Contribution à l’histoire des luttes de la classe ouvrière (1950-1970)

Luttes de classes dans les années 1960-1970,
Vers l’autonomie des luttes: les années « sauvages » (1)

Par M. Ol, Juin 2022.

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cliquer ici:  Années sauvages[14185]

Les années 1960 et 1970 possèdent des caractéristiques particulières, du point de vue de
la lutte des classes, dans un monde divisé principalement en deux blocs impérialistes, le bloc
occidental sous leadership des États-Unis et le « bloc de l’Est » dominé par l’URSS. Pour
appréhender l’histoire sociale de la fin du XX° siècle, il faut éviter de se focaliser sur les seuls
évènements de mai 1968 en France, qui bien qu’étant considérée la plus grande grève générale de
l’histoire, ne doivent pas occulter l’important phénomène mondial et international de la reprise de
la combativité des travailleurs avec de nombreuses luttes « sauvages », c’est à dire en dehors du
cadre des syndicats officiels et partis traditionnels, avec des tentatives de prise en main des luttes,
dans les grèves et occupations des usines, et dans les manifestations la plupart du temps très
violentes avec de quasi émeutes. (Voir: Résultats de recherche pour « MAI 68 » – les 7 du quebec)

1. Le contexte général des années 1960-70.

1. 1. Les luttes contre la guerre.

A l’échelle internationale s’opère la mobilisation de nouvelles forces, mettant en usage
leurs formes propres d’action militante. La toile de fond, pour certains, en fut le Vietnam. C’est
certainement vrai pour la grande révolte des universités américaines. Les États-Unis avaient déjà
été le théâtre de multiples rassemblements dans la bataille antiraciste pour les droits civiques2,
mais la lutte contre la guerre impérialiste est une constante du combat de la classe ouvrière et des
internationalistes. Elle prend donc une place politique importante que ce soit dans les faits ou
idéologiquement. C’est ce cadre de lutte contre la guerre qui est notable – à mettre en valeur –
pour les États-Unis en guerre alors que des jeunes travailleurs et des étudiants sont envoyés
comme chair à canon au Vietnam. Nombre d’étudiants refusent cette guerre qui n’est pas la leur.
(désertion de masse au Canada surtout voire des meurtres de supérieurs sur le terrain au
Vietnam). (Voir: Résultats de recherche pour « Vietnam » – les 7 du quebec).

Les premiers bombardements américains, décidés par le président Johnson, ont lieu au
Vietnam du Nord en février 1965. Depuis 1963, les forces américaines envoyées au Vietnam du
Sud ne cessent de grossir : 185 000 soldats en décembre 1965, 385 000 en décembre 1966, 485
000 en décembre 1967… Dès septembre 1964, des troubles sérieux attirent l’attention sur
l’université de Berkeley. Les étudiants font entrer la politique sur le campus contre la volonté de
l’administration. Aux côtés des leaders étudiants, on voit la chanteuse Joan Baez encourager le
mouvement au son des guitares, puis la formation d’une université libre de Californie. Derrière
tous ces événements qui n’étaient pas mesurés à leur juste niveau par les protagonistes étudiants,
certains idéalistes pensaient tout simplement à l’émergence « d’un pouvoir étudiant ». En réalité,
il se posait la question du refus de la guerre impérialiste et de se faire tuer pour une cause non
acceptée. Les étudiants ne manquaient pas de motifs pour s’unir et agir : l’intervention des forces
armées de leur pays à Saint-Domingue ; le mouvement antiségrégationniste de Martin Luther
King et la révolte des noirs ; enfin et surtout la guerre du Vietnam qui happait chaque année plus
de jeunes hommes sans issu.


1 La bourgeoisie et ses économistes ont des termes caractérisant des périodes historiques ; comme « les années folles », « les
trente glorieuses », de la même façon le mouvement ouvrier devrait pouvoir caractériser les temps forts et les phases de
combativité de la classe ouvrière.
2 Le combat de Martin Luther King et de Malcolm X n’est pas notre propos ici ; d’autres s’en sont chargés mieux que nous.


Entre 1964 et 1967, la protestation sur les campus contre la guerre du Vietnam ne cesse
de s’amplifier. Le consensus américain est brisé : jamais on avait vu un président être autant
détesté par la jeunesse du pays que ne l’était Lyndon Johnson. L’élection au cours de ces annéeslà
de Ronald Reagan au poste de gouverneur de Californie prit le sens d’une contre-offensive
décidée de la part du monde des affaires et des nantis contre la jeunesse révoltée de Berkeley et
d’ailleurs. Celui qui allait devenir en 1980 président des États-Unis entendait « agir avec fermeté
contre le sexe, la drogue et la trahison à Berkeley ».

De Californie et d’Amérique, la mobilisation des jeunes contre la guerre du Vietnam
atteignit tous les pays industriels. Partout les jeunes s’ingénièrent à conduire des actions
autonomes, refusant de suivre les mots d’ordre trop timorés de l’extrême gauche traditionnelle.

En Allemagne fédérale, cossue, paisible et disciplinée, les révolutionnaires du SDS (jeunes
socialistes de gauche) s’expriment fortement. A Londres, à Tokyo, à Rome, les étudiants troublent
violemment les joyeuses années de la grande croissance. Aux Pays-Bas, on assista à des
événements peu banals : en mars 1966, les provos3 organisèrent devant les caméras de la
télévision le chahut du mariage de la princesse royale Béatrix de Hollande avec un ancien
membre de l’armée hitlérienne, Klaus von Amsberg. Un de leurs leaders, Bernhard de Vries, se
retrouve, à vingt-six ans et après une campagne mémorable, conseiller municipal d’Amsterdam.

En France, les différents comités Vietnam dont le comité « Vietnam de base » maoïste
mènent des actions violentes et hostiles au parti communiste, ces comités regroupèrent bon
nombre d’étudiants et de lycéens, plus ou moins teintés de maoïsme et de trotskistes. La
révolution « culturelle », lancée par Mao, parut galvaniser les jeunes ici et ailleurs pour
ressourcer la révolution. La haine de l’« impérialisme américain », la défiance du communisme
soviétique, un rêve maoïste nourri de quelques images et de quelques formules du Grand
Timonier, c’est avec ces sentiments et ces chimères qu’une partie de la jeunesse s’enhardit dans la
lutte politique, où elle crut trouver la satisfaction morale de servir une grande cause.

Pour d’autres, c’est la figure de Che Guevara avec le slogan : « Un, deux, trois Vietnam,
etc. » qui fait bouillir de larges masses. La protestation anti-impérialiste contre la guerre
américaine au Vietnam semble manifester les nouvelles réalités politique : un mouvement
international se répond d’université à université, de ville à ville, de pays à pays. Cette cause
commune structure la jeunesse en force politique largement indépendante des vieux appareils
avec une sensibilisation peu imaginable sans les moyens de communication de masse, informant,
avec un luxe d’images sur le déroulement du conflit et sur ses atrocités visibles jusque dans les
salles-à-manger. (Voir: Résultats de recherche pour « Guevara » – les 7 du quebec).

 

1. 2. La lutte contre l’impérialisme américain4 masque la question essentielle : la
lutte des classes.

Ce qui se passe alors dans le monde de 1963 à 1968 ne laisse pas soupçonner les futures
explosions plus spectaculaires comme en « Mai 68 » puis pendant le « mai rampant » en Italie et
les Comités ouvriers en Pologne, etc. pour les événements les plus spectaculaires.
Si l’on se rapporte à la France, il y eut déjà, quelques prémices folkloriques dans certains
aspects particuliers et spectaculaires notamment à la rentrée universitaire de 1966, où les
« situationnistes» de Strasbourg attirent l’attention avec un libelle sur « la misère en milieu
étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et –
notamment – intellectuel ». Ils préconisent « quelques moyens pour y remédier » avec cette
plaquette, imprimée et diffusée à des milliers d’exemplaires. Raoul Vaneigem, publie l’année
suivante son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations. On y lit : « La nouvelle
vague insurrectionnelle rallie aujourd’hui des jeunes gens qui se sont tenus à l’écart de la
politique spécialisée, qu’elle soit de gauche ou de droite, ou qui y sont passés rapidement, le
temps d’une erreur de jugement ou d’une ignorance excusable. » L’objectif, c’est désormais…

 


3 Groupe de jeunes contestataires et « libertaires » des années 1965-1970 : se réclamant de l’écologique, antimonarchiste et
étant anti-impérialiste utilisant le cycle provocation-répression-mobilisation pour provoquer et éveiller la conscience des
gens.
4 Pour grand nombre de jeunes, l’impérialisme russe n’est pas en cause. Il n’y aurait qu’un seul et grand impérialisme. Ils ne
comprennent pas que le Vietnam est l’enjeux d’une guerre entre les deux grands blocs impérialistes.


« la révolution de la vie quotidienne [qui] sera la révolution de ceux qui, retrouvant avec plus ou
moins d’aisance les germes de réalisation totale conservés, contrariés, dissimulés dans les
idéologies de tout genre, auront aussitôt cessé d’être mystifiés et mystificateurs.»

Toujours pour la France, le mouvement situationniste étant remis à sa place :
anecdotique, il embarque toutefois avec lui les graines disséminées plus sérieusement, depuis
quelques années, par des groupes de la Gauche communiste notamment Informations et
Correspondances Ouvrières (ICO), les Cahiers de discussion pour le socialisme de conseils, le Groupe
pour le pouvoir des travailleurs (GLAT), Pouvoir ouvrier, La Vieille Taupe (première manière). Ces
graines plus sérieuses et révolutionnaires devaient germés car ce sont les seuls groupes politiques
qui défendaient depuis plus de 40 ans que les pays de l’Est et l’URSS étaient des pays capitalistes
et que les ouvriers partout dans le monde, pour vaincre, ne devaient compter que sur leurs
propres forces.

Rétrospectivement, on constate qu’ils collaient parfaitement avec les réactions des
ouvriers et les grèves sauvages organisées le plus souvent contre les partis de gauche, staliniens
compris et les syndicats habitués à collaborer avec les pouvoirs capitalistes en place.

Dans ce bouillonnement, le mouvement situationniste qui faisait de larges emprunts à la
Gauche communiste, a su se mettre spectaculairement sur le devant de la scène ; dès lors il a
bénéficié d’une certaine popularité dans le milieu étudiant en étant porteur d’une idéologie plus
radicale. Il a apporté une critique sociale qui va à la racine de l’évolution du monde de la
consommation ; Le Traité de savoir-vivre pose surtout la question d’une nouvelle société en
adéquation avec le mouvement étudiant.

(Voir: internationale_situationniste_1).

C’est pourquoi, il ne faudrait pas dénigrer le mouvement étudiant qui submerge tous les
pays et toutes les universités. Il exprime bien une composante dans la volonté de changement du
mouvement général de la société. Si la clé de la situation réside dans l’évolution de la lutte de la
classe ouvrière, les occupations d’universités par les étudiants ont été une des allumettes qui a
permis de révéler les tares et les limites du capitalisme (!?…) C’est toute une société et toutes les
classes sociales confondues qui se mettent à bouillonner. Il est souvent difficile de séparer toutes
les composantes sociales comme ce fut le cas dans les années 60. Ida Mett disait en 68 à René
Lefeuvre, que les débats fiévreux qui se déroulaient dans les amphithéâtres à la Sorbonne où
ailleurs lui « faisaient penser aux débats qui se déroulaient à Cronstadt en 1917 et 1921 »5.

Et c’est bien cela qui a été particulier à l’époque, l’on pouvait assister dans des amphithéâtres bondés
à des discussions sur l’organisation de la société future autour des conseils ouvriers. C’était
parfaitement incroyable…(et utopique-prématurée en 1968 alors pensez donc en 1918! NDÉ)

2. Des luttes sauvages partout dans le monde, Est et Ouest confondus.

En principe, il est toujours fait référence par les historiens main-stream des luttes
ouvrières principalement en occident. En réalité, la situation est totalement identique dans le bloc
de l’Est par rapport aux luttes du fait de l’évolution de la crise économique capitaliste. Nous
n’avions, en 1968, aucune connaissance ni conscience de ces luttes ouvrières à part quelques
bruits ici ou là6. Or les mêmes problèmes avec, bien évidemment, des caractéristiques propres,
ont émergé dans les deux camps impérialistes. Les soi-disant « trente glorieuses » prenaient fin
aussi à l’Est. (Voir: Résultats de recherche pour « trente glorieuses » – les 7 du quebec)

Pour les « experts » de la bourgeoisie, tout s’explique par la psychologie des peuples. Il
serait maintenant largement temps, pour les boomers de penser à profiter des bienfaits de la
« nouvelle société 7» ou de la consommation de masse.


5 Témoignage de René Lefeuvre à Michel Roger en 1978.cette comparaison est très exagérée mais l’on comprend l’idée.
6 Certes, il y eut de Karol Modzelewski et Jacek Kuron la Lettre ouverte au Parti Ouvrier Polonais – Supplément à
”Quatrième Internationale” – n° 32, Mars 1968. A cette époque, peu d’informations filtraient en provenance de l’Est. Les
médias qui en parlaient le plus étaient très anti-communistes.
7 Le 16 septembre 1969, Jacques Chaban Delmas, premier ministre de droite, prononce à la tribune de l’Assemblée nationale
un discours historique au cours duquel il esquissait son projet pour une « nouvelle société ».


Fadaises de politologues bourgeois que tout cela ! L’on pourrait accepter certains aspects de ses explications mais elles restent des
généralités insuffisantes pour comprendre les luttes. Si l’on en reste là, de toute façon ces progrès
et les « bienfaits » de la société de consommation ne profitent qu’à certains. Les ouvriers doivent
continuer à trimer et encore plus ; ils vont devoir s’endetter pour survivre. Dans les décennies
suivantes, ils vont se rendre compte que l’endettement sera la corde au cou et, bien vite, elle
ralentira leurs ardeurs et possibilité à faire grève. Le retournement des ouvriers à la fin des
années sauvages sera l’amorce d’une nouvelle période de la lutte des classes où la bourgeoisie est
à l’offensive. La bourgeoisie profite du surendettement et de la peur de se retrouver à la rue pour
nombre de prolétaires. Il se surajoute la démobilisation et la démoralisation pour ceux qui
croyaient qu’un monde nouveau pouvait survenir alors qu’il restait une absence de victoires
tangibles après la lutte.

Pour l’heure revenons aux années 60-70. Un oeil avisé comprend vite que l’on se trouve
alors dans une période sociale où la classe ouvrière est à l’offensive. Au lieu de combats défensifs
précédents, même s’ils pouvaient être violents(6), les travailleurs des branches les plus avancées
entreprennent des luttes réellement offensives pour l’augmentation des salaires et contre les
conditions de travail qui leur sont imposées.

Qu’entendons-nous par lutte offensive et lutte défensive ? Les conflits sociaux n’ont pas
toujours la même nature. C’est le cas dans ces années où le luttes sont offensives pour des
augmentations de salaires ou des améliorations des conditions de vie et de travail… Aujourd’hui
elles sont devenus défensives pour le maintien des acquis sociaux : les allocation chômage, les
minima sociaux, la réforme des retraites, etc… et contre les fermetures d’usine. Peut-on parler
d’un renouveau des luttes offensives, tout récemment avec des luttes pour l’augmentation des
salaires du fait des conditions favorables que rencontrent les salariés ? Certaines entreprises
manquent de bras, c’est le sens de la vague de grève aux Etats unis en octobre 2021 qui a gagné
un nom « Striketober ».

Par leur nature les luttes, des années 60-70, acquièrent une valeur générale pour la classe
ouvrière tout entière. Celle-ci, en luttant de façon offensive, entreprend une certaine critique du
capitalisme et rompt le cercle vicieux des années de sueur8 et de pénurie d’après-guerre qui n’ont
été les Trente glorieuses9 que pour le capital. Les structures sociales, politiques et
économiques imposées dans les années cinquante se trouvent en buttent à la multiplication de
combats autonomes ce qui aboutit également à un affrontement contre le carcan syndical que la
bourgeoisie avait mis plusieurs décennies à organiser et pérennisé après la guerre.

A – Dans le bloc de l’Est,

1 – En URSS

a) Le contexte : le « dégel »

Après la mort de Staline en 1953, Khrouchtchev, premier secrétaire du PCUS dénonce
Staline dans le « discours secret » du 20e Congrès du Parti communiste. Il évince la fraction des
staliniens la plus dure et conservatrice pendant sa lutte pour le pouvoir. La période qui va du
milieu des années cinquante au milieu des années soixante est appelée « dégel ». Il a initié une
transformation irréversible de toute la société soviétique en l’ouvrant à des réformes
économiques et au commerce international, à des contacts éducatifs et culturels, à des films
étrangers, à des expositions d’art, à de la musique populaire, à des danses et de nouvelles modes,


8 « Produire, encore produire, c’est votre devoir de classe« , lance Maurice Thorez, ministre communiste, le 21 juillet 1945.
9 L’expression a été inventée par l’économiste français Jean Fourastié (1907-1990) dans son livre « Les Trente Glorieuses, ou la
révolution invisible de 1946 à 1975 ». En fait il s’est agi d’une période où l’économie a cru très fortement dans cette période de
reconstruction d’après-guerre.


et à une implication massive dans les compétitions sportives internationales.
Ces mises à jour politiques et culturelles ont eu une influence considérable sur la
conscience publique de plusieurs générations de personnes.
Il était temps de penser aux réformes, déjà le feu couvait : il y eut la révolte en Géorgie
en 1956, puis en Hongrie la même année. La révolte de Tbilissi est peu connue car elle a été
occultée par les révolutions polonaise et hongroise d’octobre-novembre 1956. Le 7 mars 1956, à
Tbilissi, une série de rassemblements spontanés pour marquer le troisième anniversaire de la
mort de Staline a rapidement évolué en une manifestation de masse incontrôlable et des
revendications politiques telles que le changement du gouvernement central à Moscou et des
appels à l’indépendance de la Géorgie sont apparus, menant à l’intervention de l’armée soviétique
et à une effusion de sang dans les rues10.

Khrouchtchev voulait surtout réformer l’URSS pour répondre aux difficultés
économiques. La réforme de l’infrastructure industrielle soviétique a déjà conduit à des
affrontements avec les gestionnaires de la plupart des branches de l’économie soviétique.
Khrouchtchev voulait affaiblir la bureaucratie centrale de l’État (1957) et remplacer le ministère
de l’Industrie par des conseils régionaux de l’économie populaire, les sovnarkhozes. Ces réformes
avaient pour but de supprimer la bureaucratie et rendre l’économie plus performante.

En 1956, Khrouchtchev a introduit le concept de salaire minimum mais la plupart de la
population était encore sous-payés. La prochaine étape devait être une réforme financière. Il a dû
s’arrêter avant la véritable réforme monétaire, lorsqu’il a ordonné le remplacement de la vieille
monnaie portant des portraits de Staline. La réforme s’est soldée uniquement par une simple
redénomination du rouble en 1961.

Les transformations de Khrouchtchev réussies ou ratées, ont cependant transformé
profondément l’URSS aussi bien au niveau social, économique que culturel.
Les réformes de Khrouchtchev permirent d’aller vers une relance de la production de
biens de consommation et de l’agriculture : la situation des soviétiques s’améliore un petit peu. Il
a déclaré : « Nous produisons une quantité toujours croissante de toutes sortes de biens de
consommation ; tout de même, nous ne devons pas forcer le rythme de manière déraisonnable en
ce qui concerne la baisse des prix. Nous ne voulons pas baisser les prix à un point tel qu’il y
aurait des files d’attente et un marché noir. »(11)

b) Les faits.

Les luttes ouvrières dans le bloc soviétique méritent d’être largement relatées, c’est
pourquoi, nous laissons aller notre plume.

1956 : Au cours du « dégel » de 1956, il y eut de nombreux meetings houleux en rapport
avec le vingtième Congrès du Parti. Meetings au cours desquels des membres du Politburo (qui
s’appelait alors Présidium) furent hués comme représentants des « nouveaux riches(12) ». A
l’automne 1959 (3-5 octobre), le mécontentement se développe lorsqu’on annonce des réductions
de salaires ajoutées aux pénuries alimentaires durables. Il prit des formes violentes dans plusieurs
régions. Les émeutes du complexe sidérurgique de Ternir-Tau au Kazakhstan sont connues (13).


10 Le 8 juin 1956 les « troupes russes reçurent l’ordre de sortir de leurs cantonnements, et des chars se lancèrent à l’assaut des barricades élevées par les manifestants. Six cents d’entre eux furent massacrés. » (Le Monde du 12 avril 1960). L’information a filtré 4 ans plus tard !
11 Reid, Susan, « La guerre froide dans la cuisine : le genre et la déstalinisation du goût des consommateurs en Union soviétique
sous Khrouchtchev » Slavic Review 61, numéro 2 (2002), 237.
12 Robert Conques, (éd.), lndustrial workers in the USSR, Londres, 1971, p. 11.
13 On trouve un compte rendu détaillé des émeutes dans l’ouvrage de John Kolasky, Two years in Soviet Union, Toronto, 1972,
p. 190-191. Kolasky écrit : « Lorsque commença la construction de l’usine, on amena de jeunes travailleurs, principalement
de l’ouest du pays et en tout premier lieu d’Ukraine, de Biélorussie et de Moldavie. Mais il n’y avait rien pour les loger et on
les mit dans des tentes. Rapidement le mécontentement se développa sur un certain nombre de problèmes de base : les
salaires étaient beaucoup plus bas que ceux promis lorsqu’on les avait recrutés, et plus bas que ceux versés aux brigades de
Komsomols étrangers, par exemple Allemands de l’Est et Polonais ; il y avait une grande pénurie de produits de première
nécessité, à la fois d’habits et de nourriture ; l’eau potable manquait ; les étés connaissaient une chaleur intense et de


 

1960 : Selon des sources à Moscou, des manifestations semblables eurent lieu à
Kemerovo, centre du bassin industriel sibérien du Kousbas, au début de janvier 1960 (14). A
nouveau en 1961, la protestation de la classe ouvrière éclata, cette fois en réponse aux réformes
monétaires de Khrouchtchev (15).

1962 : L’explosion de mécontentement ouvrier la plus importante et la plus étendue eut
lieu en 1962. Rien d’aussi important ne s’est produit depuis lors. Le 1er juin 1962, l’annonce
d’augmentations de prix pour la viande, les produits laitiers et de première nécessité fut accueillie
dans toute l’Union soviétique par des manifestations massives dans l’enceinte des usines, des
manifestations de rue et des émeutes importantes se produisirent dans les entreprises, dans les
rues et dans plusieurs villes. On a la preuve de tels événements pour les villes de
Novotcherkask , Grozny, Krasnodar, Donetsk, Iaroslav, Jdanov, Gorki, Alexandrov, Mourom,
Nijny Tagil, Odessa, Kouïbychev, Timmerman et même Moscou où l’on rapporte qu’un meeting
de masse se tint à l’usine d’automobiles Moskvich. (16)

C’est dans le Donbass et en particulier dans la ville de Novotcherkassk, que les luttes de
1962 (1er juin à l’atelier des forges et à la fonderie de l’usine) prirent leur forme la plus aiguë. Le
trait caractéristique de l’émeute est la vitesse avec laquelle elle engloba toute la classe ouvrière.

Le second trait de ces événements fut le rôle joué par les femmes. En Union soviétique, les
femmes ont presque toutes un emploi, mais à des postes mal payés, et perçoivent en moyenne la
moitié du salaire des hommes. Ce sont les femmes qui supportent l’écrasant fardeau des tâches
domestiques, ce sont elles qui font la queue dans les magasins et elles sont parmi les premières à
réagir aux restrictions et à l’augmentation des prix.

Le troisième trait important fut la
participation active des étudiants et de la jeunesse. A Novotcherkassk, 16 000 jeunes gens
vivaient dans des dortoirs municipaux, dans des conditions épouvantables (17). Ce sont eux qui,
avec les femmes, prirent des initiatives dans le centre de la ville.

