Trouvailles

Reportage dans les Balkans (E. Michael Jones)


À cheval sur la ligne de faille : Reportage dans les Balkans

La dernière fois que j’étais allé à Belgrade, c’était en mai 1988. J’avais le souvenir d’une ville sombre, d’un tramway et d’un repas au McDonald’s. Je fais régulièrement le même cauchemar qui tourne autour de trois états d’esprit : je suis perdu dans une ville étrangère ; je dois me rendre quelque part ; je ne sais pas comment y aller. E. Michael JonesLa ville en question pourrait être Belgrade, mais le cauchemar pourrait aussi venir du souvenir de mon arrivée à Prague en pleine nuit et mes efforts pour trouver l’appartement de Michal Semin. Ou encore de mon expérience d’avoir attendu pendant des heures qu’on vienne me chercher à l’aéroport de Stockholm; et aussi d’e m’être retrouvé seul dans le nord de Téhéran, craignant fort que Hamed m’ait oublié.

Si vous rassemblez tous ces cauchemars, vous obtenez un paradigme de la condition humaine. Nous sommes jetés dans la vie, puis, d’une manière ou d’une autre, nous devons trouver notre chemin vers là où nous devons être. La ville est la condition humaine, mais la ville est aussi l’histoire humaine, qui est toujours déroutante mais toujours rationnelle d’une manière difficile à comprendre. Nous essayons de rencontrer le Logos, ce qui signifie comprendre notre place dans le drame divin connu sous le nom d’histoire humaine.

Dieu a un plan pour l’histoire humaine qui implique Sa volonté souveraine et notre collaboration. En mai 2022, j’ai rencontré une femme noire sur le pont de la rue LaSalle qui enjambe la rivière Saint-Joseph, en crue à cause des pluies printanières. Elle s’est approchée de moi et m’a demandé si j’avais un téléphone portable. Quand je lui ai dit que j’étais le seul être humain à South Bend à ne pas en avoir, elle m’a dit qu’elle allait se suicider et a sauté par-dessus la balustrade pour se retrouver sur un rebord, prête à plonger dans la rivière déchaînée, 12 mètres plus bas.

Après avoir dit une prière, j’ai fini par la persuader de remonter sur le trottoir, où elle a été récupérée par un policier. Je ne l’ai jamais revue, mais je sais avec une certitude absolue que si j’étais sorti de chez moi cinq minutes plus tôt ou cinq minutes plus tard, je ne l’aurais pas rencontrée sur le pont, et si je ne l’avais pas rencontrée, elle se serait peut-être suicidée. Dieu avait prévu cette rencontre de toute éternité, mais le résultat de notre rencontre dépendait du libre arbitre de cette femme et du mien. J’aurais pu la repousser et elle aurait pu sauter immédiatement dans la rivière au lieu d’hésiter sur la corniche, mais aucune de ces possibilités n’était ce que Dieu voulait et Sa volonté a été faite.

I Belgrade et Medjugorje

J’étais confus quand j’étais arrivé à Belgrade parce que je venais de Mostar, où j’avais rencontré feu l’évêque Pavao Zanic pour discuter de Medjugorje. L’Américain naïf qui tombe sur de sombres secrets à son arrivée en Europe est un trope familier de la fiction américaine. Le roman d’Henry James, L’Américain, en est un bon exemple. Tout comme sa nouvelle Daisy Miller, qui s’inspire du roman de Nathaniel Hawthorne, Le Faune de marbre, qui est le meilleur exemple que je puisse donner d’un provincial américain essayant de comprendre sa place dans le courant dominant de l’histoire humaine, qui à son époque était connue sous le nom d’Europe.

Ainsi, en 1988, j’étais Christopher Newman, le héros de The American, apportant mes catégories américaines simplistes aux Balkans, qui sont l’Europe sous stéroïdes. Je suis arrivé à la chancellerie de Mostar en pensant que Medjugorje était basé sur un conflit entre libéraux et conservateurs, tels que les Américains comprennent ces termes, mais l’évêque, dans un allemand et un français plus approximatifs que le mien, m’a dit qu’il s’agissait de franciscains rebelles et d’un enfant menteur que le père Ivo Sivric appelait un « pankerica », un mot qu’il ne comprenait pas lui-même.

Pour être honnête avec vous, je voulais que les apparitions de Medjugorje soient quelque chose de vrai. Je voulais que Medjugorje soit l’histoire de la façon dont la dévotion paysanne à Marie a triomphé de l’oppression communiste. J’étais même prêt à considérer Medjugorje comme l’histoire d’enfants paysans sincères triomphant d’un mauvais évêque. Avant même d’avoir mis les pieds en Bosnie, Medjugorje s’était cristallisé dans mon esprit comme la version balkanique de Star Wars : de jeunes rebelles américains séduisants triomphant de vieillards, qu’ils soient évêques ou apparatchiks communistes.

Plus important encore, les lecteurs de mon magazine voulaient que cette histoire soit vraie, et plus important encore, deux millionnaires abonnés à mon magazine avaient payé mon voyage en Yougoslavie, ce qui indiquait que je recevrais plus d’argent si je racontais l’histoire qu’ils voulaient entendre. De leur point de vue, l’histoire avait déjà été écrite : « Des enfants saints affrontent un mauvais évêque » était une version acceptable. « La piété mariale triomphe du communisme » en était une autre. Medjugorje était la version méridionale de ce que Solidarność avait provoqué en Pologne. C’était la bataille finale de la croisade anticommuniste, et l’Amérique était en train de gagner sur tous les fronts, dans les Balkans et à Gdansk.

Toujours en 1988, je m’étais ensuite envolé de Belgrade pour Rome, où j’ai rencontré Frank Shakespeare, qui était alors ambassadeur des États-Unis auprès du Saint-Siège. Frank m’a dit que sa fille venait de faire visiter le Vatican à Michael Jackson, mais au lieu de nous mettre à parler de celui qui était à l’époque le chanteur le plus célèbre de Gary, dans l’Indiana, j’ai posé une question à Frank : « La CIA est-elle impliquée dans Medjugorje ? » Cette question indiquait que le journaliste d’investigation, avatar d’Œdipe, qui voulait connaître la vérité malgré les avertissements du chœur grec, était en guerre avec le propagandiste américain en herbe qui sommeillait en moi.

« Je ne peux pas répondre à cette question », dit immédiatement Frank, « mais », poursuivit-il après une pause, « c’est le genre de chose que nous soutiendrions ». J’ai pris cela comme un « oui » diplomatique. Mais pour en être sûr, j’ai écrit à la CIA pour leur demander leur dossier sur Medjugorje en vertu de la loi sur la liberté de l’information et j’ai reçu en réponse 20 pages de documents, dont 19 étaient noircies, ainsi qu’une facture de 135 dollars. J’ai alors écrit une lettre pour refuser de payer, et la CIA a fait marche arrière. J’ai donc escroqué la CIA de 135 dollars et j’ai survécu pour raconter l’histoire.

Frank a eu la gentillesse de me conduire dans sa limousine blindée jusqu’à l’auberge où je logeais près du Vatican, tenue par les frères franciscains. Je me souviens encore de la sensation de puissance que cela m’a procuré, surtout lorsque nous sommes arrivés à l’auberge et que je suis sorti devant les pèlerins de Medjugorje. Je me souviens être monté sur le toit et m’être tenu là, avec Rome à mes pieds, me sentant au sommet du monde. Ce fut un moment de transfiguration. L’Empire américain était sur le point de vaincre l’Empire du mal, comme l’avait décrit Ronald Reagan, et le pape Jean-Paul II était un partenaire dans cette noble entreprise. Frank m’a dit qu’il était présent lorsque le pape Jean-Paul II avait rencontré le président Reagan, qui lui avait montré une photo satellite détaillée de la foule rassemblée à Varsovie pour assister à la messe de juin 1979 qui avait inauguré la phase finale de la croisade anticommuniste. Je me souviens que Frank m’avait raconté à quel point le pape avait été étonné par la précision de la photo. Le pape Jean-Paul II et Ronald Reagan se sont ensuite retirés pour la réunion privée qui a permis de définir les détails de la poursuite de la croisade anticommuniste. Des télécopieurs ont été envoyés à Gdansk et des photographes ont été envoyés à Medjugorje pour filmer les enfants photogéniques qui deviendraient Luke Skywalker et compagnie, portant des chapelets au lieu de sabres laser, dans leur quête pour vaincre l’Empire du Mal.

Lorsque Reagan est sorti de la réunion, Shakespeare lui a demandé s’il voulait lui faire part de quelques éléments, et Reagan a alors exposé l’ensemble du plan, si bien que maintenant j’étais au courant de ce plan. Debout sur le toit de l’auberge des sœurs franciscaines avec Rome à mes pieds et des millionnaires qui payaient ma place, j’étais en passe de devenir le vrai Indiana Jones. Et pourquoi pas ? Mon nom de famille est Jones, et j’habite dans l’Indiana. Qui d’autre avait le plus droit à ce titre ?

Mais, hélas, tout cela n’était que mensonge. Les voyants avaient menti depuis le début. L’évêque Zanic, qui les avait interrogés en personne, les avait pris en flagrant délit de contradiction après contradiction, et aucune propagande de la CIA n’aurait pu me convaincre du contraire. Ma confusion s’est dissipée comme le brouillard se dissipant sous le soleil du matin, et le rêve de Medjugorje comme un Star Wars dans les Balkans a éclaté comme une bulle de savon dès que j’ai été confronté à la vérité. Lorsque la série d’articles que j’ai écrits sur Medjugorje est parue en septembre et octobre 1988, la réaction a été une incrédulité féroce. « Je pensais que vous étiez le plus grand journaliste catholique d’Amérique… » disait la lettre typique adressée à l’éditeur, « jusqu’à ce que vous écriviez cet article honteux attaquant notre sainte Mère. »

Le frère de Pat Buchanan m’a écrit pour m’informer qu’il priait la Vierge Marie pour que je fasse une crise cardiaque et que je meure sur le coup. Lorsque le calme est enfin revenu, j’avais perdu les trois quarts des abonnés de notre magazine dans un bain de sang qui faisait passer mon expulsion du monde universitaire pour une partie de plaisir en comparaison. J’avais coupé les ponts avec le monde universitaire dix ans plus tôt. Et ce jour-là, j’avais coupé les ponts avec l’aile catholique de la croisade anticommuniste au moment de son plus grand triomphe.

La leçon que j’en ai tirée est qu’un éditeur intelligent disait à ses lecteurs ce qu’ils voulaient entendre, plutôt que ce qu’il savait être la vérité, car Thrasymaque avait raison de dire que la vérité était l’opinion des puissants. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de mes millionnaires. Comme le dit Marlon Brando dans Sur les quais, « J’aurais pu être un concurrent ». J’aurais dû rester dans la limousine blindée de l’ambassadeur Shakespeare et conclure un accord avec la CIA. J’aurais pu devenir, comme l’a dit George Hunter White, « un missionnaire très mineur » répandant l’évangile de l’américanisme, la quatrième grande religion du monde, comme l’a dit le professeur Gelernter, juif de l’université de Yale. J’aurais pu être comme Mike Pompeo, qui se vantait d’avoir menti en tant qu’agent de la CIA, nous laissant nous demander s’il disait la vérité lorsqu’il se disait menteur, comme l’homme de Crète qui disait que tous les Crétois étaient des menteurs. J’aurais pu être comme feu M. White, l’agent de la CIA qui « travaillait sans relâche « dans les vignes » parce que c’était amusant, amusant, amusant. Où, ailleurs qu’aux Etats-Unis, un garçon américain au sang chaud pourrait-il mentir, tuer et tricher, voler, tromper, violer et piller avec la sanction et la bénédiction du Tout-Puissant ? »

Ma première mission en tant qu’apologiste de l’Empire américain aurait pu être un article transformant les « voyants » de Medjugorje en combattants de la liberté. J’aurais pu vendre mon âme au Grand Satan et en tirer un bon prix. Mais il est bon d’avoir une cuillère au manche très long, pour s’acoquiner avec le diable,  et si je m’étais alors acoquiné avec le diable, le deuxième volet aurait été un article justifiant le bombardement de Belgrade.

