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L’Opposition ouvrière et le débat sur les syndicats (par A.Chliapnikov)

Je vous présente le chapitre 6  sur l’Opposition ouvrière de la biographie de Chliapnikov par Barbara Allen. On voit comment le parti bolchevik a accaparé le pouvoir des ouvriers. Chliapnikov est véritablement à la gauche du parti avec ses essais pour revitaliser le pouvoir des ouvriers. Il a échoué, broyé par la machine infernale!   Gavrilovitch Chliapnikov, né le 30 août 1885 à Mourom et mort exécuté le 2 septembre 1937 à Moscou, fut un communiste russe, membre de l’Opposition ouvrière au sein du Parti bolchevique.


Chapitre 6 

L’Opposition ouvrière

et le débat sur les syndicats

Même si la Guerre civile va sur sa fin, les dirigeants du Parti communiste russe sont confrontés à de nombreux défis. Les politiques du Communisme de guerre, en particulier les réquisitions de blé, sont devenues insoutenables et de plus en plus difficiles à justifier. Au moment où les Blancs sont vaincus, les rébellions paysannes semblent menacer la détention du pouvoir par les communistes et le mécontentement parmi les ouvriers et les soldats affaiblit la base d’appui des communistes1. Tandis que la population s’irrite des réquisitions et des pénuries de marchandises, les tensions s’accroissent entre les dirigeants du Parti et les membres de la base à cause des privilèges apparents de l’élite et du manque de “démocratie” dans le Parti. Lorsque le consensus du CC sur l’approche de Trotski relative à la reconstruction de l’industrie disparait, la discussion du rôle des syndicats ne peut plus être contenue dans les limites de la direction du Parti et des syndicats. Avec le débat qui s’ouvre à la fin décembre 1920 sur l’intégration de tous les membres du Parti, Chliapnikov et ses camarades décident de lutter (en tant qu’“Opposition ouvrière”) pour faire accepter leur programme lors du X° Congrès du Parti de 1921. Le Congrès s’est tenu alors que les marins de Cronstadt et les ouvriers de Petrograd, qui ont été parmi les forces les plus militantes de la révolution, se soulèvent contre les politiques du Parti. Les dirigeants du Parti utilisent cette rébellion pour mettre dans le même sac les contestataires appartenant à l’Opposition ouvrière, aux centralistes démocratiques et à d’autres groupes. Non seulement l’Opposition ouvrière perd la partie et est blâmée lors du X° Congrès du Parti, mais le fractionnisme fut interdit, ce qui eut aussi des implications pour des groupes comme les Centralistes Démocratiques. L’interdiction du fractionnisme n’est pas un tournant aussi crucial que cela est parfois supposé, étant donné qu’il n’a modifié que les termes de la lutte au sein du Parti. Ce qui fut plus important, c’est la nouvelle politique économique adoptée lors du Congrès qui a changé radicalement le débat concernant le rôle des syndicats.

Évaluation du programme de l’Opposition ouvrière

L’histoire du terme d’“Opposition ouvrière” dans le Parti Ouvrier Social-démocrate Russe remonte à 1900 quand l’intelligentsia l’utilisait pour parler de groupes peu coopératifs d’ouvriers d’Ekaterinoslav et de Kharkov. Il est également appliqué à des ouvriers de l’Oural qui, en 1918, soutiennent le Comité des membres de l’Assemblé constituante [Komoutch], anti-bolchevik et panrusse, à Samara. En tant que terme hostile, ce nom montait les socialistes ouvriers contre les socialistes de l’intelligentsia2. Il est possible que Chliapnikov et ses partisans n’aient pas choisi ce nom eux-mêmes, mais que Lénine le leur ait imposé. Accusés par les dirigeants du Parti d’avoir créé une dangereuse fraction, les membres de l’Opposition ouvrière en sont venus à souligner le caractère informel et la courte vie de ce mouvement. Il n’y a pas de date précise à laquelle le groupe s’est formé. Aucune conférence, ni aucun congrès, n’a marqué sa fondation. Dispersés par la Guerre civile, les métallos de Petrograd, qui sont à la pointe de l’organisation bolchevique en 1917, ne commencent à se réunir dans le Syndicat panrusse des métallos qu’à la fin de 1919, et les propositions de Chliapnikov de l’automne 1919 galvanisent leur soutien. Ses partisans organisent des réunions de bouche à oreille. L’assistance à ces réunions fluctue, ce qui rend difficile de compter les membres du groupe. Soutenant que l’Opposition ouvrière est construite à partir des courants de la “pensée critique” qui circulent parmi les “masses” au cours de l’été 1920, Alexandra Kollontaï met en avant ses racines populaires, et pourtant elle prétend qu’elle ne forme une fraction qu’après que les dirigeants du Parti l’ont caractérisée ainsi. Chliapnikov donne ultérieurement l’impression que l’Opposition ouvrière n’a pris naissance qu’après le V° Congrès syndical en novembre 19203.

En décembre 1920, le programme du groupe est signé par 38 dirigeants de syndicats et de l’industrie. Des centaines de membres du Parti votent en sa faveur, en particulier lors de conférences syndicales. L’Opposition ouvrière en est venue à incorporer des groupes d’ouvriers communistes nés de manière indépendante, tel que le groupe de Bauman à Moscou et les partisans d’Efim Ignatov4. Les Centralistes démocratiques et l’Opposition ouvrière ont essayé de s’unifier sur la base d’une plateforme commune, mais ils n’ont pas pu se mettre d’accord sur la relation exacte entre le Parti et les syndicats. Alors que les Centralistes démocratiques parlent du degré auquel le Parti devrait influencer les syndicats, l’Opposition ouvrière voit la question en termes d’influence des syndicats sur le Parti.

L’Opposition ouvrière souligne que son programme est fondé sur des principe exposés dans les congrès syndicaux panrusses précédents, mais il provient en particulier de la section économique du programme du Parti adoptée lors du VIII° Congrès du Parti en mars 1919. Les oppositionnels se plaignent du fait que la militarisation de l’industrie durant la Guerre civile a imposé aux syndicats de jouer un rôle que les résolutions du Parti ne leur accordent pas. Dans la pratique, le rôle des syndicats dans la production a été relégué à celui « d’un service d’enquête et de recommandations »5. L’Opposition ouvrière attribue la responsabilité du rôle marginal des syndicats dans la production à la bureaucratisation croissante. Le seul remède à ce malheureux état des choses est que les syndicats appliquent la politique économique. Suivant le programme du Parti de 1919, le plan demande à ce que les syndicats « concentrent dans leurs mains la gestion de l’économie tout entière comme une seule unité ». La réforme doit commencer au niveau le plus bas et s’étendre ensuite vers le haut jusqu’à la direction centrale. En premier lieu, les syndicats recevraient immédiatement davantage de personnel et de ressources. Ensuite, les syndicats et les comités d‘usine devraient remplacer les organes économiques de l’État dans l’organisation et la gestion de l’économie. Finalement, les syndicats nommeraient, installeraient dans leurs fonctions et rappelleraient, les managers économiques sans interférence du VSNKh6.

À tous les niveaux, les représentants syndicaux seraient élus afin d’assurer la participation des masses à la gestion de l’économie. Dans les syndicats, les plus hauts niveaux seraient responsables devant les niveaux inférieurs du fait d’élections directes et de comptes rendus périodiques, et les niveaux inférieurs rendraient compte aux niveaux supérieurs. Les représentants des syndicats se réuniraient dans des congrès panrusses de producteurs pour chaque branche de l’économie et pour l’économe tout entière. Afin de faciliter cette représentation, la gestion des industries serait rationalisée « en fonction des caractéristiques de la production » (telles que la métallurgique, les mines, les textiles, etc.). Une assemblée au niveau de l’usine, élue par les « producteurs organisés », serait l’unité organisationnelle de base du syndicat. Les propositions font comprendre que c’est à la fois les ouvriers manuels et les employés en col blanc qui éliraient les organes de gestion. Tous les différents organes dirigeants, y compris les comités d’usine, les comités pour les bases de rémunération, les comités d’atelier, etc., se réuniraient en une seule assemblée d’usine pour se rencontrer deux ou quatre fois par mois et pour prendre des décisions sur toutes les questions importantes auxquelles l’usine est confrontée. L’allégeance primordiale de chaque organisation d’usine irait par conséquent à l’assemblée d’usine plutôt qu’à des organisations supérieures extérieures à l’usine. Enfin, afin d’améliorer le niveau de vie des ouvriers et d’augmenter la productivité, l’Opposition ouvrière recommande de proscrire tous les paiements en nature. Les choses essentielles, y compris les vêtements, la nourriture, les transports et le logement, seraient fournies aux ouvriers, mais elles ne seraient pas distribuées à la place des véritables salaires réguliers7.

Ayant développé une attaque bien organisée et fondée sur le plan théorique contre l’Opposition ouvrière, Lénine sape sa revendication de légitimité en affirmant que le point 5 du programme économique du Parti de 1919 serait effectivement mis en application, mais pas avant que les syndicats ne soient prêts. Avec Zinoviev et Boukharine, il met en avant l’accusation selon laquelle l’Opposition ouvrière promeut le syndicalisme, qu’elle est « une déviation anarcho-syndicaliste et petite-bourgeoise ». Les dirigeants du Parti associent également l’Opposition ouvrière aux forces anti-bolcheviques, et ils avertissent qu’elle permettrait à des ouvriers sans parti de gérer la production. À cette époque, les communistes emploient souvent le terme de “sans parti” pour signifier d’anciens mencheviks, SRs ou anarchistes. Boukharine prétend qu’un congrès de métallos sans parti, majoritairement des mencheviks et des SRs, a adopté une résolution qui est « presque la même » que celle de l’Opposition ouvrière. Se focalisant sur l’appel de l’Opposition ouvrière à un « congrès des producteurs », les dirigeants du Parti affirment qu’un congrès des producteurs aurait signifié permettre à des producteurs non et semi-prolétariens – c’est-à-dire à des paysans et à des artisans – d’exercer une influence sur des décisions économiques. Insinuant que les années de travail que Chliapnikov a passées dans les syndicats français ont contaminé son marxisme, Boukharine se moque du terme “proudhonien” de “producteur” parce qu’il proviendrait du syndicalisme français. Décrivant la “masse” de la classe ouvrière comme « influencée par la paysannerie », Boukharine insiste sur le fait qu’un congrès de producteurs ne peut pas éviter d’acheminer les perspectives paysannes dans la gestion de l’économie8.

Contraint à la défensive, Chliapnikov affirme que l’Opposition ouvrière n’est pas anarcho-syndicaliste puisqu’elle « ne rejetait pas la lutte politique, la dictature du prolétariat, le rôle dirigeant du parti, ni l’importance des soviets comme organes du pouvoir ». En outre, il ne préconise pas la propriété décentralisée de la production qui est au cœur du syndicalisme ce qu’il le fait remarquer. Il essaie d’expliquer que, par un congrès de producteurs, les oppositionnels veulent essentiellement dire « un congrès panrusse des syndicats ». Par « producteurs », ils veulent dire « les ouvriers d’usine, les cols-blancs, et tout le personnel nécessaire à la production ». Les paysans ne peuvent pas en faire partie, souligne t-il, car, à cette époque, il n’y a pas de syndicats paysans dans la RSFSR. De surcroît, Chliapnikov soutient la légitimité marxiste du terme de “producteur”, car on le trouve chez Engels. Lénine rétorque adroitement qu’Engels parlait de la société communiste, et non pas d’une société de transition dans laquelle la guerre de classe était en cours. Zinoviev affirme que l’Opposition ouvrière a employé le terme de manière cynique ou insouciante « afin de donner à sa plateforme pro-ouvrière un plus large attrait ». Chliapnikov soutient qu’il désire utiliser seulement un terme inclusif qui s’appliquerait à tous ceux qui contribuaient à la production industrielle, que ce soit par le travail manuel ou par le travail intellectuel. Incapable de réfuter l’intelligentsia du Parti sur le terrain théorique, il ne peut que conclure avec ironie que peu importe le terme qu’il emploie, ses opposants auraient tordu sa signification afin d’exagérer sa prétendue entorse par rapport à l’orthodoxie9. Plus tard, il semble qu’il ait accepté le fait qu’il avait fait erreur en utilisant le terme de “producteurs”10.

Les syndicalistes russes n’ont pas reconnu l’Opposition ouvrière comme leur étant apparentée ; ils la considèrent tout simplement comme une querelle de famille parmi les bolcheviks. Une définition stricte du syndicalisme ne correspond pas vraiment à l’Opposition ouvrière étant donné qu’elle accepte le Parti communiste comme étant l’égal des syndicats et que ses propositions dépendent d’une structure centraliste plutôt que d’une structure fédéraliste. Selon Wayne Thorpe, les syndicalistes ouest-européens sont « des socialistes non politiques » qui « rejettent l’activité et l’organisation politiques en faveur d’une action révolutionnaire passant par les organisations ouvrières fondamentales, les syndicats, eux-mêmes organisés idéalement sur une base décentralisée et fédéraliste ». L’Opposition ouvrière partage l’optimisme des syndicalistes à propos du potentiel des ouvriers. Cela indique seulement que les deux groupes sont ouvriéristes. Cela signifie qu’ils ont des origines dans la classe ouvrière, qu’ils sont actifs dans les syndicats et qu’ils sont favorables à une participation directe des ouvriers dans la création d’une attitude socialiste de travail et de vie11. Une assemblée représentative, s’appuyant sur des délégués élus par vocation, n’est pas particulière aux syndicalistes. Elle est une composante de la théorie corporatiste. L’idée a été notamment populaire directement après la Première Guerre mondiale, bien que la variante de gauche ait disparu vers la fin des années 1920. Le congrès des producteurs défendu par l’Opposition ouvrière n’a pas de rôle politique, puisque son programme attribue celui-ci aux soviets. De plus, le type de représentation proposé par l’Opposition ouvrière pour le congrès ainsi que le champ de son activité est sensiblement différents des congrès de producteurs proposés par de nombreux corporatistes et syndicalistes. Néanmoins, l’étiquette d’anarcho-syndicaliste a persisté, à la fois dans l’historiographie soviétique et dans beaucoup d’études occidentales12.