Le quatrième trait des
événements de Novotcherkassk fut leur degré de violence. Là, les autorités ne firent pas de
concessions et firent sortir la milice (force du maintien de l’ordre). Enfin, les émeutes de
Novotcherkassk montrèrent que dans une certaine mesure le pouvoir ne pouvait se fier, ni à la
police locale, ni aux troupes cantonnées dans la ville. Pour écraser les émeutiers, il fallut faire
venir des troupes de sécurité spéciales. (voir ci-après la répression inqualifiable)

A partir de la fin 1969 et début 1970, il y eut une augmentation notable du nombre de
grèves et depuis lors les grèves se sont régulièrement succédé jusqu’en 1974. Entre la chute de
Khrouchtchev et la fin 1969, on ne connaît qu’une seule grève significative. Elle eut lieu en 1967,
terribles tempêtes de sable … Le manque de nourriture provoqua un mouvement de protestation massif et violent en
septembre 1959. Un groupe de jeunes saccagea un petit stand de vente. Très vite des milliers d’autres commencèrent à
démolir les magasins, à allumer des feux et à piller les entrepôts. Quand la milice fut appelée, les émeutiers la mirent en
déroute, marchèrent sur le commissariat, s’emparèrent du chef de police et le pendirent. Le directeur du chantier de
construction, qui était très haï pour son indifférence envers le sort des ouvriers, fut également tué … Pour maîtriser les
émeutiers, on fit venir l’Armée. Il en résulta le massacre d’au moins plusieurs centaines de jeunes gens, dont beaucoup
étaient membres des Komsomols, et l’arrestation d’un grand nombre d’autres, dont certains furent par la suite condamnés à
mort ».

Un compte rendu légèrement différent de ces émeutes se trouve dans 1’introduction de George Saunder au Samizdat :
Voices of the Soviet Opposition, New York, 1974, p. 32. Il donne des précisions sur la durée des émeutes. Elles commencèrent
le 3 octobre et prirent fin le 5 octobre au soir quand de nouveaux renforts – des détachements spéciaux de police de sécurité –
écrasèrent la révolte, après avoir encerclé la ville.


14 M. Tatu, Power in the Kremlin, Londres, 1969, p. 115.
15 Vladimir Azbel, un émigré soviétique, écrivant dans « Two years in Siberia » (Research Bulletin, Radio Liberty, Munich, 28
août 1974, p. 7) a parlé d’un meeting de travailleurs de Rostov-sur-le-Don dans un kolkhoze sibérien reculé qui appela à une
grève pour protester contre les réformes monétaires. Un des amis d’Azbel, organisateur de cette grève, fut condamné à 10 ans
de prison et à sa sortie en 1972, il est assigné à résidence dans ce village. Tatu, Power in the Kremlin, Londres, 1969, p. 115.
16 Problems of Communism, n° 1, 1964, p. 36 et Syndicalisme et libertés en Union soviétique, Maspero, 1979, pp. 120 et 121.
Le paragraphe qui suit est aussi emprunté à la revue.
17 Tatu, op. cit. La présence d’étudiants et de jeunes fournit au régime une explication commode bien que pas très originale, aux
événements de Novotcherkask – « hooliganisme juvénile ». C’est ainsi que le journal local de Novotcherkask, Znamya
Kommuny, fit allusion de manière détournée aux événements, après plusieurs semaines de silence total.
lorsque des milliers de travailleurs de l’usine de tracteurs de Kharkov (Karkiv, maintenant)
cessèrent le travail. Cette absence apparente de grèves entre 1964 et 1969-70, peut s’expliquer
par la politique salariale de la direction Brejnev- Kossyguine. Pendant leurs cinq premières
années au pouvoir, ils recherchaient la popularité et furent beaucoup plus généreux pour les
ouvriers en ce qui concerne les salaires.


Mais à partir de 1969, un net effort fut fait par le pouvoir pour ramener les augmentations
de salaires au modeste niveau de la période khrouchtchévienne. Les troubles les plus importants
de cette période se produisirent à Dniepropetrovsk (Dnipro aujourd’hui) et à Dnieprodzerjinsk
(Dniprodzerjinsk) situées dans la zone des industries lourdes au sud de l’Ukraine. En septembre
1972, à Dnipropetrovsk, des milliers de travailleurs se mirent en grève pour des augmentations
de salaires et une amélioration générale du niveau de vie. La grève engloba plus d’une usine, et
fut réprimée au prix de nombreux morts et blessés. Néanmoins, un mois plus tard, en octobre
1972, des émeutes éclatèrent dans la même ville pour un meilleur approvisionnement, de
meilleures conditions de vie, et le droit de choisir un métier au lieu de se le voir imposer (18)

b) les caractéristiques des luttes

b.1 – Des luttes plus dures à la périphérie de l’empire (URSS)

Le contrôle policier et social propre à l’Union soviétique a des conséquences importantes. Un des
traits les plus remarquables des grèves en U.R.S.S. est qu’elles ont tendance à se produire plus
fréquemment à la périphérie – c’est-à-dire dans des zones éloignées de la région centrale Moscou-
Léningrad (Petrograd). Un second trait est que les grèves qui se produisent dans la périphérie ont
tendance à être beaucoup plus violentes. Pourquoi sont-elles plus nombreuses à la périphérie ?

Les régions périphériques sont moins infiltrées par la police secrète (le KGB) et aussi en partie
parce qu’elles sont plus difficiles à noyauter. Les luttes ouvrières spontanées peuvent donc se
donner beaucoup plus libre cours dans les zones périphériques.

b.2 – Les réactions de la classe dominante

En revanche, quand une grève éclate dans une usine politiquement stratégique, le régime
accueille les revendications des travailleurs avec un grand empressement pour résoudre le
problème. Et, si des concessions rapides n’arrivent pas à stopper la grève, alors la répression est
prompte et brutale. En 1973, une grève qui a eu lieu à Kiev (Kyiv), troisième ville d’Union
Soviétique, est un bon exemple connu de la souplesse du régime confronté à une grève dans une
usine politiquement stratégique. En mai, des milliers de travailleurs de l’usine de machines-outils
située sur la route très passante de Brest-Litovsk, « se mirent en grève à 11 h du matin pour une
augmentation de salaire (19). Le directeur de l’usine téléphona immédiatement au comité central
du Parti communiste d’Ukraine (P.C.U.). A midi un membre du Politburo du P.C.U. arrivait à
l’usine pour apprécier la situation. Il rencontrait une délégation de travailleurs, et promettait
immédiatement de satisfaire leurs revendications. A 3 heure de l’après-midi, les travailleurs
étaient informés que leurs salaires allaient être augmenté et que la plupart des hauts
administrateurs de l’entreprise étaient limogés. » (Il est important de noter que selon l’article, la
population locale attribue le succès de la grève à son caractère organisé, et à la crainte du régime
de la voir dégénérer en un « Szczecin(20) ukrainien »).


18 Rouge, 8 juin 1973, Paris.
19 Suchasnist, 12, 1973, p. 119 (Munich). L’éditeur était Ivan Koshelivets, (émigrant).
20 Émeutes de la Baltique polonaise en décembre 1970 puis 1971 contre la hausse des prix dans les villes côtières
de Gdansk, Gdynia, Elbląg et Szczecin. Mais en liaison avec des grèves qui sont censées avoir eu lieu à Kaliningrad, Lvov et
dans quelques villes de Biélorussie. La seule source à ce sujet est le Hsinhua Press Service, Pékin, 8 janvier 1974. Si cela
était exact l’on comprend combien ces grèves étaient dangereuses pour le régime et devaient signer sa mort quelques années
plus tard.


Il est donc clair que les grèves sur les
salaires sont victorieuses que si elles touchent des centres stratégiques importants.
En revanche, la plupart du temps la réaction de la bourgeoisie soviétique est brutale.
Léonid Pliouchtch décrit l’émeute de Prilouki (dans le rayon de Prylouky), ville de 100 000
habitants de Tchernigov (Tchernihiv) en Ukraine. « La police avait arrêté un ouvrier d’une usine
de Prilouki et l’avait battu à mort. Les ouvriers vinrent à son enterrement. Lorsque la procession
passa devant le poste de police où l’assassinat avait eu lieu quelques femmes crièrent « A bas les
SS soviétiques ! ». La foule se précipita sur le bâtiment qui fut dévasté et les policiers lynchés.
Les ouvriers des autres usines étaient venus à la rescousse. Une brigade de l’armée fut envoyée
sur place, mais les ouvriers la repoussèrent. Ils envoyèrent une lettre au comité central du parti
réclamant l’amnistie pour le lynchage des policiers, la libération de cinq ouvriers arrêtés et la
révocation de tous les fonctionnaires locaux du parti et des soviets. Ils avertirent que si l’armée
était envoyée, ils mettraient le feu au pipe-line qui traverse la ville. Peu de temps après, un
général arriva de Moscou et promis de satisfaire les revendications. Il prévient simplement que
le gouvernement ne pouvait admettre le lynchage des policiers et que les meurtriers seraient
punis par la justice. Ce qui arriva par la suite, je l’ignore. »(21)

Ces exemples sont fort rares. La répression des grévistes est en général plus féroce
comme celle qui s’est abattue sur les dockers de Riga qui protestaient contre l’absence totale de
viande après les récoltes désastreuses de 1975. Quatre dockers ont été condamnés par la cour
suprême. Ils furent condamnés à 3 ans et détenus dans des camps avec des criminels de droit
commun.

Reprenons la lutte de Novotcherkassk que nous avions laissée ci-dessus. Le 2 juin 1962,
lorsque les manifestants arrivent sur la grande place, la route était bloquée par une unité
d’infanterie et de chars. Il y a un long face à face puis les armes automatiques crépitèrent sur la
foule des hommes, des femmes et des enfants. Le long silence du début provenait du fait que la
garnison locale a refusé de tirer sur des gens désarmés. Puis Novotcherkassk est encerclée par
l’armée. Personne ne peut entrer dans la ville. On perquisitionne et arrête dans la ville ! On
évacue les morts et les blessés. A l’un des procès, neuf hommes sont condamnés à mort et deux
femmes à quinze ans de prison chacune. L’on n’aurait jamais rien su si Soljenitsyne(22) n’avait
pas rassemblé les informations. Nous ne savons toujours pas combien de gens sont morts(23).
Combien de blessés meurent ou sont achevés ? Combien sont exécutés après le procès. Cela reste
encore un secret.

Depuis 1965, et surtout depuis 1967, un grand nombre de nouveaux organismes ont été
mis en place pour renforcer la police et les agents spéciaux. Le pouvoir de la police est élargi, le
nombre de policiers grandement augmenté et des officiers professionnels de sécurité, des
commissariats de police de nuit et des unités de police motorisées mis en place. Depuis 1965, et
surtout depuis 1969, une série de nouvelles lois est sortie pour « renforcer l’ordre social dans
tous les domaines de la loi ». Des lois telles que celles sorties en juillet 1969 qui insistent sur la
répression des délinquants politiques dangereux, des émeutes de masse et du meurtre de
policiers. (24)


21 Interview de Leonid Pliouchtch à la revue Divaloh, Toronto, 1976.
22 « Archipel du Goulag ».
23 Au moins 700 morts d’après certains compte rendus in Syndicalisme et libertés en Union soviétique, Maspero, 1979, p. 129
24 Vedomosti Verhovnovo Sovieta CCCP. 16 juillet 1969, Moscou. (Bulletin du soviet suprême)


b.3- La maturité des travailleurs

Il est notable que tout mouvement d’une certaine maturité se caractérise par la massivitéet l’auto-organisation. Ce deuxième phénomène d’auto-organisation est plus facile à mettre en
place dès le début de la lutte car les syndicats soviétiques sont, déjà et plus clairement qu’en
occident, déconsidérés et surtout considérés comme les auxiliaires du pouvoir. Par exemple pour
la grève de Novotcherkassk, la grève a englobé toute la région. « Un compte rendu évoque même
l’existence d’un comité régional de grève qui coordonnait les actions (25). » Et même, les
travailleurs, du Donbass estimaient que les manifestations avaient échoué parce qu’elles n’avaient
pas été « coordonnées avec les comités de grève de Rostov-sur-le-Don, Lougansk, Taganrog et
d’autres villes. » (idem). En creux cela prouve deux choses : l’existence de comités de grève, de
coordinations et que la question de la généralisation des luttes se posait.

Le conflit le plus fameux porte sur des réclamations pour les logements des ouvriers de la
station hydro-électrique de Vychgorod (proche de Kyiv) à la mi-mai 1969. Les travailleurs
acquièrent un haut niveau d’organisation. La lutte regroupait la totalité des ouvriers. La
manifestation avait des banderoles et l’une d’entre elles réclamait « Tout le pouvoir aux soviets. »
Ce slogan ne rappelle-t-il pas quelque chose ?

Une délégation fut envoyée à Moscou pour porter une pétition. Comme certains
pétitionnaires, le responsable de la délégation fut arrêté et disparut.

2 – En Pologne

Le 28 juin 1956, l’explosion de Poznan met au premier plan les ouvriers polonais. La
répression est sanglante et brutale. Les staliniens arrivent à canaliser le mouvement. En octobre
56 Gomulka revient au pouvoir, il met en place des réformes : la création et la légalisation des
« Conseils ouvriers » surgis spontanément par la lutte, puis la réforme des syndicats. Des
réformes, il résultera un accroissement du niveau de vie.

Mais l’accélération du rythme de l’industrialisation ne pouvait qu’accentuer les conflits
qui ont abouti à l’insurrection de 1956.

1970. Début d’insurrection, Assemblée générale et les comités ouvriers.
Dès l’automne 1970 (26), les centres vitaux de Silésie sont touchés par des grèves, les
revendications étaient : de la viande et des produits de première nécessité. Mais le 13 décembre,
la radio et la TV annoncent des hausses de 30% sur les produits alimentaires. Dès le 13
décembre, deux sections des chantiers de Gdansk, déjà en grève, élisent une délégation pour
discuter des nouveaux prix. Ils sont tous arrêtés.

Mais la revendication en remettant en cause une décision gouvernementale générale
devenait une grève politique pour tous les travailleurs. Elle sortait du cadre de l’usine. Les
manifestations se composèrent de manifestations de ménagères, décidées en famille qui
entrainèrent les enfants. Les manifestations dépassaient le cadre de l’atelier.

Le lundi 14 décembre, les ouvriers de la W3 usine des sections S3 et S4 se réunissent et
demandent la libération de leurs camarades délégués emprisonnés. Les ouvriers sortent de l’usine
et se dirigent vers le bâtiment de la direction. Il s’agit d’une foule de 3000 ouvriers qui se dirige
ensuite vers le siège du parti (POUP) et qui double en chemin. Un des secrétaires du parti est
sifflé et hué mais déjà les flics sont là et des combats éclatent. Dès cet instant, les ouvriers savent
qu’ils n’obtiendront rien sans une lutte plus dure. La manifestation se dirige vers les chantiers du
nord et appelle à la manifestation de 16 heure. Des bagarres commencent. Des dockers se
dirigent vers la ville aux cris de « Nous voulons du pain ». Une pluie de pierres tombe sur les
vitres de l’immeuble du parti, son imprimerie est incendiée. Les affrontements vont durer jusqu’à
22 heures.


25 Syndicalisme et libertés en Union soviétique, Maspero, 1979, p. 121.
26 cf. : Capitalisme et lutte de classe en Pologne, Spartacus, 1975.


Le mardi 15, la grève s’étend dans tout Gdansk. Vers 10 h 00 les ouvriers sont maîtres de
la ville de Gdansk, ils ont pris possession des bâtiments officiels et ceux de la milice avant d’y
mettre le feu. Les ouvriers agissent en masse. La répression commence le soir du 15, les forces
de répression arrivent en nombre, les blindés apparaissent. Les ouvriers se dirigent vers les
chantiers.

Les chantiers sont encerclés par les chars. Les ouvriers refusent de reprendre le travail. La
lutte change de nature. De nombreuses assemblées se tiennent dans les ateliers et la grève avec
occupation des locaux est décrétée aux chantiers navals.

La même situation existe dans les autres usines de Gdansk.

A Gdynia (27), la lutte commence avec un décalage d’une journée le 15 décembre. Les
délégués du premier comité de grève sont arrêtés. Un deuxième comité est constitué. Le soir, des
unités militaires entrent dans le port. C’est l’inverse de Gdansk. L’armée se trouve dans les usines
et les ouvriers dehors. Ce fut un massacre quand les ouvriers arrivèrent devant la porte de l’usine.
La bataille gagna la ville. On ne connaitra jamais le nombre de morts.

Le 17, le mouvement se généralise dans toute la Pologne mais le mouvement est moins
connu que sur les ports de la Baltique car l’information a mieux circulée car il était impossible de
la dissimuler (28) dans un port ouvert vers l’étranger.

A Szcecin, les ouvriers commencèrent une grève de solidarité le 17, 3 jours après.
L’Assemblée élit un comité de grève avec 22 revendications. Le parti refuse la discussion. Les
ouvriers partent en manifestation dans la ville. Devant le siège du parti, spontanément un service
d’ordre des ouvriers encercle la police et la neutralise. Ils mettent le feu au bâtiment après avoir
sorti en bon ordre le matériel qui s’y trouvait pour ne pas être accusé de destruction de la
propriété collective. Finalement la police reçoit des renforts. Seule la police tire, l’armée s’est
tenue à l’écart de la répression. Si la classe dominante a pu se préparer quatre jours après Gdansk,
les ouvriers aussi. Dès le début ils cherchent à tuer les policiers et à éviter les affrontements
sanglants. « Le fait que le comité central de grève va contrôler ensuite la ville pendant quelques
temps, n’est peut-être pas étranger à cette forme de lutte. (29)» La généralisation des luttes dans
toute la Pologne peut aussi avoir joué en faveur de la dispersion des forces de répression. Il
fallait réagir plus intelligemment ce qui fut fait. Ce qui est notoire c’est que le comité central de
grève des usines Warski est accepté par les autres comités et qu’il organise la vie de la ville
jusqu’aux transports et au ravitaillement.(30) Il semble y avoir eu également une organisation sur
le territoire de Szczecin.

Nous venons de résumer des événements considérables et d’une autre nature que les
grèves sauvages de la période. Ici nous touchons les sommets de la vague de lutte des années 60-
70. Nous avons à faire à un début d’insurrection qui a fait vaciller le pouvoir et qui aurait pu
entrainer son renversement. Mais il fallait passer à autre niveau d’organisation et de décision
pour vaincre. Quand les grèves sauvages prennent de plus en plus d’extension, elles voient se
dresser contre elles toute la puissance physique répressive de l’Etat. Elles acquièrent alors un
caractère révolutionnaire. Dès lors, il s’agit d’un combat contre l’Etat ce que n’ont pu dépasser les
grèves en Pologne.

Toutefois, il a fallu le coup d’Etat du13 décembre 1981 du général Jaruzelski pour mettre
fin à la combativité ouvrière. Le général Jaruzelski proclame l’état de siège « pour sauver la
Pologne » des « grèves et des actions de protestation ». Car, pour la bourgeoisie de l’Est comme
pour le général nommé à la fois Premier ministre et premier secrétaire du Parti communiste
polonais, et pour la bourgeoisie soviétique la classe ouvrière représente la plus grande menace.


27 Idem, relation des faits pages 61 et suivantes.
28 Idem, pages 70 et suivantes.
29 Idem, page 78.
30 Idem pour l’organisation du comité page 79.


B – En occident, dans le bloc de l’Ouest

Après cet aperçu, largement insuffisant des luttes ouvrières dans le bloc de l’Est mais tout
de même significatif auquel il faudrait rajouter un volet supplémentaire pour les autres
républiques démocratiques de l’Europe de l’Est, il reste à dresser un inventaire pour l’autre bloc
impérialiste, celui de l’Ouest.

« Longtemps, la grève sauvage avait été considérée par les spécialistes comme un
élément du folklore britannique, au même titre que le cricket, le porridge et l’ennui dominical.
L’apparition de grèves de ce genre en Italie à partir de 1962 fut soigneusement passée sous
silence. Les quelques mouvements qui eurent lieu en France vers la même époque (1961 chez les
cheminots, 1963 à la RATP) furent vites étouffés et aussitôt oubliés. » (31) Dans la suite, nous
citerons en priorité les revues politiques de la Gauche communiste de l’époque pour ne pas être
considéré comme affabulateur par rapport à l’histoire des luttes ouvrières dans ces années.
Cependant, il est clair qu’elles ne sont pas exemptes d’erreurs, c’est pourquoi, il est nécessaire de
faire appel à tous les autres éléments d’informations possibles.

La Grande-Bretagne, avec les États-Unis sont le berceau des grèves sauvages.
L’expression grève sauvage. Le terme de Wilde-cat-strike est d’ailleurs utilisée pour dénommer
les grèves non-officielles hors de la légalité dans ces pays. Depuis 1935 les Wilde-cat-strikes sont
illégales aux États-Unis. Tout arrêt de travail qui n’est pas approuvé par un syndicat affilié aux
TUC est déclaré non-officiel. Les travailleurs qui se mettent ainsi hors la loi, non seulement ne
jouissent pas des garanties prévues par la loi, mais encore ne peuvent bénéficier de l’appui
financier du syndicat. Le terme va devenir populaire et se répand partout dans le monde.
Il est toujours bon d’avoir également une idée chiffrée de l’ampleur des grèves durant ces
années-là. Il est clair que les chiffres fournis sont sujets à caution mais notre propos ne porte ni
sur le nombre de grèves ni sur le nombre de grévistes, notre propos porte en priorité sur le
contenu, la nature et la forme des luttes. La période hachurée du diagramme ci-dessous (32)qui
nous intéresse montre un accroissement important des grèves, suivi d’une baisse brutale de la
conflictualité après 1978. La conflictualité a été en 1960-1970 quasi aussi forte qu’au sortir de la
deuxième guerre impérialiste (39-45), mais moins forte qu’après la première guerre impérialiste
(1914-1918).


31 Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs, septembre 1969, journal du GLAT. cf. :
http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/glat/1969/LDC-septembre-
1969.pdf
32 Source: https://datasets.socialhistory.org/dataverse. Pour une comptabilisation des grèves voir : download
(sinteseeventos.com.br)


1 – Quelques points sur le contexte économique et social

Au début des années 60, même si la deuxième guerre mondiale est désormais finie depuis
une quinzaine d’années, elle a laissé des traces profondes dans les esprits, dans les
comportements et dans l’état de la France, du monde occidental mais aussi de l’Est. La période
est au plein emploi (moins de 2% de chômage en France, 4% aux USA puis 6,6% en 1960 (33)) et
l’espoir d’une vie meilleure pour les générations futures est un moteur fort pour la majorité de la
population qui a subi des privations puis la guerre et qui connait la valeur de la paix.
Il est difficile de décider d’une date de rupture de l’après-guerre et de la fin de la
reconstruction, nous avons pris les années 60 par facilité. Socialisme ou Barbarie prend comme
années de rupture le milieu des années 50.

L’« été 1955 le prolétariat s’est manifesté, d’une façon nouvelle. Il a déterminé de façon
autonome ses objectifs et ses moyens de lutte ; il a posé le problème de son organisation
autonome ; il s’est enfin défini face à la bureaucratie(34) et séparé de celle-ci d’une manière
grosse de conséquences futures.

Le premier signe d’une nouvelle attitude du prolétariat devant la bureaucratie a été sans doute
la révolte du prolétariat de Berlin-Est et d’Allemagne Orientale en juin 1953 contre la
bureaucratie stalinienne au pouvoir. Pendant l’été 1955, la même séparation entre le prolétariat
et la bureaucratie « ouvrière » est clairement apparue dans les principaux pays capitalistes
occidentaux. L’important, c’est qu’il s’agit désormais d’une séparation active(35).

Le prolétariat ne se borne plus à refuser la bureaucratie par l’inaction, à comprendre
passivement l’opposition entre ses intérêts et ceux des dirigeants syndicaux et politiques, ou
même d’entrer en lutte malgré les directives bureaucratiques. Il entre en lutte contre la
bureaucratie en personne (Angleterre, États-Unis), ou mène sa lutte comme si la bureaucratie
n’existait pas, en la réduisant à l’insignifiance et à l’impuissance par l’énorme poids de sa
présence active (France).(36) »

A l’appui de ce texte, Socialisme ou Barbarie cite les grèves à Nantes et Saint-Nazaire en
1955.