Le troisième volet aurait été un article justifiant le meurtre de Mouammar Kadhafi par Hillary Clinton et la destruction subséquente du pays le plus prospère d’Afrique. Le quatrième volet aurait été un article justifiant l’invasion et la destruction subséquente de l’Irak, qui ont entraîné la mort de 500 000 enfants, comme l’a noté avec approbation Madeleine Albright.

Le cinquième volet aurait été un article justifiant le coup d’État de 2014 en Ukraine, qui a conduit à la guerre que les Russes sont en train de gagner. Le sixième volet aurait été un article justifiant le génocide israélien à Gaza. Comme je l’ai dit, j’aurais pu être candidat pour ce marché, mais si je l’avais été, j’aurais fini comme Michael Novak, ou Richard John Neuhaus, ou, pire encore, George Weigel, un autre catholique, qui ne se lasse pas d’encourager les effusions de sang depuis sa sinécure dans le Beltway, tant que ce sang est versé au service de l’empire satanique connu sous le nom d’Amérique.

II Chronicles

J’ai rencontré Tom Fleming au Nassau Inn, sur le campus de l’université de Princeton, peu après mon retour de Medjugorje en mai 1988. Tom était rédacteur en chef de Chronicles, une publication de l’Institut Rockford, un bastion de ce que Tom appellerait plus tard le paléoconservatisme, néologisme qu’il avait créé pour distinguer sa marque du néoconservatisme (on appelait néoconservatisme la version juive promue par Irving Kristol, qui avait inventé le terme, Norman Podhoretz, qui était rédacteur en chef de Commentary, organe qui était à l’époque l’opposé de Chronicles, et sa femme Midge Decter, qui écrirait plus tard un mémoire sur l’époque où c’était un bonheur d’être en vie et que le fait d’être jeune était paradisiaque). Je devais savoir que Tom était associé aux Balkans, car je l’ai abordé dans le hall de l’hôtel Nassau Inn et lui ai tendu la main en disant : « Salut, je suis Mike Jones. Je reviens juste de Medjugorje. » À ce moment-là, Tom s’est retourné et s’est éloigné avant que je puisse lui expliquer pourquoi je pensais que Medjugorje était un canular. Environ cinq ans plus tard, j’ai pu finir mon introduction lorsque Chris Check, qui était le bras droit de Tom chez Chronicles, m’a invité à donner une conférence. À ce moment-là, j’avais brûlé mes vaisseaux avec la foule catholique « conservatrice » et j’étais ouvert à de nouvelles possibilités, en grande partie parce que ma rencontre avec les Balkans avait détruit en moi les catégories politiques naïves qui avaient été l’héritage de la guerre froide.

En 1993, Ignatius Press a publié mon livre Degenerate Moderns: Modernity as Rationalized Sexual Misbehavior (« Les modernes dégénérés : la modernité, un comportement sexuel déviant mais rationnalisé » ) en s’attendant à un accueil apparemment unanime de la droite. Malgré la prière de son frère pour que je meure d’une crise cardiaque définitive, Pat Buchanan a adoré Degenerate Moderns. En 1992, Pat avait choqué le monde en battant George H. W. Bush lors de la primaire républicaine dans le Vermont. Plus choquante encore fut sa plateforme qui tournait le dos au conservatisme traditionnel de l’après-guerre et évoquait à la place l’America First, le conservatisme tabou des années 1930. Les juifs entrèrent alors dans l’une de leurs crises morales périodiques. Joan Peters compara Pat à Hitler, mais un nouveau mouvement politique était né, et Tom Fleming, que Buchanan décrivit plus tard comme un « Serbia Firster », en faisait partie.

En août 1993, Tom publia un article intitulé « Ghosts in the Graveyard » (« Des fantômes dans le cimetière ») dans Chronicles, relatant son voyage en Bosnie :

« Contrairement à mes attentes sur une administration yougoslave revêche, les agents d’immigration serbes sont faciles à vivre et amicaux envers les Américains. En fait, jusqu’à présent, tout le projet a été remarquablement facile. À Milan, j’ai reçu un visa après seulement une heure d’attente. J’ai même été accueilli à l’aéroport de Budapest par un représentant de l’ambassade. Quand j’ai essayé de le remercier de son attention, il m’a dit que ces jours-ci, son travail consistait à aider les journalistes. Il n’avait pas besoin de me dire que c’étaient précisément ces journalistes qui appelaient à des frappes aériennes contre son pays. Ce qu’ils attendaient de moi, je ne sais pas. Que sois facile à duper, peut-être, en tant que  sympathisant secret, voire même que je sois un pacifiste quelque peu embrouillé. Autrefois, la Yougoslavie avait été la chérie des gauchistes américains et européens, et les Serbes ne comprennent toujours pas pourquoi ils sont devenus l’ennemi de la race humaine. Personne en Europe n’a un mot gentil à leur dire. Au cours des semaines précédentes, mes amis italiens m’avaient demandé à plusieurs reprises pourquoi je voulais aller en Serbie. N’avais-je pas lu ce que mon gouvernement avait dit à leur sujet ? Ne croyais-je pas ce que j’avais vu « de mes propres yeux » aux informations du soir ?

Tom avait donc entrepris de « raconter l’histoire telle que les Serbes la racontent » et d’apprendre à voir le pays à travers leurs yeux. « Je serai aussi honnête et précis que possible », me dit-il, sur un pays qui chevauche la faille culturelle séparant l’Est de l’Ouest, deux des principales plaques tectoniques de la géopolitique. Lorsqu’elles bougent, la Serbie s’effondre. Belgrade a été détruite 41 fois au cours de sa longue histoire violente :

« Certaines villes portent les cicatrices de conflits passés, mais Belgrade semble être une seule et même grande cicatrice. Lors de leurs sièges, assauts et bombardements, les Turcs, les Autrichiens, les Allemands et les Américains ont fait de leur mieux pour effacer toute trace du passé. Les plus beaux bâtiments datent du siècle dernier et, malgré la saleté et l’abandon, ils donnent une idée de la beauté que devait avoir la capitale serbe à la fin de la monarchie. Mais partout dans le vieux Belgrade, on voit les traces et les abcès hideux des bâtiments socialistes qui ont poussé pour remplacer les décombres de la Seconde Guerre mondiale. »

C’était du journalisme sérieux. Tom Fleming était clairement le Hemingway des années 1990, et Chronicles était à la pointe de la redéfinition du conservatisme d’une manière qui rappelait le mouvement America First des années 1930 , préfigurant la deuxième candidature de Pat Buchanan à la présidence en 1996. Tom ne prétendait pas être objectif parce que :

« la véritable objectivité exige la capacité de comparer les perspectives, et je n’avais vu aucune preuve d’objectivité dans aucune des couvertures médiatiques de la Yougoslavie. Un jour, si Dieu le veut, j’apprendrai peut-être à apprécier les autres aspects de l’histoire ; pour l’instant, il me suffisait de me mettre à la place des Serbes. »

Dans un passage à l’arrogance époustouflante, Tom avait qualifié ses collègues journalistes de « boules de billard, de geeks et de cinglés» de 25 ans. Après avoir insulté ses collègues, Tom leur recommandait de :

« quitter le centre de presse et de se rendre à pied à Kalamegdan, l’ancienne citadelle qui est aujourd’hui un parc. Bien que la majeure partie de la forteresse que l’on peut voir aujourd’hui soit de construction austro-hongroise, on peut trouver des bâtiments ou au moins des fragments de chaque période : du communisme, des monarchies serbes, des Turcs. Il y a même un mur romain pour commémorer Singidunum, la ville romano-celtique qui se trouve sous la ville moderne. Alignés autour des murs intérieurs se trouvent des chars et des pièces d’artillerie capturés au cours des cent dernières années de guerre.

III Lepensky Vir

Trente et un ans après que Tom eut écrit ces lignes, en mai 2024, je me suis retrouvé sur le parapet de Kalamedgan, rà regarder en contrebas le confluent crucial de la Save et du Danube qui a donné à Belgrade sa raison d’être géographique, essayant de comprendre la signification de ce que je voyais avec l’aide d’Aleksandar, un cinéaste serbe qui a étudié à l’université de Pittsburgh et passé des années à Hollywood. J’avais été passé comme un témoin dans une course de relais par Toni, ce vigneron de l’île de Krk dans l’Adriatique qui avait organisé les excursions locales pour notre rencontre internationale autour de mon livre Dangers of Beauty (« Les Dangers de la beauté »), et je devais passer le bâton à mon tour à Aleksandar à Belgrade. Les deux hommes avaient des identités ethniques fortes qui étaient divisées par la scission orthodoxes/catholiques qui était à la Yougoslavie ce que la scission protestants/catholiques était à l’Allemagne. Lors de notre visite dans son vignoble, Toni avait fait une brillante analyse de la spiritualisation du vin qui s’est opérée pendant les 2 000 ans d’hégémonie du christianisme en Europe. Pour les Grecs, le vin était une substance brute qui devait être mélangée à de l’eau pour être agréable au goût. Son seul but était l’ivresse, d’où le rôle crucial qu’il jouait dans le culte de Dionysos, le dieu de l’ivresse et des excès sexuels. La grâce avait perfectionné la nature, permettant à l’essence du vin de sublimer mais non de détruire l’alcool qui était également intrinsèque à sa nature. Toni a les manières d’un paysan, mais l’esprit d’un philosophe, réunis dans une identité ethnique qui faisait l’envie de tous les cosmopolites déracinés présents.

J’avais réuni Toni et Aleksandar pour un podcast sur la canonisation bloquée du cardinal Stepinac, et le podcast a montré que le Croate et le Serbe avaient des divergences d’opinion importantes. Le contexte historique de ces divergences est devenu évident lorsque Toni nous a emmenés à Dubrovnik pour une visite guidée par le ministre de la Culture de cette ville.

Debout sur le parapet de la forteresse de Belgrade, j’ai découvert une autre Europe. Comme la plupart des Américains de ma génération, je voyais l’Europe à travers le prisme de la guerre froide. L’Europe commençait avec la France et s’arrêtait à mi-chemin avec l’Allemagne. Les pays situés derrière le rideau de fer était terra incognita. Le rideau de fer était une catégorie politique de l’esprit. La Porte de Fer, en revanche, était une catégorie de la réalité. En naviguant vers la forteresse connue sous le nom de Golubac, nous avons approché la Porte de Fer par son entrée en aval et l’avons vue pour ce qu’elle était, non seulement l’entrée de la plus grande gorge du Danube, mais le goulet d’étranglement crucial par lequel les Indo-Européens sont passés des steppes d’Asie à une réflexion en prise avec une géographie irrégulière , et qui allait devenir le summum de la culture mondiale.

En aval des Portes de Fer se trouve Lepensky Vir, la plus ancienne colonie d’Europe. Vir fait référence aux tourbillons créés par les rochers submergés. Comme les tourbillons sont en mouvement constant, l’eau y est plus oxygénée, ce qui la rend riche en algues qui attirent les poissons, lesquels constituaient un élément essentiel du régime alimentaire local avec le gibier. Le barrage créé par la centrale hydroélectrique de la Porte de Fer a submergé le site d’origine, mais les habitations ont été préservées, dans la mesure où elles ont été déplacées sur des terres plus en hauteur.

Le site d’origine de Lepensky Vir est aujourd’hui sous l’eau en raison de la centrale hydroélectrique construite en aval à l’époque de Tito. Cet événement a rendu urgente l’excavation du site, qui a été découvert par un paysan puis fouillé dans les années 1960 par une équipe d’archéologues serbes. Selon les dernières estimations, le village fut fondé entre 9 500 et 7 200 avant J.-C., lorsqu’un groupe de premiers agriculteurs européens entra en contact avec les chasseurs-cueilleurs natifs des Portes de Fer. La rencontre fut pacifique, ce qui indique que la langue indo-européenne joua un rôle en facilitant le dialogue d’une manière que d’autres langues aujourd’hui éteintes n’avaient pas permis. Confronté à l’interprétation matérialiste de H. G. Wells des peintures rupestres préhistoriques d’Altamira, en Espagne, G. K. Chesterton affirmait dans L’Homme éternel que « la leçon la plus simple » que nous pouvons tirer de ces peintures est que « l’art est la signature de l’homme ». Quelque chose de similaire se produisit à Lepensky Vir vers 7 000 avant J.-C., lorsque les habitants du village extrayaient des galets de grès des rives du Danube et commencèrent à y sculpter des visages « d’une manière fortement expressionniste » ; en fait ils représentaient des visages humains de manière particulièrement réaliste, mais avec « de fortes arcades sourcilières, un nez allongé et une bouche large, comme comme celle d’un poisson », d’une manière qui suggère « un lien avec les dieux du fleuve ».