Le Tsektran, la IX° Conférence du Parti et la Commission syndicale

La campagne déterminée de Chliapnikov en vue de promouvoir le rôle de l’initiative ouvrière est, a son avis et à celui de ses partisans, le seul moyen acceptable pour faire face aux extrêmes difficultés économiques en Russie vers la fin de la Guerre civile. Ils pensent que les programmes concurrents nécessiteraient d’abandonner les buts d’émancipation qui ont été ceux de la révolution. Trotski n’est pas d’accord. Ayant identifié la crise des transports comme étant la raison principale des pénuries de nourriture et de carburant et comme étant insuffisant pour le ravitaillement de l’armée, il est partisan de la militarisation et de la contrainte pour faire en sorte que le fonctionnement des chemins de fer soit efficient et sans heurts. La création par le CC du Tsektran, qui fusionne les syndicats des cheminots et des mariniers à la fin d’août 1920, provient de son initiative. En tant que président du Tsektran, il prévoit de l’utiliser pour mettre en application ses idées relatives à la conception du travail. Il choisit de faire fusionner des syndicats des chemins de fer et du transport fluvial ainsi que de nommer la direction parce qu’il n’a pas confiance dans les dirigeants syndicaux élus pour employer la contrainte conte les ouvriers13. En tant qu’exemple le plus controversé de l’ingérence du CC dans les questions syndicales à cette époque-là, sa mesure enflamme la discussion sur le rôle des syndicats dans l’économie post-Guerre civile. Chliapnikov et d’autres leaders syndicaux craignent que le précédent du Tsektran ne prépare la voie à la fusion de syndicats, en les absorbant dans l’administration d’État centralisée et en nommant des dirigeants prêts à suivre les ordres du CC. Ils soupçonnent que Trotski est en train de préparer l’extension de la militarisation des transports à toute l’industrie.

Jusqu’à la IX° Conférence du Parti, qui s’est déroulée à Moscou du 22 au 25 septembre 1920, Trotski et ses partisans ont une grande influence au sein du CC. Avec les soucis croissants dans le Parti concernant les conflits entre les dirigeants et les militants du Parti, son influence commence cependant à décroître à la veille de la Conférence. C’est ainsi que le présidium de la Conférence proposé par le CC comprend Lénine, Zinoviev, Tomski et Boukharine, mais il ne comprend, ni Trotski, ni aucun de ses défenseurs les plus inflexibles. Les partisans de Trotski réussissent à l’ajouter avec Radek, au présidium14. Le point central de la Conférence est la situation militaire de la Russie, et en particulier la défaite de l’Armée rouge en Pologne, mais un débat intense s’est ensuivi concernant l’état de la “démocratie” au sein du Parti et les plans de Trotski sur la militarisation de l’économie.

Tournant décisif dans le débat portant sur le rôle des syndicats et sur la démocratie dans le Parti, la IX° Conférence du Parti est le théâtre de violents échanges entre les leaders de l’Opposition ouvrière et les plus hauts dirigeants du Parti. Chliapnikov n’est revenu de Scandinavie qu’à temps pour la dernière partie de la Conférence. Les changements dans la manière dont certains membres du CC considèrent la politique de Trotski l’ont impressionné, bien qu’il soit resté sceptique sur leurs motivations. Par exemple, Zinoviev affaiblit de nombreuses demandes de l’opposition en appelant à une plus grande critique des décisions du Parti, à davantage de tolérance envers les différentes opinions parmi les membres du Parti et pour des assemblées des membres du Parti convoquées plus souvent. Étant donné l’inquiétude grandissante provoquée par les dissensions entre les dirigeants et la base du Parti, Zinoviev et quelques autres leaders du Parti voient la nécessité d’atténuer la rude impression créée par la politique que Trotski a mises en œuvre et de tendre la main aux contestataires15.

Se trouvant en Scandinavie lors de la création du Tsektran, Chliapnikov n’est pas préparé pour en parler. Au lieu de lui, c’est Lutovinov qui est l’orateur principal pour l’Opposition ouvrière. Ayant adopté une position plus radicale depuis le IX° Congrès du Parti en mars, il prononce un discours si rempli de critiques envers les dirigeants du Parti qu’il n’a jamais été publié dans son intégralité. Appelant à un « traitement radical » de « tous les cancers [yazvy] qui rongent le corps de notre Parti », ses exigences de réforme sont entre autres les suivantes : 1°) rétablir la direction du Parti en faveur du CC plutôt que de l’abandonner (laisse t-il entendre) au Politburo, 2°) permettre aux soviets, aux comités de Parti et aux syndicats, de travailler sans qu’il y ait ingérence des organes supérieurs du Parti et 3°) en finir avec la pratique des nominations des officiels du Parti et des soviets par les organes centraux16. Il est peut-être en colère du fait de l’échec dont a fait preuve le CC élu lors du dernier congrès pour réparer les injustices.

Dans les parties non publiées de son discours, Lutovinov insiste sur le fait que le Parti devrait arrêter de disperser les organes élus et qu’il devrait intensifier les efforts pour incorporer des ouvriers dans les comités du Parti, dans les soviets et dans les syndicats. Même le Politburo et le CC devraient être composés d’une majorité d’ouvriers. Les officiels centraux qui se comportent de manière autoritaire seraient envoyés en province et ils seraient remplacés par « des forces fraîches provenant du niveau local ». Les ouvriers, sous la direction du Parti, devraient discuter de toutes les questions touchant à la politique. Il avertit que, si de telles mesures ne sont pas prises, les travailleurs se révolteront contre le Parti. Des rumeurs sont nées comme quoi il est partisan « d’une troisième révolution prolétarienne »17. En effet, Evgueni Preobrajenski, secrétaire du CC et partisan de Trotski, qui répond au discours de Lutovinov, perçoit une menace voilée dans ses paroles. De son point de vue, le CC a un nombre insuffisant de membres pour exercer la direction, et encore moins pour s’immiscer dans le travail des autres organes18. La position de Lutovinov, et la réaction qu’elle suscite, rappellent la controverse sur les déclarations de 1919 de Chliapnikov.

D’autres personnes reprennent les critiques de Lutovinov. Mettant en question la sincérité de Zinoviev, Medvedev, Koutouzov et Kollontaï,exigent des garanties sur le fait que les ouvriers occuperont au moins la moitié des postes dans les comités régionaux du Parti et que ceux qui critiquent, ne soient pas mutés de leurs postes. Leurs réclamations provoquent la colère de Lénine qui réplique que, par des temps de danger militaire, il ne peut pas être question de discussion19. Néanmoins, le consensus du CC relatif au soutien de la politique de militarisation de l’industrie de Trotski s’écroule. Chliapnikov et les autres contestataires ont ainsi l’occasion de contribuer à construire un nouveau consensus.

À l’automne 1920, les fractions principales dans le débat sur le rôle des syndicats ont pris forme dans leurs grandes lignes ; il y a les partisans de la ligne de Lénine, ceux qui se tiennent derrière les propositions de Trotski et ceux derrière l’Opposition ouvrière dirigée par Chliapnikov. Trotski et Lénine sont tous deux au CC, lequel se divise en raison de leurs deux plateformes, tandis que l’Opposition ouvrière n’est pas représentée au CC. Les lignes entre les partisans de Trotski et ses opposants dans le CC sont tracées plus définitivement au début de novembre 1920. Lors du plénum du CC les 8 et 9 novembre, Lénine et Trotski soumettent des propositions séparées sur le rôle des syndicats. Il s’est ensuivi un vif débat. Tandis que Trotski veut incorporer les syndicats à l’État, la proposition plus modérée de Lénine s’oppose à la militarisation du travail et soutient la séparation organisationnelle des syndicats et de l’État, bien que limitant strictement leur rôle à l’éducation et à la préparation des ouvriers à leurs responsabilités dans la société socialiste. En l’absence de plusieurs partisans-clés de Trotski, Lénine l’emporte avec une étroite majorité au CC20. Étant donné ce vote serré, certains membres du CC réclament une discussion publique, mais la majorité recherche un consensus21.

Plusieurs autres points de vue dans le CC fusionne graduellement avec la position de Lénine ou avec celle de Trotski. Boukharine, par exemple, réclame qu’à la fois les syndicats éduquent les ouvriers et qu’ils soient progressivement absorbés en tant qu’un partenaire égal au système de l’État pour administrer l’industrie, mais, en janvier 1921, lui et Trotski se mettent d’accord sur des propositions communes. Tomski et Roudzoutak, qui, représentant la majorité du présidium du VTsSPS, sont favorables à l’attribution d’un rôle des syndicats dans la gestion de l’économie plus important que cela est prévu dans la plateforme de Lénine, mais ils rejettent la subordination par la force aux organes de l’État comme proposée par Trotski. Ils acceptent le fait que seul le CC du Parti est le droit d’élaborer la politique concernant les ouvriers, mais ils sont partisans qu’il prenne en considération les opinions des dirigeants des syndicats. Représentant le VSNKh, Rikov est favorable à la proposition de Noguine d’éliminer toutes les activités des syndicats dans les domaines déjà supervisés par l’État (tels que la culture, les taux salariaux, l’éducation et les finances). Il est difficile d’imaginer quel rôle quelconque serait resté aux syndicats avec un tel plan. Fin janvier, les dirigeants du VTsSPS et du VSNKh s’alignent sur Lénine. C’est cette fraction, qui forme une faible majorité au CC, qui est ensuite désignée comme : les “Dix”22. Les Dix recommandent que les syndicats éduquent les ouvriers en matière de communisme et qu’ils les mobilisent pour élever le niveau de la production, mais ils considèrent l’absorption des syndicats dans l’État comme étant peu judicieuse car elle interfèrerait avec leur tâche d’éduquer les ouvriers. Les huit autres membres du CC sont favorables aux propositions de Trotski23. Étant donné que les représentants des fractions « absorbées » ont fait des exposés minoritaires lors des débats relatifs au rôle des syndicats, Medvedev affirme que les Dix tentent de semer la confusion et de créer l’impression qu’ils sont les seuls à représenter la stabilité24. L’Opposition ouvrière, qui continue à maintenir sa plateforme, souffre du fait qu’elle parait être l’une des nombreuses plateformes minoritaires plutôt que l’alternative principale à Trotski et aux Dix.

La fraction communiste de la V° Conférence panrusse des syndicats (2-9 novembre 1920) offre un important forum à la discussion relative au rôle des syndicats. De nombreux dirigeants syndicaux attaquent les propositions de Trotski. Dans son premier discours capital au nom de l’Opposition ouvrière depuis son retour de l’étranger en Russie, Chliapnikov prend fougueusement la défense de l’Opposition ouvrière et il embroche ses rivaux. C’est peut-être inconsidérément qu’il accuse Rikov et Trotski d’essayer d’accroître leur pouvoir personnel dans le gouvernement en accaparant des droits, des prérogatives et des ressources, pour les bases de leur pouvoir bureaucratique dans le VSNKh et le Tsektran. Certains participants l’applaudissent, mais d’autres l’accusent d’“infamie”. Reprochant à Rikov de créer des obstacles bureaucratiques qui semblent destinés à exclure les métallos de l’organisation de l’industrie des métaux, il l’accuse également d’employer des représentants de firmes prérévolutionnaires dans des postes d’influence. Faisant allusion à Trotski et à Boukharine, Chliapnikov proclame que « les avocats ou les journalistes, qui venaient tout juste de s’engager » ne pourraient jamais gérer au même niveau que des administrateurs syndicaux ayant trois années d’expérience de gestion de crise dans l’industrie. Il trouve ironique que Trotski, qui « était devenu un syndicaliste invétéré en seulement deux mois », tente d’enseigner aux délégués l’histoire des syndicats et leur but. Il met en garde sur le fait que, si Trotski gère l’industrie comme il a géré les chemins de fer, les ouvriers coupables d’infractions mineures seraient condamnés à de la prison. Louant les ouvriers pour leur héroïsme, il conclue que, pour devenir les véritables managers de la production, les syndicats devaient prendre le contrôle du Parti communiste. Cependant, au final, il rejette la responsabilité de la faiblesse des syndicats sur le dos du secrétaire du CC. Quelque peu contradictoire, Chliapnikov demande à la fois aux syndicats d’avoir davantage de liens institutionnels avec le CC, de sorte que leur influence ne dépende pas de la personnalité du secrétaire du Parti, et au Parti « de nous laisser tranquilles »25.

À la suite d’autant de critiques à huis clos au sein de la fraction communiste, les partisans de Trotski dans le Tsektran exposent de manière éhontée (et inhabituelle) ses points de vue aux délégués sans-parti ; ils caractérisent ses discours critiques de “démagogiques”. Les membres du Parti communiste mènent ordinairement un débat sérieux uniquement au sein de la fraction communiste et ils n’exposaient pas leurs désaccords dans des forums ouverts dans lesquels sont proposés des rapports sur des sujets anodins. En conséquence, Chliapnikov, Tomski et d’autres demandent au CC de poursuivre (devant un tribunal du Parti) ceux qui ont enfreint la discipline. Les relations entre les partisans syndicalistes de Trotski d’une part, et ceux qui soutiennent Tomski et Chliapnikov d’autre part,deviennent si conflictuelles que le CC du Parti invite les dirigeants syndicaux à entrer dans la commission qu’il ont déjà constituée pour aplanir les divergences parmi les membres du CC sur la question des syndicats. Les dirigeants du Parti utilisent souvent des commissions semi-formelles afin de résoudre un conflit en dehors des séances plénières du CC. Les premiers membres de la commission sont : Zinoviev (président), Tomski, Trotski, Roudzoutak et Rikov, tandis que Chliapnikov, Lutovinov, Andreïev et Losovski, sont ajoutés en tant que représentants des syndicats26.