« En été 1955, les ouvriers entrent à nouveau en lutte spontanément ; mais ils ne se
limitent plus à cela. A Nantes, à Saint-Nazaire, en d’autres localités encore, ils ne sont pas
simplement en grève, ni même ne se contentent d’occuper les locaux. Ils passent à l’attaque,
appuient leurs revendications par une pression physique extraordinaire, manifestent dans les
rues, se battent contre les CRS. Ils ne laissent pas non plus la direction de la lutte aux
bureaucrates syndicaux ; aux moments culminants de la lutte, à Nantes, ils exercent par leur
pression collective directe, un contrôle total sur les bureaucrates syndicaux, à tel point que dans
les négociations avec le patronat ceux-ci ne jouent plus qu’un rôle de commis, mieux : de portevoix,
et que les véritables dirigeants sont les ouvriers eux-mêmes. » (idem)

Comment des organisations révolutionnaires voyaient, et la situation politique à l’époque,
et les réactions ouvrières ?

Une nouvelle fois nous donnons la parole au journal du GLAT (Groupe de Liaison pour
le Pouvoir des Travailleurs(37) sur la généralisation des grèves à la fin des Trente glorieuses :


33 https://brictly.com/taux-de-chomage-par-annee-depuis-1929-par-rapport-a-linflation-et-au-pib/
34 Socialisme ou Barbarie utilise le terme de « Bureaucratie » pour nommer les nouvelles classes dirigeantes. Pour nous, même
si ces dernières possèdent de nouvelles caractéristiques, il s’agit toujours de la bourgeoisie à l’Est (bourgeoisie stalinienne) ou
à l’Ouest avec ses partis et ses syndicats aux ordres.
35 Nous préférons le terme de lutte offensive. Socialisme ou Barbarie pose le problème de l’atmosphère dans la classe ouvrière.
36 Socialisme ou barbarie n°18, janvier-mars 1956.
37 Idem : Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs, septembre 1969.


« Si des grèves de ce genre éclatent aujourd’hui un peu partout (et jusqu’en Argentine) la
première raison en est sans doute la situation même du capitalisme mondial. Après vingt ans
d’expansion assise sur une exploitation forcenée des travailleurs, le régime se débat dans une
crise larvée et multiforme qui risque à tout moment de le conduire à la faillite. Affolée par la
catastrophe menaçante, la bourgeoisie ne voit de salut que dans de nouveaux et énergiques tours
de vis. Les capitaux sont concentrés à tours de bras, les mesures de rationalisation – qui
traditionnellement accompagnaient les périodes de dépression économique – sont lancées en
pleine « prospérité » les travailleurs sont licenciés, déportés d’une région ou d’une profession à
une autre, soumis à des cadences et des conditions de travail de plus en plus insensées. » (même
numéro du GLAT que ci-dessus).

Le GLAT poursuit à propos des grèves des cheminots qui venaient d’éclater en 1969 en
France.

« Dans ces pénibles circonstances, les saltimbanques de choc qui président aux destinées
des grandes organisations syndicales se voient contraints à de bien curieuses acrobaties. Tout en
multipliant les appels du pied à la bourgeoisie, ils s’efforcent de récupérer le mouvement gréviste
à leur profit, et pour cela n’hésitent pas à hausser le ton, et à se présenter aux foules dans la
pose héroïque du baudet revêtu de la peau du lion. Qui plus est, échaudés par l’accueil fait aux
accords de Grenelle, les voilà qui découvrent la démocratie. Pour la première fois sans doute
dans l’histoire, un protocole d’accord a dû être communiqué aux cheminots avant d’être signé, et
il a fallu près de deux jours de palabres pour convaincre une majorité, d’ailleurs douteuse, de
l’accepter. Çà et là, l’hystérie anti-gauchiste est contrainte de baisser le ton : à Turin où les
gauchistes sont particulièrement actifs, la calomnie brutale d' »agents du patronat » n’a plus
cours, la critique se fait plus nuancée et plus « fraternelle ». » (38)

2 – En Grande-Bretagne

Elle a été pendant les années soixante et soixante-dix, particulièrement le pays des grèves
sauvages(39). Comme partout sur la surface du globe en Grande bretagne c’est la généralisation
des grèves sauvages.

En 1974, il y a une nouvelle grève générale des mineurs. La livre sterling s’effondre face
au dollar. Le Royaume-Uni est « l’homme malade de l’Europe ». Le pays est mis sous tutelle du
FMI.40 C’est pourquoi la bourgeoisie est contrainte de réagir ne pouvant plus tolérer l’action
autonome des travailleurs. La réaction thatchériste a été à la hauteur des luttes ouvrières ; elle a
été d’une rare violence.

Information et Correspondance Ouvrière écrivait en 1965 : « C’est souvent que nous
avons évoqué dans I.C.O. (Information et Correspondance Ouvrière) les conflits caractéristiques
en Angleterre entre les travailleurs de la base d’une part, les directions syndicales, patronales et
gouvernementales de l’autre. Ces grèves sauvages, ou non officielles, ou non-autorisées (sousentendu
par le syndicat) sont tout aussi fréquentes. Celles que nous citons ci-après ne sont que
des exemples pris au hasard · on peut dire que, malgré toutes les tentatives des dirigeants de
tous bords, de mettre fin aux grèves sauvages (commissions d’enquêtes, menaces etc..) celles-ci
sont une réalité quotidienne. »(41)
1965.


38 Les mots ont certainement dépassé la réalité. Les critiques étaient toujours dures mais les staliniens devaient faire plus
attention dans leurs attaques et être plus subtils.
39 ICO, n°, 196 https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/ico/ICO-041.pdf.
40 Le Point, le 03/07/2014, “Il y a trente ans” – https://www.lepoint.fr/economie/il-y-a-30-ans-margaret-thatcher-brisait-lesgreves-
abusives-03-07-2014-1843042_28.php
41 ICO, n°, 196 https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/ico/ICO-041.pdf.


Les grèves sauvages font leur réapparition dans l’automobile et la presse (42).
A Londres : (aux United Dairies) « Un million de clients les United Dairies (laiteries)
n’ont pas trouvé ce matin leur lait sur le pas de leur porte (43) en raison d’une grève sauvage :
930 ouvriers des laiteries sont en grève ce qui occasionne la perte de 185.000 gallons de lait par
jour. Ils demandent que l’augmentation de 18 shillings par semaine (1.300 A. F.) qui leur a été
accordée à partir du 20 juin soit rétroactive à dater du 13 mai. »

A Aberdeen (Écosse, 8 juin 65). « 1200 employés de la Société Coopérative du Nord ont
fait une grève sauvage de 2 jours sans résultat, par solidarité avec 10 ouvriers de la section des
tapis qui réclamaient une parité de salaires. »

A Liverpool (26 mai 65 – Docks de la Mersey). Le I7 mai, des dockers avaient à charger
de l’argile à porcelaine pour l’Australie ; comme ils sont en désaccord sur la paie supplémentaire
pour effectuer ce travail, on leur offre I2 shillings par jour, ils demandent 1 livre (14 francs). Le
mardi 18, 9000 dockers sur I3.000 sont en « grève sauvage ». Les syndicats convoquent le
dimanche 23 un meeting (4.000 participants) au cours duquel ils font voter la reprise du travail
pour le lendemain. Mais comme l’écrit le Financial Time (24/5/65) « personne n’a pu compter les
votes pour ou contre, mais la motion fut présentée deux fois et il n’y a pas de doute que la
majorité y était favorable. » La veille, le samedi, un meeting « non-officiel, » a voté la continuation
de la grève. Le lundi 24 mai, 8000 dockers ignorent royalement le vote acquis par les dirigeants
du syndicat et continuent la grève : 101 bateaux sont bloqués et seulement 2200 dockers
travaillent à décharger 6 navires. Les grévistes forment un comité qui va discuter directement
avec les dirigeants des docks ; ils obtiennent non une promesse écrite comme ils le voulaient,
mais l’engagement que le cargo d’argile sera inspecté en vue d’un règlement. Ils votent alors la
reprise du travail pour le mercredi 26 précisant que si l’inspection n’a pas eu lieu à midi, ils se
remettront en grève. En même temps, ils ont pris des contacts directs avec les dockers de Hull et
de Manchester pour un soutien éventuel.

A Coventry – 9 juin 1965. Toute la chaîne de montage Jaguar est arrêtée et 2500 ouvriers
mis à pied parce que 2 ouvriers refusent de faire trois minutes de travail supplémentaire. Les
deux ouvriers sont des polisseurs de cadres de portières. Les 86 ouvriers de l’atelier de polissage,
qui appartiennent au même syndicat, se sont mis en grève en solidarité. C’est le second arrêt en
10 jours pour des conflits de ce genre. Le dernier qui dura près d’une semaine, concerne les
peintres et entraine la mise à pied de 2000 ouvriers. Quelques pièces de trois polisseurs avaient
été jugées en-dessous de la norme et renvoyées pour révision : un seul des trois fit le travail en 3
minutes. Les autres refusent, arguant que le travail de rectification ne fait pas partie de la tâche
qui leur est demandée. Aucun autre travail ne leur est confié tant qu’ils n’auront pas accepté de
rectifier leurs pièces. Mais tout le département se met en grève avec comme revendication que
les deux ouvriers seront payés à part pour faire la rectification ou bien qu’on leur donne du
travail. Le secrétaire du syndicat a déclaré : « la situation est très délicate, et je préférerai ne pas
avoir à en discuter ». (Financial Time – 10/6/65).

En cette année 1965, les grèves sont essentiellement dans l’industrie automobile.
« Chez Ford, 300 chauffeurs font grève pour protester contre le licenciement d’un de
leurs camarades. Cette action aboutit à la fermeture complète de 1’usine : 8. 000 ouvriers mis à
pied. » (Pouvoir Ouvrier – op cit)


42 Pouvoir Ouvrier, N°73 – Septembre-Octobre 1965.
43 Cette sacro-sainte tradition anglaise, du lait à la porte le matin, a été perçu comme un véritable acte de guerre par la
bourgeoisie et les classes moyennes.


« A la British Motor Corporation (BMC), le licenciement d’un ouvrier qui accusait un
contremaitre de ne pas avoir « les qualités professionnelles requises », entraîne une grève de 400
ouvriers…. Le conflit est réglé par un compromis au terme duquel l’ouvrier est réintégré. »
(idem).

Quelques réflexions.

Il nous importe de donner la parole aux protagonistes eux-mêmes pour faire un bilan de
cette période et en tirer quelques leçons. La brochure rédigée par Cajo Brendel en collaboration
avec Joe Jacobs, ouvrier, ex-shop-steward est une excellente introduction.

« A l’automne 1968, deux journalistes anglais dressèrent le bilan de l’année. Statistiques
en mains, un certain Rodney Cowton(44) parla « d’année de grève ». Ils notent que depuis la 2ème
guerre mondiale, on trouvait seulement 4 années au cours desquelles le total des jours de grève
était plus important que le nombre de jours de travail « perdus » dans les huit premiers mois de
1968. Si les quatre mois restants ressemblaient aux précédents, on pouvait calculer que l’année
1968 battait tous les records de l’après-guerre.

On faudrait remonter avant 1937, écrivait-il, pour trouver une année où les grèves
auraient été plus nombreuses que dans l’année en cours. Entre le 1er janvier et le 31 août, les
travailleurs avaient cessé le travail dans au moins 25 branches d’industries différentes et
d’après Cowton, il avait été « perdu » 26 fois plus de temps que dans la même période de l’année
précédente. » D’un tableau général des industries en grève, on comprenait que l’automobile, les
ports, les chantiers navals, le bâtiment, les monteurs-mécanicien, les bus, les mines, les
cheminots, les services municipaux, les électrotechniciens et de nombreux autres avaient fait
grève. Stephen Fay(45) avait fait les mêmes observations avant Cowton.

« Mais ce qu’il constatait était encore plus intéressant. Il soulignait que la plus grande
partie de ces grèves était des grèves « non officielles » et il montrait que les syndicats « n’étaient
plus en mesure de contrôler leurs membres ». Fay doutait qu’ils puissent un jour de nouveau leur
imposer leur joug. »(46)

Premières réactions de la bourgeoisie pour régler les grèves sauvages.
« En Grande-Bretagne, au récent congrès des trade-unions, une majorité s’est dégagée
pour repousser toute ingérence gouvernementale dans les négociations sur les conventions
collectives. Les syndicalistes n’ont tenu aucun compte de la concession que constituait l’abandon
par M. Wilson de son projet de loi destiné à réformer les syndicats et à sévir contre les  » grèves
sauvages « . Le premier ministre, pour sa part, a affirmé qu’il n’accepterait pas que le T.U.C.
revienne sur son engagement solennel à régler lui-même le problème des  » grèves sauvages « .
(Le Monde du 12 septembre 1969)

Par la suite Margaret Thatcher a mené une véritable guerre contre les mineurs. La grève
menée par les mineurs britanniques en 1984 et 1985 a marqué et marque encore les esprits. Mais
les évènements ne se sont pas arrêtés là. Le gouvernement de Margaret Thatcher s’est servi de
cette lutte pour mener par la suite une guerre totale contre le NUM, le syndicat des mineurs. Une
guerre qui marquera l’histoire des syndicats et de toute la gauche. (47)


44 The Times, 10 octobre 1968.
45 Sunday Times, 22 septembre 1968
46 Lutte de classe autonome en Grande-Bretagne – 1945-1977, Cajo Brendel, brochure d’Échanges et mouvement.
47 https://www.investigaction.net/fr/La-guerre-totale-de-Margaret/


Cette dernière a déclaré : « Nous avons dû nous battre contre un ennemi extérieur aux
Falklands. Maintenant, il s’agit de porter la guerre contre l’ennemi intérieur, beaucoup plus
difficile à combattre, et plus dangereux pour la liberté ». C’était clair.

3 – États-Unis

Nous avons déjà traité du contexte économique mondial dont de celui des USA, nous y
revenons encore ; bien évidemment le contexte aux États-Unis donne le ton pour l’ensemble du
bloc occidental.

La conflictualité des années 1960 y est aussi nettement marquée sous la forme de grèves
sauvages, les grèves non impulsées par le syndicat, et non autorisées par eux en raison de clauses
antigrèves signés avec les patrons. (33 % des grèves sont sauvages en 1968, et 40 % en 1972).
Parfois, des grèves non sauvages sont organisées par le syndicat dans le seul but de reprendre en
main un conflit, de faire baisser la pression et de faire accepter le contrat (conventions
collectives) mis au point avec les patrons. En 1964, 8,7 % des contrats ont été rejetés par les
travailleurs. Le chiffre passe à 10 % en 1965, 11 % en 1966, 14 % en 1967.

Bien sûr, il faut faire une place à tous les mouvements contestataires qui expliquent la
conflictualité générale : anti-guerre au centre du mouvement, étudiants, noirs : black power,
chicanos, peuples indigènes, femmes. Et surtout au mouvement dans les ghettos noirs.
1 – 13-16 août 65 : Les émeutes de Watts se produisent dans le ghetto de Watts à Los Angeles,
elles sont le début d’un mouvement qui va enflammer tous les ghettos noirs des États-Unis. Entre
le 13 et le 16 août 1965, la population noire de Los Angeles se soulève.

Un incident opposant
policiers de la circulation et passants se transforme en deux journées d’émeutes spontanées. Les
renforts croissants des forces de l’ordre n’ont pas été capables de reprendre le contrôle de la rue.
Vers le troisième jour, les Noirs ont repris les armes (48), pillant les armureries accessibles, de
sorte qu’ils ont pu tirer même sur les hélicoptères de la police. Des milliers de soldats et de
policiers – le poids militaire d’une division d’infanterie, appuyée par des tanks – ont dû être
envoyés dans la lutte pour cerner la révolte dans le quartier de Watts ; ensuite pour le reconquérir
au prix de nombreux combats de rue, durant plusieurs jours, les insurgés ont procédé au pillage
généralisé des magasins, et ils y ont mis le feu. Selon les chiffres, officiels, il y aurait eu 34
morts, dont 27 Noirs, plus de 1000 blessés, 3 000 emprisonnés. Environ 14 000 membres de la
Garde nationale californienne aident à réprimer les émeutes, qui causent également 40 millions
de dollars de dommages matériels.

2 – Détroit 1967-68

La pression de la classe ouvrière noire a modifié le niveau d’emploi dans les usines. Au
moment de la rébellion de Détroit en 1967, la majorité des travailleurs de l’automobile de la
région métropolitaine de Détroit étaient noirs. Ces travailleurs étaient une combinaison de
travailleurs plus âgés et de longue date avec des jeunes qui prenaient ce qui était là pour acquis.
Les révoltes ont commencé contre le mouvement vers de nouvelles formes d’organisation. Les
travailleurs noirs ressentaient le plus intensément l’exploitation et l’aliénation ; ils ont ouvert la
voie à de nouvelles luttes. La rébellion de Detroit de 1967 a exposé la vulnérabilité des sociétés
automobiles aux autres populations de l’Amérique industrielle.

Regroupée aux côtés de quatre autres usines Chrysler – Huber Foundry, Winfield
Foundry, Chrysler Forge et Plymouth – l’usine d’Eldon employait plus de 4 000 personnes, dont
70 % étaient noires. Eldon était entourée d’une immense zone de stockage et de revêtement, et
abritait 2600 machines-outils de 170 différentes utilisations. Dans un rapport au National Labor
Relations Board du 30 novembre 1971, Chrysler Corporation a décrit Eldon comme « s’occupant
principalement de l’usinage de pièces métalliques pour les essieux arrière de la plupart des
48 22 % des noirs ont joué un rôle dans les émeutes et 58 % estiment qu’elles auront des conséquences positives.

Sur les 50 % de
personnes défavorables aux violences, seulement un quart blâme les émeutiers.

Le 8 juillet 1968, une grève sauvage éclate contre les conditions dans l’usine de
Hamtramck. La grève a été observée par quelque 4 000 travailleurs, a duré 2,5 jours et a
empêché la production de 3 000 voitures.

3 – L’année 1970

Le Bureau américain des statistiques du travail, dans sa comptabilité de l’année 1970, a
révélé une statistique extraordinaire : il y eut, au cours de cette seule année, 5 716 grèves,
impliquant 3 millions de travailleurs.

On a vu alors des grèves dans presque toutes les catégories d’emploi. À Chicago, une
grève des camionneurs – « une révolte contre la direction du syndicat », selon le New York Times –
s’est étendue à tout le pays, y compris à Los Angeles et à Cleveland, où des piquets de grève
itinérants ont affronté la police et les gardes nationaux. Le Times rapporte qu’à Cleveland, les
grévistes ont mis en place un système de patrouilles itinérantes qui, selon eux, peut rassembler
300 hommes en une heure pour arrêter tout camion transportant des marchandises dans la région.
Les grévistes autorisent les camions transportant de la nourriture, de la drogue et de la bière à
continuer, mais ils se sont indignés lorsqu’ils ont trouvé des camions transportant d’autres
marchandises. Il y a eu des jets de pierres, des parebrises ont été brisés, des pneus crevés et des
tuyaux d’air comprimé coupés.

3 – 1 – La plus grande grève sauvage aux États-Unis : grève des Postes fédérales49

Le 12 mars, un caucus de la branche n°36 (Manhattan-Bronx) de la National Association
of Letter Carriers (NALC) a pris l’initiative de demander un vote en faveur de la grève pour la
branche. La grève quand il s’agit d’un organisme du gouvernement fédéral est illégale depuis
1912. C’est exactement ce que la branche n° 36 a voté pour le 17 mars. Des piquets de grève sont
dressés à minuit dans toute la ville de New York. D’autres sections de la NALC votent la grève,
elle s’étend au New Jersey, au Massachusetts, au Connecticut, à la Pennsylvanie, puis à l’Ohio,
l’Illinois, le Michigan, le Colorado et la Californie. Ils ferment 671 bureaux de poste dans des
dizaines de villes et villages à travers les États-Unis. Des employés, des manutentionnaires, des
agents d’entretien, des conducteurs de véhicules motorisés et d’autres corps de métier d’autres
syndicats postaux se joignent à ce qui est devenu la plus grande « grève sauvage » (non autorisée
par un syndicat national) de l’histoire américaine. Plus de 200 000 postiers font grève pendant
huit jours. Les grévistes bénéficient du soutien de la majorité des Américains.

La grève prend fin le 25 mars lorsque les grévistes sont convaincus de reprendre le travail
après des négociations avec des responsables de l’administration Nixon. Personne n’a été licencié
ou emprisonné. D’autres négociations aboutissent à une loi signée en août par Nixon accordant
une augmentation de 14 %, avec un salaire maximal « comprimé » pendant 8 ans au lieu de 21, et
des droits complets de négociation collective (sauf le droit de grève) dans le cadre d’une agence
gouvernementale qui sera créée et appelée U.S. Postal Service.

3 – 2 – Les grèves sauvages et les « piquets étrangers » dans les bassins houillers.

Au cours des années 1970, des milliers de grèves sauvages ont eu lieu dans les bassins houillers –
des grèves qui commençaient généralement dans une seule mine, souvent pour des questions de


49 In Brochure de Root and Branch “Le surgissement du mouvement ouvrier” – un article es articles : “On the wildcat strike of US
postal workers in « 1970 and its implications”. https://libcom.org/article/notes-postal-strike-stanley-aronowitz-and-jeremybrecher


sécurité, mais qui, grâce à la solidarité et à l’ingéniosité des mineurs, s’étendaient de la Virginie
occidentale jusqu’au sud de l’Illinois en quelques jours seulement.(50) « Domestiquer les wildcats
du charbon » est devenu la préoccupation majeure des grandes entreprises. Comme l’observait
The Economist à propos d’une grande grève sauvage en 1975.

On disait qu’il faudrait davantage de charbon, presque le double de ce qui est extrait
actuellement, d’ici 1985 si les États-Unis ne veulent pas rester à la merci des fournisseurs
d’énergie étrangers. Mais alors, cet objectif semblait plus éloigné que jamais, car 65 000 mineurs
de charbon ont décidé de respecter les piquets de grève, au mépris des tribunaux et des ordres de
leurs dirigeants syndicaux. Le débrayage a duré quatre semaines à la suite de la suspension d’un
seul mineur en Virginie occidentale et s’est étendu à sept États. (51)

Business Week affirmait : « Un taux d’absentéisme élevé et de fréquentes grèves sauvages ont
privé les exploitants de charbon de la stabilité qu’ils pensaient avoir négociée avec les United
Mine Workers. L’UMW, mal dirigé et divisé par des années d’agitation politique, n’a pas réussi à
fournir une main-d’oeuvre disciplinée « . (52)

Ces grèves se sont propagées par la pratique du « piquets des étrangers ». Les mineurs en grève
installaient un piquet de grève dans une autre mine en activité, souvent la « mine d’à côté ». La
tradition veut que les mineurs ne franchissent pas un piquet de grève même s’ils ne savent pas qui
en est l’auteur, d’où l’expression « piquetage par un étranger ». Le processus pouvait alors se
répéter à l’infini, étendant une lutte locale sur des questions de sécurité ou d’autres griefs comme
le notait The Economist.(53)
.
Les wild strikes et le « piquetage étranger » se sont intensifiés dans les années 1970. Pendant la
période de mécanisation des mines dans les années 1950 et 1960, il y avait très peu de grèves
sauvages – moins de deux cents par an. En 1970, le nombre de grèves sauvages annuelles est
passé à cinq cents. Avec la vie des mineurs en jeu et une procédure de réclamation que les
mineurs considéraient (à juste titre) comme lente et inefficace, la grève sauvage est de plus en
plus considérée comme l’arme la plus puissante du mineur. En 1977, les grèves sauvages ont
coûté à l’industrie du charbon 2,5 millions de « jours-hommes » perdus.