Sculpture à visage humain mi-poisson, culture de Lepensky VirFace au fleuve, qui était leur principale source de subsistance, et à l’intuition, aussi vague soit-elle, qu’il y avait un ordre dans l’univers, les habitants de Lepensky Vir avaient créé une série de sculptures ressemblant à des poissons, dont le but était probablement similaire à celui des dessins de bisons sur le plafond des grottes d’Altamira en Espagne. En regardant ces visages de poissons qui me fixent de derrière leurs vitrines, je vois l’imitation de la nature me dire que le monde est compréhensible et que le visage, aussi primitif soit-il, est la porte de l’âme, qui est la porte du royaume du transcendant. En cela, les sculptures pisciformes diffèrent de la Vénus de Willendorf, qui a de gros seins mais pas de visage, signe à la fois de la puissance et du mystère de la sexualité humaine.
Ce n’est qu’en 1967, après la découverte des premières sculptures mésolithiques, que l’importance du site a été pleinement comprise. Les sculptures pisciformes, uniques, propres à la culture de Lepensky Vir, « représentent l’un des premiers exemples d’art sacré monumental sur le sol européen » selon https://fr.wikipedia.org/wiki/Lepenski_Vir ./0

La fusion pacifique entre les chasseurs cueilleurs originels et les peuples agricoles nouvellement arrivés de la masse continentale eurasienne a permis « une transition progressive des modes de vie de chasseurs cueilleurs des premiers humains à l’économie agricole du Néolithique ». Une structure sociale de plus en plus complexe a influencé le développement de la planification et de l’autodiscipline nécessaires à la production agricole. La civilisation européenne a commencé à Lepensky Vir grâce à la paix. Golubac est une forteresse en amont de Lepensky Vir qui témoigne de la nature belliqueuse du développement ultérieur. Golubac a été construite par les Serbes au XIVe siècle comme rempart contre l’expansion turque. Cela n’a servi à rien : malgré des forteresses impressionnantes comme Golubac, Belgrade a bel et bien été mise à sac 41 fois.

IV Milic peintre de la Serbie

Notre appartement mansardé à Belgrade pourrait servir de décor à La Bohème. Il est rempli de tableaux, certains accrochés aux murs, d’autres empilés contre les murs. La lumière n’est pas bonne. Les images sont étranges. L’artiste est Nebeski Milic, également connu sous le nom de Milich de Matchva lorsqu’il vivait à Paris ou Milic od Macve en serbe ou Milic from the Skies, ce qui témoigne de sa tendance à l’autoglorification ou de sa représentation fréquente de bûches flottant dans les airs. Ses filles tentent de préserver l’héritage d’un artiste profondément serbe, mais qui intégrait les idées de Dali, Breughel et d’autres peintres occidentaux. Simonida Stankowich, l’une de ces filles, a un groupe qui fait une musique qui relie l’histoire serbe de son passé préhistorique à son présent orthodoxe. Debout sur le parapet du fort qui défendait autrefois Belgrade des envahisseurs, il est plus facile de comprendre pourquoi l’un des thèmes principaux de l’art de Milic est aussi l’un des principaux enjeux de l’histoire serbe. Belgrade se trouve sur la ligne de faille qui sépare deux des principales plaques tectoniques géopolitiques de l’histoire du monde, à savoir la ligne de démarcation entre l’Est et l’Ouest. Lorsque ces plaques se déplacent, Belgrade s’effondre. La ville a donc été rasée par les envahisseurs à 41 reprises au cours de son histoire, et son architecture éclectique en témoigne.

La survie ethnique est la question principale dans les Balkans. Comment est-il possible de préserver l’identité ethnique dans une petite nation à cheval sur les plaques tectoniques de l’empire ? Ce n’est qu’après avoir vu l’une des peintures les plus célèbres de Milic dans une galerie bien éclairée que son imagerie devient claire. Pysage urbain inquiétant, par MilicMilic a peint « La destruction de la Serbie » en 1960, alors que Tito était une superstar internationale qui cuisinait des pâtes avec Sophia Loren lorsqu’elle visitait son palais des plaisirs sur l’île de Brac. La Yougoslavie était le leader du Tiers-Monde, et pourtant Milic considérait ces jours heureux comme une courte interruption dans une longue histoire de pillages et de destructions qui était à la fois déconnectée de l’optimisme de l’après-guerre et prophétique, annonçant les guerres contre la Serbie qui ont commencé pour de bon dans les années 1990. Dans un paysage peuplé de personnages et de formes rappelant Jérôme Bosch, Milic dépeint des bâtiments grotesques et à moitié détruits de l’époque soviétique. Dans le ciel au-dessus de ces bâtiments en ruine, des planètes en désintégration descendent d’un ciel qui s’assombrit, et devant l’un des bâtiments les plus grotesques de tous, nous voyons une figure féminine représentant la Serbie entourée de personnages militaires qui menacent de l’enlever ou de la violer.

Milic était trop ethnique, trop serbe, pour convenir aux goûts des Kahnweiler et des Castellani qui ont dirigé le monde de l’art depuis Paris et New York au cours du XXe siècle :

« Bien que le nombre de références à l’œuvre de Milić au cours des dernières décennies ne soit pas négligeable, il semble que sa riche production soit dans une certaine mesure exclue des courants officiels de la discipline de l’histoire de l’art. Dans les synthèses standard de l’histoire de l’art de la seconde moitié du XXe siècle, période durant laquelle Milić a été le plus prolifique, ainsi que dans les manuels généraux du XXIe siècle, son œuvre remarquable n’est presque jamais mentionnée. L’isolement du peintre peut s’expliquer par les divers cadres esthétiques, idéologiques et autres de l’époque où son œuvre a été jugée. »

Aleksandar conteste la description de l’exposition de Milic par l’auteur du catalogue :

« L’Angleterre s’est levée derrière Henry Moore. La France s’est levée sur les traces de Du Buffet. La Yougoslavie s’est dressée contre Milic. C’était un véritable dissident qui avait décidé de ne pas émigrer. La terre serbe était toute son âme.
Le Groupe de décembre, auquel Milic appartenait, était beaucoup moins connu que Medijala, le puissant groupe serbe qui a donné plusieurs artistes européens de renom, tels que Dado Djuric, Vladimir Velickovic et Ljuba Popovic. Tous trois étaient des peintres figuratifs. Milic faisait partie de ce groupe, mais il n’était pas aussi débrouillard que les autres. Il était né dans un village et c’était un nationaliste incurable. Le penchant pour le dripping et le smudging était davantage une obsession américaine, bien qu’elle ait aussi des racines en Europe. Cependant, l’Europe n’a pas complètement tourné le dos à la figuration, pas plus que Warhol et Lichtenstein. »

Les peintures de Milic sont hautement symboliques et oniriques, mais elles sont aussi indéniablement figuratives, d’une manière qui répugnait « au goût des principaux théoriciens de l’époque qui considéraient la voie de la peinture moderne comme une libération continue de la figuration et du contenu (sujet) ». Nous parlons ici du fait que « le contenu et le sujet de ses peintures ne cadraient pas avec le discours « éclairé » sur l’abstraction associative et l’abstraction pure du haut modernisme, qui cherchaient un moyen de libérer l’image du récit dans l’autonomie des éléments artistiques, pour atteindre une victoire inconditionnelle de la grammaire plastique de l’image, tendances qui se sont manifestées dans le Groupe de décembre et ses représentants, dans les années de développement de Milić ».

Si nous parlons de l’abstraction associative et de l’abstraction pure du haut modernisme, nous parlons de l’impérialisme culturel américain en général et en particulier du Congrès pour la liberté de la culture financé par la CIA, celui qui a promu Jackson Pollock et d’autres avec l’aide de leur homme de main juif « Junkie » Fleischmann, le roi de la levure de Cincinnati. En conséquence, « le cercle thématique national de Milić, incarné dans les visions de la Grande Guerre et les thèmes médiévaux avec les paraphrases artistiques de l’ère moderne du soulèvement serbe » ne pouvait pas rivaliser avec les effusions de Jackson Pollack, autrement connu sous le nom de Jack the Dripper [le goutte à goutte + l’éventreur], car il « semblait trop provocateur pour le discours idéologique yougoslave dans l’art et la culture », qui était coincé entre le réalisme socialiste du passé soviétique et le meilleur des mondes de l’impressionnisme abstrait financé par la CIA. Le surréalisme ethnique de Milic, « qui s’articule autour d’une image fantasmagorique de sa région natale de Mačva et de ses habitants enracinés, était trop folklorique et inadapté au paradigme moderniste ». Confronté à un monde devenu fou, Milic réagissait en peignant des tableaux basés sur le « réalisme fantastique » ou le « réalisme magique surréaliste », en s’inspirant de son interprétation de « Salvador Dali, Max Ernst, Giorgio de Chirico et d’autres champions du surréalisme de l’entre-deux-guerres ». Comme les archéologues de Lepensky Vir, Milic participait à « des fouilles anciennes de l’âme humaine ».

V Dubrovnic

Si l’artiste peut représenter ce que le philosophe ne peut expliquer, la vision que Milic avait dépeinte dans sa « Destruction de la Serbie » s’est ironiquement réalisée en octobre 1991 lorsque l’armée populaire yougoslave a assiégé Dubrovnik après avoir capturé la quasi-totalité des terres situées entre les péninsules de Prljesac et de Prelavka, sur la côte de la mer Adriatique. Debout au centre de la vieille ville, je regardais vers l’est et aperçus le fort au sommet de la montagne que les Croates utilisaient pour défendre Dubrovnik contre une armée yougoslave bien mieux équipée. Lorsque les Serbes percèrent les fortifications extérieures, les Croates déclenchèrent une frappe aérienne sur leur propre position et forcèrent l’armée yougoslave en déroute à battre en retraite. Leur défense déjouée sur le front militaire, les Serbes qui avaient hérité de l’armement de Tito décidèrent d’attaquer la culture croate en bombardant une ville qui n’avait aucune importance militaire mais qui avait été déclarée élément du patrimoine mondial par l’UNESCO. Ce bombardement « provoqua une condamnation internationale et devint un désastre en termes de relations publiques pour la Serbie et le Monténégro, contribuant à leur isolement diplomatique et économique, ainsi qu’à la reconnaissance internationale de l’indépendance de la Croatie ».

Lors de notre visite de Vukovar, Aleksandar minimisait les dégâts causés à Dubrovnik, mais un moine franciscain qui nous a fait visiter son monastère en privé nous a montré les ravages causés par les bombardements sur l’une des plus importantes bibliothèques du monde. Il nous montre l’obus non explosé qui est encore logé dans le mur et le trou qu’il a fait en pénétrant dans la salle en traversant le mur situé de l’autre côté de la même pièce. Une exposition de photos montrait les ravages causés par les bombardements sur la bibliothèque. La destruction de ses livres inestimables n’a été évitée que grâce à leur transfert au sous-sol.

