La guerre m’attend, m’atteint, m’éteint

Par Khider Mesloub.

Cet article est disponible en anglais et en italien ici:
Article de Khider Mesloub-ANGLAIS-ITALIEN- du 7 mars

La fâcheuse guerre, cette faucheuse qui ne laisse guère de chance de survie, revient partout au galop, préparée par les galonnés, conspirée et initiée par les larbins gouvernementaux et les galeux capitalistes.

L’occasion d’offrir au lecteur un extrait d’une chanson du grand chanteur algérien d’expression kabyle, Lounis Ait Menguellet. Il s’agit d’une adaptation personnelle de la chanson intitulée Arju-yi, Attends-moi.


Je ne sais ce qui est arrivé hier soir. Les lamentations bouleversaient le village. La foule emplissait les rues. Le clair de lune était figé sur les pierres. Quand les gens passèrent sous la lumière, ce qu’ils portaient apparut au-dessus de leur tête.

En me levant le lendemain, je n’entendais nulle voix. L’ont-ils enterré sans que j’y sois ? Pourtant j’étais au village.

Nos larmes ni nos paroles, nos cris ni nos oppressions, n’allégeront ce qui est lourd. Certainement un énième camarade enrôlé que l’on a enterré.

Pour renflouer les effectifs de l’armée, les autorités m’ont signifié que mon tour est venu de partir au front.

Les gouvernants qui m’ont mobilisé disent que la guerre passe avant tout. Même avant mon travail de subsistance, mes parents, ma femme.

Ceux qui gouvernent nous ont inventé encore des ennemis, me dis-je.

On m’envoie au combat. Qui sait si je reviendrai vivant, estropié ou mort ?

Ainsi, mes chers parents, je vais devoir partir à la guerre. Je dois accepter tout ce qui adviendra. Ceux qui reviendront vivants apporteront des nouvelles.

Dès mon arrivée là-bas, je vous écrirai pour vous raconter mes épreuves.

Des vétérans, brisés par les guerres et blasés de la vie, m’ont informé qu’en montant dans le train, j’y trouverai des camarades aux visages semblables au mien. En les regardant, je verrai que je suis comme eux : nous sommes logés à la même enseigne. Cette enseigne capitaliste qui saigne en permanence misères et guerres. Désolations et traumatismes.

Mes infortunés frères d’armes, si vous tombez je serai là. Si je tombe vous y serez. Nous sommes frères dans l’affliction, me dis-je.

Les vétérans m’ont informé qu’à mon arrivée je trouverai compagnie nombreuse. Nous changerons de vêtements ensemble pour endosser l’uniforme de combat. Quotidiennement, nous entendrons au loin le bruit du tonnerre : le sifflement macabre des canons et le crépitement funèbre des balles des fusils mitrailleurs. Et de près, les gémissements de douleur des blessés, les ultimes râles d’agonie des mutilés.

On inscrira mon nom sur une chaîne, mettra un fusil entre mes mains.

Au front, je sais que c’est le cœur pétri de peur, de désarroi et de remord que j’affronterai la guerre, le combat. Je me mettrai à compter les minutes qui s’écoulent. Après chaque jour ensanglanté passé en reviendra un autre plus sanglant. J’y perdrai mes calculs. Et probablement ma raison, mon humanité, à force de tuer. À force de voir des cadavres amoncelés, ensevelis dans les fausses communes.

En pleine guerre, saisi d’optimisme, par ma femme abandonnée à la maison, j’apprendrais probablement qu’une fille est née. Nous l’appellerions la Paix, me dis-je. Peut-être serait-ce de bon augure.

Mieux. Dans la tourmente de la guerre, viendrait le jour où je m’écrierais avec mes camarades révoltés : des guerres menées par mes autres frères prolétaires étrangers, érigés en ennemis, et mes compatriotes, nous sommes repus. Des combats nous sommes las. Nous avons de la peine, voire de la répugnance, à tuer. De la joie à survivre. À revivre dans la paix.

Pourtant, par expérience, je sais qu’une fois la énième guerre capitaliste achevée, après avoir anéanti des millions de vies, chacun revenu dans son foyer pour panser ses blessures, oublier ses tourments, la prochaine pointera déjà son nez meurtrier à l’horizon.

Pour contrer cette perspective, une nouvelle guerre militaire meurtrière, génocidaire, le prolétariat ne devrait-il pas préventivement livrer aux puissants une guerre sociale émancipatrice, pour enterrer définitivement leur système capitaliste et leurs guerres récurrentes et écœurantes ?

Khider MESLOUB

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

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