La commission syndicale rapidement se disloque. Tout d’abord, Trotski démissionne avant même qu’elle ne se réunisse, car il s’est rendu compte que sa composition le désavantage. Avec Trotski absent, la commission prend sans tarder des positions diamétralement opposées aux siennes. Chliapnikov semble avoir espéré que l’Opposition ouvrière serait comprise dans le nouveau consensus, mais sa méfiance à l’égard de Tomski et les frictions entre Lutovinov et lui sapent cette possibilité. Lorsque ses suggestions (en son absence) ne sont pas incorporées dans l’ébauche des propositions de la commission, Chliapnikov démissionne. Bien que Lutovinov reste, les propositions finales de la commission, formulées par une sous-commission composée entièrement de partisans de Lénine, ne reflète que le point de vue des Dix27. Lutovinov surpris, contrarié par le manque de résultats pratiques de la commission et par la manière avec laquelle il a été manipulé, annonce son intention de quitter ses postes de direction pour reprendre le travail d’usine, mais le VTsSPS le lui interdit. Trotski est d’accord avec Lutovinov sur le fait que Lénine a utilisé la commission pour renforcer le soutien de la plateforme des Dix. Victor Serge, qui voit Chliapnikov à cette époque-là, se souvient de lui comme « d’un homme très amer »28. Chliapnikov sent qu’il a été manipulé, c’est ce qui expliquerait son ressentiment et sa colère. Il ne reste plus à l’Opposition ouvrière qu’à mener une campagne pour le soutien de sa plateforme durant les élections au Prochain X° Congrès du Parti. Mais il y a peu de temps.

Le syndicat des métallos est potentiellement un instrument puissant pour défendre et appliquer le programme de l’Opposition ouvrière. Il est dirigé par un comité central qui élit un présidium et un président (Chliapnikov). En outre, le comité central du syndicat comprend une fraction communiste qui était dirigée par un bureau. Or, Chliapnikov préside ce bureau qui pilote réellement le syndicat. La plupart des membres du bureau font partie de l’Opposition ouvrière, mais celle-ci n’a qu’une faible majorité dans le comité central du Syndicat des métallos (la minorité est divisée entre les partisans de Trotski et ceux de Lénine). Après l’approbation des propositions de l’Opposition ouvrière le 18 décembre par les 38 dirigeants de syndicats et de l’industrie, le bureau du comité central du Syndicat des métallos prépare un bulletin destiné à mobiliser le soutien de ces propositions parmi les branches régionales du syndicat. Parmi les cinq membres du bureau, quatre (Chliapnikov, Vladimirov, Lavrentev et Skliznev) appartiennent à l’Opposition ouvrière. Gourevitch, partisan de Trotski, est le seul à voter contre la diffusion de la circulaire et à contester la décision du bureau de demander l’appui des comités régionaux, sans avoir d’abord cherché l’accord du comité central du syndicat29.

Dans le bulletin, le bureau met l’accent sur le fait que c’est aux ouvriers communistes qu’il revient de définir le rôle que le Parti prendra au sein de l’État et il conseille vivement aux métallos de participer plus activement aux affaires du Parti, en particulier à la sélection des délégués envoyés au X° Congrès du Parti. Se moquant des plateformes de Trotski et des Dix sur le rôle des syndicats, le bureau approuve la plateforme de l’Opposition ouvrière comme étant la plus proche de l’esprit de la section portant sur le rôle des syndicats dans le programme du Parti adopté à son VIII° Congrès. Faire exécuter la politique économique par les syndicats de la production, déclare le bureau, éliminera la bureaucratie et ramènera les ouvriers à la production. En outre, confier aux syndicats la charge du VSNKh éliminera la confusion parfois provoquée par les ordres contradictoires provenant des syndicats et des organes économiques de l’État. Pour obtenir l’approbation de ces objectifs, le bureau insiste pour que les syndicats régionaux élisent des partisans de l’Opposition ouvrière pour le Congrès du Parti30.

Néanmoins, le syndicat n’est pas préparé à exécuter la ligne combative du bureau car, à la fin de 1920, les syndicalistes sont encore en train de lutter pour le retour du personnel détourné vers d’autres tâches durant la Guerre civile31. Considérant qu’il ne reste que peu de mois avant le Congrès du Parti, le bureau donne à peine le temps à ses comités locaux pour effectuer le type de travail qui leur permettra d’acquérir la domination politique sur les organisations locales du Parti. Le fait que le Syndicat des métallos ait seulement commencé à essayer systématiquement de se frayer un chemin pour jouer un rôle dans les directions locales du Parti n’est pas de bon augure pour les chances de l’Opposition ouvrière dans la lutte qui se prépare sur la question des syndicats.

L’Opposition ouvrière à la base

Les leaders de l’Opposition ouvrière essaient de mobiliser le soutien à la base parmi les membres communistes des syndicats, mais la preuve de l’importance du soutien qu’ils ont reçu est fragmentaire. Bien que l’Opposition ouvrière ait joui d’une majorité dans quelques organisations du Parti, le soutien qu’elle a, est considérablement plus fort dans les syndicats industriels. De nombreux membres connus de l’Opposition ouvrière bénéficient de l’appui des organisations syndicales locales qu’ils dirigent. Certaines organisations locales du Parti et des syndicats ont la réputation d’être des foyers de contestation et elles sont associées, d’une manière ou d’une autre, à l’Opposition ouvrière. Parmi ces foyers, il y a les zones industrielles de Kharkov, du Donbass, d’Odessa, de Nijni Novgorod, de Samara, d’Omsk, de Riazan, de Vladimir et de Moscou. Tout de même, le soutien dans les syndicats pour les points de vue de Lénine sont également fort et Trotski y possède lui aussi des partisans

En Ukraine, Kharkov représente un soutien important, mais inégal, à l’Opposition ouvrière. La conférence du Parti qui s’y tient en novembre 1920 est témoin d’un conflit violent entre les défenseurs de l’Opposition ouvrière, tels qu’Ivan Perepechko, et Zinoviev qui représente le Parti russe32. Après que Zinoviev les fustige pour avoir répété des critiques prétendument “mencheviques”, la résolution de l’Opposition ouvrière n’obtient que 23 voix sur 31633. Inversement, la fraction communiste du Syndicat régional des métallos de Kharkov vote en faveur des propositions de l’Opposition ouvrière, sans même prendre en considération celles des Dix. Trotski a peu de partisans. Néanmoins, le président du syndicat voit avec pessimisme les espoirs des métallos de prendre le contrôle du Parti parce que son organisation a changé fréquemment de dirigeants et qu’elle a perdu beaucoup de ses membres au cours de la Guerre civile. Une fois que les dirigeants syndicaux ont rassemblé leurs forces en novembre 1920 et qu’ils demandent aux métallos d’être plus actifs dans les organisations du Parti, ils subissent l’hostilité des dirigeants locaux du Parti qui les désignent comme “syndicalistes”. Les métallos prédominent parmi les membres du Parti dans le district de Petinski où le syndicat est concentré et où les dirigeants du Parti craignent d’être submergés. Le président du syndicat est acculé à la défensive, et il affirme que son organisation n’a jamais eu l’intention de contester « la direction idéologique du Parti »34.

Selon Anton Mitrevitch, vieux-bolchevik qui travaille à Kharkov en 1921-22, l’Opposition ouvrière trouve même du soutien parmi les sovnarkhozistes de Kharkov35. Mitrevitch atteste que les sovnarkhozistes sont des ouvriers métallurgistes hautement qualifiés, la plupart venant de Petrograd, et qu’ils sont « étroitement liés par une amitié personnelle ». Tous, sauf une poignée, soutiennent l’Opposition ouvrière. Ils sont puissants parce qu’ils constituent presque la totalité du comité régional de Kharkov du Parti communiste d’Ukraine. Certains membres de l’intelligentsia qui travaillent dans le sovnarkhoze “flirtent” avec l’Opposition ouvrière, mais ses membres ouvriers ne les acceptent pas pleinement, disait Mitrevitch, lequel met en doute le degré avec lequel certains membres de l’Opposition ouvrière de Kharkov sont dévoués à ses principes. Il remarque que plusieurs de ses membres importants abandonnent rapidement l’Opposition quand elle n’est plus utile à leurs carrières36.

Dans d’autres régions de l’Ukraine, il y a des divergences plus typiques entre les organisations syndicales et les comités du Parti. Par exemple, dans la région d’Ekaterinoslav, où Mitrevitch a travaillé en novembre 1920, il a trouvé qu’il y avait une divergence entre, d’une part, les organisations du Parti et des syndicats dans les districts ouvriers et, d’autre part, au centre-ville ainsi qu’au niveau du gubernia où d’autres groupes sociaux prédominent. Selon lui, les districts ouvriers considèrent les membres du comité du Parti du gubernia comme « des produits de l’intelligentsia bourgeoiseétrangers à la classe ouvrière ». Bien qu’il ait été une personne venant d’ailleurs, les ouvriers locaux l’ont accueilli comme « un membre pétersbourgeois et vétéran du Parti »37. Les mémoires de Mitrevitch mettent en lumière l’importance des réseaux des métallos de Petrograd dans la progression et l’essor de l’Opposition ouvrière. Il y a énormément de prestige à avoir été un ouvrier métallurgiste de Petrograd, en particulier parmi les ouvriers industriels.

Samara, où Youri Milonov dirige l’organisation du Parti, est l’une des rares zones où l’Opposition ouvrière a la majorité parmi les membres du Parti. Fin janvier, son comité provincial vote par huit voix contre quatre en faveur du programme de l’Opposition ouvrière opposé à celui des Dix. Fin février, les Dix ont rassemblé leurs forces. Une majorité de délégués à la conférence provinciale du Parti vote en faveur de la plateforme des Dix. Néanmoins, les délégués élisent un comité provincial du Parti dans lequel les deux tiers sont des partisans de l’Opposition ouvrière. Par conséquent, des adhérents importants de l’Opposition ouvrière jouissent toujours de beaucoup de confiance parmi les communistes de Samara. Milonov affirme que l’Opposition ouvrière a des électeurs dans les districts où domine la classe ouvrière, mais pas dans ceux peuplés par des paysans ou des employés des soviets38.

Si l’Opposition ouvrière ne peut pas obtenir une majorité pour sa plateforme à Samara où elle a le soutien des dirigeants du Parti local, elle est confrontée à une lutte difficile dans d’autres zones où elle n’a pas le soutien du Parti local. Elle a failli obtenir la majorité à une conférence du Parti dans l’oblast de Krasnodar où elle recueille 30 voix, elle est battue de peu par les 33 voix en faveur des Dix (9 délégués votent en faveur de la plateforme de Trotski). L’Opposition ouvrière rassemble 15 voix lors de la conférence de Parti de l’uyezd [canton] de Kazan, mais les Dix l’emportent avec 30 voix. Même dans le gubernia d’Ivanovo-Voznesensk, qui a une longue tradition d’agitation de la classe ouvrière, la conférence de Parti a pour résultat une victoire écrasante de la plateforme des Dix qui obtient 99 voix, contre 12 pour Trotski et 9 pour l’Opposition ouvrière39.

Dans la fraction communiste du Syndicat des métallos d’Ouralsk, une majorité de 13 voix contre 4 approuve la plateforme de l’Opposition ouvrière. (Un membre s’oppose au transfert de la gestion de la production aux syndicats parce qu’il craint que les ouvriers ne considèrent les syndicats comme des patrons). L’Opposition ouvrière remporte une autre victoire dans la fraction communiste de la section régionale d’Orenbourg-Turgaisk du Syndicat des métallos où 10 membres soutiennent « les propositions du camarade Chliapnikov », contrairement à 5 qui sont favorables « aux propositions du camarade Lénine ». À Ekaterinbourg dans l’Oural, le débat sur les syndicats a été ouvert prématurément au début du mois de décembre lorsque le journal “Uralskii rabochii” exprime son soutien aux points de vue de Trotski. Mais le 18 décembre, les syndicalistes d’Ekaterinbourg répondent publiquement en soutenant l’Opposition ouvrière40.

Une discussion sur le rôle des syndicats s’ouvre également assez tôt à Nijni-Novgorod, vieux centre industriel russe et source de force de l’Opposition ouvrière. Chliapnikov s’y est rendu à la fin de 1920, apparemment dans une tentative pour mobiliser du soutien, bien que les archives publiées ne révèlent rien à propos des discours qu’il a pu y faire pour l’Opposition ouvrière. Andreï Chernov-Grechnev, le directeur de l’usine de Sormovo, a approuvé le programme de l’Opposition ouvrière. L’Opposition ouvrière obtient une large majorité dans la fraction du Parti du conseil syndical provincial de Nijni-Novgorod débuts mars. La cellule communiste d’une importante usine d’artillerie de cette ville approuve à l’unanimité son programme. Celui-ci trouve également de l’appui dans les zones industrielles de la Russie méridionale41.

Les archives les plus complètes à propos du soutien à l’Opposition ouvrière au niveau local se trouvent à Moscou. Comme ailleurs, le Parti à Moscou est divisé entre les militants des districts ouvriers et, les dirigeants de la ville et du district. Les dirigeants du comité du Parti de Moscou sont favorables aux Dix, mais Trotski dispose lui aussi d’un soutien très fort parmi les communistes de Moscou. L’Opposition ouvrière inspire une intense dévotion dans les districts ouvriers, en particulier dans le district de Bauman où, en août 1920, les esprits se sont échauffés à cause d’un désaccord entre les leaders du Parti et les militants de la base. Les syndicalistes ont tenté de mettre en place un nouveau comité de district du Parti, dirigé par Koutouzov. À la conférence du Parti du gubernia de Moscou en novembre 1920, l’Opposition ouvrière constitue un bloc avec d’autres groupes d’opposition, et, parmi eux, avec celui des partisans d’Efim Ignatov qui est favorable pour donner un rôle aussi bien aux soviets qu’aux syndicats dans la gestion de la production. Le bloc a proposé sa propre liste de candidats pour le comité du Parti de Moscou et il s’est même réuni séparément « dans une salle voisine ». Étant donné que le bloc de l‘opposition obtient une grosse minorité dans les votes des délégués, il demande une représentation proportionnelle. À ce stade, le CC intervient pour faire respecter le fait que seuls les partisans de Lénine seraient choisis. En conséquence, les délégués de plusieurs districts ouvriers de Moscou expriment leur absence de confiance dans le comité du Parti de Moscou. Les polémiques à propos de la représentation proportionnelle sont endémiques au cours des débats qui ont précédé le X° Congrès du Parti. Toutes les fractions accusent leurs rivales de refuser la représentation proportionnelle pour des raisons d’intérêt personnel, mais c’est la fraction de Lénine qui manipule la représentation le plus efficacement42.