Doublée dans sa tentative de prendre Dubrovnik, la JNA se replia en Bosnie-Herzégovine, où elle remit son équipement à l’Armée de la Republika Srpska nouvellement formée, qui occupa alors les hauteurs entourant Sarajevo et assiégea cette ville pendant 1 425 jours, du 5 avril 1992 au 29 février 1996. Le siège de Sarajevo a duré trois fois plus longtemps que la bataille de Stalingrad et plus d’un an de plus que le siège de Leningrad. Il s’agit du siège le plus long d’une capitale dans l’histoire de la guerre moderne et le théâtre de nombreux crimes de guerre. Après la guerre, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a condamné quatre responsables serbes pour de nombreux chefs d’accusation de crimes contre l’humanité. Stanislav Galic a été condamné à la prison à perpétuité, tout comme ses supérieurs Radovan Karadzic et Ratko Mladic, également reconnus coupables et condamnés à la prison à perpétuité. Tom Fleming avait clairement pris parti dans cette guerre : « Pour un intellectuel serbe, choisir de monter au front, c’est un peu comme tuer un lion pour un jeune Massaï. Nous appelons ce genre de démonstration patriotique la ‘serbisation’. Il y a des vices pires à associer à la nationalité. »

Tom Fleming était là quand tout cela s’est produit, et il en a parlé dans un article intitulé « Ghosts from the Graveyard », paru dans le numéro d’août 1993 de Chronicles. Debout dans la vieille ville de Dubrovnik, je me souvenais encore de l’impression que cet article m’avait faite il y a 31 ans. Je me souvenais distinctement de son récit de voyage à travers la Bosnie avec le colonel serbe Gushitch (comme il l’écrivait) et de leur voiture prise pour cible par des tirs d’armes légères des musulmans bosniaques :

« Nous arrivons tard, mais le colonel Gushitch, le commandant local, est toujours debout, occupé à ses affaires. Il nous donne un briefing détaillé et lucide sur les événements qui ont conduit à la guerre en Bosnie, et bien que le colonel ait eu une carrière distinguée dans l’armée yougoslave, il a des mots durs pour le régime communiste. « Un génocide spirituel infligé par des dirigeants qui étaient tous des inadaptés et des taulards. »

La version en ligne de l’article de Tom s’earrête ensuite mystérieusement au milieu d’une phrase :

Bien qu’il y ait une certaine contradiction dans la position serbe – maudire et défendre simultanément l’ancienne union – il est difficile de ne pas dénoncer l’hypocrisie de la République américaine qui a forcé le Sud à revenir dans une union, avec un massacre qui fait paraître le conflit bosniaque insignifiant, et qui se plaint maintenant de l’intransigeance serbe. « Quand les Anglais vont-ils quitter l’Irlande ? » me demande un soldat d’Herzégovine, ajoutant : « Il y aura… ».

L’article en ligne se termine sans mentionner l’image la plus frappante dans mon esprit, celle de Tom tirant un obus d’artillerie d’un canon serbe sur la ville assiégée de Sarajevo. L’image qui s’était gravée dans ma mémoire mais qui n’apparaissait pas dans la version interrompue de l’article en ligne m’a incité à contacter Tom après une interruption de 15 ans.

J’avais régulièrement pris la parole lors des rassemblements de la Chronicles and John Randolph Society jusqu’à ce que je prononce mon discours lors de la cérémonie commémorative de Sam Francis. Sam Francis est décédé le 15 février 2005. C’ était un ami proche de Tom Fleming, mais pour une raison quelconque, c’est à moi qu’on a demandé de prononcer un éloge funèbre lors de la cérémonie commémorative au moment où je venais de terminer d’écrire L'esprit révolutionnaire juif, par E Michael JonesL’Esprit révolutionnaire juif, un concept qui figurait en grande partie dans mon discours et qui a provoqué une perturbation, voire une panique dans le public, poussant Taki à s’écrier : « Nous allons tous être arrêtés ».

Feu Bob Hickson m’a dit que Tom avait été consterné par mon discours. Me traitant de « saint fou » et d’« enfant armé », Tom m’a excommunié du mouvement paléoconservateur. Ironie du sort, Paul Gottfried est venu me voir après coup et m’a dit : « Je n’arrive pas à croire que tu aies prononcé ce discours », ce qui est surprenant puisque je lui en avais envoyé une copie à l’avance, mais encore plus surprenant du fait que Paul avait été le spiritus movens du livre. Je me souviens distinctement que Paul disait que les goyim associés à Chronicles étaient tous des mauviettes parce qu’ils ne s’en prenaient pas aux juifs, qui l’avaient empêché d’obtenir une chaire à l’Université catholique d’Amérique à Washington, D.C. C’est un juif dans le salon de Tom Fleming qui m’avait dit de m’en prendre aux juifs, mais quand je l’ai fait, Tom n’était pas content. Ces souvenirs me sont revenus avec une urgence qui m’a forcé à le contacter après 15 ans de silence. Je lui ai donc écrit ceci :

Cher Tom,
J’ai mis à l’épreuve la patience de la guilde des écrivains serbes hier soir avec un long discours qui a été traduit paragraphe par paragraphe, sur la grammaire cachée de l’Empire américain. Elle était en partie basée sur mon expérience dans les Balkans, qui avait beaucoup à voir avec Medjugorje. Inutile de dire que l’histoire que j’obtiens ici est différente de celle que j’ai reçue à Dubrovnik avant d’arriver à Belgrade. Mon guide à Dubrreçik m’a dit que les Serbes n’avaient jamais pris le fort au sommet de la montagne surplombant la ville. Aleksandar m’a dit que les Serbes auraient pu raser Dubrovnik s’ils l’avaient voulu. Si je me souviens bien de votre article, le trajet en voiture avec le colonel Guisic vous a conduit à Sarajevo, où vous avez rejoint une unité d’artillerie surplombant la ville. Le colonel a-t-il discuté de stratégie avec vous ? A-t-il mentionné Dubrovnik ? Je me souviens aussi que vous avez tiré un obus sur la ville. Les Serbes étaient-ils responsables du bombardement de la place du marché qui a tué tant de civils ? Aleksandar disait que c’étaient les musulmans qui l’avaient fait.
Cordialement, Mike.

Le samedi 18 mai, Tom répondait :

Imaginez un hindou qui ne connaît pas l’Occident et qui ne parle aucune langue occidentale. Il se rend en Italie et s’entretient avec des cardinaux, rencontre un évêque orthodoxe, puis toutes sortes de membres de la Fraternité Saint Pie X, de sédévacantistes, et même quelques calvinistes et baptistes du Sud. Il décide alors d’écrire un article pour le Hindu Times sur l’Église catholique. C’est à peu près votre position dans les Balkans. Pour répondre à vos questions, il faudrait que j’écrive un livre. Le meilleur livre dans l’ensemble, malgré d’innombrables erreurs factuelles, est celui de Rebecca West, car elle a écouté attentivement et avec sympathie toutes les parties.

Quant à l’attentat à la bombe du marché Markale, je me souviens qu’une enquête de l’ONU a déclaré qu’il ne pouvait s’agir d’un obus d’artillerie provenant des positions serbes et qu’il s’agissait très probablement d’un engin explosif local. L’un des problèmes était la traduction, car le mot serbe pour bombe est lié à notre mot grenade, ce qui a conduit certains Américains à insister sur le fait qu’il s’agissait d’une sorte d’obus, en fait de projectile.

En général, la plupart des récits des Balkans écrits en anglais sont le produit de l’ignorance et de l’engagement idéologique. Je me souviens que Bob Dole avait déclaré que la Bosnie, qui faisait partie du cœur de la Serbie occupé par les Ottomans, avait été envahie par les Serbes. En réalité, bien qu’il y ait trois ethnies, les Serbes possédaient alors la majorité des terres, car ils étaient agriculteurs. J’ai passé des années à lire, à faire des recherches, à interviewer des Serbes, des Croates, et même des musulmans, mais mon livre sur la Crna Gora est malheureusement encore lacunaire.
Bonne chance, Tom. »

Le 15 mai, j’écrivais à mon tour :*

Cher Tom, Merci de m’avoir envoyé l’article. Il offre beaucoup d’informations utiles sur ce que j’ai vécu ici et en Croatie. J’étais à Dubrovnik en début de semaine et j’ai admiré le fort croate sur la montagne qui surplombe la ville. Il manquait dans l’article que vous avez envoyé un souvenir de vous parlant ou écrivant sur votre présence dans une voiture se dirigeant vers le front tout en essuyant des tirs d’armes légères. Je me souviens aussi distinctement de vous debout au sommet d’une montagne avec une unité d’artillerie serbe. Était-ce dans un autre article ou est-ce que je vous confonds avec quelqu’un d’autre ou est-ce que vous m’avez raconté ces histoires en personne ?
Meilleures salutations, Mike. »

Réponse :

Mike, l’article a peut-être été coupé au milieu. Un jour, je roulais avec le colonel Gušić près de Neretva en Herzégovine et nous avons été bombardés par les musulmans. Lors du même voyage, j’ai été encerclé par des Albanais à Prizren, qui semblaient bien décidés à me forcer à prendre une retraite anticipée, à la dure…
Tom. »

Et moi de répondre :

« Cher Tom, merci d’avoir clarifié les choses. Je savais que je n’inventais rien.
Meilleures salutations, Mike. »

Mais Tom n’a jamais répondu à ma question sur le tir d’obus sur Sarajevo.

VI Berlin

Un an après que Satan m’avait offert les royaumes de ce monde si je tombais et l’adorais sur ce toit à Rome, c’est le mur de Berlin qui est tombé. Comme tout le monde, j’ai été emporté par l’euphorie du moment. Ma femme, mon fils aîné et moi avions visité Berlin au printemps 1975. En passant par le Checkpoint Charlie pour nous rendre au mémorial soviétique, nous avions vu le mur comme le symbole de l’échec du communisme à empêcher son propre peuple de fuir vers le paradis consumériste de l’Ouest. En 1989, nous nous étions réjouis de le voir disparaître.

Au printemps 2013, je suis retourné à Berlin pour la première fois depuis ma première visite en 1975, au plus fort de la guerre froide, alors qu’un mur divisait cette ville morne. Berlin était pleine de nouveaux bâtiments et l’un des plus grands et des plus récents était le nouveau siège du Bundesnachrictendienst, le successeur de la Stasi et une combinaison de la CIA et du FBI, qui protégeait les Allemands de l’Ouest contre les communistes de l’Est. Les communistes étant partis depuis longtemps, j’ai demandé à mon hôte : « Wer ist jetzt der Feind ? » (C’est qui l’ennemi, maintenant ?) et il a répondu sans hésiter : « Das deutsche Volk » (le peuple allemand).

Le mur avait disparu, mais la conquête américaine de la culture allemande était plus évidente que jamais. Juste à l’ouest de la Porte de Brandebourg, la nouvelle ambassade américaine proclamait le nouvel évangile américain en drapant le drapeau arc-en-ciel sur les épaules d’une statue de l’ours de Berlin. Le texte d’accompagnement informait le monde que l’homosexuel Rick Grennell, en sa qualité officielle d’ambassadeur des États-Unis en Allemagne, utilisait l’ours de Berlin et le drapeau gay drapé sur ses épaules pour commémorer le meurtre de plusieurs homosexuels à la discothèque Pulse à Orlando, en Floride. Ce faisant, Grennell a fait de la sodomie, bon gré mal gré, une partie de l’identité américaine et de la lutte pour les droits des homosexuels la cause de tous les Américains, et par extension de tous ceux qui vivent, comme les Allemands, sous l’égide de l’Empire américain. L’Amérique n’était plus seulement le Nouvel Israël, mais « la quatrième grande religion du monde ». En près de 40 ans, qui ont séparé ma première visite à Berlin de ma seconde visite, l’Amérique était devenue une grande discothèque gay.

Au printemps 1996, je  retourne à Mostar. Les pierres qui composaient le pont éponyme gisaient désormais sous les eaux turquoise toujours aussi belles de la Neretva, mais la rive orientale de ce fleuve était désormais connue sous le nom de République islamique de Bosnie. Je logeais à l’hôtel Euro, qui était entouré de véhicules blindés de transport de troupes sur lesquels était inscrit en lettres blanches « KFOR ». Je savais peut-être à l’époque ce qu’ielles représentaient, mais je ne le sais plus maintenant.

Je me souviens d’avoir pris mon petit-déjeuner dans la cour de cet hôtel. Je me souviens d’une fontaine et de graviers recouvrant le sol d’un jardin intime, mais surtout je me souviens d’avoir écouté un Américain qui était clairement chargé de remettre sur pied le pays que les Américains avaient détruit. Le jardin était petit et sa voix forte, je suppose donc qu’il faisait un discours à l’intention de toutes les personnes présentes sur la manière dont il allait remettre de l’ordre dans les Balkans. Un groupe croate avait été écarté de la liste des guerriers par procuration de l’Amérique parce qu’il avait un buste d’Ante Pavelic dans son quartier général. Je suis sûr qu’il a parlé d’autres groupes, mais peu après, le sujet a dévié sur sa fille et les conflits qu’il avait avec elle parce qu’il avait divorcé de sa mère. En d’autres termes, c’était un Américain classique, c’est-à-dire un homme qui allait apporter la démocratie et la liberté dans les Balkans pour compenser son échec à rester marié. L’Américain classique est un prédicateur armé.