4 – Le conflit de Lordstown 1972, il a intéressé les milieux révolutionnaires (54) à l’époque car il portait en germe de nouveaux rapports sociaux.

En 1971-1972 a lieu le fameux conflit de l’usine General Motors de Lordstown (Ohio)
usine de carrosserie Fischer, une usine Chevrolet et une usine de montage de camions Chevrolet
qui comporte 13000 ouvriers (55). Ce conflit a été connu en France par la brochure du groupe
« 4 millions de jeunes travailleurs », Lordstown 72 ou les Déboires de la General Motors a
beaucoup contribué à la vulgarisation du thème de l’anti-travail. La revue britannique
Solidarity(56) documente ces pratiques.

Face à la pression de la direction pour augmenter la productivité, les travailleurs décident
de continuer à travailler à leur ancien rythme. Le syndicat n’y est pour rien. Le responsable local


50 https://isreview.org/issue/74/miners-strike-1977-78/index.html
51 https://isreview.org/issue/74/miners-strike-1977-78/index.html
52 cf. : Mike Yarrow, “What the miners really want,” Nation, 4 mars 1978, 232.
53 cf. : Moody et Woodward, Battle Line, 15–16
54 Cf. : Brochure de L’Organisation des jeunes travailleurs révolutionnaires (OJTR). Republié aux éditions de l’Oubli en 1977.
55 Le nouveau mouvement ouvrier américain (Root and branch), Spartacus, 1978 pages 53 et suivantes.
56 Solidarity, n° 46 – Londres, décembre 1973 – Ken Weller, « The Lordstown Struggle… » article cité. En ce qui
concerne Contre-planning…,


déclare, un peu effrayé, que « ces types sont devenus des tigres. Ils ont des tripes. On ne les voyait
jamais aux réunions syndicales, et maintenant on les retrouve à la cantine en train de scander
« Solidarité ! » La résistance à la hausse des cadences se traduit aussi par la hausse de
l’absentéisme. A la question  » comment se fait-il que vous ne travailliez que quatre jours par
semaine ? », un ouvrier répond qu’il ne gagne pas assez en trois jours. L’absentéisme atteint 20 %
du personnel certains jours d’été et, dans de tels cas, la direction bouche les trous avec tous les
balayeurs, chauffeurs et autres personnels sur lesquels elle peut mettre la main. Il y eut aussi
beaucoup de sabotage.

Le 1er février 1972, 85 % des ouvriers votent à 97 % en faveur de la grève, qui
commence le 2 mars. Elle dure vingt-deux jours. De bout en bout, elle est parfaitement contrôlée
par le syndicat et s’achève par un accord en vertu duquel 540 ouvriers sont réembauchés, tandis
que 800 mises à pied (sur 1 200) sont suspendues.

4 – Belgique

* Le Contexte politique et économique (57).

La situation économique n’est pas différente en Belgique. Le 27 septembre 1960, le
Premier ministre Gaston Eyskens dévoile devant la Chambre les grandes lignes d’un vaste
programme d’austérité. C’est la « loi unique ». Loi inique, selon ses détracteurs. Face aux hausses
d’impôts et aux ponctions dans les caisses de la Sécurité sociale, les réactions ne se font pas
attendre : manifestations, arrêts de travail, du nord au sud du pays. Le mouvement ne tarde pas à
se radicaliser, principalement dans les bassins industriels wallons. D’abord déclenché dans les
services publics, le mouvement se propage rapidement dans tous les secteurs de Wallonie et dans
les grandes villes de Flandre. C’est la « grève du siècle », qui va durer 5 semaines (58).

« Tout commence le 14 décembre 1960. Plusieurs arrêts de travail spontanés éclatent à travers
le pays. Ils ciblent le plan d’austérité corsé qu’a échafaudé le gouvernement de Gaston Eyskens,
réunissant sociaux-chrétiens et libéraux. Nouveaux impôts, relèvement de l’âge de la retraite
dans le secteur public, contrôle accru des chômeurs… L’ensemble est rassemblé dans un texte
fourre-tout : la Loi Unique. Assez vite, le mouvement se durcit. Le port d’Anvers est à l’arrêt.
Trains et trams cessent de circuler. Les grands magasins baissent leur rideau. La gare de Liège-
Guillemins est saccagée. La révolte prend une tournure insurrectionnelle. Elle durera jusqu’à fin
janvier. Il y aura quatre morts. » (Le Vif .14/12/10)

En rapport avec l’importance de ce mouvement de grève générale, les révolutionnaires
ont tenu à faire un point contre tous ceux qui une fois de plus, comme aujourd’hui – cette vision
n’est pas nouvelle – pérorent sur la disparition de la classe ouvrière. Il apporte un démenti à tous
les « observateurs » bourgeois :

« Le mouvement belge apporte (…) le démenti le plus cinglant à tous ceux qui, se livrant
à des calculs aussi laborieux que délicats sur le nombre de postes de télévision, de frigidaires,
d’autos à deux, trois ou quatre chevaux, machines à laver, à broyer, à aboyer, à abrutir, en
étaient arrivés à la conclusion que la classe ouvrière n’existait plus ! Non, la classe ouvrière
n’est pas envolée, disparue, effacée, dissoute dans la masse du « peuple », de la « nation »,
comme le souhaitent en leur for intérieur tous les bourgeois, les petits-bourgeois et les
réformistes de toutes eaux. Le mouvement belge le prouve : elle est toujours là. » (Programme
communiste, avril-juin 1961).

La bourgeoisie va réagir en poussant au fédéralisme. C’est comme toujours, le diviser


57 Cf. : page 16 et 17, dossier numéro 4 de mars 1970 : L’Europe sauvage, de L’idiot international.
58 Les interprétations de la grève – Cf. : https://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=337&lang=en#ftn21


pour régner. Le premier projet de « clichage » de la frontière linguistique entre Flandre et
Wallonie fut déposé à la Chambre le 14 novembre 1961.

* 1966  Les grèves du Limbourg59

« Tout a commencé par la décision du gouvernement de coalition (socialistes et socialchrétiens)
de fermer le premier octobre prochain les charbonnages non rentables de la région du
Limbourg. 44 ouvriers venaient de recevoir un préavis de congé et150 ouvriers,120 employés
devaient être licenciés lorsque les mineurs de Zwartberg décidèrent de se mettre en grève. »

« …Après 8 jours de grève dans ces conditions, les mineurs commencent à se lasser de
cette situation et surtout de la passivité syndicale. Ils s’en prennent alors aux représentants de la
CSC et de la FGTB, ce qui amène le Conseil Communal de Genk à voter une résolution
demandant le retrait des préavis de licenciement dans la mine de Zwartberg.

« A cela, viennent s’ajouter des manifestations de groupes flamingants qui se dirigent en
cortège vers la mine de Zwartberg, précédés de calicots : « pas de fermeture », « solidarité pour
Zwartberg », « grève générale ». Après le départ de ces manifestants, les gendarmes provoquent les
mineurs, qui ripostent en incendiant deux véhicules.

« Pendant ce temps, les syndicats arrivent à obtenir le retrait des préavis déjà envoyés
(pour un mois)….. Les grévistes refusent cette aumône que les syndicats entendaient payer de la
reprise immédiate du travail et de l’arrêt de l’action syndicale pendant un mois. Les mineurs
chassent alors les représentants syndicaux ; un comité de grève est élu ; les lignes de téléphone
sont coupées ; la ligne de marchandises (charbon) de Hasselt-Eisden est bloquée à Zwartberg.
« Le lendemain, lundi 31 janvier, des délégations de mineurs vont faire débrayer les
mines voisines occupées par les gendarmes. Ces derniers tirent : deux mineurs sont tués.

« Des mouvements de solidarité sont déclenchés le lendemain dans un certain nombre
d’entreprises belges. Plus de 10 000 travailleurs liégeois arrêtent le travail à Cockerill-
Ougrée, à Espérance-Longdoz et à Herstal. Le comité de la Fédération liégeoise adopte la
résolution suivante : « Flamands ou Wallons, les morts sont toujours du même côté, solidarité
entière avec les mineurs en grève à Zwartberg ». Des manifestants défilent à Cockerill-Ougrée, et
à Seraing : « Camarades du Limbourg nous sommes avec vous », et le jour des obsèques, c’est
l’arrêt général du travail dans le Limbourg. »

L’article note les caractéristiques du mouvement qui sont celles de toutes les autres luttes
que nous mentionnons dans ce travail.

« – l’absence de préavis de grève,
– les cortèges d’assistance matérielle aux mineurs qui se forment en ville,
– la détermination des mineurs à poursuivre la grève lorsque les syndicats leur
demandent de reprendre le travail,
– la formation d’un comité de grève de 8 membres,
– le blocage de la ligne de chemin de fer Hasselt-Eisden,
– les délégations envoyées aux mineurs des Puits voisins : pour que ces derniers
cessent le travail et les rejoignent dans la lutte,
– les mouvements de solidarité déclenché un peu partout, en particulier à
Cockerill-Ougrée.
Tous ces faits montrent d’une façon évidente la combativité des travailleurs et leur
volonté de s’organiser. »


59 Pouvoir Ouvrier, N°76 – Février-Mars 1966.


La vague de grèves de 1970-74 : le mai 68 belge60

Presque toutes les grèves de l’époque sont « spontanées », au sens où elles n’ont pas été
déclenchées et contrôlées par la direction syndicale. Comme souvent, les syndicats étaient alors
trop englués dans le dialogue social.

Quelques chiffres éloquents illustrent l’ampleur du mouvement en Belgique. Selon l’historien
Rik Hemmerijckx : « De 1970 à 1973, on n’enregistre pas moins de 698 grèves. Les années
1970-71 peuvent être décrites comme particulièrement « chaudes », le nombre de journées de
travail perdues étant égal à celui des neuf années précédentes.» Il est clair que la direction des
syndicats n’a rien fait pour relier ces mouvements de grève les uns aux autres et pour proposer un
programme commun. En conséquence, «la vague de grève s’est terminée vers 1974.

Plusieurs tentatives d’organisation de comités de grève sur une base régionale ont eu lieu. En
vain. La plus grande pierre d’achoppement était de savoir quelle attitude adopter vis-à-vis des
syndicats, qui finalement organisaient encore la masse des travailleurs. Il fallait contrer les
influences gauchistes
.
5 – En Italie

Dans les années 1960 et 1970, l’Italie est le théâtre de conflits socio-politiques très
intenses, accompagnés d’une présence massive du recours à la violence tant de la part de
mouvements et d’organisations politiques que des forces de l’ordre et des institutions étatiques.

Les premières révoltes ouvrières visant les syndicats détermineront une scission au sein
des Quaderni Rossi61.Le soutien porté à la contestation violente entraine la scission dans la
revue. Le groupe scissionniste donnera vie à la revue classe operaia62 en 1963, pour ces derniers
le comportement antagoniste des ouvriers à l’égard du syndicat représente d’ores et déjà le
paradigme d’un refus de toute médiation institutionnelle. D’où l’effort de classe operaia de
théoriser toute une série de conduites ouvrières, allant des actes de sabotage à la grève
« sauvage », comme des gestes politiques de non-collaboration avec l’ordre capitaliste.

L’extrême gauche, en particulier ses deux organisations principales, Lotta Continua (63) et Potere
Operaio(64), va développer les analyses de classe operaia dans une direction insurrectionnelle et
autogestionnaire.

L’on voit, ici, les premières conséquences de la nouvelle lutte de classe sur une partie des
intellectuels.

De la révolte de la Piazza Statuto65 à 1968-1969 et l’« automne chaud »

En 1962, une grande vague de grèves ouvrières – la plus importante depuis la fin de la
guerre – débouche entre le 7 et le 9 juillet sur la célèbre révolte de la Piazza Statuto à Turin : des
ouvriers prennent d’assaut le siège du syndicat UIL, qui vient de signer avec FIAT un accord
séparé. Les affrontements entre les ouvriers et la police ne s’arrêteront qu’au bout de trois jours,
lorsque les forces de l’ordre occuperont militairement la Piazza Statuto.


60https://marxiste.be/index.php/60-histoire/671-la-vague-de-greves-de-1970-74-le-mai-68-belge
61 Fondé en 1961 dans lequel écrivaient Mario Tronti, Antonio (Toni) Negri, Alberto Asor Rosa, and Danilo Montaldi.
62 Le journal existera de 1964 à mars 1967, le sous-titre portait : mensuel politique des travailleurs en lutte.
63 Une des plus importantes organisations de la « gauche extraparlementaire » italienne jusqu’au milieu des années 1970 ; de
tendance opéraïste, aux côtés de Potere operaio.
Au départ, suivant les principes de la théorie opéraïste, Lotta continua prône
la stratégie de l’insurrection ouvrière : celle-ci doit naître spontanément à partir des luttes dans les usines, puis, dans un
deuxième temps seulement, la lutte armée devrait surgir sui generis d’un affrontement inéluctable avec l’Etat. Mais peu à peu,
l’organisation va changer sa stratégie et passer aux actions armées. La plus célèbre est l’assassinat du juge Luigi Calabresi en
1972.
64 Organisation opéraïste fondée en 1967 dont les principaux dirigeants sont Toni Negri, Franco Piperno), Lanfranco Pace et
Oreste Scalzone. .
65 Battaglia Comunista, N°7, juillet 1962, Les hooligans de la piuazza Statuto ont fait avancer la cause des travailleurs et in
Onorato Damen, les Ecrits choisis, Editions Prometeo, Paris, 2016.


La colère qui éclate contre l’accord vise le refus des augmentations salariales, la révision
des horaires, des rythmes du travail et de la discipline interne à l’usine. Dès lors, l’usine devient
de plus en plus le théâtre de pratiques de sabotage, d’occupations, de grèves sauvages que les
syndicats et les partis de gauche n’arrivent plus à encadrer dans leur schéma habituel de la
représentation et de la collaboration entre capital et travail. C’est la guérilla permanente à
l’intérieur de l’usine. La séquence des luttes des années 1960 débouche, en 1969, sur les grandes
grèves de « l’automne chaud ».

En 1965, une grève a lieu à Biella à côté de Turin, elle est caractéristique des nouvelles
formes de lutte. Biella était la capitale de l’industrie lainière. En septembre 1965, le patronat qui
croit avoir les mains libres, entreprend d’accélérer la « rationalisation ». Il s’agit de procéder à des
licenciements et d’imposer à ceux qui restent des conditions de travail plus dures et notamment
d’accélérer les cadences. 410 licenciements sont annoncés dans une entreprise et 60 dans une
autre. Les travailleurs occupent l’usine pendant une semaine. Mais les patrons s’attaquent à une
troisième usine avec 52 licenciements annoncés à la Botto Albino, entreprise très moderne de
1000 travailleurs. L’usine est occupée. Un comité de grève est constitué dès la première
assemblée générale qui rassemble 1000 membres une fois par jour et le Comité composé de 40
membres se réunit 2 fois par jour. Les ouvriers envoient des délégations dans les autres
entreprises et aux élèves de l’institut technique de Biella. L’action la plus spectaculaire est de se
rendre au petit matin dans une usine distante de 20 kms, d’y pénétrer, de rassembler les ouvriers
dans la cour intérieure et d’y tenir une assemblée. Mais la bourgeoisie est décidée à réagir. 700
policiers sur pied de guerre attaquent les ouvriers et les chassent de l’usine Botto Albino. La lutte
se poursuit encore 10 jours et les ouvriers restent devant la porte de l’usine. Sous la peur, un
accord est présenté qui prévoit la réduction du nombre des licenciements de 52 à 40 et de vagues
promesses ; le comité d’usine transmet démocratiquement les propositions patronales qui sont
refusées. Au 43ème jour de lutte, la FIOT (syndicat) propose une vague action de solidarité. Les
ouvriers proposent des actions radicales et une lutte commune avec toutes les usines et pas
seulement une solidarité pour une usine. Ils précisent que si une telle action n’est pas possible ils
préfèrent rentrer dans l’usine, leur organisation étant intacte. Ils rentrent drapeau rouge en tête.
Il n’y eut pas de grands résultats mais en luttant, ils ont montré leur détermination et dans
les mois qui suivirent les conditions de travail se sont moins aggravées grâce à cette action. (66)

En 1966, Siemens à Milan

« Les travailleurs des usines SIEMENS se sont signalés par une innovation remarquable
– ou du moins qui peut paraître telle, à ceux qui ignorent qu’il s’agit d’une des pratiques les plus
anciennes du mouvement ouvrier. Au lieu d’attendre passivement les mots d’ordre des différentes
boutiques syndicales qui, en Italie comme en France se disputent la « clientèle » ouvrière, ces
travailleurs ont pris, au début de juillet, l’initiative de créer un comité de grève, composé d’un
délégué par atelier. Qui plus est, chaque délégué a été élu par une assemblée générale de son
atelier, sans tenir aucun compte de son éventuelle appartenance syndicale ou politique, mais
uniquement selon les capacités dont il faisait preuve dans la lutte. Ses camarades de travail
ayant, au surplus, la possibilité de le remplacer à tout moment, s’il ne faisait plus l’affaire.

(…) Pendant toute la période des grèves de juillet, le comité de grève s’est réuni tous les
jours, pour décider par un vote à la majorité des délégués, des formes de lutte qui seraient
utilisées. Le comité d’entreprise – émanation des syndicats – était admis à prendre part à la
discussion, mais sans droit de vote.

(…) [Malheureusement] ces derniers, sous la pression du gouvernement, ayant proclamé
une trêve « pour négocier avec le patronat », l’action a cessé et
le comité de grève ne s’est plus réuni. »(67).


66 Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs, août 1966, journal du GLAT. cf. : http :
://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/glat/1966/LDC-aout-
1966.pdf


Début 1968 ; grèves chez Fiat, Pirelli, Italsider et Marzotto

Dans le triangle industriel du nord de l’Italie, les quatre premiers mois de 1968 ont été
marqués par de nombreuses grèves, à la Fiat de Turin ou à l’Italsider ou encore dans les textiles
Marzotto à Valdagno, en Vénétie, où le conflit prend un tour violent : 42 arrestations. En juin,
des ouvriers de Pirelli à Milan, mécontents de l’accord direction/syndicats fondent le premier
Comité unitaire de base (CUB) hors de tout contrôle syndical. Dans ces comités se mêlent
étudiants et ouvriers : ce sont les groupes « Lega degli studenti » et « Degli operai » de Gênes en
février 1968, ou encore le groupe « Avanguardia Operaia », né en 1967 de la rencontre de
militants trotskystes de la IVe Internationale et d’ouvriers de Sit-Siemens et Pirelli

Les événements d’avril 1969

La tension reprend l’année suivante, cette fois dans le sud de l’Italie. Le 9 avril 1969 à
Battipaglia, Carmine Citro, typographe et Teresa Ricciardi, enseignante, sont tués par les forces
de l’ordre pendant une manifestation contre la fermeture d’une usine de tabacs. La police occupe
militairement la ville, la plaçant en état de siège et sous la pression des grenades lacrymogènes.
Le lendemain, dans toute l’Italie, les événements de Battipaglia provoquent une vague de colère
populaire et 12 millions de salariés se mettent en grève. Toute la province de Salerne est bloquée
pendant 24 heures. Des violences se manifestent à Rome, à Florence et à Milan

Automne « chaud » de 1969 ou « mai rampant » : syndicalistes et comités de base
La révolte gagne ainsi les grandes concentrations industrielles lors de « l’automne chaud » de
1969, à la surprise des responsables syndicaux car de 1953 à 1968, toutes les grèves avaient
échoué et les conquêtes de la Libération (conseil de gestion, liberté de réunion et des activités
politiques notamment) avaient été effacées. Ceux-ci réagissent plutôt bien et les relations entre
syndicats et extrême gauche sont assez bonnes jusqu’en 1972.

Pendant le mois de novembre 1969, l’intensité de l’affrontement atteint son sommet : les
luttes ouvrières à FIAT se radicalisent, des grèves sauvages éclatent et des manifestations
violentes visent les cadres – les « cols blancs » – traditionnellement solidaires avec la direction.
Le 19 novembre, lors d’une grève nationale pour le droit au logement, les camionnettes des
divisions spéciales de la police chargent des manifestants : une camionnette lancée à toute vitesse
contre la foule chavire et un agent de police meurt. La répression s’intensifie et la position des
institutions face aux mouvements se durcit : après de centaines d’arrestations, l’interdiction des
organisations de la gauche extraparlementaire est envisagée.

Le 28 novembre, en dépit d’une atmosphère sombre de violence généralisée et de guerre
civile rampante, la manifestation nationale des ouvriers métallurgistes à Rome se déroule sans
incidents. Début décembre, des contrats commencent à être signés, largement favorables aux
demandes des ouvriers : ils obtiennent des augmentations salariales indépendantes des divisions
hiérarchiques, l’égalité de statut par rapport aux cadres et le droit d’organiser des assemblées
durant la période de travail.

Le 12 décembre 1969 une bombe éclate dans la Banque de l’agriculture de Milan, située
Piazza Fontana : 16 personnes sont tuées et 80 sont grièvement blessées. A partir de cet
événement, la bourgeoisie reprend les choses en main.

Mais c’est surtout à partir de 1972 que les syndicats tentent de reprendre la situation en


67 Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs novembre 1966, journal du GLAT. cf. : http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/glat/1966/LDCnovembre-
1966.pdf


main car les mouvements s’essoufflent. Parallèlement, la violence est de plus en plus organisée
par des groupes armés dits d’extrême gauche mais fort utiles à la bourgeoisie. La lutte armée aura
pour effet de détruire la lutte de classe pour en arriver « années de plomb ».

6 – En Allemagne.

L’économie allemande s’épanouit jusqu’à la moitié des années 1960, c’est le « miracle
économique » allemand, plus de deux millions de travailleurs étrangers venant du sud de
l’Europe viennent travailler en Allemagne.

La seconde moitié de la décennie est marquée par le mouvement de protestation des
étudiants et des intellectuels contre les « structures sclérosées » et un ordre mondial figé. Cette
révolte des jeunes mènera jusqu’au terrorisme et à la création de la Rote Armee Fraktion (RAF),
autour d’Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Ulrike Meinhof.

Années 60

Les travailleurs allemands ne sont pas différents des autres travailleurs dans le monde en
1966 dans cette époque de réorganisation du capital pour faire face à la concurrence à la suite de
la reconstruction d’après-guerre. Nous citons pratiquement in extenso, ci-après, un article
d’Informations et correspondance ouvrières (ICO numéro 55 – avril 66).

« Des articles de journaux relatent succinctement le déroulement de grèves sauvages dans
la Ruhr (Neue Ruhrzeitung-24 juin). A Bochum comme les ouvriers protestaient contre le
licenciement de 2000 d’entre eux la Cie Krupp Hüttenverke AG (métallurgie) a mis à pied, hier
après-midi à Bochum, 5000 ouvriers des aciéries. Les ouvriers de l’équipe de midi des aciéries
des Bochumer Verein (autre entreprise) suivirent l’exemple de leurs camarades, suivis par
environ 1000 autres de l’équipe de nuit. Le conseil d’administration de la société devait décider
des licenciements prévus mais ajourna sa décision. La grève à Bochumer Verein commença à
10h. Les ouvriers de quatre ateliers se groupent et marchent vers le bâtiment de la direction. Ils
se réunissent sur la place devant l’immeuble dans le calme et sans pancartes, Ils déclarent aux
nombreux journalistes présents : « on licencie ceux-là même qui autrefois ont empêché le
démontage des Bochumer Verein ». Les derniers manifestants de l’équipe de midi se dispersent à
21h.  »

« La grève sauvage de plusieurs milliers de travailleurs de Bochumer Verein s’est
seulement terminée hier.