Le cas de Bauman met aussi en lumière les représailles contre les oppositionnels. Ayant reçu des rapports selon lesquels les dirigeants et les militants du Parti de Bauman tiennent des assemblées illégales et abordent la question de la lutte armée, le comité du Parti de Moscou se résout à exclure du Parti beaucoup d’entre eux. Quand ils sont informés que des menaces directes de lutte armée n’ont pas eu lieu, les leaders de Moscou décident seulement de démettre les accusés de leurs postes jusqu’à ce qu’ils changent de comportement. Lorsque les accusés assistent à des assemblées de délégués par défi pour la direction du Parti de Moscou, ils sont jugés devant un tribunal du Parti et privés de leur qualité de membre dans ses comités de district. Les représentants des districts ouvriers accusent le comité du Parti de Moscou d’avoir réagi de façon excessive aux rumeurs et d’être déconnecté de la réalité des districts et des syndicats43.

Le cas de Moscou montre comment le soutien à l’Opposition ouvrière est parfois ancré davantage dans le mécontentement des ouvriers communistes à l’égard des dirigeants locaux du Parti que de ses dirigeants nationaux. Cela affaiblit les tentatives de Chliapnikov et de l’Opposition ouvrière de galvaniser l’opposition aux leaders nationaux du Parti, en particulier à Lénine, qui jouit de beaucoup de respect chez les ouvriers communistes à travers la Russie et contrôlait plus de ressources que Chliapnikov et ses alliés. Dans le seul district de Sokolniki de Moscou, Lénine fournissait à cinquante agitateurs de la littérature et une voiture pour faire de la propagande en faveur des points de vue des Dix. Il a rencontré personnellement des ouvriers oppositionnels afin de les persuader d’abandonner l’Opposition ouvrière. Lénine est apparu à la dernière minute au Congrès du Syndicat des mineurs pour attaquer l’Opposition ouvrière en la traitant de « déviation syndicaliste » du communisme. Cela discrédite Chliapnikov qui, dans son discours inaugural, a défendu les propositions de l’Opposition ouvrière comme étant seulement la mise en œuvre du programme du Parti écrit par Lénine. L’intervention de Lénine provoque une victoire écrasante pour les Dix. Andreïev fait remarquer ultérieurement que les Dix ont sorti « l’artillerie lourde » (Lénine) contre Chliapnikov lors de ce congrès44. Le charisme et la tactique de Lénine affaiblissent la mobilisation de leurs partisans par les oppositionnels pour ce qui concerne la préparation du X° Congrès du Parti. Pourtant les oppositionnels n’ont pas abandonné l’espoir que Lénine pourrait être convaincu d’appuyer leurs points de vue, en particulier s’ils peuvent démontrer l’étendue de leur soutien grâce à un débat ouvert et à l’élection de délégués pour le congrès.

Bien que Chliapnikov ait montré de la sympathie pour les minorités nationales opprimées qui sont également des travailleurs, le programme de l’Opposition ouvrière ne comporte pas de dispositions sur la question des nationalités. À part de recommander une paye égale pour tous les ouvrières, Chliapnikov n’accorde pas beaucoup d’attention à la lutte contre la misogynie bien enracinée. L’Opposition ouvrière est essentiellement un mouvement de métallos masculins ethniquement russes, et ses dirigeants assument le fait que les priorités fondées sur la classe l’emportent sur les questions ethniques et de genre, et aussi que les propositions de promouvoir la prise de décision par les ouvriers résoudrait les problèmes des femmes et des minorités nationales. Le sentiment qu’ils donnent de ne pas être conscients des griefs des minorités nationales a probablement limité l’intérêt de leur programme par les non-Russes et il éveille même le soupçon qu’ils est insensibles et même hostiles envers certains non-Russes. Par exemple, à la fois le leader Centraliste démocratique Rafaïl et Emelyan Iaroslavski, ultérieurement historien du Parti et dirigeant de la propagande antireligieuse, insinuent que l’Opposition ouvrière emploie des procédés rhétoriques antisémites afin de susciter la colère de la classe ouvrière contre les intellectuels du Parti. À la suite de l’insurrection de Cronstadt, Radek et d’autres idéologues du Parti relient des membres de l’Opposition ouvrière aux Cent-Noirs et aux contre-révolutionnaires blancs, mais ces accusations sont manifestement grotesques45.

Mon examen de la rhétorique de l’Opposition ouvrière n’a pas révélé de l’anti-sémitisme. Dans ses discours et ses publications, Chliapnikov se donne beaucoup de mal pour souligner son absence de chauvinisme ethnique. Par exemple, il écrit dans ses mémoires que, dans une confrontation dans un tramway à Petrograd avec un Cent-Noir en 1914 au début de la Première Guerre mondiale, il était intervenu en faveur de juifs russes et qu’il a flanqué « une taloche prolétarienne » à son adversaire antisémite. La seule preuve contraire consiste dans de brèves remarques figurant dans une lettre de Chliapnikov à Kroupskaïa, à propos de l’arrestation de Lounatcharski en 1913 par la police allemande, dans laquelle il écrit que les étudiants juifs qui ont invité Lounatcharski « ont pris si peur » à cause de son arrestation « que cela inspire de la pitié, que c’est dégoûtant de voir ça ». C’est à la fois son sentiment et le terme ethnique qu’il emploie [evreichik] qui est insultants et grossiers et, s’ils sont connus dans les cercles du Parti, ils ont pu créer de la méfiance à son égard et à celui de ses camarades. Des sentiments négatifs ont pu être aggravés par le conflit avec le bureau du Narkomtrud (examiné plus haut). Néanmoins, lorsqu’un ouvrier du nom d’I. Makh (possiblement juif), lors d’une enquête pour fractionnisme illégal en 1923, est interrogé pour savoir s’il a jamais rencontré de l’antisémitisme parmi ses camarades de l’Opposition ouvrière, il répond que non et que, à son avis, ils sont des marxistes bien trop idéologiquement “conscients” pour tomber sous la domination d’un tel préjugé46. Néanmoins, de telles fortes rumeurs ont probablement aidé au discrédit de l’Opposition ouvrière parmi les membres du Parti non-russes et faisant partie de l’intelligentsia.

Le débat sur les syndicats est ouvert

Non seulement les efforts des dirigeants du Parti pour résoudre en privé les différends ont échoué à la mi-décembre 1920, mais toutes les fractions ont en réalité commencé à discuter au niveau local, avant même que le CC n’ait ouvert officiellement le débat le 24 décembre, et Trotski s’adresse immédiatement à une réunion de syndicalistes et de délégués au VIII° Congrès des soviets. Les fractions importantes s’affrontent ouvertement dans la fraction communiste au VIII° Congrès des soviets le 30 décembre. C’est Zinoviev qui prononce le discours principal pour les Dix, dans lequel il expose les raisons en faveur de la limitation du rôle des syndicats à l’organisation et à l’éducation des ouvriers, et contre la gestion de la production par les syndicats. Chliapnikov déclare avec force que le débat sur les syndicats se résume au fait de savoir si, au cours de la transition au socialisme, le Parti communiste chargerait « des bureaucrates et des spécialistes canonisés » d’appliquer la politique économique ou bien si le Parti mettra en œuvre la politique économique directement par l’intermédiaire des ouvriers organisés en syndicats. Il affirme que de transformer les syndicats en organes disciplinaires, comme Lénine l’a en tête, n’est pas nécessaire parce que des « tribunaux de camarades »47 peuvent jouer ce rôle. Il conclut de manière la plus radicale que la crise des syndicats font partie de la crise plus large des soviets et du Parti, et que la résolution de cette crise exige une purge du CC lors du X° Congrès du Parti48. Il ne fait aucun doute que l’objectif principal est de débarrasser le CC de ceux qui, comme Trotski, sont favorables à la militarisation de l’industrie. Néanmoins, beaucoup de membres de haut rang du Parti ont dû se rendre compte qu’un “remaniement” du CC est inévitable étant donné la fracture profonde qui grandit en son sein.

Travaillant par l’intermédiaire de partisans dévoués de Zinoviev dans l’organisation du Parti de Petrograd, les Dix ont rapidement tenté de prendre le contrôle de la discussion portant sur les syndicats. Pour atteindre ce but, l’organisation de Petrograd envoie une lettre au CC dans laquelle elle offre d’“organiser” une large discussion dans le Parti en ce qui concerne les syndicats. Bien que le comité du Parti de Moscou s’y soit immédiatement opposé, Lénine approuve la démarche des gens de Petrograd comme étant un signe sain de l’initiative provenant de la base et destinée à guérir le Parti de la lutte fractionnelle. La Commission centrale de contrôle (CCC) du Parti n’est pas d’accord. Créée lors de la IX° Conférence du Parti en septembre 1920, le rôle et les responsabilités de la CCC sera définis lors du X° Congrès du Parti en 1921. Dzerjinski et Iaroslavski figurent parmi ses premiers dirigeants. Tous deux sont des vieux-bolcheviks qui ont passé beaucoup de temps en prison et en exil. Bien que l’une des responsabilités principales de la CCC soit de juger des infractions éthiques commises par des membres du Parti (ivrognerie, népotisme, sévices physiques, harcèlement sexuel, etc.), elle est devenue un important instrument pour découvrir et punir le fractionnisme au sein du Parti. (Des commissions de contrôle locales et régionales ont été également constituées)49.

La CCC a prévenu que l’appel de l’organisation de Petrograd menace le Parti d’une fracture, mais elle critique aussi le CC pour sa tendance à fuir son rôle de direction, ce qui donne l’impression « que nous n’avons pas un Parti, mais seulement des groupes politiques séparés qui lutteront entre eux au Congrès du Parti ». La CCC demande que le CC prenne le contrôle de la discussion sur les syndicats et qu’il la mène « seulement sous la forme d’une explication fondée sur les principes de camaraderie et non pas sous celle d’une lutte fractionnelle accompagnée d’éléments de scission ». C’est implicitement une forte critique du CC et de Lénine pour avoir déclaré le débat “ouvert”. Néanmoins, le CC ignore le conseil de la CCC quand il approuve à la légère le choix des délégués au congrès par plateforme50. Les déclarations de la CCC traduisent le soutien de ses dirigeants au management du haut vers le bas du Parti plutôt qu’une prise de décision plus largement démocratique.

Au fur et à mesure que le débat sur les syndicats se développe, Chliapnikov essaie de dissiper les rumeurs insidieuses qui circulent à propos de la nature radicale des propositions de l’Opposition ouvrière en assurant à ses publics que la plateforme du groupe est fondée sur le programme du Parti et qu’elle est le produit de l’expérience pratique. Ecartant les autres propositions comme étant des « réflexion de bureau », il dépeigne les partisans de Trotski comme étant éloignés des ouvriers. Plutôt que d’attaquer les Dix directement, il critique les dirigeants du VTsSPS qui les ont rejoints en les traitant de partisans peu fiables du renforcement des syndicats. Sa stratégie consiste à attirer les partisans de leur camp. À titre d’exemple de l’inefficacité des dirigeants du VTsSPS, il cite les longs délais qu’ils mettent pour publier les journaux syndicaux, ce qui rend obsolètes leurs informations et leurs conseils aux ouvriers. De plus, les tentatives du VTsSPS pour assurer un rôle aux syndicats dans la production se sont jusqu’alors limitées à la délégation de représentants syndicaux comme “otages” aux organes de régulation de l’État. Les représentants des syndicats, qui sont une minorité dans les organes de l’État, n’ont pas de réel pourvoir de décision et ils perdent ainsi le contact avec les ouvriers51.

Les opposants de Chliapnikov peuvent même se trouver parmi les communistes du Syndicat des métallos, dont certains penchent vers Trotski. Chliapnikov présente officiellement les propositions de l’Opposition ouvrière au plénum du comité central du Syndicat des métallos du 21 au 23 janvier 1921. Sa fraction communiste discute officiellement du rôle des syndicats le 24 janvier. Tandis que 11 membres votent en faveur des propositions de l’Opposition ouvrière, 7 se prononcent pour des propositions fondées sur celles de Trotski et 2 défendent « les thèses de Lénine »52. La faible majorité en faveur de l’Opposition ouvrière est guère prometteuse étant donné que ce syndicat est son point d’ancrage. Ainsi, Chliapnikov et ses alliés n’ont pas réussi à obtenir le soutien d’un nombre écrasant de membres de leur propre syndicat à la veille du X° Congrès du Parti.

Bien que la plateforme de l’Opposition ouvrière ait été signée le 18 décembre 1920, l’éditeur de la “Pravda”, Boukharine, et les autres dirigeants du Parti retardent sa publication jusqu’au 25 janvier 1921, c’est-à-dire plus tard que les propositions de n’importe quelle autre fraction. Cela reporte la discussion sur la question des syndicats chez les communistes du VTsSPS. Quand la fraction communiste du VtsSPS prend finalement position dans le débat sur les syndicats, c’est décevant. Seuls les représentants des Dix et de Trotski se sont exprimés53. Il n’y a pas de compte rendu de l’Opposition ouvrière. Chliapnikov est supposé avoir parlé, mais il est absent. À ce moment-là, il a dû se rendre compte qu’il a peu de chances de succès dans cette arène. Lutovinov indique, d’une voix éteinte son pronostic, que l’assemblée votera en faveur de la plateforme des Dix, mais il conseille vivement aux délégués de mener quand même un « réel débat ». La majorité vote pour qu’il n’y ait pas de débat ; un délégué met en avant qu’il en a assez entendu au niveau local. Les Dix obtiennent 70 voix, Trotski 23 et l’Opposition ouvrière 21. Les partisans des Dix dominent une commission choisie pour retravailler la plateforme. Riazanov et Lutovinov refusent d’occuper les postes réservés à la minorité, et Lutovinov de s’exclamer : « Je ne peux pas être une marionnette entre les mains de quelqu’un d’autre ». À la fin du mois de janvier, le VTsSPS accepte la démission de sa direction et il approuve sa demande de travail à l’étranger54.