 

VII Sur les armes

Je me souviens d’avoir entendu beaucoup de sermons sur les armes à feu lorsque j’assistais aux conférences de Chronicles et aux réunions de la John Randolph Society. Roger McGrath était obsédé par les armes à feu. En tant que professeur, il avait l’habitude de mettre en scène des fusillades à la Hollywood dans sa classe. Randolph était l’Américain par excellence pour la foule des disciples de Chronicles parce qu’il tenait bien l’alcool et tirait droit. En tant que catholique de Philadelphie, où seuls les flics et les criminels avaient des armes, je trouvais ce genre de discours incompréhensible, en grande partie parce que la première fois que j’ai eu une arme entre les mains, c’était en tant que professeur de 25 ans en Allemagne, qui avait été admis dans le Schutzenverein (club de tir datant du Moyen Age) local. Nous nous sommes rassemblés sur la place de la ville, eux portant leurs vestes vertes en loden et moi un pantalon en madras rouge et jaune, et avons marché jusqu’à une ferme voisine où nous nous sommes rassemblés à côté d’un étang derrière un mur de caisses de bière et avons tiré sur des pigeons d’argile. J’en ai touché trois sur cinq la première fois que j’ai tenu un fusil de chasse dans mes mains, mais je n’en ai plus touché après cela parce qu’il était de notre devoir de boire ces caisses de bière. Après avoir terminé la dernière bouteille de bière et tiré la dernière cartouche, nous nous sommes rendus dans une grange voisine, où le président du Schutzenverein nous a félicités de ne pas nous être tirés dessus par inadvertance à cause de toute la bière que nous avions consommée.

Ainsi, contrairement à John Randolph, je pouvais soit tirer droit, soit tenir l’alcool, mais je ne pouvais pas faire les deux en même temps, ce qui m’a probablement disqualifié pour devenir membre de la John Randolph Society. Mais là encore, peut-être pas. Selon Bill Kauffman, un autre habitué des réunions de la John Randolph Society et brillant satiriste qui a tenté de me faire bannir en raison de mon catholicisme, Randolph était « un consommateur régulier d’opium [et] un célibataire qui semblait avoir le béguin pour Andrew Jackson ». Randolph était également un gros buveur et un mauvais tireur. Lors d’un duel, Randolph a tenté de blesser Clay en lui tirant dans la jambe, mais l’a complètement raté.

Après avoir vu un membre du personnel de Chronicles, dont je tairai le nom, avaler trois martinis avant le déjeuner, puis se retirer aux toilettes, où il les a tous vomis, j’en ai conclu qu’ils ne tenaient pas non plus l’alcool, tout en étant fort reconnaissant que personne n’ait apporté d’armes à notre réunion. Personne n’a critiqué notre employé anonyme de Chronicles pour s’être saoulé, mais, dans une démonstration particulièrement flagrante de signalisation de vertu, de mauvaises manières et d’effronterie, le professeur Jenkins de Penn State m’a attaqué pour avoir dit que la section ADA de Philadelphie était principalement composée de protestants et de juifs. Dire quelque chose comme ça revenait à se présenter au défilé de la Schutzenfest dans un pantalon en Madras…

Après des expériences comme celle-ci, j’en ai conclu que l’esprit collectif de Chronicles était prisonnier d’un mythe que personne ne comprenait ni ne reconnaissait. Comme l’a dit John Maynard Keynes, c’étaient « des hommes pratiques, qui se croient exempts de toute influence intellectuelle, [mais] sont généralement les esclaves d’un économiste défunt ». À la John Randolph Society, nous avions plutôt affaire à des hommes qui étaient les esclaves d’un paradigme obsolète de ce que signifiait être américain, qui s’était implanté lorsque Daniel Boone avait sauvé sa fille Jemima et deux autres filles de la captivité indienne.

 

VIII De Daniel Boone à Ernest Hemingway

Le 14 juillet 1776, dix jours après que l’Amérique eut déclaré son indépendance à Philadelphie, Jemima Boone, fille du célèbre pionnier Daniel, ainsi qu’Elizabeth et Frances Callaway, furent capturées par un groupe de raids cherokee-shawnee alors que les filles descendaient la rivière Kentucky dans un canoë. Elles furent ensuite emmenées de l’autre côté de la rivière Ohio, en territoire Shawnee. Boone organisa immédiatement une expédition de secours et rattrapa les ravisseurs indiens trois jours plus tard alors qu’ils allumaient un feu pour le petit-déjeuner. Après que Boone eut abattu l’un des ravisseurs, les Indiens battirent en retraite, permettant ainsi aux filles de rentrer chez elles. Cet incident rendit Boone célèbre.

Daniel Boone est une légende américaine, et il est le plus souvent représenté avec un fusil à la main. C’est étrange car Daniel Boone avait commencé sa vie en tant que quaker de Byberry, en Pennsylvanie, une banlieue nord qui est devenue, à juste titre, le foyer du plus grand asile d’aliénés de la région.

Daniel Boone avait été élevé en tant que quaker de Pennsylvanie, mais il est devenu célèbre en tant qu’homme qui avait guidé les colons à travers le Cumberland Gap jusqu’au Kentucky. Il fut le premier Anglais à franchir le mur que les Appalaches dressaient face à la migration vers l’ouest. Pour ce faire, Boone avait besoin d’un mousquet. Dès qu’il eut en main le mousquet, instrument indispensable qui lui permit de survivre à la frontière, Boone dut abandonner sa religion pacifiste. Ce faisant, il devint l’archétype de l’Américain qui, en matière religieuse, laissait l’existence déterminer l’essence.

En 1742, la famille de Daniel Boone entra en conflit avec la communauté quaker locale lorsque les parents de Boone furent contraints de présenter des excuses publiques parce que leur fille aînée Sarah avait épousé un non-quaker alors qu’elle était visiblement enceinte. Lorsque son fils aîné Israel épousa également une personne extérieure à la communauté quaker en 1747, Squire Boone refusa de présenter des excuses et fut expulsé de la maison de réunion quaker en Pennsylvanie.

Trois ans plus tard, Squire Boone posait les bases de la vie de son fils Daniel en vendant ses biens en Pennsylvanie et en déménageant dans une colonie frontalière en Caroline du Nord. Daniel Boone n’est plus jamais allé à l’église. « Bien qu’il se soit toujours considéré comme chrétien et ait fait baptiser tous ses enfants », l’existence à la frontière a modifié l’essence de la religion d’une manière qui allait donner naissance à l’archétype de l’Américain en la personne de Daniel Boone. Un Américain était un quaker qui prenait une arme à feu en se dirigeant vers l’ouest.

À cet égard, Boone était semblable à Benjamin Franklin, un autre archétype d’Américain de la région de Philadelphie qui détestait également les quakers. En choisissant l’existence plutôt que l’essence, « Franklin se conforma à ce qui allait devenir le modèle de l’Américain idéal, l’homme qui se débrouille seul, passant d’une enfance de pauvreté et d’obscurité à une vie d’adulte de renommée et de fortune ». Confronté à la réalité de la guerre contre les Indiens, Boone découvrit que le quakerisme ne pouvait pas accompagner les colons anglais alors que la frontière s’enfonçait de plus en plus profondément en territoire indien hostile et, en faisant cette découverte, il devint lui aussi un paradigme de l’identité américaine :
De ces concepts de base, dont les définitions ont évolué au fil des époques, est née une grande variété d’autres mythes culturels, dont le mythe du pionnier ou de Daniel Boone ; le mythe du fermier indépendant ou du paysan ; le mythe de la réussite ou d’Horatio Alger (mettant en scène le capitaine d’industrie) ; le mythe de la suprématie blanche et anglo-saxonne et le mythe du Herrenvolk du Sud esclavagiste ; le mythe de la supériorité morale, assortie de supériorité spirituelle et de fragilité physique des femmes (ce qui l’isolait sur un piédestal) ; et une foule d’autres, qui ont tous pu, à un moment ou à un autre, s’intégrer commodément dans notre concept culturel de qui sont les Américains et quelle est leur place dans l’univers de Dieu. Beaucoup de ces mythes ont pris une importance centrale pendant le Second Grand Réveil, lorsqu’ils ont servi à unir la nouvelle nation dans son ascension expansionniste et nationaliste vers le pouvoir. Ralph H. Gabriel, dans The Course of American Democratic Thought (1940), a été le premier à identifier cet ensemble d’idéaux qui, pris dans leur ensemble, « constituaient une foi nationale qui, bien que non reconnue comme telle, avait le pouvoir d’une religion d’État ». Mais Gabriel a erronément situé leur origine entre 1825 et 1855 ; en réalité, leurs racines étaient bien plus anciennes. Gabriel les a simplement identifiés sous la forme dans laquelle ils avaient émergé après le Second Grand Réveil. Une façon de décrire un réveil est de le qualifier de période pendant laquelle de vieux symboles sont revêtus de nouvelles significations.

Cinquante ans plus tard, James Fenimore Cooper a repris l’histoire de Boone sauvant sa fille et l’a retravaillée pour en faire l’intrigue de son roman le plus célèbre, Le Dernier des Mohicans. Grâce au talent de romancier de Cooper, le vrai Daniel Boone est devenu le mythique Natty Bumppo. Lorsque James Fenimore Cooper transforma Boone en Natty Bumppo, héros des Contes de l’Ouest et protagoniste de son roman Le Dernier des Mohicans (1826), le premier exemple de l’archétype de l’Amérique émergea. Cooper écrivit Les pionniers, le premier volet de ses Histoires de Bas-de-cuir en 1823, trois ans après la mort de Boone, alors qu’il était déjà devenu l’archétype du pionnier aux yeux des colons anglais. Cooper consolida son statut en le transformant en Natty Bumppo, un personnage littéraire qui rajeunissait et devenait plus mythique à chaque volet des Histoires de Bas-de-cuir. Comme Daniel Boone, Cooper avait été élevé en tant que quaker, ce qui a incité son biographe Wayne Franklin à déclarer que :

« L’alliance entre Cooper et les colons yankees était étrange. Cooper était issu d’un milieu quaker de la vallée du Delaware, au-dessus de Philadelphie. Bien qu’il n’ait pas été lui-même un ami actif, il avait suivi les principes pacifistes de la secte en évitant de jouer un rôle direct dans la Révolution. En revanche, les émigrants yankees étaient issus d’ancêtres puritains militants qui avaient persécuté les quakers et autres dissidents de la Nouvelle-Angleterre. Et, bien qu’il y ait eu suffisamment de loyalistes en Nouvelle-Angleterre pendant la Révolution, les États yankees avaient envoyé des hordes de combattants faire la guerre à la Grande-Bretagne. Le militarisme était aussi ancré chez les puritains que le pacifisme chez les quakers. Mais dans cette nouvelle campagne contre le continent américain, le quaker William Cooper et ces descendants de puritains allaient se rencontrer et unir leurs forces. »

Lorsque Natty Bumppo est devenu le héros du Dernier des Mohicans, il n’était plus le vieil homme édenté longtemps ignoré par la marche vers l’ouest de la frontière. C’était un homme d’action dynamique dans la force de l’âge qui incarnait l’énergie et la détermination de la nouvelle nation. Il était l’Américain par excellence, car il pouvait agir dans des contextes sans précédent sans recourir aux coutumes ou à la loi. L’instrument qui lui permettait cette capacité était le fusil, qui, selon Cooper, faisait partie intégrante du costume de Natty :

« Le physique de l’homme blanc, à en juger par les parties non dissimulées par ses vêtements, était celui d’un homme qui avait connu les épreuves et les efforts dès sa plus tendre jeunesse. Sa personne, bien que musclée, était plutôt émaciée que pleine ; mais chaque nerf et chaque muscle semblait tendu et endurci par une exposition et un labeur incessants. Il portait une chemise de chasse vert forêt, frangée de jaune délavé, et un chapeau d’été en peaux dont la fourrure avait été rasée. Il portait également un couteau dans une ceinture de wampum, semblable à celle qui retenait les vêtements sommaires de l’Indien, mais pas de tomahawk. Ses mocassins étaient ornés selon la mode gaie des indigènes, tandis que la seule partie de son sous-vêtement qui apparaissait sous la veste de chasse était une paire de jambières en daim, lacées sur les côtés et les jarretières au-dessus des genoux, avec les tendons d’un cerf. Une poche et une corne complétaient son équipement personnel, malgré le fait qu’un fusil de grande longueur, que la théorie des Blancs les plus ingénieux leur avait appris être la plus dangereuse de toutes les armes à feu, était appuyé contre un jeune arbre voisin. »