… Une réunion eut lieu entre La direction et les délégués du conseil de surveillance (68)
des aciéries. Résultat important : les licenciements n’auront pas lieu dans l’immédiat. Les
travailleurs ont repris le travail…. Mais hier, 1500 manifestants parcourent avec des drapeaux
noirs toute l’étendue des usines métallurgiques pour protester en scandant des slogans contre les
licenciements prévus, etc… Ils furent soutenus par 2000 ouvriers d’équipes et des employés.  »
Pourquoi ces luttes ? D’après ICO, « Dans toute l’Europe occidentale, depuis quelques
années, la concurrence des différentes formes d’énergie (pétrole, électricité, énergie atomique)
rend plus aiguë la concurrence entre les producteurs de charbon. De même dans l’industrie de
l’acier. Mais ce sont essentiellement dans les mines que les travailleurs ont dû lutter le plus
violemment pour ne pas être de simples jouets entre les intérêts capitalistes. Les grèves sauvages
de la Ruhr rejoignent les grèves de Belgique (Borinage, Zwartberg) et celle de France
(Decazeville, Trieux, grève générale des mineurs). » (Sur ces luttes on peut se reporter à I.C.O.
Decazeville : février-mars 62 – mars-avril 63 – Trieux : janvier et avril-64 – Zwartberg : mars
66).

Après 68-69 : grosse vague de grève sauvage de 1969.


68 voir ICO n° spécial sur les Comtés d’Entreprises, page 16.


« On a longtemps considéré les grèves sauvages comme un phénomène typiquement
anglais. Dès le printemps dernier le virus se répandait en France et en Italie. En septembre,
c’est l’Allemagne qui est atteinte : aciéries, mines, chantiers navals, les ouvriers débrayent sans
l’accord des syndicats, conspuent leurs dirigeants, manifestent, occupent les usines dans certains
cas. » écrivait Pouvoir ouvrier en 1969 (numéro 99, octobre 1969)

Le P.D.G. des aciéries Hoësch de la Rhür déclarait : « Les ouvriers ne sont plus les
mêmes »·

« Le 2 septembre, à Dortmund, dans l’entreprise sidérurgique Hoesch (« nom qui veut
dire acier et maigre salaire » slogan des grévistes) où plus de 15.000 ouvriers, ayant pris
connaissance d’une lettre de la direction annonçant aux actionnaires l’augmentation de 8 % de
leurs dividendes, débrayent sans tenir aucun compte du règlement (imposant le scrutin secret et
l’accord préalable du syndicat se privent ainsi du soutien des caisses de grève syndicale défilent
avec des mots d’ordre tels que : exploiteurs, exploiteurs – ouvrier allemand réveille-toi – nous
nous représenterons nous-mêmes – on ne nous aura pas ; pendent enfin en effigie le directeur de
l’entreprise, Harder, à l’entrée de ses propres bureaux. De la sorte, ils obtiennent très
rapidement (en dix minutes dit-on) 15 % d’augmentation au 1-9-69, l’ouverture de négociations
sur de nouvelles conventions collectives et le paiement des heures de grève (Nouvel Observateur
et Spiegel). Dès ce moment, le mouvement s’étend un peu partout, signalé dans les journaux sous
la rubrique « les grèves sauvages69 ».

La vague de grève se répand : le 5-9, grève sauvage à DUISBURG-HUCKINGEN, à
GELSENKIRCHEN (Schalker-Verein) où 1.000 ouvriers défilent dans la ville jusqu’à la maison
des syndicats, aux cris de « 50-50-50 ») (pfennigs de plus de l’heure), à DUISBURGMEIDERICH,
où les ouvriers demandent de 30 à 50 pf de l’heure et refusent de reprendre le
travail malgré l’intervention d’un accord patrons-syndicat, à OSNABRUCK et à BREME, aux
usines Kloeckner, où 6.000 ouvriers réclament 50, puis 72 pt de plus de l’heure, et s’en prennent
au directeur du travail, à MULHEIM, dans la Ruhr (Rheinische Sthlwerke), arrêt de 4 heures.

Le mouvement s’étend et non seulement dans la métallurgie (HATTINGEN, 12.000
ouvriers mais à NEUNKIRCHEN dans la Sarre (aciéries) où les ouvriers refusent la reprise,
malgré l’offre de 8 % et d’une prime de fin d’année inscrite dans les accords), mais également
dans les mines (à OER-ERKENSCHWICK, dans la Sarre, on compte 8.000 grévistes sauvages à
la mine Luisenthal d’ALTENKESSEL, autant à NEUNKIRCHEN). A SARREBRUCK, les
mineurs manifestent devant la direction des mines, tandis que devant la maison des syndicats,
4.000 ouvriers crient « Vendus, Vendus ».

Le 8 septembre, il y a 20.000 mineurs et 18.500 métallos en grève dans la Sarre ; dans la
Ruhr, la grève a gagné la Rheinstahl Press de BRACKWEDE et les aciéries de HAMM.
Le 9, le syndicat des mines condamne la grève sauvage, demande par tracts la reprise du
travail.

Le ministre socialiste de l’économie, Schiller, invite, lui aussi, les grévistes (plus de
40.000 à ce moment en Allemagne) à reprendre le travail : « Finissez-en avec les grèves
sauvages, ayez confiance en vos syndicats qui négocieront de nouvelles conventions ».

Contrairement à ce qu’annonçait et espérait le syndicat des mineurs, la grève sauvage
passe des mines de la Sarre à celles de la Ruhr ; 2 mines sont touchées à DORTMUND où le
dirigeant syndical (I.G. Berg Bau) Neumann tente 3 heures durant, de faire reprendre le travail à
3.000 mineurs criant « Neumann Raus », et disparaît enfin ; à SARREBRUCK, 10.000 mineurs
manifestent pour un salaire mensuel minimum de 1.000 Mk.

Le 9 septembre encore, grève à DUSSELDORF, cette fois dans les textiles et filatures
Kloeckner, où 1.000 ouvriers réclament 50 pf de plus de l’heure.

Le 10 septembre, après la sidérurgie et les mines, la grève atteint un 3ème secteur, les


69 Cf. : ICO numéro 87, novembre 1969.


chantiers navals. A KIEL, grève sauvage aux chantiers Howaldt (8.000 ouvriers). De même à
LUBECK le 15.

Le 16, la majorité des ouvriers refusent le compromis passé entre le gouvernement et les
syndicats.

Dans les autres secteurs, le calme ne règne pas. (Nuremberg dans les transports, en
Bavière dans les brasseries, en Wesphalie dans l’industrie textile).

A partir du 17 septembre, le mouvement de grèves sauvages prend un nouveau tournant
en s’étendant aux services publics (qui emploient 1,6 million de travailleurs). Des dépêches
annonçant le déclenchement de grèves sauvages s’accumulent dans les bureaux des syndicats des
services publics, à ESSEN, à MUNICH, à NUREMBERG, à OFFENBACH, à WITTEN, à
MANNHEIM, la plupart du temps dans les transports ou la voirie, mais aussi dans
l’administration, le gaz, l’eau et l’électricité.

Et l’organisation ?

A Dortmund, il y a un comité de grève de 18 membres, avec un porte-parole. Aux aciéries
Friedrich Flicks (Bavière), les fondeurs choisissent 15 d’entre eux, la direction est obligée de
négocier avec eux. Mais cela reste limité et cantonné à l’entreprise. Ainsi les syndicats (très
corporatistes) pourront plus facilement reprendre les choses en main. Il n’en reste pas moins
qu’ils sont largement déconsidérés.

Que faire pour la bourgeoisie ? Kluncker, de l’O.T.V. (syndicat des transports) constate, le
17 septembre, que « les syndicats ne sont plus en mesure de garantir la paix sociale ». Benda,
ministre chrétien-démocrate de l’Intérieur, exprime l’espoir que les syndicats réussiront à
convaincre les travailleurs de renoncer à leurs arrêts de travail illégaux. Le seul moyen, pour les
syndicats, de retrouver leur capacité de contrôle étant de reprendre à leur compte les
revendications avancées ; quitte à en atténuer la virulence. La dernière semaine de septembre le
mouvement change de nature du fait de la tenue des élections et les problèmes électoraux et
politiques se mêlent aux questions sociales. La pression de la base reste encore forte mais la
bourgeoisie a réussi à reprendre les choses en main.

Les journaux bourgeois au niveau mondial sont très discrets par rapport à ces luttes.
Un article du Monde du 12 décembre 1969 qui a pour titre « Les grèves « sauvages » en
Europe » rapporte : « Au moment où, en France, la grève paralyse la circulation ferroviaire,
dans trois pays voisins – Allemagne, Italie, Grande-Bretagne – les gouvernements, les syndicats
et le patronat sont aux prises avec le phénomène des  » grèves sauvages », qui prennent depuis
quelque temps une plus grande ampleur. » Le rédacteur poursuit : « le 28 septembre, le cabinet
fédéral a dénoncé mercredi l’illégitimité du mouvement de grèves en cours dans l’industrie
charbonnière ou sidérurgique. » et « vingt mille mineurs n’ont toujours pas repris le travail en
Sarre ». « Pour la première fois depuis bien longtemps en Allemagne fédérale, les syndicats,
réputés tenir solidement en main leurs adhérents, ont été pris au dépourvu par le développement
à partir de la base de ces mouvements sociaux. »

Et en 1973 on peut lire dans le Monde70 :

« Les conversations entre les employeurs de la métallurgie et le syndicat I.G. Metall ont
été interrompues dans la nuit du mardi 4 au mercredi 5 septembre, sans que les deux partenaires
soient parvenus à un accord. Les représentants syndicaux ont repoussé une proposition du
patronat de reprendre les conversations le 11 septembre.


70 « En Allemagne fédérale L’autorité des syndicats a sérieusement souffert de la récente vague de grèves  » sauvages  » », du 6
septembre 1973 cf. : https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/09/06/en-allemagne-federale-l-autorite-des-syndicats-aserieusement-
souffert-de-la-recente-vague-de-greves-sauvages_3097781_1819218.html


« Il s’agissait d’examiner l’ensemble de la politique des conventions collectives à la suite
des grèves  » sauvages » qui ont paralysé plusieurs entreprises métallurgiques de Rhénanie-
Westphalie la semaine dernière.

« …devant le présidium du parti social-démocrate, le chancelier Brandt a critiqué
l’attitude des Jeunes socialistes au sujet dos grèves « sauvages » estimant qu’elle était

« préjudiciable au S.P.D. et à la solidarité avec les syndicats ». La veille, les « Jusos » avaient
qualifié les grèves spontanées d' » actions légitimes pour le maintien du niveau de vie », et
reproché aux dirigeants sociaux-démocrates d’appeler » au respect des règles du jeu pour la
solution des conflits sociaux, alors que, dans les conditions actuelles, ces règles représentent un
désavantage grossier pour les travailleurs. »

« …Trois grandes entreprises de la Ruhr ont été touchées : Opel, Rhein-stahl et Ford. Les
grèves y ont eu des caractères différents. Chez Opel et Rheinstahl les ouvriers revendiquaient le
paiement d’une  » indemnité de vie chère  » allant de 120 à 300 DM (de 205 à 510 F). La grève
chez Ford, à Cologne, a mis en lumière un autre problème. Là ce sont les travailleurs immigrés,
pour la plupart des Turcs (douze mille sur trente-deux mille employés), qui ont, pour la première
fois en Allemagne fédérale, été à la pointe du mouvement Pour protester contre le licenciement
de trois cents de leurs compatriotes, rentrés avec quelques jours de retard de leurs vacances
dans leur pays, cinq cents ouvriers turcs ont bloqué les chaînes, suivis par plusieurs milliers de
leurs camarades. Ils ont immédiatement constitué un comité de grève pour diriger le mouvement
et mener les négociations éventuelles, manifestant ainsi le peu de crédit qu’ils accordaient au
conseil d’entreprise »…

Le Monde dans le même article comme toute la bourgeoisie veut que les syndicats
retrouvent rapidement leur autorité.

« …Le risque de débordement des syndicats n’existe pas seulement chez les travailleurs
immigrés. Les dernières grèves ont mis en danger leur autorité même chez les travailleurs
allemands. Les syndicats se sont efforcés de prendre après coup la tête du mouvement pour le
freiner et le canaliser. »

7 – Israël.

Tous les partis politiques en Israël de la droite à la gauche (à l’exception d’une fraction
des communistes) et la grosse centrale ouvrière, l’Histadrouth (Israel’s General Federation of
Labour(71)) créée en 1920 – censée défendre les intérêts du prolétariat – défend le principe de la
coexistence pacifique entre les classes jusqu’à ce que l’Etat soit solidement assis. « La lutte de la
classe ouvrière, de ce fait, se trouve indéfiniment reportée à une époque mythique où la paix
étant faite avec l’extérieur, la lutte pourrait s’engager en Israël, sans menacer l’existence de
l’Etat juif » (commentaire d’un journaliste).

Et, par exemple, lors de la grève des travailleurs du port d’Ashdod en 1969, la
Histadrouth a accusé les grévistes juifs d’être assimilés à des agents du Fatah, la principale
faction de l’OLP, c’est-à-dire des « terroristes » et des « saboteurs »(72).

C’est pourquoi, les grèves dans les années 60 sont immédiatement des grèves sauvages
car c’est, ou pas de grève avec les syndicats, ou grève illégale contre les syndicats. C’est le cas en
1964 (avril) de la série de grèves perlée des postiers et des facteurs qui dura 4 semaines mais
aussi des services municipaux régionaux et d’Etat.(73)

En 1964, le Monde écrit :
« Malgré l’amélioration du niveau de vie, les tensions sociales n’ont jamais été aussi vives. La


71 L’Histadrouth change son nom de Fédération des travailleurs hébreux en Fédération des travailleurs, permettant ainsi aux
Arabes d’y adhérer en 1966.
72 https://electronicintifada.net/content/histadrut-israels-racist-trade-union/8121
73 Financial Times du 28/5/64 et ICO n° 30, juin-juillet 1964.


détente sur les frontières aidant, les revendications des diverses catégories de travailleurs se
manifestent au grand jour et se font plus pressantes. Dans un rapport présenté au dixième
congrès de la centrale ouvrière, début janvier, M. Aharon Becker, secrétaire général, a révélé à
ce propos qu’il y avait eu en 1965 deux cent cinquante-sept grèves (deux fois plus nombreuses
qu’en 1964) auxquelles avaient participé le nombre record de quatre-vingt-dix-huit mille
travailleurs, représentant près du tiers de l’ensemble du prolétariat urbain (environ trois cent
cinquante mille ouvriers). » (Le monde du 8 mars 1966(74))

En 1966 s’est au Syndicat Histadrouth que les ouvriers s’attaquent à la fin de la
manifestation du 1er mai.

« Douze personnes ont été blessées et une centaine d’autres arrêtées au cours des
incidents (..) du 1er mai à Ashdod (à une trentaine de kilomètres de Tel-Aviv). Les incidents ont
été provoqués par plusieurs centaines d’ouvriers, la plupart d’origine nord-africaine, sur le point
d’être licenciés à la suite des difficultés que connaissent plusieurs usines de montage de
véhicules de la région. Aux cris de « Du travail et du pain ! », ces ouvriers se sont attaqués au
cortège du 1er mai organisé par la Histadrouth, la C.G.T. israélienne. Ils ont attaqué les
bâtiments de la centrale syndicale et de la Banque des travailleurs. » (Le Monde du 3 mai 6675)
Les sections d’ateliers en Israël tendent à s’opposer massivement au syndicat ‘étatique’ :
l’Histadrouth

L’Annuaire (Histadrouth Yearbook de 1969) rapporte les résultats d’un sondage effectué par
l’organisation. Il indique qu’un nombre croissant de travailleurs estiment que les sections d’atelier
du syndicat devraient être indépendantes de la fédération. Vingt pour cent des salariés déclarent
que des grèves ont éclaté dans leurs ateliers malgré l’opposition de la Histadrout ; 47 % pensent
que dans certains cas, c’est une bonne chose que les travailleurs fassent grève sans l’autorisation
de la Histadrouth.(76) L’Annuaire poursuit :

« Les conclusions tirées du sondage concernant l’opinion des comités d’action [comités de
travailleurs formés en opposition aux responsables de la Histadrout pour mener des grèves
sauvages et des actions pour l’emploi] sont encore plus graves. Alors que 8 % des ouvriers
déclarent que des grèves ont eu lieu dans leurs usines en opposition avec la section d’atelier, 29
% estiment qu’il y a des cas où des grèves non autorisées par la section d’atelier sont justifiées.
En bref, la tendance à rompre avec l’ordre établi se renforce. » (souligné par nous.)

Les dirigeants de la Histadrouth, les industriels et les membres du gouvernement expriment
aujourd’hui ouvertement leur inquiétude face à ce qu’ils appellent la « crise de confiance » des
travailleurs envers la Histadrouth. Cette crise s’aggrave d’année en année. Elle est d’ailleurs à
l’origine du changement intervenu à la tête de la Histadrouth en 1969, lorsque le secrétaire
général Aharon Becker a été remplacé par Yitzhak Ben-Aharon, connu pour son style rhétorique
vigoureux et son habitude de « parler le langage des travailleurs ». L’ancien secrétaire général et le
nouveau étaient tous deux membres du parti travailliste au pouvoir en 1969.

« Au début de (1966), les travailleurs israéliens ont mené une série de grève de grande
importance. Le mouvement le plus spectaculaire a été celui des dockers. Mais les distributeurs
d’essence, les fonctionnaires, les agents des services de santé, les ouvriers du textile, ceux de
l’industrie militaire, les enseignants, les éboueurs et les membres des coopératives de transport


74 https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/03/08/i-l-embourgeoisement_2699955_1819218.html
75 https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/05/03/en-israel-violentes-manifestations-a-ashdod-et-a-dimona-d-ouvriers-pourla-
plupart-d-origine-nord-africaine_2695323_1819218.html
76 https://www.marxists.org/history/etol/document/mideast/toi/chap2-07.html#n3
sont aussi entrés en lutte. (77)»


La conflictualité est passée de 51 conflits pour 600 travailleurs au total avec 31 jours de
grève en 1959 à 135 conflits avec 14000 grévistes et 49 jours en 1960 et enfin à une
augmentation au-delà de 1960. Il y eut un premier pic en 1963 avec 127 conflits pour 87000
grévistes et 129 jours de grève. Un deuxième pic en 1966 avec 282 conflits, 87000 grévistes et
156 jours de grève. Un troisième pic très important en 1970, le rapport de la banque d’Israël note
une augmentation de 43% avec 163 conflits et 390 jours de grève. Elle ne note pas le nombre de
grévistes. Le rapport répertorie plus de conflits en 1971 : 169 avec 178 jours de grève (78).

Spontanéité et organisation des luttes

Comme nous l’avons fait pour les luttes dans les autres pays, notons que ces luttes « n’ont
été dirigées par aucun syndicat ni aucun parti… Mais si les grèves ont été spontanées, il est
intéressant de voir quelle organisation les travailleurs se sont donnés pour agir si
vigoureusement(79). »

A juste titre le journal Lutte de classe notait à l’époque que le syndicat Histadrout est
parfaitement intégré à l’État et possède même des entreprises et emploie en 1964, 210 000
ouvriers. Ainsi, les travailleurs ont constitué des organes de lutte à eux qu’ils ont appelé Comités
ouvriers. Ils sont élus par l’ensemble des salariés. Il existait, en 1967, des milliers de Comités qui
comptaient 50 000 membres élus directement par les ouvriers dans leurs usines. C’est ce qui
explique que les grèves en apparence inorganisées soient si efficaces. Voilà comment les
travailleurs ont appris à constituer de nouveaux organes de lutte. On retrouve à nouveau les
mêmes caractéristiques que partout, affrontement contre les syndicats, spontanéité mais aussi
organisation autonome. Le journal Lutte de classe poursuit :

Les travailleurs « ont constitué des organes de lutte à eux qui ont été aussitôt appelés
comités ouvriers. Ces comités sont élus par l’ensemble des syndiqués, c’est à dire, en fait, par
l’ensemble du personnel d’une entreprise. »

Les vagues de grèves tout au long de l’année 1971 ont démontré au Parti travailliste que
les travailleurs d’Israël ne seront pas contenus. Ainsi, en octobre 1971, le parti travailliste au
pouvoir a ratifié une loi sur les relations de travail établissant et amplifiant le monopole de la
Histadrouth comme représentant légal des travailleurs.

Mais surtout, « la direction syndicale, après diverses résistances, a reconnu les comités
et a essayé de s’en servir pour transmettre à la base ses directives. »

La bourgeoisie ne reste jamais inactive face aux nouvelles pratiques ouvrières, ce fut la
même chose au Royaume Uni avec les « shop stewards » ou délégués d’ateliers. Au départ ses
délégués sont élus de façon spontanée par les ouvriers puis ils sont légalisés et institutionalisés.
« L’introduction des « shop stewards » dans le NHS après 1971 a créé une nouvelle couche
de militants (…). Le personnel hospitalier a commencé à élire des représentants départementaux,
dont plusieurs femmes. Cela a encouragé la participation aux réunions de la branche et une
approche plus collective des griefs. Un peu comme leurs homologues de l’industrie automobile
dans les années 1960, les nouveaux délégués syndicaux ont commencé à recueillir des griefs lors
de petites réunions et par le biais de contacts personnels, puis à les soulever de manière
autonome par rapport à la hiérarchie de la branche (80). » Voilà comment la bourgeoisie a
répondu aux ouvriers pour relégitimer les syndicats ?

 


77 Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs, février 1967, journal du GLAT. cf. :http
://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/glat/1967/LDC-fevrier-1967.pdf
78 Statistical Yearbooks, 1965, 1967, 1970,1971 ; Annual Report of the Bank of Israel.
79 Op. cit. : Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs.
80 https://www.historyworkshop.org.uk/wheres-the-power-in-a-union-and-why-is-it-important-2/


 

8 – Hollande,

Grève sauvage dans le bâtiment à Amsterdam – juin 1966
« Le 13 juin, à 19 h30 au local du syndicat, en plus des ouvriers convoqués, d’autres étaient
venus pour s’informer, certains pour marquer leur mécontentement. Quelques jours avant, le
Comité Permanent du bâtiment, influencé par le PC, et composé de 5 membres, – comité créé en
1947 et qui s’est maintenu -, avait lancé le mot d’ordre d’une demi-journée de grève. La présence
de certains ouvriers non convoqués au local syndical peut s’expliquer en partie par un appel
verbal du Comité Permanent du bâtiment.

« Dans le local exigu du syndicat, se retrouvent environ 1.000 travailleurs qui manifestent
bruyamment et scandent des slogans hostiles aux syndicats officiels : »nous voulons nos 2 %,
c’est du vol ! » Certains disent : « si les syndicats veulent être une « instance centrale », c’est leur
affaire et non la nôtre. Ils n’ont pas le droit de se livrer à des tripotages derrière notre dos sans
nous consulter ». L’agitation est telle que les syndicats, pour rétablir le calme jugent bon de faire
appel aux « forces de l’ordre ». Des bagarres acharnées opposent les ouvriers et la police. Les
ouvriers utilisent les pavés de la rue pour se battre. Les vitres des cars de police tombent ; des
policiers sont blessés, ainsi que des ouvriers ; un ouvrier est tué. On se bat jusqu’à minuit. On se
disperse alors, mais avec la ferme intention de se retrouver le lendemain place Meyer, devant la
statue du Docker, – symbole d’une grève des dockers puis de tous les travailleurs d’Amsterdam en
1941, lors de l’occupation allemande, contre les arrestations et les crimes nazis à l’égard des juifs
et où, traditionnellement, ont lieu les manifestations ouvrières.