Contrairement à Lutovinov, Chliapnikov continue la lutte en s’adressant aux communistes de Toula et d’autres villes en dehors de Moscou, avec des résultats régulièrement en baisse55. D’autres de ses camarades ont eux aussi lutté contre le courant, mais ils sont de plus en plus pessimistes. Quand Kiselev parle lors d’une conférence du Parti du gubernia de Moscou, il estime que le rôle des ouvriers dans l’économie soviétique n’est pas significativement meilleur que sous le capitalisme. Il a subi une lourde perte56. N’ayant pas réussi à gagner le VTsSPS et le gubernia de Moscou, l’Opposition ouvrière est confrontée à de sombres perspectives. Pendant ce temps, l’agitation grandit chez les ouvriers. Début février, une conférence des métallos bolcheviks, SR et politiquement non affiliés (sans parti), se réunit à Moscou. Des délégués dénoncent les rations inégales qui privilégient les “grosses légumes” et ils demandent la fin des réquisitions de blé. Beaucoup considèrent la concentration croissante du pouvoir entre les mains du Parti comme préjudiciable aux intérêts des ouvriers. Le ressentiment est également fort contre les glavki et les spécialistes de la gestion de l’industrie57. C’est dans cette atmosphère de plus en plus tendue que les dirigeants de l’Opposition ouvrière sont confrontés au mécontentement des ouvriers qui les identifient à la politique du Parti communiste, à la pression du VTsSPS de ramener les métallos indisciplinés dans la ligne et aux efforts de la part des dirigeants du Parti de leur porter atteinte en les associant à des ouvriers qui ont des sympathies SR et anarchistes.

Une anecdote finale tirée de la campagne est instructive. Les communistes qui travaillent dans l’industrie de l’artillerie représentent une source importante du soutien de l’Opposition ouvrière. Alexander Tolokontsev, le président du Bureau central des usines d’artillerie, est membre de premier plan de l’Opposition ouvrière. Il a été ouvrier métallurgiste dans l’usine Izhorsk à Petrograd avant la Révolution, il s’est distingué au cours de l’année 1917 dans le mouvement des comités d’usine et il fait partie du présidium du VSNKh et de la direction du Syndicat des métallos58. Néanmoins, parmi les communistes de l’industrie de l’artillerie, le vote a été très serré. L’Opposition ouvrière, représentée par Chliapnikov, recueille 25 voix et les Dix, représentés par l’un de ses membres les moins importants, Mikhaïl Rikounov, 24. Bien que les membres de l’Opposition ouvrière aient dominé la commission élue pour écrire une résolution, celle-ci n’a pas pu se mettre d’accord59. Cet échec représente un revirement avec des discours furieux et déterminés de Chliapnikov à l’ouverture du débat en décembre 1920.

Le X° Congrès

Le X° Congrès du Parti communiste siège à Moscou du 8 au 16 mars 1921. En tant que premier congrès du Parti après la fin de la Guerre civile russe, il marque la transition du Communisme de guerre à la période de la Nouvelle Politique Économique, dont la pièce angulaire est l’impôt en nature sur le blé pour remplacer les réquisitions. Caractérisé par des débats houleux sur la démocratie interne du Parti et les relations entre le Parti, les soviets et les syndicats, le congrès se termine par l’adoption de résolutions qui condamnent l’Opposition ouvrière et qui mettent un frein à l’expression future de contestations au sein du Parti. Néanmoins, ces résultats sévères n’ont pas été anticipés dans l’esprit de Chliapnikov et de ses partisans. Au moment où le congrès se réunit, l’Opposition ouvrière a atteint un consensus sur l’importance du fait de travailler strictement à l’intérieur des institutions du Parti afin de parvenir à ses buts60. Sur les 694 délégués votants, les Dix détiennent la majorité. Approximativement 45 font partie de l’Opposition ouvrière61. Ce faible nombre a encore diminué au cours du Congrès, mais Chliapnikov et ses principaux camarades ont obstinément persisté. Le congrès leur procure un important forum pour leurs points de vue, dont ils espèrent qu’ils finiraient par prévaloir. Plus pratiquement, l’Opposition espère obtenir certaines concessions en faveur de sa plateforme dans les résolutions que le congrès adopterait.

Désespéré d’attirer l’attention des délégués du congrès, Chliapnikov fait appel à Kollontaï. Admirant sa passion et son talent pour influencer le public, lui et d’autres membres de l’Opposition ouvrière lui demandent d’écrire quelque chose à propos du groupe. Le résultat en est sa célèbre brochure, Rabochaya oppozitsiya, publiée uniquement pour les délégués au X° Congrès du Parti, mais qui a été traduite en fin de compte dans de nombreuses langues62. Elle est considérée comme étant le document principal de l’Opposition ouvrière. Pourtant, les dirigeants du groupe n’ont pas approuvé la brochure ; ils ont seulement signé les propositions de l’Opposition ouvrière qui ont été publiées dans la “Pravda”. Chliapnikov insiste en réalité sur le fait que la publication de Kollontaï n’est pas autorisée ou approuvée par l’Opposition ouvrière ; elle est plutôt un tract portant sur l’Opposition ouvrière. Il refuse invariablement de répondre d’elle devant le Parti63.

Ayant été très tôt une confidente des membres de l’Opposition ouvrière, Kollontaï fait partie de l’intelligentsia, elle n’est donc pas une dirigeante syndicale ou ouvrière, mais les points de vue de l’Opposition ouvrière sont en accord avec ses valeurs. Dans les réunions privées de l’Opposition ouvrière, elle assume pour ainsi dire un rôle de mentor. Chliapnikov l’a également convaincue de faire campagne pour lui et ses camarades. En raison de sa maladie et de son travail au Département des femmes [Zhenotdell], elle ne commence à s’exprimer qu’à la fin de 1920. De son point de vue, l’esprit du bolchevisme, fondé sur la créativité ouvrière, s’est dégradé depuis 1917. Son langage dans ses publications est exalté, mais incendiaire, plus sulfureux que les propositions de Chliapnikov. Elle met en avant le caractère populaire de l’Opposition ouvrière. Ses affirmations selon lesquelles le nombre de membres de l’Opposition ouvrière est en croissance rapide, en particulier dans les centres industriels importants, et qu’elle est enracinée dans « les larges masses ouvrières », est de la provocation. Dans une prose hyperbolique, elle prétend que l’Opposition ouvrière est liée « organiquement » au mécontentement de masse généralisé qui est présent dans le pays, et elle augmente ainsi la vulnérabilité de celle-ci par rapport aux accusations de collusion avec « les forces contre-révolutionnaires »64. Chliapnikov a pris soin d’affirmer que l’Opposition ouvrière essaie de calmer l’agitation parmi les ouvriers et de répondre à leurs doléances à l’intérieur du cadre des régulations du Parti.

Les propositions de réforme de Kollontaï reprennent pour la plupart celles qui sont énumérées par l’Opposition ouvrière, mais elle met un plus fort accent sur la réduction de la “bureaucratisation”. Caractérisant la bureaucratie comme « une négation directe de l’activité de masse », elle explique que le plus grand défaut d’une bureaucratie nombreuse est l’ampleur avec laquelle elle empêche l’initiative locale et elle rend toute activité dépendante de la réception d’ordres venant du centre. Donnant du relief à l’appel de Chliapnikov en faveur de la participation directe des masses laborieuses à la gestion de l’économie, elle écrit : « la tâche est claire : stimuler l’initiative et l’activité autonome des masses » et ensuite ne pas entraver cette initiative par la paperasse et la bureaucratie. Laissant entendre que l’élite dirigeante actuelle a trahi les principes de la révolution, elle concluait en paraphrasant Marx et Engels : « édifier le communisme ne peut être que l’affaire des masses laborieuses elles-mêmes »65. Ses propositions concrètes différent peu de celles de l’Opposition ouvrière, mais son ouvrage est attaqué bien plus sévèrement. Sa brochure est rapidement tombée entre les mains de non-communistes, et son langage exprime une critique beaucoup plus sévère du Parti et du CC que celle de Chliapnikov. Mais ce qui est le plus important pour rendre Kollontaï et l’Opposition ouvrière vulnérables aux accusations d’irresponsabilité et d’aide à la contre-révolution est la mutinerie de Cronstadt qui se déroule en même temps que le Congrès du Parti.

Située sur une île du golfe de Finlande, Cronstadt est la base de la Flotte de la Baltique et elle protège l’accès à Petrograd. Ses marins ont été à l’avant-garde de la révolution de 1917. Influencés davantage par les SRs que par les sociaux-démocrates en 1917, ils soutiennent le pouvoir soviétique. En 1921, les marins de Cronstadt sont en colère contre les réquisitions de blé des bolcheviks et par la répression des ouvriers et des paysans. Une vaste grève commence à Petrograd en février 1921, à la veille de la révolte de Cronstadt en mars. Ni les ouvriers, ni les marins, ne sont opposés au socialisme ; mais ils sont quelque peu mécontents des politiques menées par la dictature communiste. Les ouvriers dénoncent les pénuries de nourriture et de carburant. Les martins de Cronstadt sympathisent avec eux et avec les soulèvements paysans à travers la Russie. Ils exigent de nouvelles élections à bulletin secret aux soviets ; la liberté de la presse pour les socialistes, les ouvriers et les paysans, et d’autres mesures destinées à mettre fin à la répression communiste contre ceux qui ont fait la révolution, et au nom desquels elle a été faite. Craignant que l’insurrection puisse conduire à la perte de leur pouvoir, les dirigeants du Parti communiste ordonnent qu’elle soit étouffée ; ils ont déjà imposé la loi martiale à Petrograd. L’Armée rouge et la Tchéka ont pris d’assaut la forteresse, écrasé le soulèvement et tué plus d’un millier de rebelles66. Les dirigeants du Parti diffusent une propagande disant que c’est des SRs, des réactionnaires et des agents de l’étranger, qui ont fomenté l’insurrection, tout en sachant parfaitement bien que ce n’est pas vrai. Les adversaires de l’Opposition ouvrière discréditent le mouvement en le reliant aux événements de Cronstadt67. La révolte et son étouffement menacent grandement la toile de fond du congrès du Parti en mars.

Lançant l’attaque contre l’Opposition ouvrière lors du congrès, Lénine la rejette en tant que « déviation syndicaliste » et il déprécie l’importance du débat sur les syndicats. Dépeignant le Parti du prolétariat comme assiégé dans un pays peuplé majoritairement par des paysans, il déclare que le programme de l’Opposition ouvrière menace l’unité du Parti et l’emprise du Parti sur le pouvoir. Chliapnikov répond vigoureusement en rejetant la responsabilité du fait de perturber l’unité du Parti sur la direction du Parti ; c’est elle qui a, en fait, provoqué la naissance à l’Opposition ouvrière. Il soutient que le Parti a perdu « le lien organique entre les membres du Parti et leurs organes de direction », parce que le centre ne fait pas confiance aux organisations locales pour prendre des décisions. Mettant Lénine au défi de se souvenir de l’enthousiasme et de la camaraderie qui existaient dans le Parti durant les années de clandestinité et celles de la révolution, il avertit que de lancer des insultes à l’Opposition ouvrière ne peut pas créer l’unité, ni empêcher les ouvriers de quitter le Parti. Il met en garde : « N’allez pas trop loin dans la direction de la lutte avec nous. Ici peut-être vous nous affaiblirez et vous nous écraserez ; mais à partir de là, vous ne ferez que perdre »68. Des délégués l’applaudissent.

Kollontaï, elle aussi, accuse le CC de ne pas avoir suffisamment essayé de résoudre la crise à laquelle le pays et le Parti est confrontés. Inversant les rôles avec Lénine, elle l’admoneste pour ne pas avoir discuté de l’insurrection de Cronstadt dans son exposé. Lénine prend de nouveau la parole et il cogne fort sur l’Opposition ouvrière en établissant un lien entre elle et la contre-révolution petite-bourgeoise et anarchiste. Il vilipende la brochure de Kollontaï comme étant le meilleur exemple de ce lien et il accuse l’Opposition ouvrière d’être irresponsable et d’enfreindre l’unité du Parti en l’ayant remise à l’impression alors même qu’ils étaient au courant du déclenchement de la mutinerie de Cronstadt. Fulminant qu’une personne qui présenterait une telle brochure au congrès « était en train d’essayer de jouer au plus fin avec le Parti », Lénine met au défi l’Opposition ouvrière de produire une défense fondée solidement en théorie. Se référant à la conférence de Parti du gubernia de Moscou, que les adhérents de l’Opposition ouvrière ont interrompue pour se réunir séparément, il annonce que l’Opposition ouvrière veut à tout prix fracturer le Parti. Revenant à la brochure de Kollontaï, il s’écrie qu’elle contient les mêmes slogans que les discours des rebelles de Cronstadt69.

Kollontaï a pensé que sa brochure « publiée à la hâte » trouve initialement grâce aux yeux des délégués. Mais elle remarque le fait que Lénine « la feuilletait » et qu’il « secouait la tête de désapprobation ». Lénine la critique sévèrement, l’accusant de rédiger « la plateforme d’un nouveau parti ». Il la menace ainsi : « Pour cela, tu devrais être non seulement exclue, mais aussi fusillée ! ». Il promet simultanément de « faire juger ta brochure devant un tribunal de l’Internationale ! ». Les remarques de Lénine, entendues par hasard par un certain nombre de délégués se trouvant à proximité, ont un effet immédiat. Ceux qui, précédemment, ont impatiemment cherché à obtenir des copies de sa brochure la fuient. Même Chliapnikov et Medvedev prennent leur distance avec elle. Lors d’une réunion privée avec Lénine et ses partisans, ils renient sa brochure et Medvedev reconnait qu’il ne l’a même pas lue. Les membres de l’Opposition ouvrière semblent incertains et divisés quant à la manière dont ils doivent évaluer l’insurrection de Cronstadt et l’agitation ouvrière à Petrograd. Ce qui est sûr, c’est que la défense de l’Opposition ouvrière par Chliapnikov est plongée dans le désarroi à la suite de l’attaque au vitriol par Lénine de la brochure de Kollontaï que, inexplicablement, Chliapnikov n’est pas prêt à défendre70.