En transformant Daniel Boone en Natty Bumppo, James Fenimore Cooper créait le « mythe fondateur » de l’Amérique :

« Un an avant sa mort, en repensant à sa carrière, Cooper lui-même conclut que le cœur de son œuvre résidait dans les cinq Histoires de Bas-de-cuir. Cet immense monument collectif, chronique mythique s’étendant des années 1740 à l’époque de Lewis et Clark, capturait les époques et les thèmes clés de la vie américaine : c’était, comme le dira l’historien Francis Parkman en 1852, « une quintessence de l’histoire américaine ». Fidèle à sa position de premier écrivain à travailler sur la frontière, Cooper n’avait pas envisagé la série dans son ensemble dès le départ. Il écrivit Les Pionniers (1823) comme une exploration fictive de sa ville natale, aujourd’hui disparue, Cooperstown, et y introduisit presque par inadvertance le personnage de Natty Bumppo, non pas comme le héros prévu, mais comme un personnage « inférieur », destiné probablement à apporter un peu plus que de la couleur locale. Pourtant, Bas-de-cuir a rapidement pris le dessus sur le sens du livre, gagnant l’estime de l’auteur ainsi que celle de ses lecteurs. Ralph Waldo Emerson, à peine sorti d’Harvard, lut « ce roman national » avec un tel enthousiasme que, de nombreuses années plus tard, il écrirait à propos de la dette qu’il avait (« comme presque tous ceux qui parlent anglais») envers Cooper pour les « jours heureux » passés avec ce livre et d’autres. Emerson était connu pour son peu d’estime pour la fiction, mais même lui avait été emporté par la vague de la renommée de Cooper. »

Pratiquement tous les écrivains américains du XIXe siècle ont été influencés par les Histoires de Bas-de-cuir. Au milieu du siècle suivant, je me souviens d’avoir marché jusqu’à la bibliothèque locale avec ma mère quand j’étais enfant et d’avoir rapporté chez moi des exemplaires de Le Tueur de daims et Le Dernier des Mohicans, ce dernier étant illustré par les peintures dramatiques de N. C. Wyeth. En cela, j’étais comme Francis Parkman « qui, en 1852, était sur le point de devenir le grand historien de la frontière ».

Quand Parkman:« se souvint de sa jeunesse passée à parcourir les bois de la ferme de son grand-père, près de Boston, il se rappela, comme Emerson, les livres de Cooper comme « ses préférés » de ses lectures d’enfance. Les premières incursions de Parkman dans la littérature furent des récits qu’il écrivit sur la guerre de la frontière et les errances dans la forêt, et une fois qu’il se tourna vers l’histoire avec la publication de La Conspiration de Pontiac en 1851, son but était de lester la vision de Cooper avec le poids de la vérité historique. Le projet de Parkman, qui consistait à écrire une « histoire de la forêt américaine », était en soi un hommage à la profonde influence de Cooper sur l’imagination du pays dans son ensemble.

Natty Bumppo était une figure mythique qui était aussi indéniablement « réelle », ou comme le disait Parkman : « La silhouette haute et décharnée de Bas-de-cuir, le visage buriné par les intempéries, la main osseuse, la casquette en peau de renard et la vieille redingote de chasse, polie par de longues années de service, semblent si palpables et réelles que, dans certains états d’esprit, on peut facilement les confondre avec les souvenirs de sa propre expérience. »

Parkman n’était pas le seul à idolâtrer Cooper et son héros archétypal américain. D. H. Lawrence a écrit avec enthousiasme sur les scènes « merveilleusement belles » des Pionniers : « Quels tableaux ! », s’est-il exclamé. « Certains des tableaux les plus beaux et les plus fascinants de toute la littérature. » Henry David Thoreau a eu l’idée de Walden à partir de « la maison fictive de Natty au bord du lac Otsego. Dans Walden, Thoreau cherchait ce que Cooper avait exhorté les Américains à imaginer ou à découvrir : un rapport à la nature qui ne détruise pas la nature sauvage, mais plutôt la chérisse et l’intériorise. Dans Natty, Cooper avait montré la voie.

Cet hommage a été repris un siècle plus tard par le poète et critique Yvor Winters : Natty Bumppo, a-t-il écrit, a « une vie qui dépasse celle des livres dans lesquels il apparaît, une réalité qui surpasse même celle d’un personnage historique tel que Daniel Boone ». Winters poursuivait en affirmant, à juste titre selon moi, que le septième chapitre de Le Chasseur de daims, dans lequel Natty affronte, puis se sépare pacifiquement d’un guerrier indien avant de le tuer en légitime défense, était « probablement à la hauteur de tout roman américain de même longueur, en dehors de ceux de Melville ».

À ce stade, un élément plus sombre entre dans la mythographie. Natty, la version américaine du bon sauvage, utilisait son arme pour tuer d’autres hommes. Lorsque la frontière s’est refermée en 1890, l’Empire américain est devenu une construction métaphysique, voire religieuse, qui avait perdu son innocence lorsque les prédicateurs ont commencé à utiliser leurs armes pour tuer ceux qui n’acceptaient pas les impératifs métaphysiques de l’empire.

Après la publication des Histoires de chasseurs et de trappeurs, l’identité américaine impliquait la capacité de tirer avec un fusil. Cooper dépeint cela dans Le Dernier des Mohicans dans le débat entre Natty et David, le malheureux chef de chœur qui erre dans la nature avec pour seule arme une anche de flûte. Natty va droit au but lorsqu’il demande à David : « Sais-tu utiliser le fusil à canon lisse ou manier le flingue ? »
« Dieu soit loué », répond David le malheureux psalmiste, « je n’ai jamais eu l’occasion de m’approcher d’instruments meurtriers ! Je ne prête pas à ce genre de choses… Je ne suis rien d’autre que ma propre vocation, qui est l’enseignement de la musique sacrée ! »

Natty, également connu sous le nom d’Oeil-de-faucon, est dédaigneux :

« Bizarre, comme vocation ! » marmonna Œil de faucon, avec un rire intérieur, « de traverser la vie, comme un oiseau-chat, en se moquant de tous les couacs qui peuvent sortir de la gorge des autres hommes. Eh bien, mon ami, je suppose que c’est un don que tu as reçu, et il ne faut pas plus le renier que si c’était le don de viser juste au tir, ou une autre aptitude louable. »

Et pourtant, Natty se laisse emporter malgré lui par la musique de David. Après avoir entendu la musique de David remplir la « caverne confinée » des « notes palpitantes des voix souples », Natty

« qui avait posé son menton sur sa main avec une expression de froide indifférence, sentait se détendre progressivement ses traits rigides, jusqu’à ce que, au fil des vers, il sente sa nature de fer se soumettre, tandis que sa mémoire le ramenait à son enfance, lorsque ses oreilles étaient habituées à écouter des sons similaires de louanges, dans les colonies. . . . Ses yeux fuyants devenaient plus humides, et, avant la fin de l’hymne, des larmes brûlantes jaillirent de fontaines qui semblaient sèches depuis longtemps et se succédèrent sur ces joues qui avaient si souvent éprouvé les tempêtes du ciel plutôt que des témoignages de faiblesse. »

Natty ne lit pas de livres parce qu’il « s’est imprégné de sa foi à la lumière de la nature, en évitant toutes les subtilités de la doctrine… ». Natty compare la flûte de David à « l’arme de poing du chanteur». Néanmoins, il est forcé d’admettre que la chanson de David a du pouvoir :

« Œil de faucon écoutait pendant qu’il ajustait calmement son silex et rechargeait son fusil ; mais les sons, qui avaient besoin de mise en scènes et de sympathie, ne parvinrent pas à réveiller ses émotions endormies. Jamais ménestrel, ou quel que soit le nom plus approprié sous lequel David devrait être connu, n’avait fait appel à ses talents en présence d’auditeurs plus insensibles ; en fait, compte tenu de la singularité et de la sincérité de son motif, aucun barde de chanson profane n’aurait jamais émis de notes qui se soient autant approchées du trône auquel tout hommage et toute louange sont dus. Le guetteur secoua la tête et, marmonnant quelques mots inintelligibles, parmi lesquels « gorge » et « Iroquois » étaient les seuls audibles, il s’éloigna pour recueillir et examiner l’état de l’arsenal saisi aux Hurons. »

Puis la réalité interrompit la rêverie nostalgique de Natty. « L’arme de poing du chanteur » devait être mise de côté en raison de questions plus urgentes:
«Oui», dit Hawkeye, laissant tomber son fusil et s’ appuyant sur celui-ci avec un air de mépris visible, « il chantera pour eux. Peut-il tuer un daim pour leur dîner, voyager sur la mousse des hêtres ou égorger un Huron ? Si ce n’est pas le cas, le premier oiseau-chat qu’il rencontrera est le plus intelligent des deux. Eh bien, mon garçon, des signes d’une telle fondation ? Penses-tu que la balle du fusil de ce vaurien se serait déviée, même si sa majesté le roi s’était tenue sur son chemin ? » répondit l’éclaireur têtu. Natty conclut en disant : « Nous venons pour nous battre, pas pour faire de la musique. Tant que le cri de victoire ne résonne pas, seul le fusil a la parole. »

Ernest Hemingway a perpétué cette tradition au XXe siècle avec ses histoires de Nick Adams. Comme les membres de la John Randolf Society, Ernest Hemingway était obsédé par les armes à feu. Finalement, Hemingway est passé du tir sur les animaux au tir sur des êtres humains innocents. Comme l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, Hemingway s’est rendu coupable de crimes de guerre. Au cours de l’été et de l’automne 1944, Hemingway s’occupait d’interroger des prisonniers de guerre allemands en tant qu’« officier de renseignement autoproclamé ». L’un de ces prisonniers de guerre avait malheureusement supposé qu’il était protégé par la Convention de Genève. Lorsqu’il a refusé de divulguer la route qu’empruntaient les Allemands pour s’évader, Hemingway « lui a tiré trois fois dans le ventre et une fois de plus dans la tête, de sorte que sa cervelle est sortie par son nez alors qu’il tombait ».

Comme je l’ai dit, Tom Fleming était le Hemingway des années 1990. J’ai eu plusieurs conversations avec Tom à cette époque. Je me souviens distinctement de lui tirant sur la corde d’une pièce d’artillerie. Je pensais que cette anecdote figurait dans l’article des Chronicles qui décrivait son voyage en voiture avec le colonel Guisic, mais elle devait provenir de nos conversations. On peut déduire de l’article des Chronicles que Tom avait participé activement au bombardement, mais mon souvenir de lui disant qu’il avait tiré un coup de feu doit provenir de ces conversations personnelles. Si ma mémoire est bonne et que Tom avait bien tiré un obus sur Sarajevo, il avait commis un crime de guerre. Cela peut expliquer pourquoi la version en ligne de « Ghosts in the Graveyard » s’interrompt si mystérieusement au milieu d’une phrase.