« Le 14 juin, la grève est totale dans le bâtiment. Aucun mot d’ordre par tract n’a été lancé, ce
sont les ouvriers et les militants de base de l’E.V.C. [syndicat communiste] et de l’O.V.B.
[syndicat autonome] qui en ont pris l’initiative. A 9 h, à la statue du Docker se retrouvent plus de
6.000 ouvriers. Discours du Comité Permanent du bâtiment, des syndicats non officiels. On
apprend la version mensongère des évènements de la veille relatée par « Le Télégraphe », journal
réactionnaire qui attribue à une crise cardiaque la mort de l’ouvrier. On crie : « voleurs »,
« assassins », « S.S. », « étrangleurs ». La colère monte et lorsque vers 10 h 30, les organisations
invitent les ouvriers à se disperser, ceux-ci refusent : « au Télégraphe », scandent-ils. Plus de
6.000 ouvriers se mettent en marche vers le centre de la ville et montent à l’assaut du
« Télégraphe ». Des camions sont renversés, l’immeuble saccagé, des rouleaux de papier et les
journaux du matin brûlés. Vers midi, la police arrive, armée de bâtons et de sabres. D’heure en
heure, la lutte devient plus violente. On jette des pavés, on brise les feux rouges, on stoppe les
tramways, on en renverse un, on descend des vitrines de magasins de mode. On détruit des
compteurs de parking, on projette une guérite dans un canal. Aux ouvriers du bâtiment, se sont
joints d’autres travailleurs, des jeunes, des « blousons noirs, des étudiants, des « provos ». … »

« Le 14 avant midi, des grèves de solidarité sont déclenchées dans le bâtiment, à Haarlem,
Utrecht, La Haye ; dès l’après-midi dans les taxis et le port à Amsterdam. A Amsterdam, reprise
du travail le 15, mais des bagarres éclatent encore le 15 et le 16 opposant les jeunes à la police.
Des délégations des entreprises d’Amsterdam assistent le 17 aux obsèques de 1’ouvrier. (81)»
Grève sauvage dans la métallurgie à Utrecht82 (octobre 66)

Mercredi 12 octobre 1966, la grève éclate dans une usine métallurgique d’Utrecht, 2500
ouvriers débrayent. Ils crient des slogans et quelques-uns entrent dans la salle où siège le conseil
de l’usine. Tout ceci spontanément et sans soutien syndical. Les syndicats, comme le déclare un
peu plus tard le secrétaire du conseil de l’usine aux grévistes réunis à la cantine, « ne peuvent pas
soutenir votre action parce que la direction de l’entreprise ne se trouve pas en conflit avec les
dispositions du contrat collectif ».


81 Voir, Pouvoir Ouvrier n°79 – juillet-août 1966.
82 voir ICO n° 55, décembre 66, page 19-20.


 

La grève est causée par le désir de la direction de se débarrasser de 250 à 300 ouvriers
pour des raisons de réorganisation structurelle.

La grève a duré une journée. Dans l’après-midi, la direction fit connaître qu’il ne serait
plus question de licenciement, qu’on chercherait d’autres méthodes pour résoudre le « problème
structurel » et que si, après cela, des licenciements étaient encore nécessaires, on prendrait contact
avec les syndicats pour étudier un moyen de résoudre les problèmes financiers.

Grève sauvage dans l’industrie du carton en 1969.

Cette nouvelle grève sauvage permet de développer concrètement comment mener
une grève. Bien évidement c’est une grève minoritaire mais elle est emblématique de la
situation générale.

« En 1965 comme en 1969, les ouvriers se mirent en grève contre la volonté des
syndicats ; ce fut pratiquement leur seul point commun d’être des grèves sauvages. La première
fois, les ouvriers formèrent leur propre comité de grève et luttèrent seuls sans subir aucune
influence d’un côté ou d’un autre la grève, dès le début, fut illimitée. En revanche, en septembre
et octobre 1969, ils firent des grèves tournantes sur la recommandation d’un politicien local du
Parti Communiste Néerlandais qu’ils avaient invité dans leur comité de grève et qui y joua plus
ou moins le rôle de porte-parole(83). »

Il est à noter que la bourgeoisie et les syndicats ont appris au cours des dernières luttes et
sont déjà mieux préparés à canaliser et envoyer les luttes sur des voies de garage.
ICO remarque que la « différence : en 1965, l’attitude des grévistes vis-à-vis des bonzes
syndicaux fut beaucoup plus hostile qu’au cours de la dernière grève. En 1969, on retrouve
pourtant la même réunion au cours de laquelle les dirigeants syndicaux rencontrèrent la même
hostilité de la base, mais l’attitude du comité de grève était différente. Pendant la deuxième
grève, le comité de grève ne cessait pas de dire : « c’est la bureaucratie qui est notre ennemie qui
trahit les intérêts des ouvriers, mais les syndicats en eux-mêmes sont bons ».

(…) « Le comité de grève n’était pas composé de la même façon dans les deux grèves. En
1965, il fut élu par les grévistes ; en 1969, ce furent certains activistes syndicaux de la base qui
se présentaient comme un comité d’action. Il est incontestable qu’ils avaient également la
confiance de leurs camarades mais leurs idées étaient quelque peu différentes de celles du
comité de grève de 1965. » (…) Malgré les illusions sur les syndicats qui continuaient d’exister
dans le comité d’action, l’attitude de la base vis à vis des dirigeants, restait bien claire. A une
réunion tenue à l’hôtel Dijkinga à Oude Pekela, le dimanche 5 octobre 1969, W. Liefaard, le
président du syndicat socialiste avait la parole : il déclara, entre autres : « Nous avons les mains
liées par le contrat collectif ». La salle réagit par des exclamations de mépris. « Si je propose à
la direction syndicale de soutenir la grève, je n’aurais aucune chance ». Un éclat de rire ironique
dans la salle. « Les syndicats veulent que dans l’industrie du carton règnent à nouveau des
circonstances normales. Nous voulons jeter un pont entre nous et les patrons. Le pont existera
dès que vous terminerez votre grève ». Dès qu’il a fini, un ouvrier monte sur l’estrade. W.
Liefaard proteste, il ne veut pas donner le micro à l’ouvrier. Celui-ci dit « Je t’emmerde, je n’ai
rien à faire de tes ordres. Si tu n’es pas d’accord, fous le camp ». La salle applaudit. Alors,
l’ouvrier parle : « Moi, je suis militant du syndicat catholique. J’ai assisté à Groningen aux
pourparlers avec les patrons et je peux dire à vous tous que les syndicats nous ont jeté à la
poubelle … ».

Liefaard : « Je vous promets encore une fois que nous mènerons des pourparlers assez
durs. Donnez-nous la chance de le faire ». Eclats de rire dans la salle. Un ouvrier se lève et


83 voir ICO n° 88, décembre 69, pages 4 et suivantes .


crie : « Il y a déjà longtemps que nous avons demandé une réunion avec les chefs syndicaux. On
avait réuni 50 signatures, mais il n’y a jamais eu de réunion. Le chef du syndicat régional était
introuvable. » « Voulez-vous discuter avec nous ?… Je vous demande catégoriquement encore
une fois : voulez-vous nous soutenir, oui ou non ? » Lievaard, le président du syndicat : « Vous
soutenir dans cette grève, non, non et non ». (ICO, idem).

La conscience des ouvriers contre le véritable rôle et fonction des syndicats était la même
en 1965 et 1969 mais alors pourquoi y a-t-il eu des différences dans les luttes ? Comme nous le
disions ci-dessus, la bourgeoisie syndicale avait évolué et su se couler dans un nouveau rôle.
Mais aussi, elle a pu trouver un appui dans les différents groupes « gauchistes » apparus depuis
1968 qui ne rejetaient pas totalement le syndicalisme.

« On peut (..) comprendre [les différences] par les formes de la lutte elle-même. En 1965,
lorsque les ouvriers voulaient continuer la lutte tout seuls, ils étaient automatiquement
contraints de régler tout seuls leurs propres affaires, et de ce fait toutes leurs illusions syndicales
se trouvaient rejetées. » (…) « Dans leur tête, il reste des illusions que l’on retrouve dans le fait
que le comité de grève est composé plus qu’auparavant de gens croyant au mythe syndical (84). En
1969, le comité d’action insiste sur le point qu’il ne faut pas mettre en danger la position des
syndicats. Il répète que les syndicats se mettront du côté des ouvriers, bien que la bureaucratie
syndicale ait indiqué assez clairement sa position en rapport avec le contrat collectif. En 1965,
les ouvriers disent : « on se fout du syndicat ». En 1969, ils restent comme des suppliants devant
les portes fermées du syndicat. » (ICO, idem)

9 – France

– Le cadre général est donné par Pouvoir ouvrier dans son édito du numéro 83 de mars-avril
1967 fournit une indication du niveau de combativité des ouvriers dans plusieurs entreprises
avant 68.

« Dassault, Rhodiaceta, Berliet, Saint-Nazaire, les mineurs de fer… Grèves et lock-out.
C’est la plus forte vague de mouvements du secteur privé depuis 1958. C’est sur tous les fronts
que se battent les travailleurs : salaires chez Dassault, chez Berliet, à Saint-Nazaire, conditions
de travail à la SNCF, jours de repos et garantie des ressources à Rhodiaceta, licenciements chez
les mineurs de fer. Grèves illimitées, mouvements plus durs. Quelque chose a changé. Plus de
débrayages symboliques. Large participation des employés et des techniciens, parfois même des
ingénieurs. Assemblées de grévistes, piquets de grève massifs et résolus. Ici et là, occupation,
partielle ou totale, des entreprises. Solidarité entre les travailleurs appartenant au même trust,
Rhodia par exemple, ou des travailleurs de la localité ou de la région vis-à-vis des grévistes. »

– La combativité ouvrière monte en 1967, affrontements à Caen.

Dès le début 1967, les syndicats ont été très significativement débordés à de nombreuses
reprises…Des affrontements importants avec les forces de l’ordre ont eu lieu à Bordeaux, à
l’usine d’aviation Dassault, à Besançon ou dans la région lyonnaise chez Rhodiaceta ou à Berliet,
dans les mines de Lorraine (voir ci-dessous) ainsi que dans les chantiers navals de Saint-Nazaire
d’ailleurs paralysés par une grève générale le 11 avril. Mais c’est indubitablement à Caen, en
Normandie que le prolétariat va mener un de ses combats les plus démonstratifs vers ce qui va
peu à peu conduire à Mai 68. Le 20 janvier 1968, les syndicats de l’usine de camions Saviem
lancent un mot d’ordre inoffensif de grève d’une heure et demie mais la base, jugeant cette action
complètement déplorable part spontanément en grève le 23. Le surlendemain, à 4 heures du
matin, les CRS démantèlent le piquet de grève permettant ainsi aux cadres et aux jaunes d’entrer
dans l’usine. Les grévistes décident de se regrouper au centre-ville où ils sont alors rejoints par


84 Pour nous, il est clair que toutes les formes de gauchistes radicaux croient encore aux syndicats et pèsent plus dans les comités
de lutte, d’action et de grève. Ils étaient moins présents auparavant, ils se sont politiquement développés ; ils sont plus crédibles
que les anciens bonzes syndicaux socialistes ou staliniens.


des ouvriers d’autres entreprises qui sont également entrés en grève. A 8 heures du matin, 5000
ouvriers convergent vers la place centrale : les gardes mobiles les chargent brutalement,
notamment à coups de crosse de fusil. Le 26 janvier, les travailleurs de tous les secteurs de la
ville rejoints par de nombreux étudiants manifestent leur solidarité : un meeting sur la place
centrale rassemble 7000 personnes à 18 heures. A la fin du meeting, les gardes mobiles chargent
pour évacuer la place mais sont surpris par la résistance ouvrière. Les affrontements dureront
toute la nuit ; il y aura 200 blessés et des dizaines d’arrestations. Six jeunes manifestants ouvriers
écopent de peines de prison ferme de 15 jours à trois mois. Mais bien loin de faire reculer la
volonté de lutte, cette répression ne fait que provoquer l’extension et la radicalité du
mouvement…

Le 30 janvier, on compte 15 000 grévistes à Caen. Le 2 février, les autorités et le
patronat sont obligés de reculer. On lève les poursuites contre les manifestants. On augmente les
salaires de quelques pourcents…. Le lendemain, le travail semble reprendre mais, sous
l’influence des jeunes ouvriers, les débrayages se poursuivent encore pendant plusieurs semaines
à la Saviem.

– Grèves avec occupations en avril 1967 dans le bassin sidérurgique lorrain : la
forteresse ouvrière

« Il peut être étonnant, pour traiter des occupations, de commencer par la lutte des
sidérurgistes et des mineurs dans le bassin de Longwy en avril 1967. Pour beaucoup, le
« retour » des occupations date surtout de Mai 68 et 1967 reste comme une grande grève dans le
bassin sidérurgique. Pourtant, lorsque l’on reprend les journaux et les déclarations de l’époque,
on s’aperçoit que ce conflit, au moins au départ, qui portait sur la garantie de l’emploi (contre les
réductions d’horaires forcées et le chômage temporaire) et l’augmentation des salaires, fut
marqué par de nombreuses occupations. Occupations de mines dans la première moitié d’avril.

Puis occupations de plusieurs usines sidérurgiques, notamment les aciéries d’Homécourt et
Hayange dans la seconde moitié du mois. Dans le premier cas de figure, l’occupation servait
surtout à immobiliser les stocks de minerais. Dans le second, elle fonctionnait autant comme
moyen d’entraver la production que pour paralyser l’usine et empêcher les non-grévistes
d’entrer. En effet, au cours de la seconde semaine du mouvement social dans les usines, le conflit
se joua d’abord autour du piquet de grève. »

Mais il faut rappeler que l’année 1967 dans son ensemble a été agitée en France du fait de
ce qui se passait depuis plusieurs années avec le blocage des salaires, l’intensification des
cadences et la mise au chômage partiel de certaines travailleurs pour faire travailler davantage
ceux qui restent.

Lutte de classe fait remarquer que « toutes les grèves [celles de 1967] présentent les
mêmes caractères positifs : forte combativité à la base avec initiatives prises par les
travailleurs ; existence d’assemblées générales qui contrôlent plus ou moins étroitement les
délégués syndicaux et, au moins à deux endroits (Dassault et Lorient) les obligent à faire durer
la grève plus longtemps qu’ils ne le voulaient. »85

Le journal Lutte de classe revient sur les nombreuses grèves qui se déroulent en France
dans le numéro d’avril.

« Non seulement des grèves éclatent – chez Dassault à Bordeaux, sur les docks de
Marseille, chez Berliet et Rhodiaceta dans la région lyonnaise, aux chantiers navals de Saint-
Nazaire, dans les mines de fer de Lorraine, etc.… mais elles prennent des formes dont on avait
perdu l’habitude depuis pas mal de temps. Au lieu des ridicules débrayages d’une demi-heure, ce


85 Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs, mars 1967, journal du GLAT. cf. : http:
//archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/glat/1967/LDC-mars-
1967.pdf


sont des grèves totales qui se prolongent pendant des semaines, avec des piquets de grève
résolus, parfois même avec occupation, de l’usine.

(…) Il faut également remarquer que, dans la plupart des cas sinon dans tous, l’action a
été entamée sur l’initiative des travailleurs, dépassant ou bousculant les appareils syndicaux »86
Et de poursuivre : « Malheureusement, une fois la grève lancée, la direction en a été laissée aux
éternels cadres syndicaux qui se sont empressés de la mener sur une voie de garage. »

– Rhodiaceta.

Une des plus importantes et plus emblématiques des nouvelles luttes ouvrières fut celle
de Rhodiaceta à Lyon et à Besançon, elle a duré plusieurs semaines. Nous conseillons la lecture,
in extenso, du compte rendu des luttes sur le journal Lutte de classe d’avril 1967,
« L’enterrement.87 » Même Le Monde écrit (26-27 mars, p.11) : « Il s’agissait pour les
organisations syndicales, placées devant une situation paradoxale, et certes très inconfortable,
de freiner les ardeurs combatives des ouvriers des équipes 4 fois 8. »

– Mai 68.

Nous ne cherchons pas à nier l’importance de Mai 68 ; ce serait ridicule. Nous cherchons à le
replacer dans le cadre des années sauvages qui ont déferlé dans le monde entier.
Brève chronologie mai-juin 1968 afin de donner des références historiques sur le mouvement.

2 mai: fermeture de Nanterre; Sud-Aviation en grève.
3 mai: occupation de la Sorbonne, fermeture de la Sorbonne. L’UNEF et le syndicat de
l’enseignement supérieur déclarent une grève illimitée.
4-5 mai: des manifestants condamnés.
6 mai: grève dans les lycées.
7 mai: manifestions: 30 000 étudiants, enseignants.
10 mai: manifestation étudiante dans le quartier latin; les barricades.
11 mai: les syndicats appellent à la grève.
13 mai: grève générale; manifestations monstres à Paris.
14-16 mai: les grèves démarrent en Lorraine, Sud-Aviation-Bougenais, à Renault-Cléon, Flins,
etc…
17 mai: grève des transports. Les syndicats prennent le train en marche. RUPTURE
18 mai : de Gaulle rentre de Roumanie, la « récréation est finie » ; la réponse : 1 puis 2 millions
des grévistes.
22 mai: près de 8 millions de grévistes; Cohn-Bendit interdit de séjour en France
23 mai : UNEF et CGT; la CGT se déclare prête à négocier. (fin du « joli » mois de mai)
25 mai: grève à l’ORTF
27 mai: publication du protocole de Grenelle (entre syndicats, Etat et patronat); meeting de
Charléty avec UNEF, CFDT, PSU.
28 mai: Mitterrand candidat… à la présidence.
29 mai: de Gaulle va voir Massu à Baden-Baden; grandes manifestations de la CGT.
30 mai: de Gaulle annonce la dissolution de l’Assemblée et des élections; manifestation gaulliste.
31 mai: l’essence est de retour dans les stations; le SMIG (salaire minimum) passe à 3 francs.
6 juin : reprise à la SNCF, à la RATP, dans les PTT.
23-30 juin: élections législatives; les gaullistes ont la majorité absolue.


86 Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs, avril 1967, journal du GLAT. cf. : http:
//archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/glat/1967/LDC-avril-
1967.pdf
87 Idem page 8 : http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistesap1952/
glat/1967/LDC-avril-1967.pdf.


Pour Castoriadis : « la crise a traversé quatre étapes nettement distinctes » :

« 1°) du 3 au 14 Mai, le mouvement étudiant, jusqu’alors limité à Nanterre,
s’amplifie brusquement, gagne l’ensemble du pays, et, après les combats de rues, la
nuit du 11 Mai et la manifestation du 13, culmine dans l’occupation généralisée des
universités.
2°) du 15 au 27 Mai, commencent à Sud-Aviation (Nantes), des grèves spontanées
avec occupation des locaux éclatent et s’étendent rapidement. Ce n’est que l’après-midi
du 17, après des débrayages spontanés chez Renault-Billancourt, que les
directions syndicales sautent dans le train en marche, et parviennent à prendre le
contrôle du mouvement pour conclure finalement avec le gouvernement les accords
de Grenelle.
3°) du 28 au 30 Mai, après le rejet brutal par les travailleurs de l’escroquerie des
accords de Grenelle, directions syndicales et partis « de gauche » essayent de
transposer les problèmes au niveau des combines « politiques », cependant que la
décomposition de l’appareil gouvernemental et étatique arrive à son comble.
4°) à partir du 31 Mai, les couches dominantes se ressaisissent, de Gaulle dissout
l’Assemblée et menace les grévistes. Communistes, fédérés et gaullistes sont
d’accord pour jouer la farce électorale, cependant que les directions syndicales
retirent les « préalables » généraux à la négociation et tentent de conclure au plus vite
des accords par branche. »

Pour nous, si cette analyse n’est pas fausse, il faut comprendre que le mouvement était
dans une phase ascendante jusqu’au 17 mai (88) puis se trouve dans le reflux lorsque le PCF et les
syndicats aidés par toutes les tendances de la gauche social-démocrate, multiplient les
agissements pour tenter de le contrôler et aboutir aux accords de Grenelle en essayant de le
détourner sur le terrain de mesures acquises dans la discussion avec le gouvernement (89).

Ainsi, le mouvement de Mai 68 ne faisait que commencer quand il a été décapité. Une
fois le pays paralysé, il fallait, pour la bourgeoisie, trouver une issue « acceptable ». Des
discussions eurent lieu entre gouvernement, patronat et syndicats au ministère du Travail, rue de
Grenelle.

Georges Séguy (secrétaire général du syndicat CGT) joua un rôle de premier plan. Il se
fit copieusement huer et siffler, le 27 mai 1968 à Renault à Billancourt par les ouvriers, à la fin
des discussions de Grenelle pour présenter aux ouvriers les résultats du premier protocole
d’accord et pousser à la reprise du travail. Mais là encore, pour ne pas risquer de perdre la
direction du mouvement, il attendit que l’hostilité des travailleurs s’épuise pour imposer les
accords négociés. Les fameux accords de Grenelle prévoyaient l’augmentation de 35 % du salaire
minimum, qui passa de 385 à 519 francs (la CGT revendiquait 600 francs), augmentation de
10 % des autres salaires, droits et postes supplémentaires pour les appareils syndicaux et
quelques vagues paroles sur le temps de travail et la retraite.


88 Le mouvement spontané dans les usines était fondamental pour le développement du mouvement. Il a constitué une bouffée
d’oxygène les 15 et 16 mai, mais très vite dès le 17 au soir, il se trouve rattrapé par les syndicats qui jusque-là critiquaient le
mouvement comme un mouvement d’étudiants, modifient leur langage et leur politique. Ils commencent à reprendre pied dans les
usines malgré quelques éclats comme à Renault le 27 par rapport aux Accords de Grenelle. Effectivement, il est difficile dire que
le mouvement est si rapidement dévoyé par les manoeuvres syndicales. Et pourtant ce fut le début de la manoeuvre. De toute façon
une fois un mouvement social lancé, tout arrêt ou recul signe rapidement son arrêt de mort.
89 Jacques Chirac prend contact secrètement (mandaté par Georges Pompidou, premier ministre) avec les syndicats et surtout la
CGT…. Dans son livre « Le jour ou de Gaulle est parti : 27 avril 1969 » (Nicolas Eybalin Editions), le journaliste et écrivain Guy
Konopnicki raconte de façon amusante la rencontre entre Jacques Chirac et Henri Krasucki, numéro deux de la CGT à l’époque :
« Le futur président de la République était arrivé dans un état de fébrilité et d’angoisse au lieu de rendez-vous, le cabinet d’un
avocat communiste (.). Henri Krasucki avait dû le calmer avant de pouvoir énoncer les bases sur lesquelles la CGT entendait
négocier. Chirac faisait des bonds à chaque revendication : revalorisation du SMIG, retour aux 40 heures, quatrième semaine de
congés payés…Mais ce n’était rien encore : Henri Krasucki demandait la reconnaissance du syndicat dans toutes les entreprises,
le droit de réunion, et le statut de salarié protégé pour les délégués syndicaux.»


Dès le lendemain, le journal « Le Monde » titre « La CGT n’a pu convaincre les grévistes
de reprendre le travail ». En fait, les accords de Grenelle sont rejetés partout. Ainsi, fait souvent
méconnu, si les accords de Grenelle ont bien été négociés, ils n’ont jamais été signés. C’est le
gouvernement Pompidou qui décidera de les appliquer unilatéralement. Ces accords n’ont même
pas permis de mettre fin aux grèves. Il faudra attendre la mi-juin pour que l’agitation cesse.

Une tentative mérite d’être cité car elle fut un essai d’organisation des comités de grève :
le Comité inter-entreprises. Ce Comité se constitua dès le début de la grève à la faculté des
Lettres de Censier après la grande manifestation du 13 mai (90). Il regroupait des travailleurs
isolés et des groupes de travailleurs de plusieurs dizaines d’usines de la région parisienne. Ce
Comité se donna comme fonction de coordonner les actions contre le sabotage de la grève
organisé par la C.G.T. Il fut, réellement, le seul organe ouvrier qui dépassa, dans sa pratique, les
limites étroites de l’entreprise en concrétisant la solidarité entre travailleurs de différentes
entreprises. Comme c’est le cas dans toute pratique révolutionnaire de la classe ouvrière, il ne se
livra à aucune publicité malsaine, il fonctionna un point c’est tout.

Ce Comité continue à se réunir un an après la grève puis disparait après le constat de son
inutilité. Quelques dizaines de travailleurs ont cherché à continuer à discuter. En effet, alors que
durant la grève ce Comité avait pour fonction de renforcer les luttes contre les coups et les
manipulations syndicalo-politiques, dès la fin de la grève, il se transforme en groupe de
discussions faisant le bilan de la grève et essayant de tirer les leçons pour les prochaines luttes.
Le Comité regroupa toutefois, dans ses assemblées générales quotidiennes qui se tinrent à
Censier et dans les réunions d’entreprises, plusieurs milliers d’ouvriers. Il se limita à la région
parisienne. Le Comité se constitua en dehors de toutes les organisations syndicales et politiques
traditionnelles. Il faut souligner le sérieux et le niveau élevé des discussions qui portèrent bien
souvent sur le communisme et sa signification.