Le soir du 9 mars, quand une majorité de délégués approuve la résolution du CC sur le rapport de Lénine, 45 délégués votent encore pour la résolution alternative de l’Opposition ouvrière. Cette résolution, présentée par Medvedev, critique le CC pour avoir échoué à appliquer des résolutions des congrès antérieurs du Parti portant sur son rajeunissement et sur la démocratie ouvrière, à prendre des mesures contre la bureaucratie et à mettre en œuvre la prolétarisation. La rhétorique des dirigeants du Parti est devenue plus féroce. Boukharine porte l’accusation étonnante selon laquelle l’Opposition ouvrière « est complice de l’opposition paysanne au régime soviétique ». Ce n’est pas parce que Chliapnikov a été ouvrier, proclame t-il, que cela signifie que sa politique est correcte71.

Malgré tout, l’Opposition ouvrière persévère. Après que Boukharine a présenté le rapport de la majorité sur l’organisation du Parti et que les Centralistes démocratiques y ont répondu avec leurs points de vue, un allié de l’Opposition ouvrière, Ignatov, fait plusieurs propositions avec lesquelles Chliapnikov est d’accord. Attribuant la crise au sein du Parti à un afflux d’éléments carriéristes durant la Guerre civile et « au transfert de méthodes militaires de gouvernement dans la pratique quotidienne du Parti », Ignatov voit pour partie la solution dans une purge du Parti, avec l’exclusion automatique de tous les membres non paysans/non prolétariens qui y sont entrés dans la seconde moitié de l’année 1918. En outre, il recommande l’imposition d’une attente d’un à deux ans avant que des membres non prolétariens du Parti puissent occuper des postes dans le Parti. D’autre part, il aurait exempté les ouvriers du besoin d’avoir une recommandation pour être admis dans le Parti. Enfin, il aurait demandé aux membres du Parti d’effectuer « pas moins de trois mois de travail physique » annuellement et de faire preuve de compétence dans un travail ou un savoir-faire paysan ou prolétarien. Le point essentiel est, pour des communistes qui ne sont pas issus de la classe ouvrière, de comprendre « la psychologie prolétarienne à la peine ». Lorsque le vote relatif à l’organisation du Parti est clos, seules 23 voix sont enregistrées en faveur de l’Opposition ouvrière, ce qui représente une nette diminution du nombre de délégués qui votent pour les propositions du groupe. Certains de ses partisans sont partis pour Cronstadt pour y combattre les rebelles (ce qui ne les a pas rachetés aux yeux des dirigeants du Parti), tandis qu’il est possible que d’autres soient rentrés chez eux72.

Chliapnikov essaie de sauver ce qu’il peut du programme de l’Opposition ouvrière. Rejetant d’un air de défi l’accusation de syndicalisme, il concède néanmoins que le programme de l’Opposition ouvrière peut être mis en œuvre par étapes, et la première de celles-ci devrait faire naître l’initiative des ouvriers en leur permettant de voter sur les principales questions de gestion économique lors des assemblées d’usine. La dernière étape devrait attendre la mécanisation de l’agriculture. Il affirme obstinément : « peu importe la plateforme que vous adoptez ici, la vie dictera non pas ce qui est écrit par vous, mais ce qui est établi dans notre plateforme »73.

Margé sa retraite (ou peut-être à cause d’elle), ses opposants continuent à s’acharner sur lui de manière impitoyable. En affirmant qu’un congrès du Parti décidera que les syndicats se sont suffisamment préparés à prendre le contrôle de l’économie, Lénine tend cependant une main à l’Opposition ouvrière, en requérant l’aide de ses membres dans son combat contre la bureaucratie. Finalement, le Congrès du Parti décide que les syndicats seront considérés comme “prêts” à administrer l’économie quand ils se seront défaits de leur « étroite façon de penser en corporatiste » et quand tous les ouvriers seront syndiqués, une reformulation légère mais importante du paragraphe relatif aux syndicats figurant dans le programme du Parti de 1919. La position des Dix en ce qui concerne la question des syndicats remporte une large majorité. 18 délégués seulement votent en faveur des propositions de l’Opposition ouvrière. Malgré ce faible vote pour l’Opposition ouvrière, le congrès fait entrer Chliapnikov dans la commission responsable de l’écriture de la version finale de la résolution, mais, du fait de son isolement, il ne pouvait avoir aucune influence sur elle74.

La question finale que le congrès a à traiter comprend la pose des fondations de l’unité du Parti par l’interdiction d’une future critique organisée en son sein. Lénine et Boukharine travaillent ensemble pour réaliser cet objectif. Malgré sa rhétorique sévère, Lénine tente d’amadouer ses partisans dans les coulisses pour qu’ils intègrent quelques oppositionnels dans le CC. Il semble également que Lénine ait mené des négociations privées avec les dirigeants de l’Opposition ouvrière. Pendant ce temps, Boukharine lance la proposition d’interdire les fractions qui deviendra la base permettant de persécuter les contestataires dans le Parti. Réduit au silence par la proposition de Boukharine, Chliapnikov annonce que l’Opposition ouvrière ne proposera aucun candidat de son groupe pour siéger au CC à moins que les dirigeants de la majorité du congrès ne renoncent à l’interdiction des fractions75.

Se réunissant de manière privée à la veille de la séance finale du Congrès (16 mars), les membres de l’Opposition ouvrière comprennent qu’il y aurait une censure de l’opposition, mais ils ne sont pas encore sûrs de la forme qu’elle prendra. Certains membres se demandent si les oppositionnels devraient faire partie du CC et des autres organes de direction du parti. Certains pensent qu’il est possible de travailler fructueusement avec les dirigeants du Parti appartenant à d’autres fractions, tandis que d’autres craignent une escroquerie et que d’autres encore s’interrogent sur les motifs de ceux qui veulent participer à la direction. Étant donné ces désaccords, Chliapnikov propose l’option du refus personnel. Kollontaï se demande si l’opposition se dispersera après le congrès. Chliapnikov déclare d’une manière ferme : « Il n’y a pas de raison de se disperser » et il dit que l’Opposition ouvrière « mènerait un travail sur une nouvelle base ». D’autres sont d’accord, avec différents niveaux d’enthousiasme, pour continuer le travail, mais pas sous le nom de l’“Opposition ouvrière”. Certains sont enthousiasmés par le fait que leurs points de vue finiraient par prévaloir76. Il semble qu’ils ne s’attendent pas à une résolution qui les viserait spécifiquement.

Deux résolutions anti-fractionnistes sont adoptées facilement lors de la dernière séance. La résolution portant sur « l’unité du Parti » n’attaque pas explicitement l’Opposition ouvrière, mais sa disposition finale (que Staline n’a rendue publique qu’en 1924, lors de la XIII° Conférence du Parti) autorise le CC, à la majorité des deux tiers, à reléguer ou à exclure des membres du CC qui mèneront une activité fractionnelle ou bien qui enfreindraient la discipline du Parti. La seconde résolution, qui condamne « la déviation syndicaliste et anarchiste dans notre Parti », vise directement l’Opposition ouvrière. Elle repose sur l’utilisation que fait Chliapnikov du terme de “producteur”, laquelle est considérée comme non marxiste. La résolution souligne explicitement que le Parti communiste peut « unifier et organiser » l’avant-garde du prolétariat et diriger « toutes les parties du mouvement prolétarien, qui comprenait toutes les masses laborieuses ». C’est l’une des contributions de Lénine au marxisme. La contribution fait un plaidoyer plus poussé concernant l’impossibilité des principes de base du programme de l’Opposition ouvrière77.

Répondant avec indignation aux deux résolutions, Chliapnikov caractérise la résolution sur la déviation anarcho-syndicaliste dans le Parti comme étant « démagogique et diffamatoire » sans précédent. S’opposant fermement à « la proclamation de mesures punitives » dans la résolution sur l’unité du Parti, lui et ses partisans proposent une résolution alternative qui stipule que le congrès rejette la politique « de méfiance à l’égard de la créativité de la classe ouvrière de la part des organes directeurs du Parti ». Ils renouvellent leur appel en faveur d’une purge « des groupes carriéristes et des éléments socialement étrangers » du Parti et de la “prolétarisation” du Parti et des soviets. En outre, tous les membres du Parti devraient être priés de lutter contre la répression de la contestation au sein du Parti. C’est seulement dans ces conditions-là qu’il serait approprié d’abolir le fractionnisme dans le Parti. Seulement 26 délégués votent en faveur de cette résolution finale, preuve que l’Opposition ouvrière subit une hémorragie de ses membres78.

Lénine présente l’intégration de membres de l’Opposition ouvrière dans le CC comme une offre de paix. Chliapnikov est élu au CC comme membre à part entière79. Il le désigne pour diriger une commission sur l’amélioration des conditions de vie des ouvriers et à la Commission centrale de purge ; d’autres membres de l’Opposition ouvrière deviennent membres de commissions régionales de purge. Leur intégration est un message des dirigeants du Parti qui signifie que la purge doit débarrasser le Parti des « éléments petits-bourgeois ». Lénine suggère même que Chliapnikov, en tant que membre de la commission d’édition des résolutions, pourrait trouver une manière d’adoucir leur langage. Finalement, il propose que le congrès n’accepte pas de démissions. D’accord avec lui, une majorité adopte la résolution qui contraint tous les membres de l’Opposition ouvrière à rester à leurs postes. De plus, le CC charge Zinoviev, Boukharine et Koutouzov, d’écrire une lettre aux organisations locales du Parti leur enjoignant d’aplanir les divergences et de travailler de concert avec les membres des anciennes fractions80.

Chliapnikov n’est pas prêt à risquer l’exclusion du Parti en désobéissant à la décision du congrès. De surcroît, il désire le pouvoir qu’il aura, estime t-il, en tant que membre du CC et dans la supervision de la purge du Parti, ce qui lui offre, pense t-il, une bonne occasion de réformer le Parti. Il fait peut-être aussi confiance aux promesses selon lesquelles il n’y aura pas de représailles. En dépit de sa volonté d’entrer au CC, Kollontaï sait que Chliapnikov et ses camarades continuent de se réunir le soir dans sa chambre à l’Hôtel National, dans lequel beaucoup de dirigeants du Parti et du soviet résident, pour « critiquer » et « sortir des blagues » d’une manière contestataire. Elle pense qu’il est « intoxiqué » par le fait qu’il est membre du CC81. Bien qu’elle ait considéré sa conduite comme hypocrite, sa remarque démontre que lui et les autres dirigeants de l’Opposition ouvrière attendent de continuer leur campagne lors du prochain congrès des syndicats. Ils sont optimistes car ils pensent que, par l’intermédiaire des syndicats, ils pourront toujours gagner le Parti. Des années plus tard, Chliapnikov se remémore que l’Opposition ouvrière a appris que, quand l’on mène une politique fractionnelle, et que le débat prend fin, il n’y a plus place pour la manœuvre82. Cette déclaration expliquerait beaucoup de choses à propos de son comportement après 1922 quand il continue à critiquer la politique du Parti sans faire partie d’aucune fraction.


Conclusion

Par l’intermédiaire de l’Opposition ouvrière, un certain nombre de syndicalistes communistes cherchent à aborder les problèmes de la gestion économique qui sont à l’origine du mécontentement des ouvriers de l’industrie. Le noyau du groupe est composé des ouvriers métallurgistes qualifiés de Petrograd qui étaient des organisateurs du syndicat et du Parti avant la révolution. Ils affirment que les ouvriers ont des connaissances et une expérience de grande valeur qui peut aider à résoudre les problèmes économiques et que les ouvriers de l’industrie et les ingénieurs devraient travailler ensemble, par l’intermédiaire des syndicats, afin de relancer l’économie et d’assurer la maîtrise ouvrière de la production, plutôt que la subordination ouvrière à la production. En 1920, les syndicats sont entre les mains des communistes et ils sont composés de beaucoup plus d’ouvriers que les membres du Parti. En conséquence, Chliapnikov et ses camarades considéraient les syndicats comme ayant davantage d’orientation ouvrière et étant plus révolutionnaires que beaucoup de comités de Parti. Le Parti, pensent-ils, avait besoin d’un nouvel afflux de membres et de dirigeants ouvriers afin lui restituer son caractère révolutionnaire. Leur approche n’est ni syndicaliste, ni anarchiste, mais elle est enracinée dans la tradition à multiples facettes du Parti bolchevik.

Les syndicalistes ont des opinions différentes sur le rôle des syndicats. De nombreux syndicalistes, même dans le Syndicat des métallos, s’inquiètent du fait que les propositions de l’Opposition ouvrière sont trop ambitieuses, étant donné que les syndicats n’ont que récemment commencé à récupérer de leurs pertes d’effectifs suite à la Guerre civile. Certains sont des partisans irréductibles de Trotski. D’autres préfèrent que les syndicats ne deviennent pas les patrons de l’industrie, car dans ce cas ils ne pourraient plus être disposés à protéger les ouvriers. Malgré un certain soutien dans les syndicats qu’ont Chliapnikov et l’Opposition ouvrière, c’est le Parti qui contrôle les ressources matérielles, qui dirige la politique de l’État et qui décide du sort des syndicats. Les syndicats ont beaucoup de membres, mais ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour l’emporter sur le Parti. De plus, c’est Lénine qui dirige le Parti et il s’est souvent montré efficace pour charmer et intimider ses partisans et ses opposants afin de parvenir à ses fins. En fin de compte, toutes les décisions concernant la nomination ou le transfert des personnes qui sont communistes devaient passer par l’Orgburo. Et défier l’Orgburo, c’est enfreindre la discipline du Parti.