IX Crimes de guerre

Le titre du premier chapitre de The Medjugorje Deception (L’escroquerie de Medjugorje), mon deuxième livre sur Medjugorje, était « Les fantômes de Surmanci », et il décrivait une atrocité qui a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Oustachis avaient rassemblé les habitants de Surmanci, les avaient assassinés, puis avaient jeté leurs corps dans une fosse juste de l’autre côté de la colline où les prétendues apparitions ont commencé quelque 40 ans plus tard. Le maire de Surmanci a publié le premier chapitre de mon livre sur le site Internet de la ville, ce qui a donné lieu à un appel téléphonique d’une femme qui avait grandi à Indianapolis, qui habitait maintenant à Belgrade et qui était mariée à l’un des producteurs associés à RTS1, la plus ancienne chaîne de télévision de Serbie. Au cours de notre conversation téléphonique, elle m’a dit qu’elle devait sortir son bébé de sa couveuse tous les soirs parce que l’OTAN bombardait les hôpitaux et d’autres infrastructures civiles. Finalement, cette femme s’est présentée chez moi à South Bend avec son mari, qui m’a raconté comment Larry King, l’animateur du talk-show, avait réservé un studio à la chaîne de télévision pour une heure précise afin de pouvoir interviewer des responsables gouvernementaux. Lorsque son mari s’est rendu compte que tout le personnel de CNN avait quitté le bâtiment 15 minutes avant l’interview prévue, il a ordonné une évacuation générale juste à temps pour éviter une frappe de missile de croisière, qui a effectivement touché le studio à l’heure prévue pour l’interview. La conclusion qu’il a tirée de cet incident était évidente. Larry King était un agent de la CIA qui s’était rendu complice de ce qui allait être un crime de guerre. Inutile de dire que cette histoire n’a jamais été racontée sur CNN…

Les crimes de guerre font partie intégrante de la guerre américaine depuis la marche de Sherman vers la mer. Personne n’a mieux incarné le déclin moral de l’Amérique qu’Ernest Hemingway. Afin de clarifier sa position sur les questions religieuses, Carlos Baker décrit les changements que trois guerres avaient eues sur la foi d’Hemingway :

« En 1918… il avait été très effrayé après avoir été blessé, et donc très dévot. Il craignait la mort, croyait au salut personnel et pensait que les prières à la Vierge et à divers saints pouvaient produire des résultats. Ces opinions avaient considérablement changé pendant la guerre civile espagnole, en raison de l’alliance entre l’Église et les fascistes. Il décida alors qu’il était égoïste de prier pour son propre bénéfice, même si le « réconfort fantomatique » lui manquait comme un verre peut manquer à un homme quand il a froid et qu’il est mouillé. En 1944, il avait traversé des moments très difficiles sans prier une seule fois. Il avait le sentiment qu’il avait perdu le droit à toute intercession divine dans ses affaires personnelles et qu’il serait « malhonnête » de demander de l’aide, même s’il avait peur. Pour lui, comme pour Pauline, bien que pour des raisons différentes, la guerre civile espagnole avait été le point de basculement. Privé du réconfort fantomatique de l’Église, mais incapable d’accepter comme parole d’évangile les substituts séculiers offerts par le marxisme, il avait abandonné sa foi simpliste dans les bienfaits de la prière personnelle et s’était tourné, comme son héros Robert Jordan, vers une doctrine de « vie, liberté et poursuite du bonheur ».

En se concentrant sur la guerre comme catalyseur du déclin moral d’Hemingway, Baker ignore la culpabilité causée par l’adultère et les remèdes que cette culpabilité exigeait. Après avoir reçu « une lettre très triste d’Ag [Agnes von Kurowsky], le modèle réel de l’infirmière dans Le soleil se lève aussi, Hemingway conclut qu’il « n’y a rien que je puisse faire. Je l’ai d’abord aimée et ensuite elle m’a trahi. Et je ne lui en veux pas ». Afin de gérer la culpabilité qui découlait de cette liaison, Hemingway avait dû « cautériser son souvenir […] avec une série de beuveries et d’autres femmes, et maintenant c’est fini ». Le processus de cautérisation impliquait de consommer d’énormes quantités d’alcool, ou comme il l’a dit dans une lettre, « Ton vieil ami Hem a établi le record du club : 15 martinis, 3 highballs de champagne et je ne sais pas combien de champagne en plus, puis je me suis évanoui.» Lorsqu’il est passé de la fornication à l’adultère, son besoin de l’effet cautérisant de l’alcool n’a fait qu’augmenter, jusqu’à affecter son cerveau, le poussant à modifier une réclame populaire de cigarettes (Old Gold) en « quelque chose de nouveau a été confondu ».

X Le paradigme ethnique

Après des semaines de recherche, j’ai enfin trouvé un exemplaire complet de Ghosts in the Graveyard, contenant les passages dont je me souvenais :

« Sur le chemin du retour, le long d’une crête exposée, j’entends une série de gros pétards exploser derrière l’oreille, et de la fenêtre arrière, je vois de petites gerbes de flammes. Nous sommes la cible de tirs de canons antiaériens de 20 mm depuis trois positions de l’autre côté de la rivière. Ils visent haut, apparemment, et les obus tombent sur la cible. Dans ce cas, ils ont repéré la voiture du colonel, mais ils ne s’en approchent même pas. Gushitch rit et dit que nous leur donnerons matière à réfléchir quand nous arriverons au quartier général. Quelques minutes plus tard, il ordonne un barrage d’artillerie un peu plus important que celui que l’ennemi lui a infligé. »

Tom ne dit pas quel rôle il avait joué dans ce barrage d’artillerie, ni dans son article ni en réponse à ma question directe, mais au moment où il a atteint le sommet de cette montagne, il était devenu un Serbe de la Première Guerre mondiale sans complexe.

« Mes amis me disent que j’ai trop bu de shlivovitsa avec les Chetniks. Ils ont probablement raison, ou peut-être était-ce le vin du tsar Dushan. J’ai voulu voir les choses du point de vue serbe, et j’ai trop bien réussi. Je suis passé du statut d’observateur sympathisant, bien que sceptique, à celui de partisan. J’appelle cela le journalisme stoïque, voire le journalisme zen : vous laissez les choses suivre leur cours et vous vous retrouvez aspiré dans un flot d’événements que vous n’auriez jamais pu planifier ou anticiper.

Mon expérience a été différente, principalement parce que je suis arrivé dans les Balkans trente ans après la fin des dernières guerres qui s’y sont déroulées. Des cicatrices psychiques subsistent, mais il en va de même pour la solidarité ethnique que les États-Unis ont utilisée comme arme pour briser la Yougoslavie. Si, comme le disait George Bush, ils nous haïssent pour notre liberté, nous les haïssons pour leur ethnicité, ou comme Tom l’a formulé :

Je pense que notre classe dirigeante les déteste, car elle voit en eux ce que nous étions autrefois. Elle voit Achille et le brave Horatius, Robin des Bois et Jesse James ; de vrais hommes qui règlent leurs comptes à eux, mènent leurs propres batailles, chantent leurs propres chansons et vénèrent leur propre Dieu ; et c’est parce que nous avons appris à nous détester nous-mêmes et tout ce que nous avons été, que nous voulons détruire ces vantards présomptueux qui pensent avoir droit à leur propre identité.

Ayant passé autant de temps avec les Croates qu’avec les Serbes, je peux affirmer que les deux groupes ont leur propre identité. J’ai eu cette révélation en Croatie en regardant Toni parler au propriétaire d’un restaurant local où notre groupe s’était arrêté pour déjeuner. Le propriétaire du restaurant a acheté le vin de Toni ; Tony a amené des touristes dans son restaurant. Les deux hommes étaient responsables de leurs propres opérations. Si l’ADL avait appelé l’un ou l’autre et leur avait dit d’annuler le déjeuner, j’ai une assez bonne idée de ce qu’ils auraient dit, même si je ne peux pas le dire en serbo-croate. La rencontre internationale sur les Dangers de la beauté, qui a dépassé mes attentes les plus folles, n’aurait pu avoir lieu que sous l’égide de la solidarité ethnique croate. Nous étions protégés par leur solidarité ethnique d’une manière qui aurait été impossible en Amérique.

Pour illustrer le contraire de ce dont je parle en évoquant la situation en Croatie, j’avais prévu de donner une conférence dans une salle des Chevaliers de Colomb à Dallas. Nous avions signé un contrat écrit pour la location de la salle, mais dès que mon nom est apparu sur le site web du diocèse, le responsable du conseil local nous a informés que la salle n’était plus disponible, même si cela figurait dans le contrat. J’ai alors appelé le responsable pour l’informer qu’en plus d’avoir signé ce contrat, j’étais membre de l’Ordre. Joe Sanchez n’a pas été ému par cette information. Entendre un membre de l’Ordre n’avait aucune importance. Quand j’ai insisté, tout ce qu’il a pu dire, c’est « Je ne vais pas débattre avec vous ». Voilà pour l’appartenance à une organisation fraternelle catholique. Avec ça, vous pouvez vous payer un café chez McDonald’s. Cependant, lorsque les musulmans ont entendu parler de ma situation difficile, ils ont proposé d’accueillir ma conférence à l’Association islamique d’Irving. De plus, un certain nombre d’entre eux ont assisté à la conférence et l’ont tellement appréciée qu’ils m’ont invité à revenir pour ma prochaine conférence dans la région de Dallas. Donc, tout ce que je peux dire à mon collègue chevalier Joe Sanchez, c’est « Allahu Akbar ! » Allah a un plan, et il ne sera pas contrecarré par des perdants des Chevaliers de Colomb.

La solidarité ethnique en Serbie était encore plus impressionnante que celle que j’avais connue en Croatie. Aleksandar m’a obtenu une invitation de la Guilde des écrivains serbes, et la conférence a été annoncée dans le principal magazine conservateur de Serbie, avec une interview, ce qui a laissé aux juifs suffisamment de temps pour les appeler et les menacer de terribles conséquences. Cela ne s’est pas produit parce que les Serbes contrôlent leur propre culture d’une manière que nous ne pouvons pas mettre en oeuvre.

L’Amérique est composée de trois groupes ethniques : protestants, catholiques et juifs, mais un seul de ces groupes a une solidarité ethnique. Je vous laisse deviner lequel. Si un catholique se rend chez son pasteur en Amérique pour inviter E. Michael Jones à prononcer un discours, la première chose que fera ce pasteur sera de chercher mon nom sur Google. La deuxième chose qu’il fera sera de découvrir l’assassinat de ma réputation par l’ADL, car les juifs qui contrôlent les algorithmes de Google ont décidé que cela apparaîtrait à l’exclusion de tout ce que quiconque, y compris moi-même, pourrait avoir à dire. Cela signifie, bien sûr, que l’ADL détermine désormais qui est un catholique en règle dans l’Église catholique. C’est une violation scandaleuse de l’unité que le Christ a qualifiée d’essentielle à l’Église, mais aucun évêque ne semble s’en préoccuper ou répondre de ce péché contre l’unité devant Dieu lors du jugement dernier.

Les Serbes et les Croates ont la solidarité ethnique qui nous manque. J’ai vu cette solidarité ethnique de leur point de vue de mes propres yeux sur le parking de Lepensky Vir. Parking est un euphémisme. Aleksandar a garé sa voiture dans ce qui ressemblait à un sentier de chèvres qui ne menait nulle part. Lorsqu’il a reculé trop loin, les roues arrière de sa voiture ont glissé dans un fossé dont ses roues avant n’ont pas pu la sortir. La traction avant n’était pas de taille face à un fossé serbe. Si cela s’était produit en Amérique, quelqu’un aurait pris une photo de la voiture en panne avec un téléphone portable et nous aurait recommandé d’appeler le service d’assistance routière. Comme nous étions en Serbie, un groupe d’hommes est apparu et a estimé qu’il était de leur responsabilité de nous sortir de là, un exploit que les Russes et les Serbes ont accompli avec une force brute en soulevant l’arrière de la voiture pour la sortir du fossé. « La solidarité slave à l’œuvre », dit Aleksandar, tandis que nous disions tous « Хвала » et « Спасибо » aux Slaves qui repartaient.

Trente et un ans après la publication de l’article de Tom Fleming dans Chronicles, nous ne pouvons que constater l’échec d’un mouvement politique qui a capturé l’esprit de la droite en ressuscitant l’America First à un moment où l’Amérique avait triomphé pacifiquement de l’Union soviétique. Tout ce que l’Amérique avait à faire à ce moment-là était de déclarer la victoire, de dissoudre l’OTAN et de rentrer chez elle. Au lieu de cela, les néoconservateurs ont détourné notre politique étrangère et ont commencé à entraîner une nation d’Europe de l’Est après l’autre dans l’OTAN, jusqu’à ce que Victoria Nuland orchestre le coup d’État en Ukraine qui a conduit à la guerre actuelle, que l’Amérique est en train de perdre, et de perdre lamentablement. En réponse à cette crise, Anthony Blinken, l’homme dont la seule réponse à chaque question est « J’ai des parents qui sont morts dans l’Holocauste », est arrivé à Kiev pour reprendre la chanson de Neil Young « Rockin’ in the Free World ». Le violon de Néron pendant que Rome brûlait semble un exemple de dignité, en comparaison.