Une autre expérience de ce type doit être signalée, la création du Comité Enragés-
Situationnistes et surtout ensuite avec le Conseil pour le maintien des occupations (CMDO). Le
30 mai les situationnistes appellent à la création de conseils ouvriers partout dans le monde dans
une « adresse à tous les travailleurs ». Evidemment cela n’aura pas d’effet mais sa signification
politique est importante pour indiquer le sens vers lequel le mouvement aurait dû aller si la
situation lui avait été favorable.

Après 68 et dans les années suivantes, la bourgeoisie a appris à réagir, elle a reçu
l’aide des socialistes, des staliniens, des syndicats et des gauchistes. La classe ouvrière a donc eu
maintes fois l’occasion de se confronter aussi bien à la gauche qu’aux gauchistes notamment les
trotskistes. Le syndicalisme de « base » en est le principal instrument. Tout est alors possible de
la part du syndicalisme de base, y compris d’appeler s’il le faut à lutter hors des syndicats afin
qu’il puisse ainsi rester collé au mouvement pour, le moment venu, le saboter. Dans ces
conditions, chaque hésitation, chaque illusion, chaque moment de faiblesse présenté par les
travailleurs en lutte est mis à profit pour reprendre le dessus, faire passer des propositions
“d’action” signant à terme l’essoufflement de la lutte, que le syndicat officiel n’a plus ensuite
qu’à venir cueillir comme un fruit mûr. (voir l’exemple de la grève du secteur du carton en
Hollande, ci-dessus).

Ce fut la période où la gauche et les syndicats appelaient à des luttes catégorielles pour
mieux contrôler et diviser les mouvements : les Lips, les Michelins, les Terrins, les Boussac….
Il faudrait faire une place à la lutte connue comme celle de « Longwy-Denain » (crise de
la sidérurgie dans le bassin Lorrain) qui dura pendant quinze mois, entre mars 1979 et janvier
90 Cf. : Mouvement communiste, numéro 1 bis, 1972. in http://archivesautonomies.org/spip.php?article37
1981. Mais ici, il s’agit véritablement d’une lutte voulue et anticipée par la bourgeoisie au
moment où tous les pays européens ont décidé de se séparer de la sidérurgie. Malgré tout, il y eut
des moments d’essai d’auto-organisation mais tout était bien verrouillé entre les gouvernements et
les syndicats.

Les derniers exemples de luttes les plus caractéristiques sont certainement ceux de la
grève à la SNCF en décembre 1986/janvier 87, de la SNECMA en 1988 et du secteur de la santé
en octobre 1988 en France. Les cheminots sont partis en grève en dehors des syndicats et se sont
organisés en assemblées générales. De cette manière, la grève s’est rapidement étendue à tout le
secteur ferroviaire.

Parvenue à ce stade, la grève ne pouvait se renforcer que si elle réussissait à s’élargir à
d’autres secteurs, comme le secteur public par exemple très sensible à ce moment-là, à tout ce
qui se passait à la SNCF (91). Le syndicalisme de base, particulièrement animé par les militants
trotskistes de la Ligue communiste révolutionnaire (92) et de Lutte ouvrière, est parvenu à courtcircuiter
l’effort de la classe ouvrière tendu vers cet objectif en favorisant la formation précipitée
et artificielle de deux comités de coordination nationale alors qu’il fallait les unifier en un seul
comité de coordination. Depuis lors, dès qu’il y a des luttes, ils appellent à des comités de
coordination distincts entre les différents secteurs.

Derrière la phraséologie assembléiste, pour l’auto-organisation, tout le travail des
gauchistes a été d’enfermer, de noyer les questions afin de d’étouffer toute critique des syndicats
et toute tentative de prendre en main les luttes. Ainsi à la coordination de Paris-nord de la SNCF
en 1986, ils ont dit « Laissons les syndicats négocier, çà n’est pas notre problème. Mais si les
accords ne nous conviennent pas, on les rejettera et on continuera la grève !(93) » A partir de là, la
messe était dite ! La classe ouvrière était battue.

10 – Espagne : « Tout le pouvoir à l’Assemblée ! ».

Les Commissions ouvrières apparurent vers 1962-65 à la suite des grèves sauvages parties des
mines des Asturies. En 1966-68, tous les partis et organisations traditionnelles travaillèrent au
sein des Commissions ouvrières (et même le syndicat étatique franquiste : CNS), ils tentèrent
d’en conquérir la direction et les transformèrent en structures réformistes.

Les commissions ouvrières « ont surgi, lentement, surtout après les grèves de 1962 qui parties
des Asturies s’étalent étendues à l’ensemble de l’Espagne. A l’origine, des comités de base formés
dans les usines, les puits de mine. Leur coordination est difficile. Mais le 27 janvier 1967,
100.000 ouvriers et étudiants manifestent à leur appel dans les rues de Madrid. Le 1er mai, le 27
octobre de la même année, c’est la classe ouvrière et les étudiants de toute l’Espagne et du Pays-
Basque qui affrontent la police. Les commissions se sont coordonnées entre-temps sur tout le
pays et ont annoncé grèves et manifestations plus d’un mois à l’avance. Le 1er mai 1968, un
million de tracts sur Madrid, des manifestations éclair à travers toute la ville protestant contre
la hausse des prix et l’état policier…

Les commissions ouvrières, c’est l’instrument de lutte que se sont spontanément donné les
travailleurs espagnols contre le capitalisme. (94)»

La montée de la conflictualité en 1970.

Le ministère du travail espagnol recense 1542 grèves en 1969 avec 205325 grévistes, et


91 Les trotskistes avaient déjà réussi à diviser les cheminots. La LCR animait un Coordination spécifique des conducteurs à la
gare du nord de Paris tandis que LO animait une Coordination inter catégorielle.
92 Aujourd’hui en 2022 NPA.
93 cf. : Révolution Internationale, n° 153, février 1987, n° 157 juin 1987 et n° 169, juin 1988.
94 Cahiers de mai, numéro 9, mars 1969, « témoignage d’un métallo sur les « Commissions ouvrières ». »


le double de grévistes en 1970 : 440114 (95). Les régions les plus touchées sont la Catalogne, les
Asturies, Madrid et le Pays basque. A la SEAT à Barcelone 20000 ouvriers sont en « conflit
permanent » entre 1971 et 1975 selon la direction. Les travailleurs du bâtiment sont aussi
mobilisés à Madrid où la grève rassemble 30000 ouvriers en avril 1971 et jusqu’à 100000 en
septembre de la même année.

La répression fait décroitre les luttes en 1972 mais elles repartent en 1973 avec 8 649 265
heures de travail perdues.(96) A partir de 1970-71 jusqu’en 1977, les conflits ouvriers sont
structurés et organisés à partir d’assemblées. « Cela se traduit par une culture assembléiste à
partir de laquelle se déploie toute une série d’actions collectives comme la grève, les piquets de
grève, les occupations d’usines et les manifestations. » (idem, page 20).

Si ce mouvement d’assemblées avait donné naissance aux Commissions ouvrières
(CCOO) où les militants du PCE étaient majoritaires, à partir de 68, les rapports de force
évoluent à l’intérieur des CCOO.

Et par exemple la grève de Harry Walker en décembre 70 et février 71 (filiale de Solex)
va développer l’unité ouvrière et le rôle de l’assemblée. Les partis seront considérés comme des
structures « sectaires » (PCE et PC-I, ce dernier tendra vers une stratégie de guérilla urbaine plus
ou moins maoïste).

La radicalisation ouvrière va entrainer l’intervention de la police dans 95 entreprises en
Catalogne : SEAT, Hispani-Olivetti, Siemens ou à Cispalsa.
Conflit à la SEAT (1971-1975).

A la suite des élections aux syndicats franquistes et pour élire les jurado de empresa, les 56
candidats des CCOO qui sont élus sont licenciés. Les travailleurs élisent d’autres délégués.
Immédiatement, il y a conflits entre la direction et le syndicat vertical et l’assemblée ouvrière. La
grève est votée en assemblée pour que la direction reconnaisse les délégués élus. Le lundi après
débrayage dans les ateliers de l’usine, 8000 ouvriers se réunissent en assemblée. La police armée
pénètre dans l’usine avec un régiment de cavalerie. Les ouvriers se réfugient dans l’atelier N°1 le
plus difficile d’accès. A 17 heures les premiers affrontements interviennent. La situation semble
échapper aux forces de l’ordre qui décide de faire usage de leurs armes à feu. Une douzaine
d’ouvriers sont blessés et Antonio Ruiz Villalba meurt touché à l’estomac. Les ouvriers ne cèdent
pas. Vers 19 heures, quand la police charge, les ouvriers chargent à leur tour pour faire sortir les
ouvriers les plus connus et pour qu’ils ne soient pas identifiés par la brigade politico-sociale.
Certains ouvriers sont passé à tabac. Les autres se dirigent vers d’autres usines et tiennent des
assemblées dans la rue.

Cette action du gouvernement aboutit à des manifestations et affrontements pendant
plusieurs jours dans le centre de Barcelone. Les chauffeurs de bus se solidarisent avec la SEAT.
Des assemblées de rue se déroulent jusqu’au vendredi 22 et d’autres grandes entreprises cessent
le travail. Au total se fut 80000 travailleurs pendant 2 semaines qui firent des grèves, soit
partielles, soit totales. La direction réintègre les 56 ouvriers licenciés et la police libère ceux qui
avaient été détenus.

Le journal ouvrier de SEAT, l’Asamblea Obrera du 2 janvier 1975 écrit :
« Assemblée ! Les assemblées sont l’éléments fondamental ! La base de notre unité !
Assemblée d’atelier, assemblées générales d’usine. L’assemblée est le lieu où nous prenons les
décisions, où nous organisons notre lutte ! … »

Bien vite les CCOO et le PCF vont se servir des assemblées pour manipuler les ouvriers
dans le but de se constituer une masse de manoeuvre dans les négociations avec la bourgeoisie
vers la transition démocratique post franquiste.

Il va y avoir une énorme ambiguïté – tandis que les mobilisations se renforcent et se
radicalisent – par rapport à l’assemblée entre, d’une part l’unité pour l’auto-organisation des


95Carme Molinero et Peres Ysàs, Productores disciplinados y minorias subversivas ; clase obrera y conflictualidad laboral en la
España franquista, Madrid, siglo XXI, 1998, p. 201.
96 Tout le pouvoir à l’assemblée ! Arnaud Dolidier, Syllepse, 2021.


ouvriers, et d’autre part l’unité pour des recours légaux contre le régime ce que prône le PCE.
Les mobilisations ouvrières à Madrid en janvier 1976. (5 au19)

Mobilisations de la métallurgie avec 180000 grévistes et dans le bâtiment avec 120000
ouvriers. Il s’agissait de mettre fin au gel des salaires. Les assemblées se tiennent surtout dans les
églises, à la sortie des usines ou dans les cantines d’entreprises. C’est au cours de ces assemblées
que les grévistes mettent au point les commissions ou les comités de délégués. L’assemblée a
pour but de coordonner les secteurs en lutte avec des piquets de grève massifs et des
manifestations qui la plupart du temps se soldent par des affrontements violents avec les
policiers.

La nuit du 5 au 6 janvier, à 3 heures du matin, 1000 travailleurs du métro se déclarent en
assemblée permanente dans l’église San Federico d’où ils sont expulsés. Mais 4000 travailleurs
de Standard-ITT de Villaverde ainsi que 6000 travailleurs de Chrysler et Boetticher manifestent
avant la dispersion par la police.

Dans le même temps dans la ville banlieue de Madrid (Getafe) la grève prend des allures
de grève générale. Il y a une solidarité active entre les usines et les habitants des quartiers. Les
assemblées jouent un rôle fondamental pour coordonner les mobilisations avec les habitants et
les femmes des ouvriers. Dans les usines des assemblées sont convoquées plusieurs fois par jour.
Le 8 à 9 heures, les grévistes du métro se réunissent dans l’église du quartier populaire de
Vallecas et publient un communiqué dans lequel ils exigent que les forces armées n’interviennent
pas dans les conflits du travail. Dans le même temps dans le bâtiment les grèves s’étendent de
chantier en chantier. Getafe devient le centre de la mobilisation.

Le syndicat UTT affilié aux CCOO arrive à faire reprendre les travailleurs en faisant
croire qu’ils ont gagné : pas de sanctions et majoration des heures supplémentaires.
Cependant la fin de la grève du métro, le 9, ne signifie pas la fin des mobilisations. 60000
ouvriers sont encore en grève à Madrid et 30000 à Getafe. Le lendemain la mobilisation ne
retombe pas. Des manifestations se déroulent ici ou là comme à Alcalà de Henares avec une
assemblée générale de 1000 personnes. Face à ce cycle d’actions, le patronat répond par le lockout
à Standard-ITT et le 10, il s’étend aux usines de la métallurgie (97) (12 usines)

Du côté des travailleurs dans les assemblées les débats se multiplient pour savoir qui doit
prendre les décisions, les délégués syndicaux des CCOO ou bien les assemblées ouvrières.
Le mercredi 14 janvier est le point d’orgue de la mobilisation avec 350000 grévistes (98).
Les travailleurs procèdent à un « encierro99 » pour protester contre la détention de plusieurs
délégués ouvriers. Tout au long de cette deuxième semaine Getafe est en grève générale où la
quasi-totalité de la ville est bloquée. Entre le 12 et le 19 à Madrid il y a de 200000 à 300000
grévistes dans la métallurgie, le bâtiment, la banque et la téléphonie.

La Grève générale en Catalogne (février 1976) a connu un assembléisme ouvrier si
puissant quelle a mis en péril l’hégémonie des organisations antifranquistes (PCE, socialistes,
trotskistes…) En effet, en Catalogne la lutte pour les assemblées est très présente depuis les
années 70. (100)

On rencontre le même mouvement à Vitoria au Pays basque en janvier-mars 1976.
Ultérieurement à cette période, la bourgeoisie de « gauche » et antifranquiste tente de
domestiquer le mouvement assembléiste car il lui faut devenir crédible pour postuler à la
« démocratisation » de l’Espagne franquiste. On assiste à un discours public qui s’inquiète des


97 Page 55 – Tout le pouvoir à l’assemblée !
98 D’après Cambio 16.
99 Pratique d’enfermement dans une église jusqu’à l’obtention de la demande.
100 Cf. : Courrier ouvrier de Sherwin William dans le Bas Llobregat de 1973 in Bulletin d’études et de discussion de Révolution
internationale, n°7, juin 1974 – https://archivesautonomies.org/spip.php?article1949.


conflits sociaux qui pourraient entraver la bonne marche du processus de transition politique et
démocratique. Ce discours a réussi à détourner les ouvriers de la lutte et en parallèle la
bourgeoisie a compris qu’il fallait faire évoluer les libertés publiques, le droit de grève et
permettre aux syndicats verticaux de devenir plus crédibles.

11- Argentine : « El Cordobazo »

La situation.

Dès 1966, la chasse aux syndicalistes « bolchevique », « péroniste », et aux intellectuels, était de
mise ; et lorsque à partir de 1968, la situation économique commença à se dégrader, c’est alors
que les ouvriers pu se rendre compte très concrètement que toutes les réformes mises en place
depuis 3 ans par le gouvernement étaient un enfer.

– Congélation des salaires.
– Disparition du minimum salarial.
– Interdiction des grèves.
– Changement du mode d’indemnisation en cas de licenciement.
– Loi de « Répression du Communisme » qui donna les mains libres à la persécution de
toute contestation dans les entreprises qu’elle soit ou non de gauche, car tout contestation
sera forcément considérée comme « communiste ».
– Dissolution des partis politiques.
– Création de la DIPA (Dirección de Investigación de Políticas Antidemocráticas), une
police politique ou tout individu est forcément suspect.

Dès le début 1969, le peuple gronde mais n’ose pas bouger. Dès le début du mois de mai 1969,
on assiste çà et là, de manières sporadiques à des grèves sauvages et à des contestations dans les
grands centres industriels, du pays (Tucuman, Buenos Aires, Rosario, Cordoba).

Mai 69, el Cordobazo

La goutte qui fait déborder le vase est la disparition du « sabado ingles » (Samedi chômé,
droit obtenu par l’ouvrier argentin dans les années 20) décrété par le gouvernement, faisant ainsi
passer la semaine ouvrable de 5 à 6 jours.

Dès le 14 mai, c’est la grève à Cordoba, Tucuman est parti en grève depuis la veille, le 13
mai pour salaires impayés dans certaines entreprise sucrières, Rosario à partir du 16 mai connaît
aussi de grands mouvements de grèves qui seront appelés le « Rosariazo ». Au départ les grèves
débutent de manière désorganisée dans chaque usine et entreprise en difficulté économique, elles
sont vite réprimées. Ensuite les courant politiques de gauche et les syndicalistes (encore en
liberté) se regroupe et appellent à des manifestations dans les rues des faubourgs et des zones
industrielles (surtout à Cordoba).

Le 14 mai à Cordoba pendant les manifestations il y a eu 11 blessés et 26 arrestations ; le 26 mai,
le syndicalisme en liaison avec les mouvements étudiants décide une grève générale de 37 heures
pour les 29 et 30 mai.

Au matin du 29 mai 1969, la majorité des entreprises de la petite ceinture de Cordoba se mettent
en grève et les ouvriers décident de marcher ensemble vers le centre de la ville, pour montrer leur
mécontentement quant à leurs situations. La nouvelle se repend vite, et les universitaires et
étudiants décident de suivre le mouvement en se regroupant dans le quartier de Clinicas en les
attendant pour participer à leur marche.

A 11h la police (municipale et provinciale) est déployée pour que les deux groupes de
manifestants ne puissent se rejoindre. Les premiers jets de pierre sur les forces de l’ordre sont
lancés de la part des étudiants et ceux-ci chargent en réprimant vigoureusement. Coté ouvrier
premiers heurts sur l’Avenida Vélez Sarfield, puis devant l’Escuela Pablo Pizzurno. Il est midi et
demi, la police tire sur les ouvriers à l’intersection du Boulevard San Juan et de Arturo M. Bas, la
première victime tombe, il s’agit de Maximo Mena, un ouvrier mécanicien de la fabrique
automobile IKA.

Ce qui commence comme une simple manifestation, termine comme une véritable rébellion
populaire. Aux étudiants et aux ouvriers viennent alors se joindre les habitants du quartier, et en
quelques minutes, la ville de Cordoba flambe. La foule est furieuse ; la police est obligée de se
retirer. La manifestation se transforme en insurrection. Le Cercle des sous-officiers de l’Armée
est mis à sac et incendié, tout comme le siège de la société Xerox, etc… La ville est incontrôlable
pendant toute la nuit du 29 au 30, ce n’est que le lendemain matin que l’armée est envoyée pour
calmer les rues, et procéder aux arrestations. Les « meneurs » sont arrêtés.
Pendant encore 6 mois, les grands centres urbains connaîtront des grèves et des
manifestations violentes (le 2ème « Rosariazo » à Rosario en septembre 1969).
Le gouvernement est obligé de lâcher du lest dans les grandes entreprises (mécaniques et
automobiles) en reconnaissant des mouvements syndicalistes.

Le coup d’Etat militaire de 1976
**
*
Il nous faut mettre un point final à ce tour d’horizon qui est insuffisant, nous n’en doutons
pas. Il faudrait parler de la Suède (en 1970 – chapitre 101  et la grève sauvage dans les mines de Kiruna, chapitre 102 en
1974) du Japon (notamment les luttes étudiantes du Zengakuren) et des luttes dans le « tiers
monde » (Chili depuis 70 et les mineurs de Chuquicamata jusqu’en 1972) qui porte aujourd’hui le
nom harmonieux de « pays en voie de développement ».

Nous renvoyons à des articles sur le Portugal chapitre 103  qui mériterait encore un chapitre 104.

3. Sur les aspects nouveaux des luttes ouvrières

3.1. La remise en question des syndicats

Nous avons plusieurs fois souligné le contexte général et international des années 60,
après la reconstruction des économies d’après-guerre, la concurrence se fait rude entre les
différentes puissances capitalistes. Chaque capital national doit permettre à son économie de
fonctionner et de faire des profits. Ils se font sur le dos des travailleurs avec le blocage des
salaires, des licenciements et des attaques sur les conditions de travail. Les syndicats habitués à
gérer les bienfaits de la société de consommation se trouvent pris à contre-pied. Ils n’ont plus rien
à offrir aux travailleurs que la défense des nouvelles politiques drastiques des entreprises.

C’est ce que traduit ICO :

« Jusqu’à maintenant « le syndicat est l’initiateur de la lutte, mais prenant la lutte à leur
compte les ouvriers en font une lutte spontanée hors du syndicat. Poussés par les patrons, les


101 Cf. : https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/01/26/les-syndicalistes-scandinaves-s-inquietent-de-la-multiplication-desgreves-
sauvages_2654950_1819218.html
102 https://www.lemonde.fr/archives/article/1974/03/21/greve-sauvage-des-mineurs-de-surface-dekiruna_
2515025_1819218.html
103 Le journal Combate, https://arqoperaria.blogspot.com/2014/03/sur-la-lutte-des-classes-au-portugal.html
104 Avant la révolution des oeillets, c’est dans la rue, dans les quartiers et les entreprises que les événements les plus intéressants
se déroulent : dans les usines, les directeurs et les cadres associés au pouvoir fasciste sont virés. A la place des comités de
travailleurs élus se mettent en place pour organiser le travail. En juin 1974, une vague de grèves contre les bas salaires et pour
l’amélioration des conditions de travail déferle sur le pays. Le gouvernement condamne la grève et envoie la police pour la
briser.


syndicats essaient d’enrayer ces luttes ou de les contrôler. Pour ce faire, les syndicats devraient
s’engager dans la lutte contre les patrons. Les syndicats ne peuvent s’engager dans ce type de
lutte car ils doivent jouer le rôle de médiateur. » 105

« Ce type d’engrenage s’est développé au cours de ces deux dernières années. En I968
cependant, on constate le début d’une exigence d’organisation de la part des ouvriers, ainsi
qu’un intérêt croissant de ceux-ci pour le but politique de leur lutte. » (idem)

Des luttes de l’automne chaud italien en 1969, il était fait un bilan qui se discute par
ailleurs, des aspects nouveaux des luttes notamment à Fiat par un groupe d’étudiants. (idem
numéro 83 d’ICO, page 36). Il a l’intérêt d’exister.

« I/ Pour la première fois, les ouvriers sont capables de prendre une initiative dans
l’organisation de la lutte, hors de la volonté syndicale. On remarque davantage de confiance
dans les possibilités qu’ont les ouvriers d’organiser eux-mêmes la lutte et de poser le problème
de l’organisation en termes pratiques. Le fait par exemple d’avoir choisi la grève à l’intérieur de
l’usine, place directement les ouvriers dans une situation forte par rapport au patron. En effet,
une grève à l’intérieur permet aux ouvriers de discuter les problèmes et de s’organiser, alors
qu’une grève externe ne dure souvent que peu de temps et ne donne pas cette possibilité
organisationnelle,

2/ Comme nous l’avons dit plus haut, les ouvriers de FIAT (particulièrement sensibles à
la puissance politico-sociale du patron) veulent mener une lutte politique. Leurs revendications
sont en fait question de pouvoir, et la lutte doit tendre à changer la société. Ces aspects donnent
à la lutte une position plus avancée que les autres luttes en Italie. Actuellement, les syndicats et
les patrons essaient d’arrêter les luttes déjà commencées sans toutefois être en mesure
d’empêcher les nouvelles. Le risque est que la lutte se termine sans que les premières tentatives
d’organisation aboutissent. » (Un groupe d’étudiants – Turin, le I4 juin 1969).

