ex qui l’a pas mal détruite, elle avait tout pour faire une femme remarquable, belle en plus, et éduquée ! mais à y réfléchir, il y a de ces traumatismes , causé par des hommes justement, dans la famille, ou dans la vie, qui vous transforment et gâchent une belle et intelligente femme ! et c’est le cas de mon ex… elle m’a croisé hélas, lorsqu’elle n’avait pas encore réalisé cela, ni moi d’ailleurs, et je suis devenu du coup, un dommage collatéral ! la victime d’une balle perdue ! qui ne m’a pas raté et m’a atteint en plein cœur en tous cas ! et c’est pour ça que même mort depuis, enterré, oublié, je lui pardonne ! et je l’aime sans doute encore… !
    Bon j’arrête là sinon c’est la poésie arabe antique sur les champs de ruines du village de la bien aimée qui va débarquer ! :))))
    Ysengrimus, vous êtes sur la bonne voie  »mon fils » :))) continuez et n’ayez crainte de rien, c’est auprès de ces belles et intelligentes créatures que vous l’aurez votre salut ! et votre libération ! parole d’esclave traînant encore ses chaînes que je suis !

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  • Sam

    Et A l’intention du poète Ysengrimus, La poésie des  »ruines » dans l’arabie préislamique et post islamique aussi est un genre littéraire solide en poésie, appelé aussi le  »nasab », qui consistait en la visite de ces poètes intuitifs et excellents, les champs de ruine des villages ou résidaient leur bien aimée, pour qu’ils commencent à lâcher des vers aussi prestigieux que éternels resté à ce jour une référence dans la culture classique mais populaire aussi ! et que la Diva chanteuse Égyptienne Oum Kaltoum se spécialisera un peu dans le genre avec la fameuses  »Al Atlal » (les ruines), et autres chants poétiques puissants dont les quatrains de Omar Al Khayyam (perse celui-là)
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Po%C3%A9sie_arabe#Les_genres_classiques
    Bref, posséder la poésie dans le monde arabe préislamique encore ignorant de l’écriture, était considéré comme le plus prestigieux des dons et faisait de vous un noble systématiquement auprès des plus grands… et vos poèmes étaient accroché sur la Mecque ! qu’on appelait les  »Poèmes suspendus » un peu comme les jardins suspendus de Babylone, c’était la plus haute distinction intellectuelle de l’époque !
    et désolé pour cette incursion de chameaux dans le sujet… c’était just un clin d’œil au poète-auteur de cet article !

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