Durant la période cruciale de novembre-décembre 1920, Chliapnikov a fortement misé sur les négociations avec les autres dirigeants de fraction dans la commission des syndicats. Quand les négociations échouent, Lénine et ses alliés agissent rapidement pour s’approprier l’autorité de la commission afin de promouvoir leur propre programme. Il ne reste que peu de temps pour rallier un soutien suffisant pour la plateforme de l’Opposition ouvrière. La stratégie politique de Lénine est plus efficace que celle de l’Opposition ouvrière pour gagner des délégués au congrès du Parti. Au bout du compte, la rébellion de Cronstadt et les protestations ouvrières de Petrograd à la veille du congrès rendent l’opposition ouvrière vulnérable aux accusations de non-orthodoxie portées par les dirigeants du Parti. Chliapnikov aurait peut-être trouvé du soutien parmi les ouvriers sans-parti, mais il choisit de ne pas le faire. Un dilemme essentiel de sa stratégie est sa dépendance vis-à-vis des responsables du Parti qui renoncent volontairement à leurs pouvoirs.

Chliapnikov était confiant dans le fait que lui et ses partisans pourraient utiliser leurs nouvelles positions influentes dans le Parti pour atteindre certains objectifs de l’Opposition ouvrière. Les secrétaires du CC, Krestinski, Preobrajenski et Leonid Sérébriakov, auxquels Chliapnikov s’est opposé, sont remplacés par Molotov, Iaroslavski et Vassili Mikhaïlov. De plus, à la suite du congrès, le CC semble s’être engagé à créer la “paix” dans les organisations locales du Parti. De cette manière-là, les résolutions du congrès dirigées contre l’Opposition ouvrière paraissent moins dangereuses. Chliapnikov peut espérer que, par le biais des élections, ses partisans prendraient le contrôle des comités locaux du Parti et finalement d’institutions du Parti d’un niveau plus élevé. Lorsqu’il est demandé à Chliapnikov de renoncer à l’Opposition ouvrière lors de la purge du Parti de 1933, il refuse de le faire. Il admet que ses erreurs principales ont été de montrer une hâte excessive à attaquer les éléments bourgeois restants dans le pays et d’ignorer la paysannerie dans ses plans relatifs à la gestion économique. Sans répudier ses idéaux, il concède que son programme ne pouvait pas être réalisé dans la Russie du début des années 192083.


NOTES

1 Malle 1985 ; Figes 1989 ; Aves 1996.

2 Wildman 1967, pp. 107–8 ; Pavliouchenkov 2008, p. 59.

3Kollontaï 1921b, pp. 8–9 ; RGASPI, f. 589, op. 3, d. 9103, v. 5, I. 16, 17 juin 1933, séance de purge du Parti concernant Chliapnikov.

4Pour plus de détails sur les groupes de Bauman et d’Ignatov, voir Pirani 2008, pp. 50–69, 117–26, 195, 237– 52. Pirani soutient que ces groupes “ont leur propres identités politiques” (Pirani 2008, p. 61), tandis que nous voyons des limites moins rigides entre ces groupes ouvriéristes dans le Parti, avec un mouvement d’individus entre les groupes et des actions communes à des moments importants, de la même façon que les militants socialistes de différents partis se comportaient avant la révolution.

5 Chliapnikov et autres 1921f, p. 2.

6 Chliapnikov et autres 1921f, p. 3.

7 Chliapnikov et autres 1921f, p. 3 ; RKP(b) 1963, p. 366.

8 Lénine 1960–70, vol. 32, p. 50 ; “Pravda”, 27 janvier 1921, pp. 2–3 ; TsAODM, f. 3, op. 2, d. 2, II. 3, 10, 15, sixième conférence du Parti du gubernia de Moscou, 19–21 février 1921 ; McNeal 1974, vol. 2, p. 122 ; RKP(b) 1963, pp. 222–3.

9 RKP(b) 1963, pp. 359–67, 380, 526–31 ; Sandu 2006, pp. 50–1. Il a dit que s’il avait employé le terme d‘“ouvriers” plutôt que celui de “producteurs”, il aurait été accusé de makhaevisme.

10 Lors de son épuration de 1933, Chliapnikov a dit : « Quand Lénine me disait que “producteur” pouvait être compris comme un “producteur de marchandise”, j’ai été indigné, mais évidemment je ne pouvais pas nier l’impartialité d’une telle réprimande » (RGASPI, f. 589, d. 9103, vol. 5, I. 13). La fille de Chliapnikov, Irina, possède un manuscrit de 75 pages, portant sur l’Opposition ouvrière, que son père a écrit au milieu des années 1920 ; le NKVD l’a confisqué lors de son arrestation en 1935 et ce sont seulement les archives centrales du FSB qui l’ont rendu à la famille dans les années 1990. Je n’ai pas eu accès à ce document et je n’ai vu de référence à lui nulle part dans les archives que j’ai consultées pour ma recherche.

11Voline 1974, p. 437 ; Thorpe 1989, pp. xiii, 15, 165. Thorpe, dont les définitions étaient ancrées dans le contexte du syndicalisme français, admet que les syndicalistes variaient en fonction des pays et des régions (Thorpe 1989, p. 28).

12Landauer 1983, pp. 1, 69 ; Shukman (éd.) 1988, p. 152 ; Sorenson 1969, p. 94 ; Ruble 1981, p. 10, et Ruble 1983, p. 3.

13Bunyan 1967, pp. 188–9, décret du 26 août 1920 ; Sorenson 1969, p. 107 ; Rosenberg 1989, pp. 349–73. La mise en œuvre de la fusion du Tsektran n’a commencé réellement qu’en octobre 1920 ; ce retard est dû à l’opposition des membres de haut rang du syndicat des mariniers.

14RKP(b) 1972, p. 3. En juin 1920, le secrétaire du CC Evgueni Preobrajenski, mettait en garde à propos du danger engendré par les conflits entre les “éléments de la base” [nizy] et les “grosses légumes” [verkhi] dans le Parti et, au début septembre, le CC a émis une circulaire sur le sujet (Sandu 2006, p. 79).

15 RGASPI, f. 95, op. 1, d. 10, I. 202 ; Sandu 2006, pp. 71–2 ; Pirani 2008.

16Zorki (éd.) 1926, p. 16 ; RKP(b) 1972, pp. 63–4. Les procès-verbaux de la IX° Conférence du Parti ont tout d’abord été publiés dans une version abrégée en 1920. La version publiée en 1972 était fondée sur le rapport sténographique complet qui a été conservé dans les archives, mais il ne contenait qu’un bref résumé du discours de Lutovinov.

17 RGASPI, f. 17, op. 71, d. 79, II. 1–2, 23 octobre 1920, une copie de la lettre de Lutovinov à des camarades ukrainiens. Dans cette lettre, Lutovinov conseillait vivement à ses camarades ukrainiens d’évincer des dirigeants précis du Parti communiste d’Ukraine (Rakovski, Iakovlev, Epstein et Kassior), lequel a soumis sa lettre à l’attention des leaders du Parti à Moscou. Selon Trotski (RGASPI f. 5, op. 2, d. 288), c’est Zinoviev qui a remis la lettre de Lutovinov au CC. L’Orgburo a fait une enquête sur cette lettre après que les dirigeants du Parti communiste d’Ukraine s’en soient plaints (RGASPI, f. 17, op. 112, d. 100, I. 6).

18 RKP(b) 1972, pp. 172–3.

19 RKP(b) 1972, pp. 175–6 (Medvedev), pp. 186–7 (Koutouzov), pp. 187–8 (Kollontaï), et pp. 188–90 (Lénine).

20Huit voix pour les propositions de Lénine contre sept pour celles de Trotski. Le CC crée une section composée de Lénine, Trotski, Zinoviev, Boukharine et Tomski, pour retravailler les propositions de Lénine (RGASPI, f. 17, op. 2, d. 37, 8 novembre 1920). Ceux qui sont présents sont : Lénine, Trotski, Zinoviev, Kalinine, Tomski, Krestinski, Sérébriakov, Boukharine, Artëm, Preobrajenski, Dzerjinski, Andreïev, Kamenev, Roudzoutak, Rikov et Radek. Seuls quatre des partisans de Trotski se déclarent contre les thèses de Lénine ; les autres se sont abstenus.

21RGASPI, f. 17, op. 2, d. 38, 9 novembre 1920. Kamenev, Tomski, Boukharine, Sérébriakov, Sergeïev, Dzerjinski, Radek, Krestinski, Rikov et Zinoviev, réclament une discussion renouvelée dans l’espoir de créer un consensus. Ces 10 membres, qui incluent certains partisans de Trotski, ne sont pas les mêmes que les “Dix” qui soutiennent la plateforme de Lénine sur les syndicats.

22 Cohen 1980, pp. 103–5 ; Lénine 1960–70, vol. 32, p. 47 ; GARF, f. 5451, op. 42, d. 3, I. 43. Les Dix sont : Lénine, Zinoviev, Staline, Tomski, Roudzoutak, Artëm, Kalinine, Kamenev, Petrovski et Rikov. Leur plateforme se trouve dans Zinoviev 1921, pp. 9–32.

23Les partisans de Trotski au CC sont : Krestinski, Preobrajenski, Sérébriakov, Andreïev, Dzerjinski, Boukharine et Rakovski (RGASPI, f. 17, op. 2, d. 56, I. 5). Piatakov, Larine, Sokolnikov, Iakovleva, et Goltsman (aucun d’eux ne font partie du CC) ont également signé (Daniels 1988, pp. 132–4).

24TsAODM, f. 3, op. 2, d. 34, I. 54, 21 janvier 1921, séance du Comité de Parti de Moscou.

25RGASPI, f. 95, op. 1, d. 10, II. 1–44, II. 113–17, 202–4.

26 RGASPI, f. 5, op. 2, d. 334, I. 5, note au CC (copie) datée du 6 novembre 1920 et signée par Tomski, Losovski, Lutovinov et Chliapnikov ; RGASPI, f. 17, op. 2, d. 37, 8 novembre 1920 ; RGASPI, f. 95, op. 1, d. 10, 9 novembre, II. 145–6 ; RGASPI, f. 17, op. 2, d. 41, 10 novembre 1920 ; “Pravda” (13 novembre 1920), p. 2.

27 RKP(b) 1963, p. 379 ; Trotski 1921, pp. 15–21 ; RGASPI, f. 5, op. 2, d. 288 ; f. 95, op. 1, d. 23, II. 4–13 ; GARF, f. 5451, op. 42, d. 3, II. 19–20, 25, 41–4. Les propositions finales sont publiées sous l’initiale “Iou”, ce qui donne l’impression que c’est Iouri Lutovinov qui est responsable de la formulation finale. Les membres de la sous-commission sont : Zinoviev, Losovski, Tomski, Tsiperovich, Staline et Kamenev.

28 RGASPI, f. 95, op. 1, d. 23, II. 1, 4, 8 ; d. 5, I. 172 ; TsAODM, f. 3, op. 2, d. 34, I. 33 ; Serge 2002, p. 123. Zinoviev, Tomski, Roudzoutak et Losovski signent les propositions finales, mais Andreïev, Chliapnikov, Lutovinov, Rikov et Trotski, ne l’ont pas fait. Pour la biographie de Serge, voir Weissman 2001.

29RGASPI, f. 99, op. 1, d. 11, I. 20, séance du bureau de la fraction communiste du comité central du Syndicat des métallos, 27 décembre 1920 (document mal classé parmi les procès-verbaux de la cellule [iacheika] du Parti du comité central du syndicat des métallos).

30 GARF, f. 5469, op. 17, d. 6, II. 1–2, bulletin du 16 décembre 1920, signé par Chliapnikov, Vladimirov, Lavrentev et Skliznev.

31 RGASPI, f. 95, op. 1, d. 5, I. 176, réunion du bureau de la fraction communiste du VTsSPS le 13 décembre 1920.

32Zorki (éd.) 1926, p. 89. Les principaux orateurs lors de la conférence sont Rakovski et Kassior qui sont membres du CC du Parti communiste d’Ukraine (dans sa lettre à des camarades ukrainiens, Lutovinov a conseillé vivement qu’ils soient évincés).

33Zorki (éd.) 1926, p. 88. Ma thèse examine l’échange de lettres ultérieur entre Zinoviev er Perepechko concernant leurs remarques lors de la conférence du Parti communiste d’Ukraine.

34 GARF, f. 5469, op. 17, d. 10, I. 82, 13 ou 18 janvier 1921 ; I. 85, 24 janvier 1921.

35 TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 36, II. 20–1, 36–8, ébauche de mémoires de Mitrevitch. Ami de Medvedev, Mitrevitch est secrétaire-adjoint du Syndicat des métallos de Pétersbourg et membre du Comité bolchevik de Pétersbourg en 1913. Il écrit des articles pour la “Pravda” sous le pseudonyme de “Staryi Putilovets”. Mitrevitch prétend qu’il n’a pas pris part au débat sur les syndicats de 1920-21 parce qu’il n’est arrivé que récemment à Kharkov.

36 TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 36, II. 36–8, 44. Comme exemple, il cite Vakoulev, un ouvrier qui ultérieurement « s’est transformé en un fervent léniniste et en un flagorneur de la direction de notre Parti ». Le CC nomme Vakoulev au Comité central (“dompté”) du Syndicat panrusse des métallos en en 1922.

37 TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 37, I. 425.

38 Holmes 1990, p. 15 ; RKP(b) 1963, p. 84. Milonov est devenu président du Parti de la province de Samara à la fin de 1920.