L’on peut suivre cette appréciation sur les aspects nouveaux des luttes ouvrières. Même si
le fait d’occuper l’usine pour organiser la discussion et l’organisation de la lutte est une bonne
chose, il faut aussi organiser la sortie de l’usine pour aller chercher la solidarité avec le reste des
travailleurs dans les autres lieux de production. Les expériences malheureuses de l’enfermement
dans l’usine comme au cours de Biennio rosso (1919-1920) en Italie, ou en 1936 en France, ont
permis à la bourgeoisie de mater le mouvement en l’isolant. Il faut donc les deux : garder un lieu
de discussion et développer la solidarité en mettant en grève les autres secteurs.

3. 2. La généralisation des luttes en plus de leur caractère autonome, organisé mais aussi
politique.

L’autre aspect marquant et très important des luttes ouvrières des années soixante et au
début des années soixante-dix, est leur généralisation et leur ampleur. Avec Mai 1968 qui est la
plus grande grève de l’histoire par sa durée et le nombre d’ouvriers impactés, il faut compter dans
ce phénomène le « mai rampant » italien ou « automne chaud » en 1969, puis les grèves en Pologne
en1970 jusqu’aux luttes de Cordoba en Argentine auxquelles il faut rajouter aujourd’hui notre
connaissance des luttes en URSS.

Nous sommes très éloignés de ce que nous raconte la bourgeoisie sur Mai 1968 c’est à
dire un mouvement étudiant, en gros un monôme qui a enthousiasmé une génération et
« transformé le monde ». Il y a de quoi rigoler ! Et le maoïsme(106), là-dedans ? Nous en sommes
fort éloignés !

Revenons à la réalité et à la leçon qu’en tire ICO à propos des grèves sauvages en
Allemagne en 1969 dont nous avons rendu compte ci-dessus.107 (2 au 20-25 septembre).

 


105 ICO, numéro 83 : https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/ico/ICO-083.pdf
106 Les anciens maoïstes sont tous devenus des fervents défenseurs de la bourgeoisie. Ils peuplent les ministères et les institutions
de le l’Etat.
107 Cf. : ICO, numéro 87, novembre 1969 – https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/ico/ICO-087.pdf


« Il est maintenant possible de mesurer l’ampleur du mouvement de grèves sauvages qui
a déferlé sur l’Allemagne fédérale au cours du mois de septembre et parait toucher à sa fin, au
moment où commence un grand spectacle électoral et parlementaire, avec les meilleures
troupes, les meilleurs acteurs et un suspense bien préparé qui fascine public et « observateurs ». »
« Depuis l’après-guerre, il ne s’est jamais produit en Allemagne de mouvement aussi
étendu ; aussi inattendu, et peut-être aussi caractéristique quant à la fonction des organisations
syndicales dans le système et l’attitude qu’elle a fait naître chez les ouvriers à leur égard. »
Que retenons-nous ?

a – Extension et généralisation des luttes

Les grèves éclatent dans la Ruhr, le 2 septembre, à Dortmund, débraye sans tenir aucun
compte du règlement (imposant le scrutin secret et l’accord préalable du syndicat se privent ainsi
du soutien des caisses de grève syndicales et défilent avec des mots d’ordre tels que :
« exploiteurs, exploiteurs – ouvrier allemand réveille-toi – nous nous représenterons nousmêmes
– on ne nous aura pas ».

La grève se répand à DUISBURG-HUCKINGEN, à GELSENKIRCHEN puis à
DUISBURG-MEIDERICH, à OSNABRUCK puis à BREME. Les ouvriers de Brème crient aux
syndicats : « Vous avez dormi pendant trois ans, vous-autres, et maintenant, vous vous poussez
en avant. » Malgré les manoeuvres dilatoires des syndicats, le mouvement s’étend encore non
seulement dans la métallurgie (HATTINGEN, NEUNKIRCHEN dans la Sarre (aciéries) dans les
mines dans la Ruhr et dans la Sarre, on compte 8.000 grévistes sauvages à la mine Luisenthal
d’ALTENKESSEL, autant à NEUNKIRCHEN.

b – Contre les syndicats

On constate le ras le bol des ouvriers contre les syndicats, à SARREBRUCK, les mineurs
manifestent (le 8 ou le 9 septembre) devant la maison des syndicats aux cris de « Vendus,
Vendus ».

Le même jour, la grève dans l’acier s’étend à la BAVIERE (Sulzbach-Rosenberg,
Haidhof), à BREME, chez Kloeckner, les 6.000 ouvriers sont toujours en grève.
Le 9 le syndicat des mines condamne les grèves. Le ministre socialiste de l’économie
Schiller, invite, lui aussi, les grévistes (plus de 40.000 alors en Allemagne) à reprendre le travail :

« Finissez-en avec les grèves sauvages, ayez confiance en vos syndicats qui négocieront de
nouvelles conventions ». La descente aux enfers des syndicats n’est pas terminée. Contrairement
à ce qu’annonçait et espérait le syndicat des mineurs, la grève sauvage passe des mines de la
Sarre à celles de la Ruhr ; 2 mines sont touchées à DORTMUND où le dirigeant syndical (I.G.
Berg Bau) Neumann tente 3 heures durant, de faire reprendre le travail à 3.000 mineurs criant
« Neumann Raus ». Il disparaît enfin.

c – Elections des délégués

Le Spiegel rapporte que des délégués sont choisis directement parmi leurs camarades et
l’on voit comment les ouvriers se font représenter dans les tractations, à la place de leurs
représentants officiels ; à Dortmund, il y a un comité de grève de 18 membres, avec un porteparole.
Aux aciéries Friedrich Flicks (Bavière), les fondeurs choisissent 15 d’entre eux, avec
lesquels le directeur et les autres membres du comité d’administration, après avoir fait quelques
manières, entament la négociation.

d – L’extension du mouvement se poursuit.

Pour vaincre, il ne peut y avoir que la généralisation du mouvement.
Le 9 septembre, grève à DUSSELDORF, cette fois dans les textiles et filatures
Kloeckner.

Le 10 septembre, après la sidérurgie et les mines, la grève atteint un 3ème secteur, les
chantiers navals. A KIEL, grève sauvage aux chantiers Howaldt puis à LUBECK. Aux chantiers
de Howaldt, le 16, la majorité des ouvriers refusent les propositions patronales,
Le 17 septembre, le mouvement de grèves sauvages prend un nouveau tournant en
s’étendant aux services publics.

e – Comment la bourgeoisie reprend les choses en main ?

La dernière semaine de septembre les luttes semblent changer, et l’on voit les problèmes
politiques et électoraux se mêler de plus en plus étroitement aux problèmes sociaux. L’arme
électorale, comme souvent est un moyen efficace pour arrêter les grèves. Mais cette fois, les
travailleurs ont obtenus des augmentations de salaires substantiels même si elles furent
inférieures aux demandes primitives.

Nous nous sommes attardés 2 fois sur ces luttes en Allemagne car elles sont
emblématiques des années sauvages. Elles permettent de tirer des leçons sur comment lutter
efficacement.

3. 3. L’auto-organisation des luttes, un début….

Les travailleurs ont commencé l’auto-organisation des luttes en élisant des comités de
grève, des commissions, en nommant des délégués au sein de leur ateliers ou en Espagne en
donnant le pouvoir à l’assemblée. Toutefois, l’organisation en coordination autonome interentreprise
a eu du mal à se mettre en place. Ce deuxième stade a rarement été atteint.

Le journal Cambio 16 écrivait à propos des luttes à Madrid de janvier 1976 :
« Les décisions des travailleurs ont été prises en assemblées, de façon ouverte et
démocratique, quelques fois par l’action des représentants syndicaux à la base et d’autre fois par
celle des représentants mandatés par les travailleurs, sans pouvoir de décision définitive. ‘Dans
la plupart des cas, ce sont les assemblées qui ont été chargées de ratifier ou de refuser les
décisions finales’, affirmaient à l’unisson quelques dirigeants de la banque, du bâtiment, de la
métallurgie » et des services publics. »

Le journal ouvrier Getafe obrero écrivait :

« Les travailleurs de Getafe sont en train d’imposer le droit de réunion et d’expression,
exprimé par l’imposition de l’assemblée comme organe majeur où les travailleurs ont discuté et
décidé du chemin à suivre chaque jour de lutte […] chaque jour l’assemblée ouvrière indiquait
ce qu’il y avait à faire et l’on discutait jusqu’au bout de chaque proposition soulevée par
n’importe quel camarade et finalement tout le monde respectait la décision approuvée par la
majorité. Sans doute cela a été un grand exemple de ce qu’est la démocratie ouvrière ».
En URSS la coordination entre comités de grève a dû se mettre en place comme à
Novotcherkassk où la grève a englobé toute la région. « Un compte rendu évoque même
l’existence d’un comité régional de grève qui coordonnait les actions (108). » Et même, les
travailleurs, du Donbass estimaient que les manifestations avaient échoué parce qu’elles n’avaient
pas été « coordonnées avec les comités de grève de Rostov-sur-le-Don, Lougansk, Taganrog et
d’autres villes. » Il existait donc la volonté de dépasser la région et d’étendre à plusieurs oblasts.

En Pologne à Szczecin en 1970, on a touché au sommet de l’organisation des ouvriers. Le
comité central de grève des usines Warski est accepté comme centre de l’action par les autres
comités. Ainsi, il organise la vie de la ville jusqu’aux transports et au ravitaillement.(109) Il semble
y avoir eu également une organisation, plus vaste, sur le territoire de Szczecin. Il semble que
l’existence du comité a aussi empêché que la répression ne soit trop sanglante du fait d’une
meilleure organisation des manifestations de rue.


108 Syndicalisme et libertés en Union soviétique, Maspero, 1979, p. 121.
109 Idem pour l’organisation du comité page 79.


 

4 – Le nouveau paysage politique et social des années 1960.

Un peu de théorie

Comme nous l’avons amplement développé, l’entrée dans les années soixante marque
ainsi la fin de la période de calme social et d’un certain consensus social avec la fin des « trente
glorieuses ». En revanche elles apportent l’avènement d’une période de bouleversements et de
changements majeurs qui s’est exprimé par les grèves sauvages.

4 – 1 – Fin du consensus fixé dans le « contrat social » d’après-guerre.

La fin de la reconstruction et la prospérité sociale a changé la vie des travailleurs. Les
générations qui ont connu la guerre et les rigueurs de la reconstruction n’ont pas la même
perception de la « société de consommation » que les nouvelles générations de travailleurs. Le
« contrat social » que la bourgeoisie a mis en place en 1945 (Programme du conseil national de
la résistance) après la guerre s’effrite. Les jeunes générations d’ouvriers n’ont pas la même
perception et veulent profiter des « bienfaits » de la société.

Une nouvelle ère commence donc et cela à tout point de vue avec la volonté de bénéficier
des fruits du « miracle économique ».
(Voir: Résultats de recherche pour « état providence » – les 7 du quebec).

Auparavant, la classe ouvrière était sagement rangée jusqu’à la fin des années cinquante
ou au début des années soixante derrière les syndicats et les partis de gauche notamment les
partis communistes. Maintenant, ces travailleurs souhaitent connaître un monde meilleur… mais
tout cela n’est évidemment plus possible sous le capitalisme de l’époque entré en crise
économique avec des profits en baisse. Les vagues de luttes sauvages se généralisent en dehors
du cadre syndical réglementé par la bourgeoisie (décrit ci-dessus) qui était évidemment dans ce
contexte amené à craquer dans le monde entier.
(Voir: Résultats de recherche pour « crise économique » – les 7 du quebec).

 

4 – 2 – Loin du rêve d’une « nouvelle société »110 qui n’est pas pour la classe ouvrière
avec l’entrée du capitalisme en crise.

Ici, nous sommes loin des lieux communs amenés par l’idéologie néo-capitaliste de la fin
des idéologies et du dépérissement de la lutte des classes. A l’opposé du pathos de la bourgeoisie,
il faut retourner dans le concret et la vraie vie. En réalité si l’on se trouve face à de profondes
mutations du capitalisme mondial, puisque la reconstruction des économies a fini de fournir ses
effets positifs pour le capital, c’est parce que le capitalisme doit surmonter la dure loi de la baisse
du profit. Il doit faire face à une nouvelle crise (en termes marxistes on dirait faire face à la
baisse des taux des profits industriels). En conséquence, les mesures pour exploiter plus
durement la classe ouvrière entraînent tout naturellement des conflits sociaux d’un nouveau genre
alors que les capitalistes y sont moins préparés après de longues années de calme social relatif.

Ils pensaient avoir soumis définitivement la classe ouvrière. Sa réponse fut la « mondialisation »
et le transport des usines dans les pays émergeants en payant la force de travail avec de la roupie
de sansonnet.

4 – 3 – Les amortisseurs sociaux défaillants

Comme nous l’avons déjà souligné, le paysage politique voit les Partis Communistes (PC)
qui encadraient la vie politique tout au moins dans un certain nombre de pays comme la France,
l’Italie, etc.… perdre de leur influence au sein de la classe ouvrière. Il en va de même de la toute puissance
des syndicats notamment staliniens qui régulaient la politique économique. De
nouveaux horizons s’ouvrent. Les PC avait bien reçu quelques coups avec la révolte ouvrière 111.

On voit que la bourgeoisie aussi est obligé de rendre compte de ces espérances dans ses discours. La nouvelle société est le
nom donné au projet politique de Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de Georges Pompidou, lors de son discours
d’investiture en 1969.

Berlin-Est en 1953 mais surtout en Hongrie en 1956. Leur affaiblissement n’était pas encore
important. En 1968, il y eut la révolte en Tchécoslovaquie, puis en 1970 en Pologne….
En revanche l’on voit apparaître toute une nébuleuse de partis et mouvements
« gauchistes » pour la plupart trotskistes et maoïstes. Le maoïsme fera long feu sous sa forme
classique, il perdurera quelque temps vers une composante plus agitatoire et violente de la
Gauche prolétarienne par exemple en France ou vers des actions de luttes armées puis terroristes
en Italie et aussi en Allemagne.

A cette époque ces mouvements gauchistes n’étaient pas encore
intégrés dans l’arc politique de la bourgeoisie. Aujourd’hui, par exemple, ce sont les militants de
LO qui jouent le rôle de représentants syndicaux dans les ateliers. La CGT, FO ou la CFDT sont
tranquilles, ils ont perdu leur base. Ils laissent les membres de LO redorer le blason des syndicats
et envoyer les ouvriers sur des voies de garage.

4 – 4 – La lutte des classe et le milieu politique révolutionnaire

Mais enfin, avec le resurgissement des luttes de la classe ouvrière et avec ses formes de
lutte autonome, l’on a vu réapparaître les courants politiques radicaux. D’abord, le courant
trotskiste a brusquement resurgi avec certaines tendances tiers-mondistes et guevaristes ; ainsi
qu’un courant nouveau le maoïsme en rupture avec le stalinisme pro-soviétique mais se
réclamant d’une « pureté » au vrai stalinisme. Ce courant donnera naissance par la suite à
plusieurs autres courants plus ou moins radicaux : des mao-spontex jusqu’à certaines tendances
prônant le terrorisme.

À la fin des années 1960, une nouvelle génération de militants libertaires apparaît
également ; elle est déçue par les anciennes organisations anarchistes.

En 1970, l’ORA (nouvelle
tendance organisée au sein de la Fédération anarchiste) se détache progressivement de la
Fédération anarchiste pour devenir au cours de l’année une organisation spécifique. En juillet
1971, quatre groupes de l’ORA rejoignent le MCL et donnent naissance à la première
Organisation communiste libertaire (OCL-1) qui évoluera en grande partie vers le conseillisme et
l’autonomie ouvrière alors que les anciens de l’ORA continuent à créer des sections syndicales.

Toutefois, le milieu libertaire multiforme ne se résumait pas à ces groupes mieux connus.
D’autant plus que naisse une myriade de petits groupes difficile à caractériser, mi-autonomes, miconseillistes,
etc….

Mais aussi, dans ce vaste aggiornamento, réapparaissent les courants de la Gauche
communiste et internationaliste qui avaient disparu du paysage politique à la suite de l’échec de
la vague révolutionnaire des années 1917-1921.

Donnons la parole à Henri Simon qui a été un protagoniste dans cette période :

Les réunions d’ICO se « tenaient dans des arrière-salles de bistrot dans le centre de
Paris, au Louvois, etc.[…]. Ce n’est que plus tard, dans la deuxième moitié des années 60 qu’en
raison d’une participation plus grande, les réunions durent émigrer au Tambour, Place de la
Bastille, puis dans un local, une ancienne resserre des Halles rue Saint-Denis, partagé avec un
groupe libertaire espagnol, Frente Libertario. Ce fut en 1964 que de nouveaux camarades
apportèrent d’autres préoccupations, d’autres débats et des critiques sur ce qu’était alors I.C.O.

Les uns étaient des jeunes de cette nouvelle génération qui n’avaient pas connu la guerre et
pensaient que la société de consommation qui semblait séduire nombre de travailleurs ne
correspondait nullement à leur idéal d’un monde communiste(111). » (souligné par nous)

Et plus loin dans le texte Henri Simon écrit : « Dès fin 1967, alors que se dessinaient des
oppositions plus radicales dans le mouvement étudiant notamment à Nanterre, I.C.O. avait


111 Introduction à la brochure : ICO. La grève généralisée (mai-juin 1968), in cahiers Spartacus n°172.
https://archivesautonomies.org/spip.php?article64


invité, par le canal de participants appartenant au groupe anarchiste Noir et Rouge(112), des
étudiants qui appartenaient à ce qui deviendra plus tard le Mouvement du 22 mars et à celui des
Enragés [113], pour qu’ils expliquent les fins et les moyens de ce mouvement qui allait
s’amplifiant, ce qui donna lieu d’ailleurs à des protestations véhémentes des Enragés. »

Et encore au cours de l’année 1968 : « Dès les derniers mois de 1968, la composition
d’I.C.O. changea rapidement : le groupe attirait à la fois des participants et un public
relativement nombreux par rapport à ce qu’il était avant mai 68. Les réunions publiques
mensuelles parisiennes qui devaient, vu le nombre de participants, se tenir dans une faculté,
devinrent le champ d’affrontements idéologiques de différents courants […]. Un comité plus
restreint composé de volontaires mais toujours ouvert à d’autres participants assurait la
logistique des réunions, des contacts, de la collecte des articles et de la publication du bulletin.
Le groupe s’était étendu non seulement sur Paris mais aussi géographiquement sur toute la
France et même en Belgique. »

« Quelques autres qui rejoignirent I.C.O. à peu près au même moment appartenaient à la
génération précédente, celle de la majorité d’origine d’I.C.O. évoquée ci-dessus ; ils avaient une
formation théorique approfondie autour de la tendance communiste de conseils. Ils furent à
l’origine de la publication de textes d’analyse historique et espéraient qu’I.C.O., tout en gardant
son caractère, tenterait une approche de problèmes d’ordre théorique. »

C’est grâce à ces militants plus formés politiquement que des livres(114) et des brochures
ont été diffusés. Ils ont permis à toute une génération de militants de mieux comprendre la
situation politique et de se former politiquement et théoriquement.

En effet, la Gauche Communiste était complètement méconnue auparavant, elle resurgit
de façon spontanée dans tous les pays du monde. Néanmoins de petits groupes115 avaient
survécus et ils ont apporté une contribution importante à son resurgissement. Quand il a fallu
comprendre les changements dans le monde et les nouveaux événements, il a fallu se replonger
dans l’histoire passée. Un certain nombre de militants ont trouvé dans les écrits de la Gauche
communiste des réponses que n’apportaient pas les autres courants politiques et théoriques.

Pendant la période de contre-révolution (stalinisme, fascisme, deuxième guerre
impérialiste), que pouvaient faire les courants révolutionnaires et internationalistes ? Ces
courants exprimaient la période révolutionnaire, ils étaient nés pour l’accompagner ; ainsi, ils ne
pouvaient qu’avoir de piètres résultats dans une période de recul de la classe ouvrière. Prêcher
dans le désert pour la révolution ? C’était irréaliste et ils l’avaient bien compris. Allaient-ils
attendre bien sagement une nouvelle période historique favorable pour défendre ses méthodes de
lutte autonomes ?

Non, bien sûr. Mais alors, ne pouvant rien faire contre le rouleau compresseur
de la marche à la guerre et au nationalisme galopant, il n’y avait qu’une seule alternative. Il fallait
tenir, tenir à contre-courant, défendre les principes politiques, idéologiques et l’internationaliste.

Il fallait faire le bilan des luttes passées, de ses échecs et attendre le bon moment pour
transmettre le flambeau révolutionnaire aux jeunes générations prolétariennes qui ne pouvaient
que ressurgir. C’était certain ! Ce fut le cas.


112 Cahiers d’études anarchistes révolutionnaires, revue créée en 1955 publiée jusqu’en 1970.
113 Le Mouvement du 22 mars, sorte de coalition de groupes d’étudiants de l’université de Nanterre appartenant à différentes
tendances politiques et étudiantes, avait donné naissance à une dissidence fortement influencée par les situationnistes, très
critique contre les atermoiements du mouvement et qui voulait dans les actions qui se déroulèrent alors une radicalité qu’ils
s’efforçaient de mettre en pratique. Le rapport fait par certains étudiants du Mouvement du 22 mars devant les camarades
d’I.C.O. n’avait pas plu aux Enragés qui avaient envoyé un communiqué incendiaire avec un « prière d’insérer » impératif. Sur le
Mouvement du 22 mars, voir J.-P. Duteuil, Nanterre, 1965-66-67-68, Vers le Mouvement du 22 mars (Acratie, 1988) et sur les
Enragés, Viénet, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations (Gallimard, 1968).
114 Notamment : Réponse à Lénine de Gorter (fac-similé, I.C.O. puis Spartacus), Lénine Philosophe de Pannekoek , Spartacus,
Fondements de l’économie communiste (I.C.O., 1970), Les Conseils Ouvriers de Pannekoek, Spartacus, (1982). Par manque de
moyens financiers ils furent publiés chez d’autres éditeurs.
115 En France : Pouvoir ouvrier, le GLAT, Les cahiers du socialisme des conseils, le FOR, le PCI-Programme communiste. En
Italie : le PCInt-Battaglia comunista. En Hollande : le Spartacusbond et Acte et Pensée (Daad en Gedachte). Au Royaume
Uni : le groupe Solidarity. Aux Etats-Unis autour de Paul Mattick puis avec la création de Root and Branch en 1969.
Resurgie, la classe ouvrière s’exprime à nouveau avec toute sa verdeur, son courage, sa
combativité et, bien évidemment, avec ses tendances habituelles à l’auto-organisation et à la
révolution pour un monde plus humain. Les idées et les positions de la Gauche communiste
étaient complétement en adéquation avec ce projet. Les expériences des conseils ouvriers en
Russie 17, puis en Allemagne en 1919, en Hongrie en 1956 ont commencé alors à se diffuser
plus largement. Tout était-il possible à nouveau ?


Avec la nouvelle contre-offensive de la bourgeoisie (reaganisme, thatchérisme, néolibéralisme,
etc.…), la Gauche communiste perdra à nouveau et normalement l’écoute et sa
réceptivité dans la classe ouvrière. La gauche communiste devra-t-elle à nouveau traverser à
nouveau le désert ? Dans ce cas, une seule alternative lui resterait : faire le bilan des années
sauvages, renouveler, approfondir la théorie du prolétariat, puis attendre une nouvelle période
favorable et les nouvelles luttes des ouvriers porteuses de nouvelles formes d’auto-organisations
et d’autres expressions politiques c’est pourquoi ses organisations politiques sont si importantes
pour maintenir le ferment révolutionnaire.

 

M. Ol, Juin 2022


Voir aussi : « Grèves « sauvages » dans l’Europe de 1969 » – D. Giachetti – La question sociale
N°1 – Printemps-Eté 2004 (https://www.archivesautonomies.org/spip.php?article3437 )

Une réflexion sur “Contribution à l’histoire des luttes de la classe ouvrière (1950-1970)

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