Le mouvement que Fleming et Buchanan ont créé incarnait l’esprit des années 1990, mais il a échoué parce qu’ils n’ont pas pu suivre les conseils de Sun Tzu. « Si vous ne savez pas qui vous êtes et que vous ne pouvez pas identifier l’ennemi, vous perdrez toutes les batailles. » Ni Tom Fleming ni Pat Buchanan ne pouvaient prononcer le mot « juif ». Quand je l’ai dit lors de la commémoration de Sam Francis, Tom m’a excommunié de la synagogue connue sous le nom de paléo-conservatisme. À ce moment-là, le train connu sous le nom de Zeitgeist, autrement dit « Dieu agissant dans l’histoire humaine avec l’aide du libre arbitre humain », a quitté la gare en laissant Tom sur le quai. Il attend toujours, même s’il n’y aura pas d’autre train. Il a fini par être licencié de son poste de rédacteur en chef de Chronicles et mon livre L’esprit révolutionnaire juif, qui en est maintenant à sa deuxième édition, est devenu un best-seller underground. Nous ne pouvons que spéculer sur ce qui aurait pu se passer si Tom et Pat avaient eu le courage de prononcer le mot « juif » à l’époque, lorsque le Zeitgeist l’exigeait, soutenus par un livre qui expliquait précisément ce que ce mot signifiait en termes théologiques et non raciaux. Barbara Ehrenreich avait jadis scandalisé ses consœurs féministes en déclarant qu’un utérus ne remplaçait pas une conscience. De même, je vais scandaliser mes anciens camarades de lutte conservateurs en disant qu’une arme à feu ne peut compenser la lâcheté morale, même si c’est ainsi qu’elle a fini par être utilisée dans une Amérique qui honore encore la mémoire des prédicateurs armés, de Daniel Boone à Ernest Hemingway, comme le paradigme fondamental de ce que signifie être américain. La droite américaine a été paralysée par des tropes qu’elle ne comprenait pas. Lorsque le moment de la révélation de l’esprit du temps (Zeitgeist) est arrivé, elle était aussi aveugle que la synagogue sur la façade de la cathédrale de Strasbourg. Comme Daisy Miller, l’innocente américaine par excellence, les conservateurs ont dit : « Je crois que j’ai envie de savoir ce que vous voulez dire. Mais je ne pense pas que cela me plaira », lorsque j’ai suggéré lors de la commémoration de Sam Francis que le paléo-conservatisme devait identifier l’ennemi.

XI La défaite de l’Amérique

Au cours des 33 années qui se sont écoulées depuis l’effondrement de l’Union soviétique, l’Empire américain est entré dans une période de déclin fatal, rendant la question de l’identité américaine d’autant plus urgente. Dans La Défaite de l’Occident, Emmanuel Todd affirme que l’effondrement de l’empire américain a été causé par l’évaporation du protestantisme, qu’il décrit comme sa grammaire cachée. L’Amérique est aujourd’hui confrontée à la défaite en Ukraine parce que le protestantisme, qui « a été dans une large mesure la force économique de l’Occident, est mort »., écrit-il. Todd fonde sa compréhension du protestantisme sur Max Weber d’une manière typique mais trompeuse. Le protestantisme est peut-être la grammaire cachée de l’empire américain, mais Todd, le juif français, ne comprend pas que le satanisme est la grammaire cachée du protestantisme.

Le satanisme est la trajectoire de l’empire anglo-américain depuis que Satan a prononcé son célèbre discours au début du poème épique protestant Paradise Lost, Le Paradis perdu de Milton. Lorsque Percy Bysshe Shelley a voulu allumer le feu de la rébellion en Irlande, il n’a pas trouvé de meilleure formule que celle utilisée par Satan pour réveiller les démons en enfer lorsqu’il a déclaré à la fin de ce discours : « Réveillez-vous, levez-vous, ou soyez à jamais déchus ». Satan commence par dire adieu au paradis, mais en vient rapidement au fait en proposant la constitution non écrite de l’empire américain. « Ici enfin », dirent les puritains en arrivant en Amérique, « nous serons libres. […] Ici, nous allons pouvoir régner en sécurité. »

Ralph Waldo Emerson avait très certainement lu le Paradise Lost car son essai le plus célèbre, « La confiance en soi », résonne avec le même esprit et la même cadence sataniques. Ayant appris de Milton que « l’esprit est sa propre demeure et peut faire de l’enfer un paradis et du paradis un enfer », Emerson en a conclu que « rien n’est sacré, sauf l’intégrité de votre propre esprit ». Lorsqu’une génération élevée dans la Bible émit des objections, en disant « Mais ces impulsions peuvent venir d’en bas, pas d’en haut », Emerson répliqua en invoquant Satan : « Elles ne semblent pas être de ce genre, mais si je suis l’enfant du Diable, je vivrai alors du Diable. »

Emerson a eu l’idée qu’il était « l’enfant du diable » à partir du principe calviniste de la dépravation totale, qu’il a rejeté tout en conservant l’essence satanique de l’esprit révolutionnaire protestant. Samuel Huntington va au cœur du sujet lorsqu’il nous dit que « l’héritage puritain est devenu l’essence américaine ». Mais l’essence n’est qu’une face de la médaille connue sous le nom d’Être. L’autre face est connue sous le nom d’existence. Le puritanisme américain est né d’une confrontation entre le calvinisme, qui correspondait à l’essence, et l’étendue sauvage, qui correspondait à l’existence. La religion puritaine a dû s’adapter aux réalités de l’existence avant de pouvoir devenir l’essence américaine, ce que Huntington décrit comme « la nation rédemptrice » et « la république visionnaire ».

Le maître américain de l’univers sans nom que j’ai rencontré à Mostar au printemps 1996 était un émissaire de « la nation rédemptrice » et de « la république visionnaire », et la Serbie était la cible de la version satanique de la rédemption, qui est un autre mot pour génocide, si vous ne suivez pas, et ingénierie sociale si vous le faites.

En Amérique, l’essence rencontra l’existence, comme le souligna Frederick Jackson Turner, dans une ligne de fuite vers l’ouest connue sous le nom de frontière, qui devint le creuset qui définit l’identité américaine. Partant de Boston ou de Jamestown, le protestant anglais prit une arme à feu, qui lui permit de tirer sur des cerfs et de se défendre contre les Indiens, et il devint un Américain en cours de route. Les Américains ont toujours été des prédicateurs armés.

L’effet de l’inversion de la relation entre l’existence et l’essence que les Européens avaient héritée des Grecs fut si profond qu’il résista à l’effet traumatisant de la Réforme et se propagea jusqu’au Nouveau Monde. La compréhension révolutionnaire des deux aspects de l’être par Thomas d’Aquin a eu des conséquences à la fois positives et négatives, allant de l’effet positif qu’elle a eu sur le développement de l’architecture américaine sous les frères Greene à l’effet négatif de la « clause du mystère » dans l’affaire Planned Parenthood contre Casey, lorsque le juge Kennedy a émis l’opinion que Milton aurait pu mettre dans la bouche de Satan : « Au cœur de la liberté se trouve le droit de définir son propre concept de l’existence, du sens, de l’univers et du mystère de la vie humaine. »

Pendant la majeure partie de l’histoire américaine, les échecs ont été plus nombreux que les succès, obligeant les Américains en quête d’identité à choisir entre deux paradigmes tout aussi répugnants, incarnés au mieux par Pap, l’homme naturel auquel Huck Finn s’identifie, et qui était « tout en boue », et la veuve Douglas, qui représente la « civilisation » en guerre contre la nature. Parce que l’Amérique était, comme nous le dit Huntington, une nation protestante, elle n’a jamais appris que la grâce perfectionne la nature, car c’était une notion catholique qui pouvait être rejetée d’emblée. Le dilemme de Huckleberry Finn est toujours d’actualité. C’est précisément ce dilemme qui a incité George Bernard Shaw à affirmer que l’Amérique était un pays qui était passé de la barbarie à la décadence sans jamais rencontrer la civilisation sur son chemin.

La quête de civilisation des États-Unis se poursuit. Les chances de succès de cette quête en la reliant à l’identité américaine sont considérablement plus faibles aujourd’hui que lorsque Samuel Huntington les formulait il y a près d’un quart de siècle. Fournir une base métaphysique claire à cette quête constitue cependant un pas, aussi modeste soit-il, dans la bonne direction.

Faisant preuve d’aveuglement, Todd identifie le groupe d’aveugles responsable de l’éclipse de l’élite WASP comme « les néoconservateurs », ou simplement « les néocons ». Comme le savent ceux qui écoutent Tucker Carlson et Douglas MacGregor, « néocon » est un mot codé pour désigner les juifs.

Saint Paul décrivait les Juifs comme « le peuple qui a tué le Christ » et « les ennemis de toute la race humaine » (I Thess 2:14-5). Le génocide israélien à Gaza a rendu cela évident pour le monde entier, y compris pour de nombreux jeunes Américains qui manifestent maintenant contre le génocide israélien dans les universités à travers le pays. Les Américains n’ont plus d’identité collective. Le pays est divisé entre la majorité, qui est en désaccord avec notre politique étrangère, et la minorité qui en profite. Le problème politique fondamental auquel le peuple américain est confronté en ce moment est le contrôle juif sur tous les aspects de notre culture, y compris le contrôle total de notre processus politique.

Les policiers qui ont été appelés pour réprimer les manifestations contre le génocide à Gaza avec une brutalité aussi évidente qu’ injustifiée ont été formés en Israël pour traiter les citoyens américains qu’ils étaient censés protéger comme des Palestiniens. Pendant la guerre contre la Serbie, de nombreux Américains et moi-même nous sommes rassemblés sur les ponts, comme les Serbes l’avaient fait, pour montrer notre solidarité avec la Serbie et notre mécontentement face à une guerre inutile menée en notre nom. Nous étions tous des Serbes à l’époque. Nous sommes tous des Palestiniens aujourd’hui. Ce sont les Israéliens eux-mêmes qui ont provoqué cette nouvelle prise de conscience mondiale, qui a émergé à travers les fissures de l’empire américain en train de s’effondrer.

Dans l’introduction de sa Philosophie du droit, Hegel décrit ce qui se passe lorsque les empires s’effondrent :
Wenn die Philosophie ihr Grau in Grau malt, dann ist eine Gestalt des Lebens alt geworden, und mit Grau in Grau läßt sie sich nicht verjüngen, sondern nur erkennen; die Eule der Minerva beginnt erst mit der einbrechenden Dämmerung ihren Flug. (« Quand la philosophie peint son gris dans le gris, c’est qu’une figure de la vie a vieilli, et avec sa grisaille dans la grisaille, elle ne peut pas rajeunir, tout au plus se rendre reconnaissable ; la chouette de Minerve ne s’envole qu’à la tombée de la nuit. »).

La chouette de Minerve prend son vol au crépuscule. La seule consolation que nous puissions tirer de l’effondrement de la « Gestalt des Lebens » (forme de vie) connue sous le nom d’empire américain est la reconnaissance du satanisme qui a été sa grammaire cachée depuis sa création. Comme la chouette, symbole traditionnel de la sagesse, nous voyons mieux lorsque la lumière est faible. La lumière qui s’éteint ne doit cependant pas conduire au désespoir, car la perspicacité est un élément essentiel de la conscience, et la conscience est la condition nécessaire mais non suffisante du changement politique. Comme à l’époque d’Alexandre le Grand, qui fit du grec la lingua franca du monde civilisé, l’empire mondial a donné naissance à une conscience mondiale malgré sa méchanceté, car Dieu tire toujours le bien du mal. Hegel a appelé cet attribut divin « die List der Vernunft », la ruse de la raison. Le Logos se lève maintenant dans l’obscurité grandissante car, comme l’a dit saint Jean dans le prologue de son évangile, « le Logos est Dieu ». Και ο Λόγος είναι Θεός. Die Vernunft ist Gott. A reč je Bog. Логос је Бог.

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

Une réflexion sur “Reportage dans les Balkans (E. Michael Jones)

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