39 Spencer 1981, p. 169.

40 RGASPI, f. 99, op. 1, d. 12, II. 33, 47 ; Sandu 2006, pp. 84–5.

41Holmes 1990, pp. 15, 24–5 ; Sandu 2006, p. 86 ; RGASPI, f. 99, op. 1, d. 12, II. 27–9, réunion de la cellule communiste, Kovrovsk Pulʹzavod, 18 janvier 1921. Le maximum du soutien à l’Opposition ouvrière à Nijni se situe dans les districts de Beregovoï, de Sormovo et de Gorodskoï. Il y a également un fort soutien à l’Opposition ouvrière dans les usines d’artillerie qui sont sous la direction de Tolokontsev, dans les zones de production d’armement, telles que Toula et Ijvesk, ainsi que dans le Syndicat des métallos d’Armavir, dans la partie méridionale de la région de Krasnodar (Sandu 2006, pp. 72, 81).

42 Sandu 2006, pp. 66–7, 74–6 ; Spencer 1981, pp. 136–7 ; Chliapnikov 1921b, no. 1, p. 13 ; TsAODM, f. 3, op. 1a, d. 2, I. 5, conférence du Parti du gubernia de Moscou, 20–6 novembre 1920.

43 TsAODM, f. 3, op. 1a, d. 2, II. 16–17, 25.

44Sandu 2006, p. 92 ; Chliapnikov 1921d, no. 1, p. 4 et no. 2, p. 3 ; RGASPI, f. 95, op. 1, d. 24, I. 20. Le Congrès du syndicat des mineurs s’était tenu à Moscou du 22 janvier au 2 février 1921. Les Dix obtiennent 137 voix contre 61 pour l’Opposition ouvrière et 8 pour Trotski.

45 Fitzpatrick 1988, pp. 599–613, citant RKP(b) 1963, pp. 105, 263, 274 ; et Fitzpatrick 1992, p. 28 ; TsAODgM, f. 3, op. 2, d. 36, I. 1, discours de Radek devant les militants du Parti de Moscou.

46Chliapnikov 1982, p. 27 ; RGASPI, f. 17, op. 1, ch. IV, d. 1398, I. 1, lettre à Kroupskaïa, 26 février 1914 ; RGASPI, f. 82, op. 2, d. 179, I. 86, témoignage d’I. Makh, membre du Groupe ouvrier 1923.

47 « Des tribunaux de camarades ou de Parti ont examiné sporadiquement des violations de la discipline du Parti entre les purges, mais elles ont fonctionné médiocrement… Les accusations portées le plus fréquemment ont concerné des manquements à la discipline du Parti, des malversations, de l’ivrognerie, des activités contre-révolutionnaires, et la désertion. Les tribunaux de camarades n’ont fait souvent rien de plus que de donner des réprimandes lorsque c’était la consommation d’alcool qui était concernée » (Raleigh 2002, p. 138).

48 RGASPI, f. 17, op. 2, d. 48 ; f. 95, op. 1, d. 5, I. 46; d. 19 ; Naumov 1991, p. 32. L’on trouve un compte rendu verbatim des discours du 30 décembre dans Zinoviev 1921a.

49 TsAODM, f. 3, op. 2, d. 23, I. 6 ; Lénine 1960–70, vol. 32, p. 48 ; David-Fox 1997, pp. 115–16.

50 RGASPI, f. 5, op. 2, d. 150, II. 1, 3, 5 janvier 1921 ; f. 17, op. 2, d. 55, 12 janvier 1921. Lénine, Zinoviev, Staline, Tomski, Roudzoutak, Artëm, Kalinine et Kamenev votent pour la proposition de Zinoviev. Votent contre : Trotski, Boukharine, Krestinski, Dzerjinski, Sérébriakov, Preobrajenski et Andreïev.

51 TsAODM, f. 3, op. 2, d. 25, II. 1, 35–7, session du comité du Parti de Moscou, 17-18 janvier 1921. Le comité du Parti de Moscou vote en faveur des Dix.

52Fomichev 1984, vol. 10, p. 3 ; RGASPI, f. 99, op. 1, d. 8, I. 1, 24 janvier 1921. Ceux qui ont voté pour l’Opposition ouvrière étaient : Vladimirov, Chliapnikov, Lavrentev, Skliznev, Rozental, Boudniak, Soloviev, Plechkov, Kariakine, Medvedev et Tolokontsev. Medvedev, Tolokontsev et Soloviev sont membres candidats. Ceux qui votent en faveur des propositions de Trotski sont : Goltsman, Gourevitch, Andreïev, Loutsouk, Denisov, Tarygine et Veinberg. Gorbatchev et Lepse votent pour les thèses des Dix. Lepse est devenu président du syndicat en 1922.

53 RGASPI, f. 95, op. 1, d. 23 ; d. 24, I. 1, 4, compte rendu sténographique non daté de la session de la fraction communiste du VTsSPS, présidée par Lutovinov ayant eu lieu probablement le 28 janvier (malgré une étiquette marquant le 23 janvier), étant donné la référence de Tomski à l’article de la “Pravda” de Kollontaï du 28 janvier qui a été publié le même jour.

54 RGASPI, f. 95, op. 1, d. 22, II. 35–6, 208 ; d. 24, II. 22–8.

55Pravda”, 27 janvier 1921, p. 4. Kamenev, Trotski et lui, se sont adressés aux représentants du Parti de Toula le 25 janvier. Kamenev a obtenu 587 voix pour les Dix, tandis que Trotski en a recueilli 272 et Chliapnikov seulement 16.

56TsAODM, f. 3, op. 2, d. 2, II. 3, 14–16, 18, 19–21 février. Les Dix ont recueilli 217 voix, le groupe Trotski-Boukharine 52, l’Opposition ouvrière 45 et les centralistes démocratiques 13.

57Pirani 2008, pp. 74–8 sur une conférence qui a eu lieu les 2–4 février 1921.

58Alexander Tolokontsev (1889–1937) a rejoint le Parti en 1914. Dans une note du 10 août 1921 à Lénine, P.A. Bogdanov du VSNKh le décrit de façon élogieuse : « Un ouvrier énergique au plus haut degré, rapide dans la prise de décision, capable de faire preuve d’une grande rigueur et d’être exigeant, tout en accompagnant cela d’un grand tact dans ses relations avec ses subordonnés, y compris les spécialistes … l’une des plus intéressantes personnes que j’ai rencontrées au cours de la révolution d’Octobre » (RGASPI, f. 5, op. 1, d. 910, I. 3). Tolokontsev continue à effectuer un travail économique de haut niveau jusqu’au début des années 1930 ; il est exécuté en 1937.

59 RGASPI, f. 99, op. 1, d. 12, I. 45, III° Conférence panrusse des usines d’artillerie, 21 février 1921. Gourevitch parle pour le groupe Trotski-Boukharine pour la plateforme desquels 9 délégués ont voté. Un seul délégué n’a pas voté.

60TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 42, I. 297, notes de Medvedev sur une réunion privée de l’Opposition ouvrière dans laquelle il propose de faire entrer Chliapnikov et Perepechko dans le présidium du congrès et d’autres membres dans le secrétariat du congrès, la commission des mandats et la commission éditoriale. Chliapnikov obtient 46 voix comme candidat au présidium du congrès, Perepechko 33, Kollontaï 30, Ignatov 24, Milonov 17 et Kiselev15. Kiselev a recueilli 27 voix pour la commission des mandats et Bourovtsev 14. Kollontaï est élue à l’unanimité comme représentante de l’Opposition ouvrière dans la commission éditoriale. Concernant la commission sur le mouvement syndical, les personnes présentes ont voté à l’unanimité pour Chliapnikov (TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 42, I. 299). Les délégués au congrès ont accepté toutes ces nominations lors de la première séance. L’Opposition ouvrière ne présente pas de liste séparée. Ses candidats figurent plutôt parmi les propositions de candidature faites au nom des délégations de Moscou, de l’Oural, de la Sibérie et de l’Ukraine (RKP(b) 1963, pp. 3–6). Chliapnikov est le seul représentant de l’Opposition ouvrière élu pour la commission syndicale (RKP(b) 1963, p. 765).

61Au moins 46 délégués appartenant à l’Opposition ouvrière assistent à une réunion organisée par elle à la veille du congrès (TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 42). Kollontaï écrit dans son journal qu’il y avait 60 membres de l’Opposition ouvrière au congrès, et que tous étaient des ouvriers. 45 étaient des délégués à part entière et 15 avaient une voix consultative (RGASPI, f. 134, op. 3, d. 37, I. 1). En 1931, Chliapnikov informe l’Institut Marx-Engels-Lénine (sur demande de celui-ci) que plus de 60 partisans de l’Opposition ouvrière sont initialement présents lors du X° Congrès, mais il refuse de les nommer (TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 43, I. 142, 14 janvier 1931).

62Seuls quinze cents exemplaires de sa brochure sur l’Opposition ouvrière ont été publiés originellement en russe, mais elle est tombée entre les maisons d’étrangers et elle a été publiée en anglais, en allemand et en d’autres langues (RKP(b) 1963, pp. 100 et 866, note 66).

63 RGASPI, f. 589, d. 9103, vol. 5, II. 12–13.

64 RGASPI, f. 134, op. 3, d. 34, I. 4, 5 février 1920 ; Kollontaï 1921a, p. 1 et 1921b, p. 5.

65 Kollontaï 1921b, pp. 36–47.

66 Avrich 1970 ; Getzler 1983 ; Iarov 1999.

67 TsAODgM, f. 3, op. 2, d. 36, I. 1, discours de Radek devant les militants du Parti de Moscou.

68 RKP(b) 1963, pp. 27–40, 8 mars 1921 ; RKP(b) 1963, pp. 71–6, 9 mars 1921.

69 RKP(b) 1963, pp. 100–3 ; pp. 112–24.

70 RGASPI, f. 134, op. 3, d. 37, II. 1–2, 23 mars 1921 ; RKP(b) 1963, p. 125. Kollontaï n’est pas invitée à assister à la réunion qui se déroule après la onzième séance au cours de la soirée du 13 mars (RKP(b) 1963, pp. 336, 882).

71 RKP(b) 1963, pp. 136–7, 222–3.

72 RKP(b) 1963, pp. 234, 243, 334, 652–4. Sur la liste de ceux qui quittent le congrès pour aller à Cronstadt, il y a au moins quatre membres de l’Opposition ouvrière, y compris Mikhaïl Chëlichev (RKP(b) 1963, pp. 765–8). (Selon Irina Chliapnikova, sa mère prononce le nom de Chëlichev avec un “ë”, bien que je ne l’ai vu écrit que “Chelichev”, qui est la manière dont ce nom est habituellement prononcé en russe). Chliapnikov demande ultérieurement que Medvedev, Kiselev et d’autres vieux bolcheviks ayant une expérience pré-révolutionnaire à Petrograd, fassent partie d’une commission destinée à enquêter sur les événements de février-mars à Cronstadt et à Petrograd ; il ne fait pas confiance à une commission composée de personnes qui ne connaissent pas les ouvriers de Petrograd. Il met également Zinoviev au défi de prouver ses allégations selon lesquelles l’Opposition ouvrière, au lieu de réprimer les rebelles de Cronstadt, a tenté de gagner les ouvriers à la plateforme de l’Opposition (RGASPI, f. 82, op. 2, d. 173, I. 13, 7 avril 1921).

73 RKP(b) 1963, pp. 359–67, séance du 14 mars.

74 RKP(b) 1963, pp. 369–71, 380, 399 ; “Sur la déviation syndicaliste et anarchiste dans notre Parti”, voir McNeal 1974, vol. 2, pp. 121–3. Le nombre total de voix (404) est bien inférieur au nombre total de délégués assistant au congrès (694). À ce moment-là, environ deux cents délégués du congrès l’ont quitté pour se rendre sur le front de Cronstadt. Et même ainsi, environ 90 délégués ont dû s’abstenir de voter s’ils n’ont pas abandonné le congrès pour d’autres raisons.

75Selon Cohen 1980, Boukharine a soutenu cette résolution en raison du danger que l’insurrection de Cronstadt représente pour le régime (Cohen 1980, p. 106). Chliapnikov, Medvedev, Perepechko et Ignatov, déclarent qu’ils n’enverront pas de représentants au CC si la résolution de Boukharine condamnant l’Opposition ouvrière passe (RKP(b) 1963, p. 790). Selon Mikoïan 1970, Lénine exhorte « une réunion privée de ses partisans » à voter pour faire entrer Chliapnikov, Koutouzov, et peut-être Kiselev, au CC (Mikoïan 1970, pp. 139–43). Lors d’une réunion privée, des membres de l’Opposition ouvrière font allusion « à des négociations privées » entre leurs propres dirigeants et ceux des Dix (TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 42, I. 285).

76 TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 42, I. 285, notes de Medvedev.

77 RKP(b) 1963, pp. 573–5, 773–4, 778 ; KPSS SSSR 1954, vol. 1, pp. 529–33 ; RKP(b), pp. 573–5. 25 délégués votent contre la résolution “Sur l’unité du Parti” [‘Ob edinstve partii’] et 30 délégués votent contre “Sur la déviation syndicaliste et anarchiste dans notre Parti” [‘O sindikalistskom i anarkhistskom uklone v nashei partii’].

78 Zorki 1926, pp. 27–9 ; RKP(b) 1963, pp. 526–7.

79 RKP(b) 1963, p. 402. Chliapnikov a recueilli 354 voix sur 479. Medvedev et Kiselev sont nommés membres candidats du CC.

80 RKP(b) 1963, p. 538 ; KPSS SSSR 1954, vol. 1, p. 533 ; RGASPI, f. 17, op. 2, d. 62, I. 2. Selon Naumov 1991, Lénine a convaincu Chliapnikov de retirer sa démission (Naumov 1991, p. 39).

81 TsA FSB, R33718, d. 499061, vol. 41, I. 158, lettre de Chliapnikov à un partisan ; RGASPI, f. 134, op. 3, d. 37, II. 3–7 ; RGASPI, f. 2, op. 1, d. 14615, I. 1.

82 RGASPI, f. 589, d. 9103, vol. 5, I. 14, audition de Chliapnikov lors de la purge de 1933.

83 RGASPI, f. 589, d. 9103, vol. 5, II. 14–15.

 

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